Luna Mula
Au petit-déjeuner de ce matin-là, Hermione ne toucha pas à la nourriture. Elle n’avait pas cours le matin tandis que ses amis devaient se rendre en cours de divination. Elle observait son bol d’un air. Elle avait le teint blême, la mine crispée. Elle n’arrêtait pas de penser à la veille. Peut-être avait-elle commis une erreur. Elle ne savait plus quoi penser de cette situation. Elle se forçait de faire comme si de rien n’était devant ses camarades de classe. Tôt ou tard, ils se rendraient compte de quelque chose. Aucun mensonge ne pourra les sauver. Dire la vérité… ? À quel prix ?
La jeune fille posa la tête sur sa main droite, en continuant à fixer un point devant elle. Le courrier arriva. Harry reçut sa gazette du sorcier qu’il déplia devant lui. Ron, quant à lui, ouvrit un colis qu’Errol, le hibou maladroit de sa famille, venait de déposer.
— Hermione, tu as du courrier ! fit Neville en donnant un coup de coude à sa voisine.
Cette dernière sursauta comme si elle sortait d’un rêve et regarda devant elle. Un hibou grand-duc l’observait, une lettre attachée à sa patte droite. La jeune fille se demanda qui pouvait lui écrire. Ses parents ? Non, ils passaient par la poste moldue. Viktor Krum ? Pourquoi maintenant ? Pour quelle raison ? Elle retira délicatement l’enveloppe de la patte de l’oiseau ; ce dernier prit son envol avec les autres. Neville Londubat continua à ingurgiter ses céréales tandis que Harry Potter replia son journal pour se tourner vers son amie. Il baissa les yeux sur l’enveloppe qu’elle tenait entre ses mains frêles, esquissa un étrange sourire avant de dévisager son amie. Il aurait voulu lui souffler qu’il avait une petite idée de son expéditeur ou même qu’il en était quasiment persuadé de son identité. Tout lui semblait si évident. Il se contenta cependant de lui décrocher un sourire amical et sincère. Hermione se tourna un instant vers le survivant, les mains tremblantes légèrement sous le poids de cette étrange lettre. Harry lui fit un clin d’œil complice avant de replonger dans la gazette des sorciers.
La jeune fille examina l’enveloppe. Elle ressemblait à celle qu’envoyait Poudlard pour donner la liste des livres à acheter. Elle la retourna délicatement entre ses doigts pour lire une note de l’expéditeur. Elle resta figée sur place.
« À Hermione Granger avec les plus plates excuses du professeur Rogue. »
Elle balaya les alentours du regard pour s’assurer que personne ne l’observait. Neville bavardait avec Seamus, brandissant sa culière de temps à autre pour ponctuer ses propos. Ron était en grande conversation avec Dean, quant à Harry, il s’était caché derrière son journal. Dans un geste lent, elle glissa la lettre dans son sac avant de le ranger sous ses pieds. Elle la lira une fois que les autres Gryffondor seront partis en cours de divination.
Des milliers de questions germèrent dans son esprit. Des excuses ? Lui annonçait-il quelque chose de grave ? Quelque chose qu’il ne pouvait pas lui dire de vive voix ? Quelque chose qui les concernait « tous les deux » ? Quelque chose de si grave qu’il devait s’excuser avant même de lui expliquer ? Elle était à la fois impatiente et terrorisée à l’idée de lire cette lettre. Après ce qui s’était passé la veille, elle ne pouvait qu’être angoissée de ce qui pourrait arriver.
Du coin de l’œil, elle aperçut le principal concerné qui l’observait d’un air grave, assis à la grande table des professeurs. Dès que leurs regards se croisèrent, le directeur de Serpentard détourna la tête vers Dumbledore avant de partir dans une longue discussion. La jeune fille se tortilla les doigts en dessous de la table jusqu’à ce que la sonnerie retentisse, annonçant le début des cours.
Les élèves de Gryffondor se levèrent d’un geste lent avant de sortir de la salle avec les autres maisons. Quelques élèves de Serdaigle ainsi que deux ou trois de Poufsouffle restèrent dans la Grande Salle. Les professeurs se levèrent à leur tour, finissant leur discussion.
Hermione quant à elle prit la décision de se rendre à la bibliothèque, ayant l’intention d’y lire la lettre du professeur Rogue. En cas de problème quelconque, elle pourra facilement se cacher derrière un des énormes livres qui jonchera sa table de travail. Elle se leva doucement de la table de Gryffondor. Le professeur Dumbledore et le professeur McGonagall passèrent devant elle sans la regarder, bavardant tranquillement. La jeune fille se dirigea doucement vers la sortie de la Grande Salle. Elle jeta un œil par-dessus son épaule. Assis à leur table, Flitwick et Rogue discutaient doucement. L’estomac douloureux, elle se pinça les lèvres bien malgré elle et monta à la bibliothèque.
Madame Pince bougonnait dans son coin à propos des premières années qui n’avaient pas remis les livres comme il le fallait la veille. Quand elle aperçut Hermione, elle maugréa quelque chose et s’en retourna à ses occupations. La jeune fille chercha une place à l’abri des regards, quelque part près de la réserve. Elle opta pour une table vernie dans le fond près d’une fenêtre.
Elle inspira profondément pour se donner du courage avant de s’asseoir, le dos tourné à la réserve. Elle posa sa besace près d’elle et en sortit ses livres de cours qu’elle dispersa autour d’elle. Elle ouvrit un livre au hasard — le cours du professeur Chourave en l’occurrence — sortit son encrier et sa plume avant de les déposer délicatement près d’une feuille de parchemin à moitié utilisée.
Elle scruta les alentours. Madame Pince s’adonnait à son rangement quotidien des livres en pestant contre les élèves qui les souillaient. Elle se tordit le cou pour voir s’il n’y avait pas d’autres élèves dans les environs. Personne.
Sans un bruit, elle sortit l’enveloppe blanche nacrée de son cartable, la retourna et l’ouvrit d’un geste tremblant. Un parchemin beige plié en deux se trouvait à l’intérieur. Elle inspira à nouveau profondément, cherchant à calmer l’angoisse qui commençait à l’envahir.
Ce n’était qu’un petit bout de parchemin, pas une gueulante. Ce n’était rien qu’un petit bout de parchemin écrit par la main de son professeur de potions. Un simple parchemin parfaitement plié en deux. Un tout petit bout de parchemin où pouvait être écrit « Je vous présente mes plus plates excuses, Miss Granger » et absolument rien d’autre. Un tout petit bout de parchemin où « Nous devons arrêter cette mascarade, cela vaudrait mieux pour vous et pour moi » pouvait aussi être écrit. Un tout petit bout de parchemin avec une longue explication sur les problèmes qu’engendraient les relations professeurs et élèves. Un tout petit bout de parchemin qui pouvait lui envoyer dans la figure que le professeur s’excusait d’avoir pensé serait-ce un instant que Hermione pouvait….
Ça suffit. Pas le moment de te laisser submerger par des angoisses, Hermione.
Comme si le parchemin allait soudainement lui mordre les doigts avant de les arracher sauvagement, la jeune fille le sortit très lentement de l’enveloppe sans calmer ses propres tremblements.
Sous les rayons d’un soleil timide, Hermione Granger commença sa lecture. L’écriture était petite, mais lisible.
« Miss Granger,
Je comprends votre désarroi par rapport à tout cela. »
Tu parles. Il ne savait pas ce qu’elle pouvait ressentir. Surtout... par rapport aux mensonges qu’elle devait vomir tout ça pour qu’ils soient en paix.
« Comprenez bien cependant que cela me fait autant de mal qu’à vous. »
Par Merlin, était-elle si aveugle qu’elle n’avait pas remarqué quelque chose de si flagrant ? Bien sûr qu’elle le comprenait.
« Je ne peux pas vous promettre que vous ne devriez pas mentir à vos meilleurs amis. Du moins, je ne vous y encourage pas. »
L’encourager ? Il lui avait ordonné de mentir.
« Je ne peux pas non plus vous promettre que nous n’aurons plus ce genre de conversations mouvementées.
Je peux seulement vous affirmer une seule chose, Miss Granger : je ne vous ai jamais menti.
Si le cœur vous en dit, j’ai eu vent que vous avez une sortie au village de Pré-au-lard ce week-end. Nous pourrions nous y retrouver. Devant la clairière de la Cabane hurlante.
Inutile de me répondre oui ou non par courrier ou même en face, de vive voix. Je préférai vous attendre toute la journée là-bas s’il le fallait.
S. Rogue
P.-S. Ne vous en faites pas pour cette lettre, je l’ai ensorcelée. Si une autre personne que vous la lit, elle ne trouvera qu’un parchemin vierge. »
Elle relut la lettre deux ou trois fois d’affilié. Un rendez-vous ? Était-il sincère ? Cela ne l’étonnait qu’à moitié qu’il eût ensorcelé le parchemin. Il devait se douter que si Hermione l’avait lu en plein déjeuner, les autres Gryffondor n’auraient pas pu s’empêcher de lire par-dessus son épaule. Elle ne put s’empêcher d’afficher un large sourire en lisant à nouveau cette phrase : « Je ne vous ai jamais menti ». Dans un geste rempli d’affection, Hermione colla la lettre contre son cœur
et murmura :
— Oh professeur...
