Luna Mula
Chapitre 11 : « Amour, Haine et Désespoir »
9292 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 14/04/2020 19:21
La sonnerie venait de retentir quand Hermione Granger se pencha vers sa besace pour en sortir son livre de potions. Elle déposa sur son banc devant elle sa balance près de son chaudron récuré, son manuel, sa plume et un encrier presque vide. Un sourire ravi au coin des lèvres pour une raison qu’une seule autre personne connaissait dans la salle, elle ouvrit son manuel au dernier chapitre entamé. Elle croisa les mains à quelques centimètres du livret et attendit. Le professeur Rogue préparait les ingrédients pour le prochain cours, assis derrière son pupitre. Il n’avait pas dit un seul mot depuis la scène d’il y avait à peine dix minutes. Mais, c’était mieux comme cela, du moins pour le moment. Les élèves entrèrent en classe en silence. Harry et Ron se placèrent de nouveau de part et d’autre d’Hermione, mais cette fois-ci Ronald était du côté de Neville, qui arrivera une minute avant que le professeur Rogue ne ferme la classe.
— On ne t’a pas vu au déjeuner, avoua Harry en sortant son manuel des potions de son sac.
— Ni à la bibliothèque, enchérit Ron en évitant, par un rattrapage in extremis, de laisser tomber sa balance sur le sol.
— J’avais juste besoin d’être un peu seule, fit Hermione en haussant les épaules, sans effacer son sourire, ce qui n’échappa pas à Harry Potter.
Ce dernier plaça sa tête un peu horizontalement devant celle d’Hermione et s’exclama d’une voix espiègle :
— Et que nous vaut ce sourire ?
La jeune fille rit avant de se reprendre. Ils étaient en classe même si le cours n’avait pas encore commencé. Elle se vengea sur Harry en lui chatouillant la hanche droite, la mine innocente. Elle était de si bonne humeur tout à coup que les disputes datant de quelques jours étaient complètement effacées de son esprit. Le jeune homme se cambra, refoulant son hilarité et jeta un regard demi-noir, demi-espiègle à sa voisine. Il prit un air faussement vexé, le nez en l’air, regardant dans une autre direction. Dès que la jeune fille se tourna vers Ron, il sauta sur l’occasion pour lui renvoyer le supplice. Ce qui créa une séance de chatouilles jusqu’à ce que Neville Londubat rentre dans la classe à demi essoufflée et qu’un professeur Rogue, à la mine sombre, referme la porte derrière lui d’un geste lent.
— Pour vos deux dernières heures en ma présence, vous allez préparer un élixir de... qu’avez-vous donc, Potter ? fit le directeur de Serpentard en haussant un sourcil.
— Rien... rien du tout, professeur, répondit le jeune homme en essayant d’éviter le plus possible les caresses d’Hermione sur ses hanches et de se retenir d’éclater de rire.
Le professeur leva les yeux au ciel, se tourna vers les Serpentard et continua l’intitulé du cours :
— L’élixir de Force. Une simple potion pouvant augmenter la force physique de celui qui la boit. Faites attention au dosage, il arrive fréquemment que cette potion ne soit mal mélangée — il lança un regard accusateur sur le pauvre Neville qui essayait de reprendre son souffle — et qu’elle n’ait qu’effet que d’engourdir les membres de la... victime.
Harry Potter attrapa le poignet gauche d’Hermione pour l’arrêter de lui faire chatouille en plein cours. Il n’était en rien agacé, il était même très amusé, mais ce n’était pas une raison pour attirer les foudres de Rogue. La jeune fille, quant à elle, continuait à écouter le professeur sans montrer le moindre signe de fléchissement dans sa concentration. Personne ne pouvait deviner que sa main gauche pendait à quelques centimètres à peine de la robe du célèbre sorcier. À quelques mètres d’eux, Malefoy murmurait quelque chose à Crabbe et Goyle tout en ayant un œil sur la jeune fille.
Quinze minutes plus tard, les chaudrons bouillaient doucement de part et d’autre de la salle de classe. Ils étaient par groupe de deux. Ron était avec Neville et Harry avec Hermione ; cette dernière ne cachant pas sa bonne humeur. Elle découpa soigneusement les ingrédients et les ajouta avec délicatesse dans le chaudron. La mixture prit une teinte rosée comme indiqué dans le livre. Harry Potter avait du mal à suivre le rythme. La jeune fille semblait connaître la recette par cœur. À peine avait-il eu le temps d’ajouter un ingrédient qu’elle passait au suivant. Par contre, à côté d’eux, c’était toute une autre histoire. Ron Weasley essayait par tous les moyens de réparer les fautes de Neville en touillant ou en ajoutant des ingrédients par-ci par-là. Si bien qu’il n’arrangeait absolument rien et rendait la situation pire qu’elle l’était auparavant. Leur mixture — qui aurait dû avoir une jolie teinture orangée comme celle de leurs voisins — affichait une horrible couleur noire. La consistance était pâteuse contrairement au liquide bien fluide de l’autre côté.
Le cours s’acheva dans le calme. Neville et Ron prirent avec regret un échantillon de leur potion ratée pour la donner à leur professeur. Ce fut Harry qui s’en chargea pour la sienne et celle d’Hermione. Cette dernière commença déjà à ranger la table de travail.
—... Et vous me ferez quatre-vingts centimètres de parchemin sur les propriétés des potions que nous avons étudiées aujourd’hui en classe. En espérant que ce devoir-ci vous donnera la possibilité d’avoir une cote moins... catastrophique, déclara le professeur Rogue de sa voix doucereuse, non sans avoir jeté un regard au pauvre Neville qui craignait déjà la cote de son devoir rendu le matin même.
La sonnerie retentit enfin et les élèves commencèrent à se disperser vers la sortie. Drago se leva de sa chaise, mais le professeur Rogue l’appela à son bureau d’une voix autoritaire. Hermione en conclut en jetant son livre de potions dans sa besace que c’était pour lui délivrer la retenue de vendredi soir. Le jeune Serpentard marcha d’un air énervé vers son directeur de maison, mais ne fit aucun commentaire. Harry et Ron se dirigèrent vers la sortie du cachot suivi par Neville encore blême de ses performances désastreuses de la journée. Hermione voulut suivre ses amis dans un premier temps avant de s’arrêter nette à un mètre à peine de sa table de travail.
Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire. Elle avait été sous le coup de l’euphorie durant toute la durée du cours de l’après-midi. Elle était maintenant frappée par une sorte de contrecoup. Qu’était-elle censée faire ? Embrasser le professeur puis prendre congé de lui ou déguerpir en vitesse ? Elle réfléchit aussi vite qu’elle le pouvait.
Pouvaient-ils se considérer comme un « couple » depuis ce baiser effleuré du bout des lèvres ou n’était-ce qu’une façon comme une autre de calmer la jeune fille ? Que rien ne pourra se passer entre eux par la suite ? Le professeur Rogue ne l’enverra-t-il pas promener une fois la fin de son entrevue avec Drago Malefoy ? Attendait-il justement qu’elle vienne vers lui ? Elle était si confuse qu’elle mit du temps à remarquer que le professeur Rogue était en train de l’appeler depuis deux minutes pour qu’elle s’approche de son bureau au fond de la classe où était Malefoy. Elle laissa sa besace sur sa chaise et se dirigea à pas lent vers le maître des potions. Drago Malefoy la regarda avec dédain avant de reposer les yeux sur son professeur impassible.
— J’ose espérer que vous saviez pourquoi vous serez en retenue vendredi soir, Malefoy ? fit-il de sa voix doucereuse. Que vous ennuyiez Miss Granger dans les couloirs à la faire trébucher ou dans un autre cours, cela m’est complètement égal. Hors de question que cela arrive dans mon cours. Et surtout pas avec une fiole en main. Avez-vous pensé aux conséquences de ce qu’il aurait pu arriver si elle avait reçu de la potion au visage ?
— Elle n’avait qu’à faire attention où elle mettait les pieds, se défendit Malefoy.
— Et je suppose que ta jambe se sentait trop à l’étroit sous ton bureau et qu’elle avait besoin de prendre l’air ? rétorqua Hermione avec mépris.
Malefoy voulut répliquer, mais le professeur parla avant lui :
— Il suffit. Vendredi soir, dix-neuf heures, dans mon bureau, Malefoy. Et j’espère que ce sera la dernière fois que vous y serez de ce trimestre.
Le jeune homme n’ajouta rien et se détourna de son directeur de maison avant de quitter la salle d’un pas rapide. Hermione laissa échapper un long soupir. Rien n’était jamais terminé avec Drago Malefoy. Elle était persuadée que cette fatigante querelle ne faisait que commencer. Être « proche » du maître des potions n’allait rien arranger. Cette pensée l’attristait bien malgré elle. Elle ne pouvait pas s’empêcher de croire que cette situation étrange allait au contraire attiser les tensions entre les deux élèves. Elle secoua vivement la tête pour chasser ces pensées devenues peu à peu envahissantes. Ce n’était pas le moment pour ça. Elle dévisagea le professeur Rogue stoïque derrière son bureau, la boîte de fioles des élèves posée devant lui.
Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire. Partir comme cela ou faire allusion à ce qui s’était passé juste avant la reprise des cours ? L’estomac noué par la gêne, une légère angoisse et l’appréhension, Hermione fixa quelques instants une des fioles dans la boîte, cherchant une aide quelconque parmi les liquides de couleurs variées sans aucune chance de succès.
— Quelque chose à ajouter, Miss Granger ? demanda le professeur Rogue d’un ton mielleux.
— Non, professeur, répondit timidement Hermione Granger.
Elle lui décrocha un sourire crispé avant de faire volte-face en direction de la porte du cachot. Elle sentit une goutte de déception l’envahir. Sans doute son imagination. Elle fit un pas, puis un autre. Pas de réaction. Elle s’empara de sa besace, la mit sur son épaule et continua sa route. Juste devant la porte, elle s’arrêta une demi-seconde, tendant une nouvelle fois l’oreille au cas où le professeur daignerait l’appeler à nouveau. Rien. Refoulant une déception grandissante ainsi qu’un peu de frustration, elle passa la porte et se dirigea vers la Grande Salle où un copieux dîner l’attendait.
Quelle idiote.
Elle avait été si stupide de penser, ne serait-ce qu’un tout petit instant, qu’ils étaient maintenant « en couple ». Elle et le professeur Rogue... un couple ? N’importe quoi.
N’importe quoi.
La mine triste, la jeune fille rejoignit ses camarades de classe dans la Grande Salle. Elle s’assit entre Parvati et Ron, sans prononcer un mot. En face d’elle, Ginny tentait de prendre un peu de pommes de terre sur le plateau devant Harry. Celui-ci la taquinait en déplaçant doucement le plateau dans l’autre sens. Hermione se servit quelques pommes de terre et une aile de poulet. Elle ne put s’empêcher de jeter un œil à la table des professeurs. Le professeur McGonagall était en grande discussion avec le professeur Chourave. Le directeur parlait calmement avec Hagrid, dont l’assiette contenait à elle seule deux gros poulets grillés. Tout au bout de la table, vers la gauche, se tenait le professeur Rogue. De là où elle était, elle n’arrivait pas à distinguer s’il s’était servi quelque chose à manger. Il semblait silencieux, fixant un point devant lui. Il ne la regardait pas. Cette simple pensée coupa l’appétit à la jeune fille qui déposa son couteau et sa fourchette de part et d’autre de son plat. Elle posa la tête sur sa main gauche, le coude sur la table et scruta ses camarades de Gryffondor d’un air las.
—... Et après Flitwick m’a retransformé ma baguette magique ! C’était effrayant d’avoir un serpent en guise de baguette, raconta Fred Weasley à Harry.
— Mais on a déjà fait pire, rassure-toi, renchérit George, qui se trouvait en face de son jumeau. Une fois, Fred a réussi à rendre vivant un des livres sur lequel Flitwick se met pour parler aux élèves.
— Le pauvre, fit Harry, la mine amusée.
Hermione perdit le fil de la conversation. Elle se remémorait la scène dans le cachot. Le sentiment que le professeur Rogue lui cachait quelque chose à propos de la potion n’arrêtait pas de lui titiller le cerveau. Se faisait-elle du mauvais sang pour rien et qu’il s’était emporté juste parce qu’elle voulait absolument qu’il y eût quelque chose d’autre que la simple volonté de créer cette potion avec elle ? Plus le temps passait, plus elle se convainquait qu’elle aurait mieux fait d’attendre le lendemain pour rédiger le devoir de potions. Ce satané devoir qui l’avait conduite à veiller tard la nuit à la bibliothèque, à se retrouver enfermé dehors, devant un portrait buté et...
