Luna Mula
Harry Potter bâillait au fur et à mesure que le professeur Chourave s’extasiait sur un arbre dont les racines avaient une propriété curative. Elle expliquait à qui voulait l’entendre — Neville et quelques Gryffondor polis en somme — qu’il fallait les arracher d’un coup sec et les faire sécher pendant deux jours. Le jeune sorcier oublia la suite, jetant un œil discret aux Serpentard. Drago Malefoy murmurait quelque chose à ses deux acolytes musclés tandis que Parkinson bâillait à s’en décrocher la mâchoire.
Quand le groupe se remit en route, Harry entendit distinctement ce que lança l’élève de la maison dont le blason était verdâtre.
— Quand mon père apprendra que nous avions été contraints de sortir durant une pluie battante tout ça, car une sang-de-bourbe a fait l’idiote en classe, ça ira mal pour cette vielle cruche de Chourave, dit-il de sa voix traînante.
Il pleuvait à grosses gouttes sur le groupe depuis plusieurs minutes. Les élèves se recroquevillaient dans leur manteau, tremblant de froid. À mesure que leur professeur parlait, de la buée accompagnait ses paroles.
— Et n’oublie pas de lui parler du professeur Rogue, fit remarquer Harry à Malefoy, un sourire au coin.
Il se demandait si ce cher Drago allait prendre le risque de parler de son directeur à son père, lui expliquant que lui aussi était responsable de cette sortie quelque peu humide. Ce n’était pas la faute des enseignants si la pluie leur était tombée dessus. Harry se demandait si, dans le monde de la magie, il y avait un système de météorologues comme chez les Moldus pour éviter ce genre de désagrément. Il regarda autour de lui, à la recherche d’une tignasse chocolat pour lui poser la question — et peut-être — s’excuser. Ron éternua trois fois d’affilée tandis qu’Harry, perplexe, ne parvenait pas à distinguer la plus brillante des jeunes filles de Poudlard dans le groupe des Gryffondor.
— Je lui expliquerai comment Chourave lui a supplié de venir l’accompagner durant cette sortie idiote et qu’elle a été incapable de nous tenir réveillés plus de dix minutes avec ses maudits arbres et ses maudites branches totalement stupides, rétorqua le jeune Serpentard d’un air mauvais.
Potter se rendit compte que quelque chose clochait. Le groupe était placé en demi-cercle pour faire face au professeur Chourave. Cette dernière rajusta son chapeau rapiécé avant d’ajouter qu’ils allaient bientôt rentrer au château, vu que la pluie ne semblait pas s’arrêter. Harry Potter — Saint Potter comme dirait Malefoy, Petit Pote Potter comme aimait l’appeler Parkinson — fit doucement le tour des élèves. Il ne remarqua nullement un professeur au teint cireux et à la cape flottante noire. Ni même une jeune fille aux cheveux bruns ondulés, une grande quantité de livres serrés contre elle. Sa perplexité grandissait à mesure qu’il réfléchissait à une quelconque raison de leur disparition. Le jeune Gryffondor leva la main bien haut, non sans prêter la moindre attention à Malefoy derrière lui qui fit une imitation grotesque d’Hermione qui levait sa main bien haut, les dents en avant. Le professeur de botanique fit signe de la tête à Harry en souriant :
— Professeur, je crois que nous avons perdu le professeur Rogue et Hermione Granger…
Harry avait prononcé cette phrase avec une certaine inquiétude dans la voix. La forêt de Poudlard était réputée pour être dangereuse. Le souvenir d’un Drago Malefoy peureux lors de sa première année ne réussit même pas à faire sourire le jeune Potter. Il se fichait éperdument où était son maître des potions — il avait même le souhait au plus profond de lui qu’il se fasse dévorer par une créature féroce dans la forêt. Mais Hermione… Elle venait de sortir de l’infirmerie. Elle avait peut-être fait une rechute… ? Peut-être même que le professeur Rogue l’avait tout simplement emmené à l’infirmerie sans dire quoi que ce soit au professeur Chourave pour ne pas perturber son cours ? C’était ridicule, bien entendu. Le professeur Rogue était plutôt du genre à la laisser s’évanouir dans la boue, le regard rempli de dégoût plutôt que de s’abaisser à la porter à Pomfresh.