Elle rangea ses affaires, un sourire illuminant son visage, avant de sortir de la bibliothèque en fredonnant. Madame Pince la regarda partir du coin de l’œil tout en astiquant un des vieux livres de la réserve.
Le reste de la semaine fut très lent pour la jeune fille. Les cours semblaient s’allonger au fur et à mesure que le week-end se rapprochait. Elle s’était précipitée sur la liste des élèves se rendant au village de Pré-au-lard afin de s’y inscrire. Avant cette histoire avec le professeur Rogue, elle n’avait pas prévu de s’y rendre lors de la première sortie. Elle aurait préféré rester à la bibliothèque pour travailler ses cours de manière méticuleuse tandis que Ron et Harry seraient partis et lui auraient ramené des confiseries et autres douceurs.
Pour l’heure, elle avait terminé ses devoirs encore plus vite que son ombre contrairement à ses amis Ron et Harry qui ne s’en sortaient pas du tout avec celui d’astronomie. Étant de très — voire de trop — bonne humeur, Hermione accepta de leur passer son long parchemin d’astronomie pour qu’ils puissent s’y référer. Elle les disputa par ailleurs au sujet de leur organisation et leur promit de leur offrir un agenda pour Noël.
Durant le reste de la semaine, bien qu’elle n’eût pas cours avec le professeur Rogue avant le lundi, elle avait cherché à l’apercevoir au détour d’un couloir. Le maître des potions était inexplicablement toujours en conversation avec ses collègues ou occupé avec des élèves. Elle savait au fond d’elle qu’il attendait le jour de la sortie au village de Pré-au-lard pour lui parler à nouveau. C’était peut-être mieux comme cela. Elle avait dû aussi freiner l’envie de répondre à la lettre qu’il lui avait envoyée. Lettre qu’elle relisait de temps à autre de la journée coincée entre deux pages de livres de cours. Elle affichait un sourire radieux durant les deux derniers jours et même Drago Malefoy n’avait pas réussi à la mettre de mauvaise humeur en l’imitant, les dents en avant, le bras levé très haut, durant le cours de défense contre les forces du mal.
Ce samedi-là, Hermione Granger se leva un peu plus tôt que d’habitude pour préparer son sac pour la sortie au village de Pré-au-lard. Elle y glissa une liste de sucreries à acheter pour ses parents avant de sortir sa robe de sorcière fraîchement lavée de sa garde-robe. Elle se battit une minute avec sa brosse pour lui faire un semblant de coiffure avant d’abandonner. Ses cheveux étaient aussi ébouriffés qu’à l’ordinaire. Elle aurait pu ensorceler une pince pour que ses cheveux restent en place ou utiliser le reste de lotion qu’elle avait utilisée durant le bal de Noël de sa quatrième année ; cependant, elle prit la décision de tout laisser dans le fond de son tiroir. Peut-être que cette chevelure chocoltée et en bataille faisait partie de ses charmes.
La salle commune de Gryffondor était déserte. Harry et Ron étaient encore en train de se battre aux échecs.
— Vas-y ! Tape-le ! Massacre-le ! encourageait Harry.
Son fou essayait d’embrocher un pion de Ron. Hermione soupira et les rejoignit. Elle prit place à côté de Harry, qui grimaça en voyant son fou terrassé par un pion. Il le jeta dans sa boîte en murmurant un « crétin ».
— Désolé, c’est le jeu ! fit Ron en haussant les épaules.
— C’est horriblement barbare ! s’écria Hermione faussement indignée.
— C’est pour cela que c’est très amusant ! remarqua Harry en lui souriant. Tu viens au village de Pré-au-lard pour finir ?
— Oui, j’ai des courses à faire pour mes parents. Ils adorent les sucreries des sorciers.
— Un comble pour des dentistes, non ?
Hermione lui rendit son sourire et observa Ron demander à sa tour d’avancer de quelques cases.
— J’espère qu’il ne neigera pas, avoua-t-il en frissonnant tandis que sa tour venait de croiser les bras, adoptant de la sorte une posture extrêmement boudeuse. Il fait de plus en plus froid.
La jeune fille consulta sa montre. La sortie au village de Pré-au-lard n’avait pas lieu avant dix heures du matin. Elle les laissa jouer en prétextant aller chercher son écharpe et se faufila dans son dortoir. Elle sortit de sa valise sa belle écharpe aux couleurs de Gryffondor et la passa autour du cou. Elle mit des bottes hautes au cas où il neigerait comme avait indiqué Ron, prit ses moufles (qu’elle fourra dans la poche-avant de sa robe).
Elle consulta sa montre derechef. Neuf heures et demie. Rusard était sans doute en train de rassembler les élèves. Elle descendit de nouveau du dortoir. Ses deux amis finissaient leur partie tandis qu’un groupe de Gryffondor quittait la salle commune. Elle leur emboîta le pas.
Plus elle avançait vers la sortie de Poudlard, plus son estomac se contractait. Et s’il ne venait pas ? Et si quelqu’un les apercevait ? Et si elle se trompait d’endroit du rendez-vous ? Et si elle décidait de ne pas y aller, quelles conséquences cela aurait-il ? Pourquoi fallait-il qu’elle pense cela à deux mètres de la sortie de Poudlard, distinguant au loin Rusard regarder chaque autorisation de sortie ? Elle fit un pas en arrière. Puis un autre avant de se retourner complètement pour rebrousser chemin. Elle eut à peine le temps de faire quatre pas qu’elle se télescopa contre Harry et Ron.
— Oh Harry ! Oh Ron ! s’exclama-t-elle en riant nerveusement. Je ne vous ai pas vus !
— Cela se voit ! fit remarquer Ron en se massant le bras qui était entré en collision avec son amie. Tu veux aller acheter des sucreries avec nous ?
— Oh ! heu… oui, bien sûr ! répondit-elle en regardant autour d’elle comme si elle s’attendait que le professeur Rogue allait apparaître de derrière un mur ou d’un détour d’un couloir comme il savait si bien le faire.
— Tu es sûre que ça va, Hermione ? s’inquiéta Harry.
— Oui, oui, bon… on y va ?
Elle les entraîna vers la file d’élèves. Elle se frotta les mains d’un geste impatient. Il faisait très froid ce matin-là. Quand vint son tour de présenter son autorisation, la jeune fille la tendit nerveusement au concierge avant de suivre les autres élèves vers le village, ses deux amis sur les talons. Elle imagina tout un tas de plans dans un coin de la tête pour fausser compagnie à Ron et à Harry sans qu’ils s’en aperçoivent. Il suffisait peut-être de se faufiler dans le magasin de sucrerie, de se fondre dans la foule et de ressortir ni vu ni connu. Ou bien de dire qu’elle allait chercher quelque chose… ce qu’elle ne fera pas du tout ? La jeune fille avait la désagréable impression que son cerveau tournait au ralenti, comme si quelque chose s’était accaparé ses pensées tandis qu’elle resserrait son écharpe autour du cou. Non, il y avait toujours une solution à tout. Elle trouvera bien quelque chose ; il n’était pas nécessaire d’échafauder un plan digne d’une évasion de la prison d’Azkaban.
Ils marchaient doucement en discutant des derniers devoirs et du prochain match de Quidditch. Hermione s’efforçait de paraître la plus naturelle possible. Elle admonesta Ron sur son devoir de potion qui n’avait compté que cinq lignes. Ils avaient eu toute une semaine pour le rédiger, mais Ron tempéra qu’il n’avait pas la science infuse en potions et qu’elle n’avait pas été là pour l’aider. Harry assista à la dispute de ses amis en levant les yeux au ciel. La jeune fille continua dans sa lancée en disant qu’ils n’allaient pas obtenir une meilleure note s’ils passaient leur temps à jouer aux échecs version sorcier dans la salle commune. Ron manqua de lui rétorquer qu’ils étaient au début de l’année et qu’ils avaient encore pas mal de temps devant eux. La dispute continua jusqu’aux Trois Balais. Harry poussa la porte du bar, prit trois bierraubeurres et s’installa avec ses amis à une table près d’une des fenêtres. Il déboucha sa bouteille tandis qu’Hermione notifia :
— Vous avez eu un 'D’en potions. C’est quand même une très mauvaise note ! Même si c’est le début d’année….encore pire si c’est le début, en fait ! Comment vont être vos autres devoirs ?
— Bah... tu nous laisses copier sur toi, comme ça, nos notes augmenteront ! rétorqua Ron en haussant les épaules.
— Mais oui ! vociféra la jeune fille sur un ton sec. Laissez-moi faire tout le boulot. Et au BUSE ? tu vas aussi demander de regarder sur mes examens ?