—... Elle a eu un « E » ça veut dire excellent ça non ? demanda Harry en se resservant un peu de pommes de terre.
— « Effort exceptionnel », rectifia Georges. Mais ce n’est pas mal du tout. Même si le bon vieux Rogue n’accepte que les « Optimal » dans sa classe en sixième année.
Hermione tourna légèrement la tête vers Harry et le jumeau Weasley sans prêter grande attention à ce qu’ils disaient sur elle.
— Fred et moi, on s’est toujours dit que les professeurs auraient dû nous donner un « E » à chacun de leur cours.
— Oui, car le simple fait que Georges et moi allions au cours...
—… était un « effort exceptionnel ».
Hermione profita de l’hilarité enclenchée par la dernière phrase du jumeau Weasley pour se lever de table. Elle quitta la Grande Salle sous l’œil interrogateur de Ron, sa fourchette en bouche. Harry quant à lui y prêta autant d’attention que si ç’avait été Parvati qui se serait levée. Le désert apparut devant eux et il se servit une bonne part de tarte. La seule personne ayant remarqué la fuite d’Hermione à part Ronald fut le professeur Rogue. Il l’avait regardée s’en aller du coin de l’œil depuis la table des professeurs. Après avoir affirmé au professeur Dumbledore qu’il ne voulait pas de cette « tarte à la cerise si délicieuse », il se leva et quitta la Grande Salle par une porte située à quelques mètres de la table des professeurs.
La jeune fille, son sac sur ses épaules, arpentait les couloirs de l’école sans se soucier de savoir où elle allait. De temps à autre, elle rencontrait un morceau de dalle détachée du sol et tapait dedans d’un coup de pied de dépit. Un des morceaux se cogna contre une des armures qui résonna quelques instants avant de laisser place au silence.
Comment avait-elle pu croire un instant que le professeur Rogue était charmant ? Il savait l’être uniquement quand cela le servait. Il était calculateur et odieux. Un Serpentard dans sa grande puissance. Il devenait de plus en plus évident qu’elle ne devait pas plus en attendre de lui que du monstre du lac noir. Si cela s’avérait inexact, alors pourquoi n’avoir pas fait un seul geste « affectif » envers elle dans la classe avant de partir au dîner ? Était-ce trop tôt ? N’osait-il pas ? N’avait-il pas compris qu’elle n’attendait que cela ? Un simple geste de sa part ?
Elle s’arrêta nette.
Depuis quand se préoccupait-elle à ce point de son professeur ? Tout ça pour un baiser volé ? Que signifiait exactement ce baiser ? « Calmez-vous, Hermione Granger, je ne vous déteste pas ? » Elle, non plus, elle ne le détestait pas. Cela ne voulait pas dire qu’elle l’aimait réellement.
L’aimait-elle ? Elle ne savait pas. Elle ne savait pas grand-chose en fait. Ni de la signification des récents événements ni même de quelconques sentiments en son égard. Ce genre de choses ne devait évidemment pas s’ébruiter. Si l’on apprenait qu’un professeur sortait avec une élève. Non, ils s’étaient juste embrassés. Un simple baiser. Rien de plus. Dans un des pires cas, ils se feraient renvoyer. Au mieux, ils se feraient muter dans des établissements différents pour les éloigner. Elle était horrifiée en imaginant la déception de ses parents. Eux qui étaient si fiers d’elle.
Non, c’était ses histoires. Leurs histoires, si histoire il y avait. Elle n’était même pas sûre qu’il y aurait une après la scène du cachot. Peut-être que le professeur s’était rendu compte de son erreur et avait voulu y mettre à terme à sa manière ?
La jeune fille s’assit sur une des marches d’escalier entre une allée d’armures. Elle déposa sa besace à côté d’elle et mit sa tête entre ses mains avant de fixer un point devant elle dans l’obscurité.
Et lui. L’aimait-il réellement ? Après toutes ces années à lui taper sur le clou. Après toutes ces années où il n’avait jamais daigné lever le petit doigt quand Malefoy s’en prenait à elle dans sa classe. Pourquoi aujourd’hui, et pas hier ? Si tout était dû à la potion ? Il y avait forcément une explication. Cherchait-elle inutilement une raison à tout ? Peut-être devrait-elle se relever et rejoindre ses compagnons et faire ses devoirs en bonne élève qu’elle était ?
— Ha ! Ça m’énerve ! s’écria-t-elle pour elle-même.
— Des problèmes, Miss Granger ?
Cette voix. Encore. Il fallait qu’il fût toujours là quand elle ne s’y attendait pas. Elle sursauta et se retourna vers l’origine de la voix. Le professeur Rogue se tenait près d’elle, la baguette en main. De là où elle était, elle n’arrivait pas à déterminer si son visage était crispé ou paisible. À vrai dire, elle s’en moquait complètement de savoir s’il était de bonne ou de mauvaise humeur. Ne pouvait-il pas la laisser en paix cinq minutes ?
— Est-ce maladif chez vous tout le temps de me faire sursauter ? fit la jeune fille avec la voix remplie d’amertume.
Elle se détourna de lui avant de continuer à fixer le point devant elle. Elle ne se rendit pas compte qu’elle venait de prononcer le genre de réplique que ferait son professeur de potions. Elle entendit qu’il fit deux pas en avant, avant de s’asseoir à sa droite, baguette toujours en main. Elle refusa cependant de lever les yeux vers lui. Ce qui n’était pas le cas de Severus Rogue.
Un silence s’installa. Un silence pesant et gênant. Si bien qu’Hermione réprimait de plus en plus des larmes de colère.
— Pourquoi... professeur ? murmura-t-elle d’une voix tremblante.
Il voulut sécher ses larmes du bout des doigts, mais la jeune fille le dégagea doucement :
— Non, professeur, pas cette fois.
Elle se leva, fit quelques pas, lui tournant le dos. Elle croisa les bras sur sa poitrine. Elle était complètement perdue. Que devait-elle faire exactement ? Qu’attendait-il d’elle ? Si elle se jetait dans ses bras, il la serrerait contre lui ou l’enverrait-il promener ? Elle l’entendit se lever :
— Bien, Miss Granger. Si nous ne pouvons pas avoir de conversation sans que vous pleuriez, autant que vous alliez vous coucher, dit-il, acariâtre.