— Si un jour je vois un Serpentard aider de lui-même un Gryffondor, et en plus, un sorcier de parents moldus, que je sois transformé en veracrasse sur-le-champ, pensa Harry Potter, l’estomac pris d’inquiétude.
Sa remarque avait suscité l’intérêt des élèves qui jetaient des regards aux alentours. Le professeur Chourave paraissait confuse de ne pas avoir fait attention à son collègue et à une élève. Harry jura même que ses joues avaient pris une coloration rosâtre. Mais ç’aurait pu être l’effet du froid glacial.
— Ne vous en faites pas, Pomona, fit Hagrid, d’une voix qui se voulait rassurante. Il n’y a pas un endroit dans cette forêt que je ne connaisse. Je vais les chercher. Ils se sont sans doute éloignés pour regarder une plante ou quelque chose comme ça. Je demanderai à des amis de les chercher aussi. Continuez votre cours sans crainte... — il fit quelques pas vers l’arrière du cortège – fichue pluie !
— On vient aussi, s’empressa d’ajouter Ron, mais le professeur Chourave le coupa sec.
— Non, Mr Weasley. Vous resterez ici, et, vous aussi, Mr Potter, mon cours n’est pas encore terminé. Laissez Hagrid faire son travail.
Frustrés, les élèves soupirèrent avant de se retourner vers leur professeur qui continua son explication sur une plante dont les feuilles avaient un teint jaunâtre. Harry se força de ne pas prendre ses jambes à son cou pendant que Chourave ne regardait pas.
Hermione.
Pourquoi avait-elle avalé la potion Mula devant toute la classe ? Avait-elle été soumise au sortilège d’Imperium sans que personne le sache ? Le jeune homme faillit rire de lui-même : c’était ridicule ! Quel intérêt y avait-il de forcer Hermione à prendre cette potion ? Rien. Absolument RIEN. La potion n’était pas active sans la deuxième. Hermione avait dû se tromper dans les ingrédients et 'Mula' était devenue une autre potion. C’était cela. Peut-être une potion qui donnait envie à son créateur de l’ingurgiter. Elle serait tombée malade à cause de cela.
Harry acquiesça machinalement tandis que le professeur Chourave annonçait que le cours était terminé. C’était forcément quelque chose dans ce genre-là. Hermione était terriblement nerveuse. C’était l’année de BUSE. Elle avait peur de rater son premier cours. Même si elle était étonnamment brillante en potions. Il était sûr qu’elle ferait une excellente médicomage si elle le voulait vraiment. Rogue ne l’avait jamais ouvertement critiquée sur une quelconque potion. Juste sur sa façon de répondre sans y être invitée ou son je-sais-tout-isme qui aurait énervé plus d’un. Ses potions étaient parfaites et jamais le maître des potions n’avait jeté d’Evanesco sur ses chaudrons contrairement à Harry ou à Neville ou même quelquefois à Malefoy. Tout était toujours parfait. Peut-être qu’Hermione trouvait cela trop parfait ? Peut-être se sentait-elle insultée d’être dans une classe où elle pouvait répondre à tout en moins d’une minute ? Peut-être qu’elle se sentait comme incomprise ou même qu’elle avait l’impression de ne rien apprendre ?
Elle avait réussi à concocter du polynectar en deuxième année. Sans l’aide de Rogue. Une potion dont les ingrédients étaient difficiles à trouver et dont sa conception demandait beaucoup de temps et d’énergie. Et Hermione avait réussi. Réussi une potion du niveau d’ASPIC ! Harry émit un rictus tandis que le troupeau d’élèves trempés jusqu’aux os prenait le chemin jusqu’à Poudlard. Le jeune homme continua dans sa lancée de théorie plus extravagante que seraient celles du professeur Trelawney. Tous les professeurs avaient des regards enjoués sur Hermione quand celle-ci répondait parfaitement à une question. Quand Hermione avait émis son scepticisme à propos des cours de Trelawney et que cette dernière lui avait clairement dit qu’elle n’avait aucune chance dans le domaine de la divination — aucun don plutôt —, Hermione avait été piquée au vif et avait abandonné purement et simplement la divination pour s’adonner clairement à l’arithmancie avec le professeur Vector. À part la vielle Sybille, un seul professeur n’avait jamais voulu reconnaître la connaissance d’Hermione dans toutes les matières. Ou n’avait jamais voulu le reconnaître publiquement : le professeur Severus Rogue, le maître des potions. Harry ne savait pas pourquoi il avait un mauvais pressentiment tandis que les tours de Poudlard apparaissaient enfin derrière les arbres de la forêt interdite.