— Voyons, Hermione ! bougonna Harry. Ce ne sera pas la première fois que tu nous aideras pour nos devoirs, non ?
— Oui, mais…
— Puis Ron a parlé de copier… je dirai plutôt « s’inspirer » de tes rédactions.
— Oui, mais je trouve cela trop facile.
— On te demande pas de nous passer tout le temps tes devoirs, juste quand….on a pas eu assez de temps pour les rédiger.
Hermione serra un peu plus fort sa bouteille qu’elle n’avait pas encore ouverte :
— Pas assez de temps ? Si moi, j’ai assez de temps pour les faire, vous aussi ! cracha-t-elle.
— Accepte qu’on ait besoin de plus de temps pour les faire contrairement à toi ! répliqua Harry, légèrement énervé.
La jeune fille ne répondit pas et se contenta de fixer un point devant elle. Combien de temps étaient-ils aux Trois Balais déjà ? Elle devait leur fausser compagnie pour aller rejoindre le professeur de potions.
— Et puis, de toute manière, tu as eu quoi en potions ? marmonna Ron, la main en dessous du menton. Un ‘A ‘ ?
— Elle a eu un ‘E’, Ron. Un ‘EUH’, répondit Harry avec mépris.
Ron esquissa un sourire crispé, légèrement dégoûté. Hermione soupira d’exaspération et se mit à tapoter sa bouteille des bouts des doigts. Sortir. Elle devait sortir de là. Non pas qu’elle eut vraiment envie de les laisser là à discuter de prochains devoirs ratés, de matchs ou bien même de la dernière chemise du fantôme de la tour des Gryffondor, mais elle avait un rendez-vous.
Un rendez-vous. Rien qu’en pensant à ce mot, son estomac se contractait.
Elle attendit quelques minutes encore avant de déboucher sa bouteille et de la boire presque d’une traite tandis que les garçons parlaient de Quidditch. Elle consulta sa montre : dix heures et demie. Elle était loin encore de dix-huit heures, heure pour laquelle elle devait être rentrée à Poudlard.
— Et si on allait à Honeydukes ? proposa Hermione en regardant alternativement ses deux amis.
Harry consulta sa montre et d’un sourire crispé répondit :
— Ça n’ouvre pas avant une bonne demi-heure.
Elle tapota nerveusement sa bouteille. Elle devait trouver le moyen de sortir des Trois Balais. Elle réfléchit à la vitesse de la lumière :
— Zonko peut-être ?
— hum... mouais... Tu en penses quoi, Ron ?
— Qu’elle va acheter des trucs qu’elle devra se confisquer après…, maugréa-t-il.
— Il n’y a pas de mal à s’acheter... heu... des tasses de thé mordeuses, non ? tenta Hermione.
Devant l’air incrédule de ses amis, elle se renfrogna. Elle devait trouver une astuce, quelque chose. Ce serait tellement plus simple si elle leur disait qu’elle devait aller retrouver le professeur Rogue et qu’elle les retrouvait chez Zonko un peu plus tard. Une idée lui vint à l’esprit.
— Excusez-moi les garçons, Luna m’attend. Elle voulait que je l’accompagne chez Gaichiffon. Elle a besoin de nouvelles robes, mentit-elle en prenant un air le plus dégagé qu’il existait.
— Tu vas l’attendre pour rien, fit Harry en haussant les épaules. Elle est malade comme un chien. C’est Ginny qui me l’a dit tout à l’heure. Elle ne veut même pas des remèdes de Madame Pomfresh. Elle dit que ça donne la rage.
Harry prit une mine faussement apeurée et éclata de rire avec Ron au plus grand désarroi de la jeune fille.
Raté.
Les minutes passèrent vite, très vite... trop vite même. Hermione consulta de nouveau sa montre : onze heures et demie. Dehors, la pluie tombait à grosses gouttes et les passants se pressaient d’entrer dans le café. Madame Rosmerta accueillait les nouveaux arrivants avec son plus beau sourire. La jeune fille eut une nouvelle idée. Elle se leva doucement et regarda ses amis :
— Je reviens... heu... je vais aux toilettes.
Sans même prendre la peine d’écouter la réponse des garçons, Hermione Granger passa çà et là entre les tables pour se diriger vers la porte se situant à côté du bar de Madame Rosmerta. Cette dernière lui sourit tout en servant un groupe de gobelins de Gringott. La jeune fille jeta un œil par-dessus son épaule. Harry et Ron étaient apparemment en grande conversation. L’un des deux faisait de grands gestes, sans doute pour imiter un joueur de Quidditch ou quelque chose comme ça. Dans tous les cas, ils ne faisaient plus attention à elle. Parfait. Elle s’avança doucement vers la porte des Trois Balais. Cette dernière s’ouvrit largement :
— Hermione ! Contente de te voir !
Zut.
Une jolie jeune fille aux longs cheveux roux et au parapluie de la même couleur vive la dévisageait sur le pas de la porte. Ginny Weasley ferma son parapluie et le déposa dans un coin près de la porte.
— Quel temps de chien ! s’exclama-t-elle. Il y a de la boue partout... Ah ! voilà Harry et Ron !
La « tornade rousse » arrangea ses cheveux qui avaient gonflé à cause de l’humidité. Elle afficha un sourire sincère à Hermione avant de faire quelques pas en direction de la table des deux autres Gryffondor, laissant derrière elle un peu de boue sur le plancher. Hermione laissa échapper un long soupir de fatigue mélangé à un fond de frustration. Elle pouvait encore sortir en douce. Elle s’apprêta à faire un pas en direction de la sortie des Trois Balais, mais Ginny lui agrippa le bras :
— Viens ! fit la jeune rousse. Allons nous asseoir.
La mine plus crispée que jamais, Hermione n’eut pas d’autre choix que de suivre son amie. Elle se rassit à sa place tandis que Ron commentait un ancien match de Quidditch. Quand Ginny prit place à côté de lui, il arrêta de s’extasier sur un de ses joueurs favoris et se tourna vers sa sœur. Ne supportant pas que ses cheveux gonflent à cause du temps dehors, Ginny soupira d’exaspération avant de secouer la tête comme un animal mouillé. :
— Il pleut à grosses gouttes, murmura-t-elle, les cheveux en bataille. Tout le monde s’est réfugié chez Honeydukes se mettre à l’abri...
— Et que fais-tu là ? s’enquit Ron en haussant un sourcil.
— J’ai rendez-vous, répondit simplement Ginny, la mine sombre.
À ces mots, Hermione tendit le cou vers son amie pour ne pas perdre un seul mot. Peut-être son billet de sortie ?
— Mais voilà, il m’a posé un lapin. Ou plutôt, il m’a laissée planter là comme une idiote, expliqua-t-elle, en appuyant sa tête sur sa main droite, le coude sur la table. Un vrai demeuré.
— Comment ça…. il t’a laissée planter là ? s’intéressa Hermione.
— Ce pauvre crétin de Zacharias Smith ! Il est passé devant moi avec qui ? Lavande au bras ! Je n’en croyais pas mes yeux ! expliqua Ginny déconcertée. Un vrai... crétin.
— Remarque je suis plutôt content, dit Ron en scrutant le fond de sa bouteille dans l’espoir qu’il y restait quelques gouttes. Smith était un crétin avant même qu’il ait Lavande au bras. Je ne veux pas que ma sœur sorte avec des crétins.
— Je sortirai avec qui je veux ! s’égosilla Ginny.
Certains clients des Trois Balais se retournèrent vers la jeune rouquine. Hermione — qui se trouvait près de la fenêtre — soupira et se mit à observer ce qu’il se passait dehors, la tête reposée sur sa main gauche. Bien qu’il plût abondamment, la jeune fille arrivait à discerner ce qui se passait. Des passants se hâtaient de rejoindre un abri. Certains marchaient doucement, un parapluie en main. Un chien sautillait de marre en marre, se couvrant de la boue. En le voyant déambuler de la sorte, la jeune fille regrettait de ne pas être un animagus.
Elle consulta sa montre une nouvelle fois. Midi.
—... tu crois vraiment que tu pourras tenir au prochain match ? Attends, mais... la dernière fois, c’était plus qu’une catastrophe ! fit Ginny Weasley.
— Ça ira ! T’inquiète pas ! J’attraperai le vif d’or dans les cinq minutes qui suivront le sifflet ! assura Harry.
— Ha tiens ? Comme c’est étrange... n’ai-je pas déjà entendu ça quelque part, déjà ? rétorqua la rousse ironiquement. Attends voir... mais oui ! C’est ce que tu avais dit au dernier match !
Harry parut scandalisé. Ginny en rajouta une couche. Ron se faisait tout petit sur chaise tandis qu’Hermione commençait en avoir assez de leur discussion sur le Quidditch.
— Lui, au moins, n’y joue pas, pensa-t-elle avec amertume.
La pluie devenait moins rude à mesure que les minutes s’écoulaient. Et les minutes, la jeune fille les voyait s’écouler inexorablement. Elle n’arrêtait pas de consulter sa montre. Elle commençait à craindre de ne pas pouvoir réussir à sortir des Trois Balais discrètement.