Il fit volte-face.
— Attendez ! s’écria Hermione en se retournant à son tour.
Il ne devait pas partir. Non, pas maintenant. Il tourna la tête vers elle, les yeux plissés.
— Pardon, professeur, s’excusa-t-elle en essuyant les larmes du revers de sa main. C’est que... avec toutes ces émotions...
— Oui, Miss Granger ? la pressa-t-il sans changer de ton.
Elle le regarda, la mine triste. Elle se lança : « Puis, zut ! » au coin de la tête avant de se précipiter dans les bras du maître des potions. Elle lui entoura la taille de ses bras frêles avant de poser sa tête sur son épaule. C’était maintenant ou jamais de savoir. De savoir exactement ce que tout cela signifiait. Elle attendit quelques instants avant de sentir les bras de l’homme en noir s’enrouler autour de son dos. Dans l’obscurité pesante du couloir, Hermione Granger afficha un sourire réjoui.
Cette chaleur. Elle se sentait si bien. Elle n’avait aucune envie de s’enfuir.
— Est-ce futile de vous faire la remarque que cette... situation doit rester secrète ? murmura le professeur Rogue.
Comme toute réponse, elle décala doucement sa tête pour la placer sous le menton de l’homme en noir. Elle ramena sa main gauche près de son visage et ferma les yeux. Elle voulait savourer chaque instant, chaque moment privilégié entre eux. Bien consciente que ce genre de moment risquait d’être rare. Tandis que le professeur lui entoura les épaules du bras gauche très doucement ainsi que les bas de ses reins de l’autre. Hermione Granger murmura :
— Oui, professeur Rogue.
Elle se blottit encore un peu plus contre lui, le rideau de cheveux noir lui balayant légèrement le front tandis que le nez de la gryffondor se trouvait juste en dessous du menton du sorcier.
— Et si jamais quelqu’un... nous surprenait ? chuchota-t-elle en ouvrant les yeux.
Elle sentit la tête du professeur de potions remuer doucement. Son estomac se resserra. Avait-elle bien fait de poser cette question ?
— Nous nierons, répondit-il comme si c’était la chose la plus normale au monde.
— Et si l’on nous posait des questions ?
— Nous mentirons.
— Professeur ! Et si vraiment...
— Miss Granger, voulez-vous vraiment savoir jusqu’où je peux aller pour garder ce secret ? s’exclama le sorcier, d’une voix autoritaire.
Elle se dégagea légèrement de lui pour le regarder dans les yeux. Ils étaient étrangement froids. Elle se mordit la lèvre inférieure. Il la mettait dans une situation compliquée. Elle posa alors une dernière question en le regardant dans les yeux et en prenant une voix mielleuse.
— Et si jamais, professeur Rogue, on m’invitait à sortir, que dois-je répondre ? Si un garçon m’invitait, que dois-je lui répondre ?
Il plissa les yeux, observant gravement la jeune fille. Où voulait-elle en venir ?
— Vous m’avez dit de mentir si l’on nous posait des questions... alors... dois-je leur mentir en déclarant que je suis libre ?
Il lui décrocha un rictus mauvais :
— Répondez-leur ce que vous voulez. Dans tous les cas, ils ne pourront pas vérifier n’est-ce pas ?
— Cela ne vous fera rien...? s’étrangla presque la jeune fille.
Il haussa les épaules :
— Bécotez qui vous voulez, du moment que vous ne me souillez pas avec leurs microbes.
— Comment osez-vous ?! s’exclama Hermione, indignée.
Elle s’écarta violemment de lui, se retrouvant à quelques pas du sorcier, le visage crispé par la rage.
— N’avez-vous donc aucun sentiment ? cracha-t-elle. Aucune once de dignité ou de respect ?
— Dois-je vous rappeler que nous ne devons pas éveiller les soupçons et que si vous persistez dans le fait que vous avez un... petit-ami, vos camarades, disons... Patil et Brown s’en donneront à cœur joie de remonter jusqu’à nous et nous faire renvoyer, expliqua-t-il sèchement. Est-ce cela que vous voulez ?
— Non, mais...
— N’est-ce pas un médiocre sacrifice ?
Elle ne savait pas quoi répondre. Elle n’aimait pas cette perspective de l’infidélité en quelque sorte. Cette infidélité juste pour se protéger. Ce n’était pas juste. Vraiment pas juste. Elle avait l’impression qu’il se servait d’elle. Elle se mordit à nouveau les lèvres et murmura timidement :
— Et si je m’arrangeais pour qu’elles croient que je suis encore avec... Viktor ?
— Avec la presse qui tourne autour de lui... s’il s’avérait que votre ancienne aventure a quelqu’un d’autre dans sa vie, votre plan tombera à l’eau.
— Professeur, je peux seulement répondre que je n’ai pas envie de voir quelqu’un, non ? Je veux dire... ce n’est pas parce qu’un garçon m’invite quelque part que je devrais lui dire « oui » absolument ?
— Faites comme bon vous semblera.
Elle n’en était pas plus convaincue. Elle se massa le bras gauche d’un geste mécanique :
— Même quand je n’ai pas de petit-ami, il y a des rumeurs du contraire. Donc je ne vois pas ce que je pourrais y changer.
Le professeur Rogue tendit le bras et souleva doucement le menton de la jeune fille pour qu’elle le regarde dans les yeux :
— Nous n’avons pas le choix, murmura-t-il.
Hermione ne souriait pas, même tristement. Elle avait les yeux rouges et les joues rosies. Elle ne pouvait pas accepter cette perspective. Elle avait déjà assez de mal à comprendre comment elle en était arrivée là. Toutes ces mesures de précaution pour qu’on les ne trouve pas la rendaient malade. Elle avait envie de dire qu’elle avait quelqu’un et que c’était son droit de tout garder pour elle, que si ces deux pestes de Parvati et de Lavande découvraient quelque chose ce serait vraiment un très grand hasard, car qui croirait que le professeur Rogue sortait avec son élève détestée ? Peut-être était-ce le véritable danger ? Penser que personne ne pourrait justement y réfléchir à cette perspective ? Au-delà de cette angoisse d’être découverte, Hermione ne pouvait pas s’empêcher de réfléchir aux autres conséquences bien plus dangereuses de leur relation. Comment pourrait-elle accepter d’enfreindre le règlement de l’école sur la relation professeur et élève ? Elle avait certes déjà violé quelques lois et règles avec Harry et Ron durant leur scolarité. Cependant, c’était souvent justifié. Quand cela ne l’était pas du tout, elle était la première à menacer de tout révéler aux autorités compétentes à savoir le directeur de Poudlard, le professeur Dumbledore ou bien sa directrice de maison. Elle n’avait que seize ans. Le professeur Rogue était bien plus âgé qu’elle. Certes, elle sera majeure pour le monde des sorciers en septembre de sa sixième année à Poudlard, mais qu’allait-il se passer s’ils étaient découverts avant ça ? Le professeur Rogue avait simplement parlé de renvoi, pourtant Hermione était persuadée qu’il risquait la prison d’Azkaban pour cela.