— Professeur Rogue ? Hermione ? hurlait à pleine voix Hagrid la main gauche près de la bouche pour amplifier le son.
Il tournait en rond depuis plus de dix minutes sous la pluie. Il avait demandé à quelques centaures si deux humains n’étaient pas dans les parages. Ils n’avaient rien vu de tel. Il priait pour qu’Aragor ne fût pas responsable de cette disparition même si son antre était à plusieurs centaines de mètres de là. Peut-être que le professeur Rogue et Hermione Granger avaient tout simplement rejoint l’école à cause du mauvais temps ? Pour ne pas risquer de se perdre dans la forêt sans aucune aide ? C’était certainement ce que ferait Severus. Il ne se risquerait pas à rester là sous la pluie, dans une forêt sombre à attendre que le professeur Chourave revienne de son cours.
Se grattant pensivement la barbe, Hagrid fit demi-tour en direction de l’école.
Les élèves pressaient le pas au fur et à mesure que Poudlard se dessinait parfaitement derrière les arbres. Ron frissonnait de la tête au pied. Harry les mains en poche regardait ses pieds s’enfoncer dans la boue.
Où était-elle ? Il commençait à être très inquiet. Depuis qu’elle était sortie de l’infirmerie, tout ce qu’il avait réussi à voir, c’était une Hermione furieuse que ses amis ne viennent pas la voir. Tout le monde le serait. Il n’avait pas eu le temps de lui dire ô combien il en était désolé et qu’il aurait préféré être près d’elle que de supporter le cours de divination l’après-midi avec les Serpentard. … Évidemment, Dumbledore avait dû chambouler quelques cours pour permettre cette sortie afin de rattraper certaines heures. C’était le début de l’année, cela ne posait pas encore de problèmes.
Harry mit un pied dans une grande marre de boue. Sa robe de sorcier fut éclaboussée de haut en bas. Il eut de la chance que son visage fut épargné. Personne ne semblait l’avoir remarqué, trop pressé d’être de retour au chaud dans l’école. Harry tapota nerveusement sa robe, essayant de chasser la boue de ses mains agacées. Il avait bien évidemment oublié sa baguette sur sa table de nuit. Pas possible de jeter un sortilège qui l’aurait nettoyé en un clin d’œil. Les mains levées au niveau du visage, Harry poussa un grognement avant de parcourir les alentours du regard à la recherche d’une quelconque aide. Ce fut alors qu’il vit quelque chose. Un sac posé au loin dans la boue. Ses lunettes embuées par la pluie ne l’aidèrent pas à distinguer la besace correctement. Il saisit ses fidèles montures, les nettoya inutilement contre son pan de robe et le remit sur le nez. Le groupe d’élèves était déjà loin. Sentant son cœur se remplir de curiosité, le jeune Potter s’avança doucement.
À mesure qu’il s’approchait, deux silhouettes se distinguèrent au fond, contre un arbre. Harry se plaqua contre un chêne pour observer à l’abri les deux silhouettes au loin qui ne l’avaient pas encore remarqué. Il plissa les yeux, tendit le cou. Quand son cerveau réussit à placer des noms sur les silhouettes, les yeux du jeune Harry Potter s’ouvrirent grand de stupeur.
Là, dans les bras l’un de l’autre, lovés contre un arbre se tenaient sa meilleure amie et… le professeur qui détestait le plus à Poudlard ; le directeur des Serpentard, Severus Rogue. Le visage d’Hermione semblait enfoui contre la poitrine du Serpentard tandis que celui-ci avait son menton contre l’épaule de la jeune fille. Harry se retourna, dos à la scène, la respiration coupée. Ce n’était pas ce qu’il croyait n’est-ce pas ? Rogue et Hermione, qui auraient discrètement quitté le groupe pour s’adonner à des jeux plus intimes à l’abri des regards ? Cela expliquerait pourquoi Hermione avait semblé si nerveuse quand Rogue l’avait effleurée hier matin. Un professeur avec une élève ? N’était-ce pas formellement interdit ?
Une idée machiavélique germa dans la tête du jeune Gryffondor, lui décrochant un sourire aussi horrible que celui de Voldemort.
Il venait d’avoir une arme contre l’horrible professeur de potions.