Quand treize heures sonnèrent, Ginny se leva de table :
— Je reviens. Je dois faire un tour aux toilettes, marmonna-t-elle.
Hermione sauta à pieds joints sur l’occasion :
— Je viens avec toi, fit-elle sur le même ton.
Les deux garçons les regardèrent partir puis se remirent à bavarder. Hermione respira longuement. Enfin... Elle allait sortir de là. Elle dépassa Madame Rosmerta qui portait un plateau de bierraubeurres et suivit Ginny jusqu’à la porte des toilettes. Elle laissa la rousse s’y faufiler. La jeune fille jeta une dernière fois un œil aux garçons. Ils ne regardaient pas dans sa direction. Esquissant un sourire, elle marcha vers la sortie des Trois Balais et s’y glissa.
L’air libre ! Enfin ! Il pleuvait encore légèrement, mais pas de quoi attraper une pneumonie. Bon sang, pourquoi n’avait elle pas tenté une nouvelle fois de partir aux toilettes comme juste avant l’arrivée de Ginny ? Peut-être aurait-elle évité ces quelques heures d’attente et d’angoisse de ne jamais pouvoir leur fausser compagnie ? Cela aurait été si simple. Elle mit son manque de discernement et de jugeote sur le compte de la nervosité.
La jeune fille réajusta son écharpe, parcourut les alentours du regard avant de marcher d’un pas vif vers la Cabane hurlante. Elle devait descendre plusieurs rues. Il y avait suffisamment de distance entre les Trois Balais et la clairière de la cabane pour ne pas être suivi. Quand elle changea de rue, elle piqua un sprint de deux minutes et changea à nouveau de rue. Elle se colla contre un des murs, regardant derrière elle. Personne qu’elle connaissait. Quelques élèves de Poudlard, mais aucun qu’elle connaissait personnellement. Soulagée, elle ramena sa main gauche sur son cœur pour le calmer de l’effort et de toutes ces dernières émotions. Elle pensera à une explication de sa disparition plus tard. Au moins, elle leur aura faussé compagnie au bon moment. Ils ne s’inquiéteront de sa disparition qu’une fois Ginny revenue des toilettes. Elle y passait quelquefois dix bonnes minutes ; ce qui lui laissait assez de temps pour creuser la distance entre les Trois Balais et elle. Elle leur fera des excuses plus tard. Elle leur achètera des chocolats et des friandises chez Honeydukes prétextant qu’il y avait une file monstre et que c’était pour cela qu’elle avait mis autant de temps. Oui, bonne idée.
Elle n’avait pas encore pris conscience qu’elle était en train de suivre bien malgré elle les recommandations du professeur Rogue.
Les mensonges. Ces petits mensonges tout simples.
Sans prêter attention à la petite voix qui lui soufflait de revenir vers ses amis, la jeune Gryffondor reprit la route vers la Cabane hurlante. Elle vagabonda entre les maisons et les passants. Elle consulta sa montre : treize heures trente. Elle y était presque. Bientôt, elle vit les arbres entourant les barricades de la Cabane hurlante. Elle marcha jusqu’aux barricades, y posa les mains et leva la tête vers la maison au loin. Si elle ne connaissait pas la véritable histoire de cette maison — les cris déchirant du professeur Lupin dans sa jeunesse durant les pleines lunes —, elle aurait eu froid dans le dos. La demeure malgré tout ce temps n’avait pas perdu de son aspect fantomatique.
La pluie cessa de tomber et un vent se leva. La jeune fille tourna le dos à la maison la plus hantée d’Angleterre avant de scruter les environs. Les arbres n’avaient plus aucune feuille ; le sol était boueux et un rocher se tenait près d’un chêne.
Aucune trace du professeur Rogue.
Cela dit, il ne lui avait pas donné d’heure, n’est-ce pas ? Il pouvait venir à n’importe quel moment. Était-il déjà passé ? Non, il avait écrit qu’il resterait toute la journée s’il le fallait. Avait-il bien écrit cela ? Hermione était prise soudainement d’un doute affreux bien qu’elle eût passé la semaine à lire et relire la lettre jusqu’à connaître chaque tracé manuscrit des mots du professeur. Non, il avait bien certifié qu’il l’attendrait.
Peut-être que le rendez-vous avait changé d’endroit ? Après tout, Hermione n’était pas allée au petit-déjeuner et peut-être qu’un courrier l’attendait.
L’avait-il simplement oubliée ?
Avait-il eu un empêchement ? Était-il coincé à Poudlard ? Avait-il eu des retenues à superviser ?
Et si le professeur Rogue avait voulu lui faire comprendre qu’ils ne pouvaient pas se donner rendez-vous de la sorte et qu’il attendait à ce qu’elle ne vienne pas ?
La jeune fille était en proie à des angoisses de plus en plus envahissantes. Elle en avait la nausée. Elle n’était là que depuis cinq minutes. Cinq petites minutes. Il pouvait très bien venir dans cinq, dix, vingt minutes... voir une heure ou deux. Et pendant ce temps-là, ses amis pouvaient avoir la mauvaise idée de faire un tour ici. Elle tripota le bout de son écharpe, fit quelques pas par-ci par-là en se convainquant qu’il était sur le point d’arriver.
Elle s’assit sur le rocher, la tête entre les mains avant de consulter à nouveau sa montre : quatorze heures et cinq minutes.
D’un geste nerveux, elle décrocha sa montre de son poignet et la glissa dans la poche de sa robe. Elle devait arrêter de regarder ce truc toutes les secondes. Cela ne l’aidait pas du tout à garder la tête froide.
Pour passer le temps, elle se mit à compter les branches des arbres puis à se demander si quelqu’un allait racheter la Cabane hurlante un jour. Elle se mordit les lèvres en pensant à tout ce temps « perdu » alors qu’elle ait pu étudier les runes ou le cours de défense contre les forces du mal pendant que son professeur daignerait venir. Enfin, pas « professeur » pour le moment. En attendant que son « petit-ami » daigne venir était une formulation plus appropriée. Même si le terme « petit-ami » la faisait sourire plus qu’autre chose.
Était-ce qu’il était maintenant pour elle ? Son petit-ami ? En était-elle sûre et certaine ?
Elle se tourna de nouveau vers la Cabane hurlante. Elle s’y remémora la scène où Sirius s’était fait prendre par le professeur Rogue et comment Harry avait agressé ce dernier. La haine qu’éprouvait Harry Potter pour le professeur Rogue était démesurée. La perspective qu’il sût quelque chose sur eux la rendait mal à l’aide. Si jamais elle devait leur avouer qu’il y avait quelque chose entre eux, comment réagira-t-il ? Ron hurlera sans doute, sera quelque peu abasourdi, lui fera la tête quelques jours puis se calmera à coup sûr.
Mais Harry ? Lui qui avait tant haï cet homme... Ne cherchera-t-il pas un moyen pour les séparer ? Ou pire trouver un moyen pour faire renvoyer le professeur ? La jeune fille frissonna à cette idée. Car si cela s’avérait exact, elle serait responsable aussi.
Elle se frotta les mains pour se réchauffer. Le vent était glacial et elle n’était pas du tout à l’abri des courants d’air. Elle resserra son écharpe, croisa ses bras sur sa poitrine et se crispa.
Que faisait-il, bon sang ? Hermione soupira, vit son souffle se matérialiser devant son visage. Il faisait de plus en plus froid. Dans un coin de la tête, elle y imprima un désir : ne pas quitter la barricade de la Cabane hurlante avant dix-sept heures trente. Sinon, elle était certaine de le regretter. Cependant, dans un autre côté, elle risquait une grippe. Elle avait été une idiote de ne pas prévoir assez d’épaisseur. Son doux manteau d’hiver l’attendait sur son lit. Pattenrond devait dormir dessus en boule parfaite et ronronner comme une cafetière.
Elle frissonna de la tête au pied à nouveau, se demandant depuis combien de temps elle était là. Elle se leva du rocher. Elle avait besoin de bouger un peu sinon elle se transformera en glaçon. Elle entreprit de faire un pas en avant quand elle sentit deux bras puissants la retenir par la taille. Elle resta figée sur place tandis qu’on plaça un visage près du sien et qu’on lui chuchota à l’oreille :
— Désolé du retard, Miss Granger.
Elle laissa échapper un long soupir de soulagement. Elle posa ses mains sur les siennes, lui rendant l’étreinte. Elle esquissa un sourire radieux, savourant ce moment.
— Vous m’avez fait peur, professeur, avoua-t-elle en basculant sa tête sur l’épaule de celui-ci.
Il déplaça son bras droit pour le placer sous le menton de la jeune fille, l’enlaçant encore un peu plus. Il enfouit son nez dans la chevelure chocolatée de la Gryffondor tandis que celle-ci lui enlaçait les doigts de la main gauche avec sa propre main du même côté. Après quelques minutes, il lui fit faire volte-face pour voir son visage. Hermione lui esquissa un sourire avant de poser délicatement sa tête sur son épaule, le nez en dessous de son menton, lui enserrant la taille. L’écharpe aux couleurs de sa propre maison autour du cou, le professeur Rogue lui rendit son étreinte, lui massant doucement le cou.