Elle était totalement perdue.
Elle lui retira délicatement la main de son menton. Toucher du bout des doigts cette main. Elle lui caressa les doigts de la main droite avant de laisser épouser ses propres doigts avec les siens, les laissant s’entrelacer entre eux deux. La main de la jeune fille semblait si minuscule comparée à celle de son professeur. Cette dernière était chaude ; non pas rugueuse comme elle l’aurait toujours pensé ainsi qu’étrangement douce.
Hermione soupira et se blottit de nouveau contre Severus Rogue.
— Advienne que pourra, pensa-t-elle.
Leurs doigts entrelacés, le bras libre entourant l’autre contre soi. Bientôt, la jeune fille eut les bras enlaçant le cou du maître des potions, les bras de ce dernier autour la taille de son élève. Elle leva la tête vers lui. Elle scruta son visage. Les cheveux noirs en cascade autour d’un visage terne et jaunâtre. Ces yeux d’ébène, tantôt sans expression, tantôt pleins de cruauté. Un nez crochu. Des rides profondes par endroits. Des lèvres dessinées en un sourire crispé. Il se pencha délicatement vers elle. Quand leurs nez se touchèrent et que leurs lèvres s’effleurèrent de nouveau, la jeune fille s’enquit :
— Et Harry et Ron ?
Le professeur Rogue remit une distance suffisante entre les deux pour distinguer les yeux de la jeune fille. Ces derniers étaient suppliants :
— Dois-je leur mentir aussi ?
Le sorcier se redressa complètement. Un sourire narquois se dessina sur son visage.
— Si vous n’êtes pas capable de tenir ce secret, Miss Granger, autant que nous en arrêtions là, dit-il de sa voix doucereuse.
— Non ! Je veux dire...
— Quoi, Miss Granger ?
— Vous êtes facile, vous ! Vous savez mentir à Vous-savez — qui et fermez votre esprit ! et... et vous me demandez de mentir à mes meilleurs amis ? s’écria-t-elle, les larmes lui revenant aux yeux.
— Où est le problème ?
— Le problème ?...Le problème est que vous vous ne rendez pas compte à quel point c’est difficile pour moi de faire une chose pareille. Ils devineront que je cache quelque chose.
— Voulez-vous que je vous enseigne l’Occlumancie ? fit-il sarcastiquement.
— Oh ! Vous êtes... tellement... tellement..., répliqua-t-elle, sentant la rage la gagner.
— Je suis tellement quoi, Mistorturai SER-PEN-TARD ! cracha-t-elle avant de se dégager de lui.
Ils se fusillèrent du regard pendant un long moment. Un complètement impassible et une aux joues ruisselant de larmes. La jeune fille se mordit les lèvres avant de laisser échapper son sanglot. Sans un regard, sans un mot, elle bondit sur sa besace et se mit à courir vers la tour de Gryffondor. Le sorcier la regarda s’enfuir avant de continuer sa route dans le couloir obscur, sa cape volant doucement derrière lui.
Hermione ne comprenait plus rien. Elle s’en voulait tellement. Pourquoi ne l’avait elle pas envoyé promener plutôt ? Vouloir absolument tout cacher. Ce n’était pas du tout son style. Une Hermione qui avait un petit ami c’était si rare. À part Krum, elle n’avait eu personne près d’elle. Et encore, il ne faisait que la regarder étudier dans la bibliothèque. Ce n’était pas tout le temps agréable. Et là, son propre professeur... Non, elle devait plus y penser de toute manière.
Sa vision était trouble quand elle arriva enfin devant le portrait de la Grosse Dame. Cette dernière n’eut même pas le temps de lever un œil qu’un élève sortait de la salle commune. Hermione en profita pour s’y glisser. Elle jeta sa besace dans un coin. Prés de la cheminée, assis dans un fauteuil de part et d’autre de la table, Ron et Harry s’adonnaient à une partie d’échecs. Vu le nombre et l’état des pièces, ils venaient de commencer. Ils n’avaient pas remarqué qu’Hermione venait de rentrer. Tant mieux. Elle marcha doucement comme un automate vers eux, les bras pendants, le visage ruisselant et crispé par la douleur, avant de se mettre à courir et de se laisser tomber sur le premier qu’elle vit — en l’occurrence Harry. Harry Potter fut tellement surpris du geste qui en laissa tomber sa tour au sol qui se mit à crier au meurtre. La jeune fille se colla à son ami, les bras entourant son cou et pleurant à chaudes larmes. Ron assista à la scène, aussi impuissant que son ami.
Le myope mit quelque temps avant de réagir. Il tapota le dos d’Hermione en signe d’affection, la gardant contre lui. Il fit une grimace au roux qui voulait dire : « qu’est ce qu’elle a ? ». Ce dernier hocha négativement la tête. Hermione sanglotait dans les bras de son ami. Elle n’en pouvait plus. C’était trop en si peu de temps. Elle voulait leur raconter absolument tout. Comment le professeur l’avait traitée dans le cachot avant de l’embrasser. Comment il lui avait ordonné de mentir à quiconque voulant en savoir plus sur eux. Pourtant dans un autre côté, elle avait peur de la réaction du professeur face à cela. Que devait-elle faire ? Elle ne voulait ni leur mentir ni décevoir son maître des potions. Qu’est-ce qui comptait le plus pour elle en ce moment même ? Elle ne le savait même pas. Elle n’était plus sûre de rien.
Elle se blottit encore plus contre son ami à lunettes. La proximité, cette amitié et cette sécurité à la fois, la calma peu à peu. Ron et Harry continuèrent à jouer aux échecs. Ce dernier tenait toujours Hermione contre lui avec son bras gauche et bougeait les pièces avec son bras droit.