— J’ai cru que vous ne viendriez pas, confessa-t-il.
— C’est moi qui ai cru que vous ne viendriez pas, répliqua-t-elle doucement. J’ai cru aussi ne pas pouvoir venir.
— Comme cela ?
— Oh rien... juste un problème pour fausser compagnie à mes amis sans qu’ils se doutent de quoi que ce soit. Et sans pour autant leur raconter des abominations.
Elle se blottit encore un peu plus contre lui avant de s’écarter tout en restant dans son étreinte, la mine ravagée par une fausse colère :
— Et vous ? Où étiez-vous donc ?
— Dumbledore, répondit-il simplement.
— Que voulait-il ? s’enquit-elle, en basculant légèrement la tête sur le côté d’un signe interrogateur.
— Pas grand-chose, en fait.
— Et cela vous a pris tout ce temps ?
— J’ai dit qu’il ne voulait pas grand-chose, pas que cela fut rapide.
Elle plissa les yeux, sceptique.
— Mais encore, professeur ?
Il la jaugea un instant, le sourire crispé, le visage toujours aussi impassible. Hermione s’attendit au pire. Il garda cependant le silence. Il réajusta l’écharpe d’Hermione :
— Avec seulement votre uniforme et cette écharpe, vous courrez à la grippe, maugréa-t-il.
— Mais je comptais sur vous pour me tenir au chaud ! s’indigna Hermione, le sourire espiègle.
Elle crut un instant qu’elle avait commis une erreur. Le professeur Rogue la libéra doucement de leur étreinte. Il marcha quelque peu autour d’eux, observant les alentours, lui tournant le dos. La jeune fille ne le quitta pas du regard. Elle se mit à tortiller ses doigts, sentant venir un reproche, une dispute. Il hocha légèrement la tête et marmonna :
— Je suis... navré pour ce qui s’est passé hier soir.
Hermione ouvrit grand les yeux. Lire que le professeur Rogue lui présentait ses excuses était un fait... mais l’entendre était encore plus étrange et inimaginable. Sans un mot, elle se rapprocha de lui, lui prenant doucement la main droite. Il se tourna vers elle. Son visage était tout sauf sévère. Il était animé par une sorte de tristesse qui lui fendit le cœur. Elle lui caressa le dessus de la main du bout des doigts sans le quitter du regard.
— J’accepte vos excuses, professeur, souffla-t-elle. Cela bien avant que vous me les ayez dites. Sinon, je ne serai pas ici.
Le sorcier regagna son air hautain, celui qu’Hermione connaissait le plus, mais elle n’y fit pas attention. Elle continua à lui sourire tout en lui prenant sa main droite entre les siennes pour la réchauffer bien que ses propres mains fussent glacées. Une minute passa, peut-être deux ou trois. Aucun des deux ne quitta l’autre du regard. Celui d’Hermione était rempli d’affection et d’espièglerie à la fois ; quant à celui du professeur Rogue, la jeune fille avait du mal à le croire elle-même : il était froid. Ou était-ce juste son imagination ?
— Professeur ? tenta-t-elle doucement, la mine inquiète.
Il continua à la fixer sans un mot. Elle eut soudainement l’impression qu’elle avait fait ou dit quelque chose de mal. Elle libéra délicatement la main du professeur et ramena les siennes contre son cœur. Une sensation de malaise s’installa entre les deux personnages. Hermione se sentait de plus en plus mal à mesure que le silence s’installait. Elle tentait de comprendre sans succès ce que voulait dire ce regard. Elle ne voyait qu’un regard froid, un visage impassible, des bras tantôt réconfortants tantôt si distants.
— Professeur ?
Il ferma les yeux et expira longuement avant de la reprendre contre lui. Cette fois-ci, elle lui enlaça le cou tandis que le professeur fit de même avec la taille de la jeune fille. Elle était beaucoup plus petite que lui et dut monter sur la pointe des pieds pour approcher son visage du sien.
— Je me disais juste que le vert vous irait si bien, souffla le maître des potions.
Contre toute attente, Hermione éclata de rire. Ah, c’était juste cela...
— Vous faites toujours cette tête-là quand vous réfléchissez ? dit-elle avant d’éclater de rire de nouveau.
— Essayez, Miss Granger, de vous concentrer quand quelqu’un vous regarde comme vous m’avez regardé, dit-il avec une teinte de voix acariâtre.
Elle redoubla son rire. Puis, son cerveau lui amena l’information : le vert ? Pensait-il vraiment qu’elle aurait pu être une...? Elle le prit plus comme un compliment qu’une remarque cachant un double sens. Elle se déplaça pour le regarder dans les yeux, leur nez se frôlant :
— Dites-moi, professeur. C’était sérieux… ?
— Cette histoire de vert ? fit-il sans lui laisser le temps de terminer sa phrase.
— Non, non, professeur... je veux dire... cette histoire d’Occlumancie.
Il la considéra pendant un moment. Pourquoi faisait-elle allusion à cela maintenant ?
— Enfin. Vous voyez, avoua-t-elle en le quittant du regard. Je ne sais pas sur le moment... ça m’a... paru étrange et mal placé. Mais dans un autre côté...
— Votre soif de connaissance vous pousse à essayer les cours d’Occlumancie ? fit-il en se redressant légèrement, le ton terne.
— Oui ! Enfin, je veux dire... — elle se mordit les lèvres — je ne suis pas douée en défenses contre les forces du mal et cette branche, du peu que j’en sais, est très difficile et...
— Voulez-vous oui ou non que je vous enseigne l’Occlumancie, Miss Granger ?
— Oui, professeur.
Contrairement à beaucoup de sa maison, elle était persuadée qu’il serait un magnifique professeur de défenses contre les forces du mal. Peut-être bien mieux que le professeur Lupin. Elle n’avait jamais été très habile dans cette matière. L’épouvantard en était la preuve. Même si elle devait affronter sa peur — que maintenant elle comprenait —, cela lui semblait si difficile d’en rire. Elle ne voyait pas en quoi elle pouvait transformer son épouvantard pour qu’il fût le plus risible au monde. Son ancien épouvantard n’était pas mal non plus. Contrairement à Ron, qui était arachnophobe, elle n’avait pas cette possibilité de nouer les pattes de McGonagall pour faire rire tout le monde. Ou alors elle devait être en chat. Mais encore en chat, elle ne pouvait pas lui déclarer qu’elle eût raté tous ses examens.
Elle lui esquissa un sourire timide. Il lui mit le front contre le sien, leur souffle se mélangeant. Elle se serra fort contre lui, une petite seconde. Deux secondes. Peut-être trois. Il fit un mouvement vers elle, incertain. Quand leurs lèvres s’effleurèrent de nouveau, elle retint son souffle.
Légèrement tremblante, elle laissa les lèvres du professeur Rogue venir toucher les siennes. Elle déplaça délicatement sa main droite pour la poser sur la joue du sorcier. Se tenant très droits, collés l’un à l’autre, ils savourèrent leur union comme on pouvait savourer du nectar. La jeune fille se laissa bercer par la chaleur du professeur tout en lui rendant son baiser. Il n’avait rien d’un baiser volé cette fois-là. Elle laissa courir ses doigts le long de sa joue avant de les faufiler dans ses cheveux. Elle fut surprise de constater qu’ils étaient plutôt secs au toucher alors qu’ils avaient cette apparence si graisseuse. Son cœur se serra quand elle sentit qu’il brisait le lien entre eux, mais c’était pour intensifier leur étreinte. Hermione réprima un gémissement quand une langue hasardeuse vint lui caresser le bout des lèvres. Légèrement tremblante, elle ouvrit doucement sa bouche pour l’accueillir. Elle n’arriva pas cette fois-là à étouffer un gémissement quand le maître des potions lui caressa la langue. Tendrement. Doucement. Elle lui rendit timidement le geste, ce qui rendit leur baiser encore plus passionné. Elle lui enlaça le cou, l’attirant le plus qu’elle le pouvait à lui, se tenant douloureusement sur la pointe des pieds.
Elle ne pensait plus qu’à leur étreinte. Dans un coin de la tête, elle ne voulait pas imaginer que ce genre de moment privilégié serait rare à cause des autres. Pourtant, dans un autre recoin de son esprit, quelque chose clochait. C’était ce genre de détail qui pouvait gâcher ces moments particuliers.
Le professeur Rogue se sépara d’elle, la respiration légèrement haletante. La jeune fille était logée à la même enseigne et lui esquissa un sourire timide.
Elle déplaça ses mains pour les placer au niveau des épaules du sorcier avant de poser la tête contre sa poitrine. Elle sentait son cœur battre à tout rompre, son estomac à jeun commençait à lui faire mal. Elle ne souhaitait pas plier au caprice de son corps pour risquer de gâcher ce moment.
— Merci pour votre lettre, professeur, murmura-t-elle.
Il lui massa le cou du bout des doigts :
— De rien, Miss Granger, souffla-t-il.
— Hum...
Elle se détacha doucement de lui, lui décrochant un regard espiègle.
— Et si vous arrêtiez de m’appeler “Miss Granger” ? fit-elle avec un large sourire.
— Désolé jusqu’à preuve du contraire, c’est votre nom, répliqua-t-il le plus sérieux du monde.
Elle lui fit une mimique faussement indignée.
— Je voulais dire... nous pourrions nous..., commença-t-elle, pas très sûre d’elle.
— Nous pourrions nous ? Oui, Miss Granger ?
— Nous... tutoyer quand nous sommes... seuls ? Finit-elle dans un souffle, les joues empourprées.
Il la toisa, un rictus dessiné sur son visage :
— Voyez-vous cela... Essayez, Miss Granger, lança-t-il de sa voix doucereuse.
Elle le dévisagea. Ce n’était pas si difficile. Elle prit une grande inspiration :
— Très bien, dans ce cas... heu...
Elle n’arrivait plus à trouver ses mots. Ce n’était absolument pas aussi facile que ça en avait l’air. Dans le creux de sa tête, elle le voyait toujours en tant que professeur. Et par un réflexe de politesse, elle ne parvenait pas à lui coller un « toi » ou un « tu ». Il haussa un sourcil devant le silence de la jeune fille.
— Comment allez-vous, professeur ?! lança-t-elle sans réfléchir.
Elle ferma les yeux, détourna la tête. Idiote.
— Lamentable, commenta le principal intéressé.
C’était sans doute encore trop tôt pour cela. La jeune fille n’arrivait pas à s’imaginer le tutoyant comme cela même si devant les autres, elle continuer à être d’une politesse implacable. Même. Elle n’arrivait pas à scinder la partie « Professeur » et « Homme » au sorcier devant lui.
Elle joua quelques instants avec l’écharpe du maître des potions d’un geste désintéressé. Elle observa avec beaucoup d’attention le mélange de couleur argenté et verdâtre. Au bout de l’écharpe étaient brodés un Serpent et l’inscription « Serpentard ». Il baissa les yeux vers les mains de la jeune fille avant de les reposer sur cette dernière. D’un geste lent, il la libéra de son étreinte. Elle lui lança un regard interrogateur. Il porta ses mains à son écharpe et la retira de son cou. Il garda son écharpe pendante sur son bras gauche avant d’enlever celle de la jeune fille qui continuait à l’observer.
Doucement, il lui passa l’écharpe aux couleurs argentées autour du cou en prenant soin de ne pas coincer une mèche de cheveux. Il se passa l’écharpe dorée autour du cou sans la nouer. La jeune fille baissa la tête pour apercevoir qu’une longue traînée laineuse vert et d’argent partait de son cou et se terminait aux alentours de son ventre. Elle toucha du bout des doigts le serpent brodé avant de lever à nouveau la tête vers son professeur. Il l’observait, les yeux plissés. Avec un rictus, il murmura :
— Oui, le vert vous va très bien, Miss Granger.
Elle lui sourit, les joues empourprées. Elle joignit ses mains et lui tourna le dos. Un compliment de la part du maître des potions était quelque chose d’inhabituel. Elle regarda autour d’elle, fit quelques pas par-ci par-là. Une odeur douce et sécurisante émanait de l’écharpe et la remplissait de bien-être. Elle respira profondément avant de se tourner vers son professeur de potions. Il avait enlevé l’écharpe de Gryffondor et était en train de la plier en faisant un tas parfait. La jeune fille feignit d’enlever sa propre écharpe, mais il l’arrêta net :
— Gardez-la.
La jeune fille ramena ses mains le long du corps. Sans y prêter attention, elle mit sa main droite dans le renfort de sa robe et y sentit quelque chose. Sans un mot, tandis que le professeur se déplaçait pour la rejoindre, Hermione Granger sortit sa montre et la consulta avant d’écarquiller les yeux : seize heures et vingt-cinq minutes. Elle leva la tête vers son professeur, le regard légèrement anxieux.
— Je ne pensais pas qu’il était si tard, murmura-t-elle avec regret.
Elle n’aurait jamais cru que le temps passerait si vite... Ils étaient là depuis tout ce temps ? Elle avait l’impression que cela faisait dix minutes qu’il était là. Sa montre devait être déréglée. Cela devait être ça. Elle replaça l’objet dans sa poche. Quand elle releva la tête vers son professeur, elle tomba nez à nez avec une boîte venue d’Honeydukes. Elle s’empara délicatement. La boîte était blanche, carrée et avait un certain poids. Elle leva timidement les yeux :
— Qu’est ce que c’est, professeur ? demanda-t-elle doucement.
— Du chocolat venu d’Honeydukes, expliqua-t-il. Je... pensais que cela vous ferait plaisir.
Elle lui afficha son plus beau sourire. Il le lui rendit de façon timide. Elle ouvrit doucement la boîte, y trouva des fondus au chaudron, en cassa un des bouts des doigts et en présenta un morceau au professeur qui refusa d’un hochement de tête. Elle porta le morceau en bouche tandis qu’il lui passa les doigts dans ses cheveux. Elle colla sa tête contre sa poitrine, tenant fermement la boîte de chocolat dans la main droite. Elle ferma les yeux et savoura l’étreinte.
Ils restèrent quelques minutes comme cela jusqu’au moment où le professeur Rogue se dégagea gentiment d’elle. Il tenait toujours l’écharpe dans sa main gauche. Il lui déposa un rapide baiser sur les lèvres puis lui tourna le dos. Elle sentit son cœur se serrer à nouveau. Il allait partir.
— Vous feriez mieux de regagner le château, Miss Granger, lança-t-il de sa voix doucereuse. Vous allez être en retard.
Il fit quelques pas loin d’elle, la laissant en plan. Elle resta figée sur place. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Quand son cerveau réussit à analyser la situation, le professeur avait déjà franchi cinq ou six mètres. Hermione s’écria :
— Attendez, professeur !
Il s’arrêta net. Elle accourut et le fit face, les joues légèrement rougies, les cheveux plus emmêlés que jamais.
— Ne me laissez pas comme cela…, supplia-t-elle. Je veux dire... quand devrons-nous nous revoir ? Dois-je espérer vous voir à chaque sortie au village de Pré-au-lard ?
Elle intensifia son regard pour laisser apparaître que supplication et désespoir. Il n’allait quand même pas l’abandonner maintenant. Même si l’heure approchait, ils avaient encore pas mal de temps devant eux. Le professeur expira longuement, le visage crispé.
— Je n’ai pas pris la divination durant mes années d’études donc je ne saurai pas vous le dire, répondit-il froidement.
— Il n’y a pas besoin de divination pour le savoir, professeur ! s’écria Hermione, le cœur serré. Vous pouvez quand même me dire si demain je pourrai vous voir dans votre bureau ou... ou après nos cours le lundi ?
— Non.
Sa voix était glaciale.
— Non ? répéta la jeune fille incrédule. Non ?
Elle attendit une réponse qui ne vint pas. Le professeur la dépassa et continua son chemin vers les rues du Pré-au-lard. Hermione accourut de nouveau, lui prit le bras et l’obligea à la regarder dans les yeux. Elle murmura d’une voix plus suppliante que jamais :
— S’il vous plaît, professeur.
Juste une date. N’importe quand.
— Miss Granger, je ne veux pas vous mentir, susurra-t-il sur le même ton.
— Me mentir à propos de quoi ? fit-elle, la voix tremblante, les larmes perlant au coin des yeux.
— Je ne peux pas vous promettre que nous nous reverrons à une telle date alors que le professeur Dumbledore — ou même l’Ordre — me rappelle au même moment. Et comprenez-moi bien... Je ne peux pas vous faire passer avant.
— Et vous ? Ne comprenez-vous pas que je vous laisse passer avant mes amis pour venir vous retrouver ?! Ne pensez-vous pas un instant que j’aurais pu tout aussi bien passer mon après-midi avec mes amis plutôt qu’avec vous car... car...
Elle laissa ses larmes couler le long de ses joues avant de détourner la tête et de lui lâcher violemment le bras. Elle essuya inutilement du revers de la main ses larmes, essayant de contenir sa rancœur.
— Miss Granger, tenta le professeur, mais elle le coupa.
— Ce n’est rien, professeur. Je suis ridicule. Après tout, j’ai mes BUSE à obtenir, dit-elle d’une voix qui ne lui était pas naturelle.
Elle lui afficha un sourire forcé et se mit en route vers les rues du Pré-au-lard. C’était un bel après-midi. Oui. Tranquille, serein, calme. Une sortie de réconciliation... Elle allait retrouver le château de Poudlard avec ses cheminées, ses fantômes, sa Grande Salle dont le plafond était magique, sa tour où les autres élèves de Gryffondor étaient en train de rédiger leurs devoirs pour la semaine prochaine, ses serres dont les plantes attendaient impatiemment le cours de botanique pour être chouchoutées ou bien pour mordre un élève imprudent, ses cachots où les pas résonnaient et où les chaudrons se remplissaient de substances exquises, ses salles de classe, ses cours, ses dortoirs...