Le feu crépitait dans la cheminée projetant des ombres dansant sur le sol de la salle commune des Gryffondor. Petit à petit, les élèves montaient se coucher en se disant « Bonne nuit » et en bâillant en s’en décrocher la mâchoire. Ron Weasley et Harry Potter refaisaient une autre partie, pas encore assez exténués pour aller se coucher. Hermione quant à elle s’était endormie, la tête en dessous de celle d’Harry, les bras lui enlaçant la taille. Son visage était légèrement collant dû aux larmes récemment séchées. Ses cheveux étaient plus en bataille que jamais. Elle était si paisible. Qui aurait imaginé que quelques heures plutôt elle avait enduré des drôles de choses avec le professeur Rogue ? Que celui-là même lui eut demandé de se cloîtrer dans un mensonge perpétuel tout ça pour que personne ne les découvre ? Bien que cette optique de ne pas être découvert dût être respectée, la jeune fille ne pouvait s’y résoudre à mentir à ses meilleurs amis. Même s’ils ne comprendront pas pourquoi elle était avec son maître des potions. Même si elle ne pouvait pas dire elle-même pourquoi elle l’avait laissé aller si loin. Elle aurait dû prendre ses jambes à son cou dans le cachot. Ou même lui donner une gifle. Malheureusement, elle avait beaucoup trop peur des conséquences — d’autant plus que ce ne serait pas la première fois qu’elle s’interposait avec le professeur Rogue, même si cela n’avait été que verbal. Elle craignait tout aussi des regards des gens. Était-ce peut-être de cela que le professeur voulait la protéger ? Des regards et de l’avis des autres ? Elle s’en fichait. Il suffisait de la voir avec Krum pour comprendre. Toutes les filles avaient commencé à la détester, car elle avait réussi là où elles avaient échoué c.-à-d. sortir avec Krum. Ces filles voulaient simplement que l’on remarque avec Viktor Krum, ce qui avait été tout le contraire pour Hermione. Elle n’avait pas été avec lui pour se pavaner devant tout le monde.
Harry bougea légèrement le bras gauche, ce qui réveilla la jeune fille. Elle s’extirpa de lui en secouant la tête. Elle se frotta les yeux avant de les poser successivement sur ses deux amis. La salle commune était déserte.
— Je crois que je vais aller me coucher, bailla Ron. Je ferai le devoir pour Rogue demain soir.
— Bonne nuit, lança Harry — il se tourna vers son amie — ça va, Mione ?
— Je me suis endormie, répondit-elle inutilement. Pardon
— Ce n’est rien.
Il lui ébouriffa affectueusement les cheveux avant de se lever à son tour, s’étirant en long et en large.
—... Complètement crevé. Bonne nuit, Mione.
Il lui sourit chaleureusement avant de rejoindre Ron dans son dortoir. La jeune fille resta seule un moment assise dans le feu de la cheminée de la salle commune. Elle fixa un point devant elle avant de poser la tête sur ses deux mains, les bras sur ses genoux. Et maintenant ? Faire comme si de rien n’était ? Elle était heureuse et à la fois déçue que ses amis n’eussent pas daigné lui demander ce qu’elle avait. Peut-être avaient-ils deviné que ce n’était que de passage ou les nerfs qui craquaient ? Ou alors préféraient-ils lui demander le lendemain au petit-déjeuner ?
Soupirant longuement, elle se leva du fauteuil et monta se coucher. Demain sera un autre jour. Et peut-être se réveillera-t-elle en n’ayant aucun souvenir de la veille. Ou encore que tout ceci n’était qu’un rêve.
Ou un cauchemar.
Le lendemain matin, Hermione se réveilla avec un mal de tête. Elle avait très peu dormi. Elle n’avait pas arrêté de réfléchir à tout ce qui s’était passé durant la journée, si bien qu’elle n’eût pas trouvé une seule raison de cacher la vérité à ses amis. Ils arrivaient bien à garder le secret pour l’Ordre du Phénix. Alors pourquoi pas ça ? Pourtant, elle préférait attendre un peu avant de se lancer dans un discours sur son « possible » couple avec le professeur Rogue. Elle n’était même pas sûre elle-même qu’ils fussent un couple à part entière. Elle était consciente que sa réaction d’hier pouvait être interprétée comme une sorte de rejet auprès du maître des potions. Elle l’avait laissé totalement en plan ; peut-être qu’il en voulait pour cela et que cela lui avait enlevé toute envie de la revoir « en dehors de la classe ». Cette pensée la rendait à la fois folle et soulagée.
Bon sang, elle n’avait aucune idée de comment elle était censée réagir.
Plus elle y réfléchissait, plus l’angoisse envahissait son estomac. Elle avait peur de ce qu’il pourrait lui dire s’ils se croisaient à nouveau après la scène dans les couloirs. Peut-être se torturait-elle trop l’esprit.
Elle prit sur elle pour ne plus y penser, du moins pendant le reste de la journée. Cela ne servirait à rien de ruminer ou de spéculer sans cesse. Elle verra bien.
Lors du petit-déjeuner, elle prit place à la table de Gryffondor en affichant un sourire sincère, se forçant légèrement. Ron bâilla, le nez dans son bol et Harry salua Hermione une fois que celle-ci prit place à côté de lui.
— Tes lunettes sont sales, Harry ! lança la jeune fille d’une voix faussement outrée.
Le jeune homme leva le nez en l’air d’un air vexé, mais espiègle et tourna le dos à son amie. Ce qui eut comme effet de la faire éclater de rire. Le courrier arriva. Les hiboux postaux laissèrent tomber ça et là des paquets, des lettres et des journaux. Une gazette des sorciers s’écroula sur la tête de Ron qui s’empressa de l’enlever, poussant un jurant sur le hibou qui avait mal visé. Hermione se versa quelques céréales tandis que Harry ouvrit une page du journal que Ron venait de jeter au loin devant lui. Du coin de l’œil, en prenant le pichet de lait, la jeune fille scruta la table des professeurs. Le professeur McGonagall discutait avec le directeur de Poudlard. Le professeur Flitwick était en grande discussion avec le professeur Chourave. Pas une trace du maître des potions. La jeune fille soupira et se versa du lait. Une partie se déversa à côté et elle sortit sa baguette pour la nettoyer. Au moment où elle allait prononcer le « recurvite », la tache de lait disparut. Elle se retourna instinctivement et vit une baguette pointée vers la table. En suivant cette baguette du regard, ses yeux se posèrent bientôt dans ceux du professeur Rogue. Il la toisa, le sourire crispé, les yeux à demi plissés. Elle lui sourit timidement, sans se lever de son banc.