— Hermione.
Elle se paralysa. Avait elle bien entendu ? Elle tourna la tête lentement vers son professeur qui la considérait avec une mine crispée. D’un geste toujours aussi lent, elle fit volte-face. Elle le dévisagea, déconcertée. Le maître des potions s’avança vers elle et lui essuya les larmes du bout des doigts sur le visage de la jeune fille.
— Vous avez... dit... Hermione ? murmura-t-elle, incrédule. Vous... m’avez... appelé par...
— Par votre prénom, oui, finit-il.
Elle semblait aussi interloquée que si on lui avait dit que Neville avait eu la meilleure note en potions.
— Si cela vous pose un problème, je..., dit-il
— Non, non, répliqua-t-elle vivement en hochant la tête. Bien au contraire.
Sa rancœur se volatilisa comme soufflée par le vent. Elle lui adressa son plus beau sourire. Elle se colla à lui pour une dernière étreinte. Elle lui enlaça le cou et mit son visage contre le sien. Ils restèrent un long moment comme cela jusqu’à ce qu’Hermione le lâche d’elle-même.
— Ce soir dix-neuf heures, murmura le professeur Rogue en la regardant droit dans les yeux.
En voyant qu’elle lui affichait un regard interrogateur, il explicita :
— Dix-neuf heures, dans mon bureau, pour vos cours d’Occlumancie.
— D’accord, professeur, chuchota-t-elle.
Durant le dîner de ce soir-là, Hermione se servait des raviolis pour la seconde fois tout en affichant un sourire enjôleur. Elle discutait avec Lavande qui — pour une raison qu’elle en remerciait le ciel — ne pouffait plus de rire dès qu’elle croisait son amie. Elle lui racontait comment le jeune Smith l’avait préférée à Ginny. Cette dernière au bout de la table piquait un ravioli du bout de sa fourchette de rage. Harry et Ron se parlaient en murmurant, leur tête rapprochée de l’une de l’autre, tout en regardant Hermione pouffer de rire avec Lavande et Parvati.
— Je te le dis, murmura Harry. Elle est revenue avec une écharpe de Serpentard.
— Et ça veut dire quoi ? demanda Ron en ne quittant pas Hermione des yeux.
— Ça veut dire qu’un Serpentard le lui a donnée… c’est tout, chuchota à nouveau Harry en se forçant à garder un ton serein devant le manque de compréhension de son ami.
— Ben ça arrive, répondit le rouquin en haussant les épaules.
— Et où était-elle passée durant tout ce temps ? Hein ? Elle est partie en douce comme cela.
— Si tu insinues qu’elle est partie faire un tour avec un Serpentard, c’est possible. Et alors ?
— Ron... Un Serpentard n’irait jamais faire un tour avec une Gryffondor, et surtout pas avec Hermione.
Il planta sa fourchette dans le dernier ravioli qui lui restait :
— Si tu veux mon avis, elle sort peut-être... avec un Serpentard, fit Ron, en appuyant sa tête sur sa main gauche. Et quand on est amoureux, on fait n’importe quoi. Quand Percy sortait avec cette fille de Serdaigle, il n’arrêtait pas de lui toucher les cheveux ou de toucher un morceau de sa robe quand elle passait près de lui.
— Ron ! Qui de Serpentard sortirait avec Hermione, sérieusement ?
Harry Potter ne voulait pas lui cracher à la figure qu’il savait éperdument bien que celui qui avait donné l’écharpe à Hermione était assis à la table des professeurs. Il avait vu Hermione se précipiter dans son dortoir pour y ranger une boîte et une écharpe qu’il avait bien discernée comme étant argenté et vert. Les couleurs de Serpentard !
La perspective qu’Hermione eût pu passer la journée avec le professeur Rogue le rendait malade. Non seulement elle leur avait faussé compagnie, mais en plus elle leur cachait la vérité. Harry soupçonnait de plus en plus quelque chose entre eux. Et bien qu’il n’eût que des bribes de leur relation, il n’avait jamais eu de preuve assez flagrante pour s’inquiéter. Il ne s’inquiétait nullement en fait. Il était même ravi de la situation. S’ils commençaient à commettre des erreurs, ce serait encore plus simple de se débarrasser du professeur Rogue.
— Et c’est quoi ta théorie à toi ? Elle sort avec un Serdaigle qui aurait piqué l’écharpe d’un Serpentard ? marmonna Ron. Et j’y pense... si elle sort avec un Serpentard, raison de plus pour nier qu’elle est avec quelqu’un. Comme ça, elle n’a pas à supporter à longueur de journée — il prit une voix faussement indignée — les Serpentard et les Gryffondor se haïssent par principe. Tu fraternises avec l’ennemi !
— Ron...
— Non, mais sérieusement, c’est ce que je crois ! Je me demande seulement avec qui elle est.
Harry se mordit les lèvres pour se retenir de lui dire ce qu’il savait.
— Ce soir, elle a dit qu’elle irait à la bibliothèque faire le devoir pour Rogue, déclara Harry. Je prendrai la cape de mon père et la carte du maraudeur. Comme ça, on verra bien si elle nous ment.
— Et si elle va vraiment à la bibliothèque ? s’enquit Ron.
— Je continuerai à la suivre jusqu’à ce que je les surprenne.
Ron eut un sourire crispé :
— Ce n’est pas une bonne idée, Harry...
— Tu veux savoir oui ou non ?
— Et si elle le découvrait ?
— Je prétexterai que je suivais Malefoy. Enfin... j’essayais de suivre Malefoy.
Ron regarda à nouveau Hermione. Celle-ci lui fit signe de la main avant de pouffer à nouveau avec Lavande et Parvati.
— Et dire qu’elle les détestait il y a un moment... soupira-t-il.
— Alors ?
— D’accord, d’accord, je veux bien te couvrir. Mais si d’ici la semaine prochaine tu n’as rien vu d’anormal, tu laisses tomber d’accord ?
— Oui, je te le promets.
Dans un coin de sa tête, le jeune Potter savait éperdument bien qu’il allait forcément trouver quelque chose. Même s’il savait que s’il se faisait avoir, non seulement il risquait gros avec Rogue, mais il risquait aussi de perdre Hermione. Sa détermination à les démasquer ne s’en faisait que plus grande. Il se servit un morceau de tarte au citron. Ron soupira un moment puis regarda son ami :
— Tu ne serais pas jaloux par hasard ?
Harry faillit s’étrangler avec son morceau de tarte. Il se frappa la poitrine, manquant d’air. Les larmes aux yeux, il répliqua à Ron d’une voix étranglée, le regard froid :
— Jaloux ?
— Tu es obsédé par le petit-ami de Hermione, expliqua Ron en détournant les yeux.
— Ron ! Hermione sort avec...
— Coucou les garçons ! lança une voix derrière eux.
Les deux jeunes hommes se retournèrent. Hermione affichait un large sourire. Elle ne portait évidemment plus l’écharpe que lui avait donnée le professeur Rogue. Écharpe qu’elle avait rapidement rangée sous son oreiller et la boîte de chocolat dans sa valise.
— Je vais à la bibliothèque si vous avez besoin de moi. Au fait, Harry, Lavande me fait dire que Cho te cherchait depuis ce matin.
Les deux jeunes gens acquiescèrent dans un grognement et la jeune fille quitta la Grande Salle accompagnée par une dizaine d’élèves. Harry enfourcha un morceau de tarte tout en regardant partir la chevelure chocolatée. Il savait parfaitement qu’elle n’irait pas à la bibliothèque et que — contre toute attente — elle irait dans les cachots. Pour y faire quoi ? Il ne voulait pas le savoir. Avec qui ? C’était ce qu’il comptait bien savoir et surtout prouver. Personne d’autre ne semblait être au courant. C’était un bon point pour lui. Sa rumeur sur le soi-disant petit-ami d’Hermione Granger commençait à s’étouffer avec les potins de Lavande qui sortait avec Smith sous le nez de la tornade rousse.
— Je continue à penser que tu es jaloux, Harry, marmonna Ron en se resservant une part de tarte. Il suffit de voir ta tête.
Sans un mot, Harry laissa tomber sa fourchette dans l’assiette et se précipita en dehors de la Grande Salle sous l’œil intrigué de Nick -quasi-sans-tête et deux ou trois autres Gryffondor. Quant à Ron Weasley, il leva les yeux au ciel en soupirant d’exaspération.
Hermione Granger arriva à la bibliothèque pendant que Madame Pince frottait avec conviction une étagère. Elle lui lança un regard noir tandis qu’Hermione vagabondait d’étagère en étagère, le doigt posé sur ses lèvres. Elle examina chaque reliure des livres qu’elle apercevait. Elle trouva enfin ce qu’elle cherchait. Elle le retira de sa place dans un geste précis et l’ouvrit devant elle. Ce fut à ce moment-là qu’une tornade à lunettes arriva devant elle en s’écriant :
— Hermione !