— Vous devriez faire plus attention, Miss Granger, murmura-t-il.
Il n’ajouta pas un mot de plus et se dirigea vers la table des professeurs. Hermione se mordit les lèvres et replongea dans son bol de céréales. Harry Potter, le visage caché derrière la gazette des sorciers souriait. C’était très « mignon » de voir que le professeur Rogue se trouvait toujours derrière Hermione en cas de problème. C’était même très « affectueux ». Il était sûr et certain qu’Hermione était restée dans la salle de classe avec le directeur de Serpentard. Il était sûr et certain que c’était juste pour se retrouver seuls, dans un endroit où personne ne les chercherait. Il se promettait de regarder de temps à autre la carte du maraudeur pour appuyer ses dires. S’il pouvait prouver qu’il y avait quoi que ce soit entre ces deux tourtereaux… Son sourire prit une tournure machiavélique.
La sonnerie retentit et les élèves se levèrent pour se diriger vers leurs cours du matin. Les Gryffondor de cinquième année marchèrent en silence vers la salle de classe du professeur McGonagall. Cette dernière les accueillit avec son sourire sévère, les lunettes pendantes au bout de son nez. Le cours se passa dans le calme. Le reste de la journée aussi. En soirée, Hermione s’empara de ses livres de cours et se cala quelque part dans la bibliothèque. Elle ouvrit le livre de métamorphose et commença à rédiger le devoir s’y rapportant. Elle y inscrivit son nom, sa classe, sa maison avant de se lancer dans la rédaction de la transformation de hérissons en coussin à aiguilles. Elle avait fait à peine dix centimètres de parchemin qu’elle entendit un bruit derrière elle. Elle bougea la tête vers son origine et soupira de soulagement en voyant Neville se battre avec un livre pour le remettre en place. Le livre lui montrait des dents crochues et aiguisées et le jeune homme tout en essayant de ne pas se faire déchiqueter tentait vainement de le refermer. Hermione aurait pu l’aider, c’était vrai, mais en repensant à ce que lui avait dit le professeur Rogue à propos de sa façon de vouloir sauver tout le temps la peau de Neville, elle se ressaisit avant de replonger la tête dans son parchemin. Après tout, il n’allait pas perdre un bras. Elle leva un œil en reprenant un peu d’encre du bout de la plume. Neville venait de coincer le livre en dessous de ses pieds, transpirant et dégoulinant. Hé bien, voilà. Il suffisait d’attendre.
Une heure passa. La jeune fille roula le parchemin pour le professeur McGonagall avant de s’attaquer à celui pour le professeur Rogue. Elle commença comme à l’accoutumée : nom, classe, maison. Elle inscrivit en haut du parchemin l’intitulé du devoir puis s’arrêta net. Elle ne l’avait pas vu de la journée. Il était venu au petit-déjeuner. Au dîner et au déjeuner, il n’était pas venu. … Était-il malade ? Non, c’était stupide. Il était juste resté dans son bureau.
… Était-il avec une autre ?
Hermione griffonna de rage son parchemin et en cassa sa plume. Ridicule. C’était tout simplement ridicule. Pourtant, elle n’en était pas convaincue. Elle rangea ses affaires dans sa besace et sortit de la bibliothèque sous l’œil méfiant de Madame Pince. Elle arpenta un ou deux couloirs avant de changer complètement de direction. Un peu plus loin, elle entendit Peeves qui chapardait une des armures en riant de façon hystérique. Elle s’arrêta un moment devant les marches lugubres qui descendaient vers la partie inférieure du château : les donjons. Non, c’était ridicule. Elle fit un pas en arrière sur le point de rebrousser chemin. Cependant, une petite voix dans sa tête la poussa à continuer. Cela n’était pas interdit d’en avoir le cœur net ? Et même si elle se disputait à nouveau avec lui, au moins elle saura que tout… allait bien. Elle prit une grande inspiration et commença sa descente.
Ses pas résonnaient dans le couloir tandis qu’elle marchait très lentement, sa besace sur son épaule. Elle reconnut bientôt le cachot pour la classe de potions. Le bureau du professeur Rogue n’était pas loin. À mesure qu’elle avançait, son cœur se resserrait et son estomac se retournait. Que cherchait-elle exactement… ? Peut-être que le professeur ne voulait plus la revoir depuis la veille ? Elle devait en avoir le cœur net, c’était plus fort qu’elle. Même s’il la renvoyait méchamment dans son dortoir. Même s’il la traitait de tous les noms. Même s’il lui disait qu’elle aurait un « T » en potion. Même tout cela. Elle n’en avait pas peur. Arrivée devant la porte close du bureau du professeur Rogue, Hermione respira profondément. Elle leva le poing vers le battant et attendit avant de frapper par trois fois. La porte s’ouvrit lentement, laissant entrapercevoir un professeur de potions plutôt de mauvaise humeur, le visage crispé, les lèvres en un sourire narquois. Il jaugea la jeune fille — dont la main resta quelques instants de trop en l’air — avant de murmurer :
— Miss Granger ?
— Bonsoir, professeur, dit-elle poliment en ramenant sa main le long de son corps.
Il croisa les bras, restant dans l’entrebâillement de la porte. La jeune fille se demanda alors ce qu’elle faisait là exactement et voulut s’enfuir à toutes jambes. Elle regarda partout, sauf vers son professeur.
— Je… enfin, balbutia-t-elle.
— Oui, Miss Granger ? pressa-t-il de sa voix doucereuse. Qu’y a-t-il ?
Il ne voulait vraiment pas faire un effort pour l’aider. Elle se mordit les lèvres, cherchant ses mots.
— Si vous êtes venue juste pour me faire perdre mon temps, vous feriez mieux de regagner votre tour, Miss Granger, dit-il avec dédain.
Il referma la porte au nez de la jeune fille qui n’attendit pas une seconde de plus pour partir, les yeux humides, le visage crispé. Pourquoi était-elle descendue ? C’était complètement ridicule. Absolument ridicule. Maintenant, elle était pire que mieux. Même si elle s’était dit qu’une dispute risquait d’éclater ou même qu’il l’enverrait promener, cela faisait toujours mal.
Elle s’arrêta net.
Qui était-il pour la traiter de la sorte ? Tout ça parce qu’il lui enseignait une matière ? Elle fit demi-tour et retapa à la porte du bureau du professeur Rogue, bien déterminée à mettre les choses au point. Elle inspira profondément et frappa par trois fois. Elle attendit quelques instants avant que la porte daigne s’ouvrir. Le professeur Rogue ne semblait pas surpris de la retrouver à sa porte. Il s’appuya sur le côté de la porte, tenant la poignée de l’autre. Il lui lança un regard dédaigneux et murmura à nouveau :
— Miss Granger ?
— Professeur, pourrions-nous parler un instant ? demanda-t-elle en se forçant d’afficher un air serein.
— N’est-ce pas ce que nous faisons à l’instant ?
— Professeur, s’il vous plaît !
Il faisait vraiment tout pour ne pas l’aider. Après un long silence, il soupira en se retirant de la porte pour la laisser entrer. Elle pénétra dans le bureau du maître des potions et referma la porte derrière elle. Le bureau était plongé dans l’obscurité. Seules deux ou trois bougies posées par-ci et par là donnaient une once de lumière. Les bocaux remplis de liquides aussi divers que répugnants avaient adopté une aura encore plus malsaine que d’habitude. La jeune fille se frotta les mains plus pour s’occuper les secondes qui s’en suivirent que pour réellement se réchauffer. Le professeur Rogue la regarda, les bras croisés, au milieu de la pièce. Il attendait.
— Alors ? dit-il avec impatience.
Elle jeta un œil aux alentours comme pour s’assurer que personne ne les surprendrait à parler ensemble. Elle cessa de se frotter machinalement les mains pour se tortiller les doigts avec gène. En fait, elle ne savait pas trop de quoi parler. Elle avait tellement de choses à demander. Tellement de choses à comprendre.
— Est-ce… je veux dire…, bafouilla-t-elle. Enfin professeur… que dois-je penser de tout cela ?
— De tout cela quoi ? répéta-t-il en plissant les yeux.
— M’aimez-vous, professeur ?
Ces mots étaient sortis comme si quelqu’un avait pris contrôle d’Hermione Granger. Elle regretta sur-le-champ de les avoir prononcés et tourna le dos au maître des potions, de peur de voir se dessiner sur son visage, la colère ou le dégoût. Et… pourquoi pas : la tristesse. Elle attendit. Un peu, beaucoup. Le silence se fit de plus en plus pesant. Elle ne voulait pas se retourner avant qu’il eût pris la parole.
— Si je vous aime ? dit-il dans un souffle après quelques minutes.
Elle s’apprêta au pire, les bras croisés sur sa poitrine, soutenant plus son estomac qu’autre chose. Elle se mordit les lèvres pour contenir ses larmes. Elle s’écria la voix tremblante :
— Bien, j’ai eu ma réponse apparemment. Bonne nuit professeur et pardon… de vous avoir dérangé.
Dérouté par cette soudaine réaction, le principal intéressé ne bougea pas directement. Ce fut seulement quand Hermione posa la main sur la poignée de la porte du bureau qu’il fit :
— Je ne vous ai pas encore répondu, Miss Granger.
— C’est cela ! cria-t-elle, la voix perdue dans l’hystérie. Vous allez encore me sortir ce bon vieux discours du « Je ne vous déteste pas ? »
Elle lui fit face. Ce fut seulement à ce moment-là qu’elle se rendit compte de son erreur. Le visage du professeur Rogue était devenu impassible.
— Veuillez sortir de mon bureau, Miss Granger.
Sa voix était tout sauf de la gentillesse. Elle était aussi tranchante que la lame d’un rasoir. La même intonation avec laquelle il s’adressait à Harry.
— Très bien, je ne comptais pas rester une seconde de plus dans cet endroit infect, répliqua-t-elle sur le même ton.
Elle ouvrit la porte de quelques centimètres, le professeur Rogue la referma d’un geste vif, faisant face à la jeune fille, leurs souffles se mélangeant.
— Bon sang, à quoi vous jouez, Granger ? cracha-t-il.
— À quoi je joue ? À quoi je joue ? répéta-t-elle abasourdie. Et c’est à moi que vous posez la question ?
Ils se fusillèrent du regard. Aucun des deux ne voulait laisser emporter l’autre. Leurs visages se trouvaient à quelques centimètres. Hermione avait toujours sa main droite sur la poignée de la porte. Le professeur Rogue ne fit aucun mouvement de plus qu’elle. Une minute, peut-être deux, s’écoula. Hermione brisa le silence entre eux, une larme roulant le long de sa joue :
— Pardonnez-moi de croire… que vous m’avez menti l’autre jour, murmura-t-elle en prenant bien soin de détacher chaque mot.
— Que je vous ai menti ? susurra-t-il ahuri. Comment… ?
— Vous me détestez, professeur. Et cela vous amuse de me faire souffrir de la sorte, n’est-ce pas…
Sans ajouter un mot, elle ouvrit la porte que le professeur ne bloquait plus et s’en alla. Elle marcha d’abord doucement puis elle accéléra le rythme. Elle ne voulait pas qui la rattrape.
Elle monta en trombe dans la salle commune, s’écroula dans son lit et se mit à pleurer doucement, étouffant ses cris dans son oreiller. Elle le haïssait. Elle le haïssait de l’avoir mise dans un état pareil.
Il ne méritait même pas qu’elle s’inquiète pour lui. Il ne méritait même pas qu’elle s’imagine des choses. Il ne méritait même pas qu’elle l’apprécie plus que raison. Il ne méritait même pas qu’elle l’aime.
Cloîtré dans son bureau, sous une lumière tamisée, le professeur Rogue sortit de son tiroir un parchemin et une plume blanche. Le visage impassible, les yeux n’exprimant que le néant, il se mit à gratter le papier. Quand il eut terminé d’y mettre assez d’encre, il referma le parchemin et l’enferma dans une enveloppe. Il y inscrivit quelque chose avant de déposer la lettre près d’un bocal derrière son bureau. Puis, le directeur des Serpentard sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui.
À la lumière de la faible flamme d’une bougie, on pouvait lire ces mots inscrits dans une encre vert foncé :
« À Hermione Granger avec les plus plates excuses du professeur Rogue »