Elle sursauta en laissant tomber le livre qu’elle venait de prendre, le cœur battant à tout rompre. Elle porta sa main droite sur son muscle cardiaque, calant son dos contre l’étagère.
— Harry ! s’exclama-t-elle. Tu m’as fait une de ces peurs !
Elle lui sourit malgré tout. Le jeune Potter avait du mal à se contenir. Il regardait à droite et à gauche nerveusement comme s’il s’attendait à le voir arriver d’un moment à l’autre. La jeune fille nota cette attitude :
— Ça va, Harry ? s’inquiéta-t-elle.
— Juste... juste que... je voulais savoir..., dit-il en cherchant bien ses mots. Si tu pouvais me passer ta copie du devoir pour Rogue après ?...Je ne m’en sortirai pas sinon.
Il se mordit la lèvre, ne la quittant pas des yeux. Hermione continua à lui sourire malgré elle puis se renfrogna dans une attitude qui lui rappelait étrangement le professeur McGonagall :
— Harry, je croyais que tu avais fini ton devoir pour le professeur Rogue, dit elle indignée.
— Oui, mais... je voudrais... que tu me prêtes le tien pour que je vérifie, voilà,
marmonna-t-il en se retenant de justesse à lui crier : “Tu sors avec Rogue ?!”
— C’est d’accord. Je te le prêterai.
— Qu’est ce que c’est ? fit-il en remarquant le livre au pied de Hermione.
Il se pencha pour le ramasser. La couverture était brun foncé et les lettres d’or du titre étaient en train de s’effacer. Il regarda successivement le livre et Hermione. Cette dernière ne semblait pas du tout troublée.
— Les mystères et les secrets des forces obscures, lut le jeune Potter. Hermione ? Tu ne veux pas devenir une apprentie mangemort, quand même ?
Elle éclata de rire et lui reprit le livre des mains.
— Mais non, gros bêta. C’est pour la partie “Affrontez votre peur : l’épouvantard.” Tu sais aussi bien que moi que j’ai des problèmes en défense contre les forces du mal, expliqua-t-elle en ouvrant le livre et en lui montrant le chapitre qu’elle venait d’énoncer. Et puis il y a tout un tas de petits trucs que le professeur Lupin nous a omis.
Le jeune homme ne répondit pas, continuant à scruter le visage émerveillé d’Hermione à chaque fois qu’elle trouvait un livre intéressant.
— Et il y a tout un chapitre sur les patronus. Tu savais qu’il était possible de changer la forme de son patronus ? Un choc émotionnel en est souvent la cause — elle tourna quelques pages — ha... non, c’est au sujet des détraqueurs... voyons.
— Pourquoi ne demandes-tu pas au professeur Lupin un coup de main comme il a fait pour moi et les détraqueurs ? s’enquit Harry tout en continuant à scruter le visage de la jeune Gryffondor.
La jeune fille leva les yeux du livre. Les yeux émeraude du jeune homme semblaient tout sauf sereins. Ils étaient comme animés par une folie... une folie très inquiétante et effrayante. Elle mit cela sur le dos de l’éclairage de la bibliothèque, replongea le nez dans le livre et répondit :
— Je ne voudrais pas le déranger.
— Et Rogue ?
Elle leva la tête d’un geste brusque. Pourquoi faisait-il allusion au professeur Rogue ?
— Quoi et Rogue ? répéta Hermione en se forçant de prendre une mine interrogatrice.
— Il a toujours souhaité être professeur de défense contre les forces du mal et... en troisième année quand il a remplacé Lupin, j’ai trouvé qu’il avait l’air de très bien s’y connaître.
Il éclata de rire qui fut plus nerveux à ses oreilles qu’autre chose. Hermione par contre parut apeurée du comportement de son ami. Il replongea son regard dans celui de la jeune fille. Cette dernière eut l’impression d’avoir affaire à un dément. Elle fit instinctivement un pas sur le côté. Un bras se plaqua avec force pour lui barrer la route. Hermione se retourna vers son ami, la respiration haletante. Que lui arrivait-il ? Il rapprocha son visage de celui de la jeune fille, leur souffle se mélangeant, cependant cette proximité eut quelque chose de malfaisant.
— La plus brillante élève de Poudlard, murmura-t-il avec une voix doucereuse.
— Harry ? fit Hermione de plus en plus paniquée. Laisse-moi passer.
— La plus brillante élève de Poudlard, répéta le jeune sorcier en la chantant presque.
Il poussa un nouveau rire nerveux, mais qui parut plus qu’inquiétant aux oreilles de la jeune fille.
— La plus brillante élève de Poudlard, susurra-t-il d’un air sombre. Fricotant avec un professeur.
— Non…, s’étouffa Hermione, les larmes aux yeux, l’estomac retourné.
Comment avait-il su ? C’était impossible. Non, il devait faire une erreur. Le jeune Potter eut un large sourire en voyant le teint de la jeune fille pâlir ainsi que ses yeux s’embuer de larmes. Ainsi comme cela c’était vrai. Il plaqua l’autre bras de l’autre côté de son visage.
— Très touchante cette écharpe, murmura-t-il, toujours sur ce même ton glacial.
— Harry, laisse-moi passer ! supplia Hermione en laissant courir ses larmes sur son visage.
Elle redoutait qu’il ne veuille pas la laisser passer. Que faisait Madame Pince ? Avec ces rires, elle aurait dû déjà être venue voir ce qu’il se passait et les gronder de perturber le silence de sa demeure. Harry Potter toucha du bout des doigts les cheveux de la brune. Celle-ci se figea d’horreur et laissa tomber le livre sur le sol qui s’ouvrit dans un bruit sourd en touchant le sol. Il fit promener ses doigts jusqu’au visage de la jeune fille, lui effleurant les lèvres du bout des doigts.
— La plus brillante élève de Poudlard, chantonna Harry dans un souffle.
— Harry, fit la jeune fille en se forçant à paraître la plus autoritaire possible. Laisse-moi passer.
Ils se fusillèrent du regard un long moment. Hermione tâtonna discrètement sa robe à la recherche de sa baguette magique. Elle se souvint avec horreur qu’elle l’avait laissée sur sa table de nuit en remontant dans le dortoir des filles, juste avant de cacher l’écharpe et la boîte de chocolat.
— Tu sais, ma chère Hermione, murmura de nouveau Harry, la voix glaciale. Qu’avec ce que je sais, il va être sans doute renvoyé de Poudlard — il eut de nouveau ce rire déplaisant — et toi aussi. Quoique… pour toi, ce serait dommage, n’est-ce pas ? Tu ne seras qu’un malheureux dommage collatéral, n’est-ce pas ?
— Tu ne sais rien du tout ! s’emporta Hermione. Maintenant, lâche-moi !
Elle le repoussa violemment. Avant même qu’il eût pu se stabiliser, elle s’était déjà enfuie. Hermione passa en trombe à côté du bureau de Madame Pince. Elle réfuta un hoquet d’horreur : elle était stupefixiée derrière celui-ci. Non, ce n’était quand même pas Harry. Elle passa la porte de la bibliothèque, regarda autour d’elle et se dirigea vers l’escalier du cachot. Soudain, quelqu’un la bouscula par-derrière et elle se retrouva face contre terre. Elle fit volte-face, les cheveux emmêlés sur son visage, la respiration haletante : Harry Potter. Il se tenait au-dessus d’elle et était très proche. Trop proche. Bientôt, il emprisonna les poignets de la jeune fille et lui cala les jambes avec les siennes. Hermione tenta de se débattre, mais le jeune homme était plus fort qu’elle. Il se rapprocha d’elle, nez contre nez. La jeune fille sentit son cœur s’emballer, sa respiration de plus en plus saccadée. Elle était complètement à sa merci.
— On va jouer à un jeu, Granger, murmura Harry.
— Harry, je t’en prie, supplia Hermione, les joues rougies par les larmes. Lâche-moi.
S’il te plaît... lâche-moi.
Il ne l’avait encore jamais appelé « Granger » et cela l’inquiétait énormément qu’il le fit maintenant. Pourquoi...Pourquoi personne ne venait à la bibliothèque le samedi soir ? Le jeune homme happa la lèvre supérieure de Hermione avec les siennes. Cette dernière essaya de fermer hermétiquement sa bouche. Il avait complètement perdu la raison. La jeune fille bougea légèrement et les doigts de sa main gauche touchèrent quelque chose de dur. Du bois. Elle ne quitta pas des yeux Harry quand celui-ci lui sourit de façon machiavélique.
— La plus... brillante élève de Poudlard... chuchota-t-il. Entre mes mains...
— Harry, souffla Hermione. Lâche-moi.
Elle bougea encore un peu plus ses doigts. Il resserra son étreinte sur ses poignets tandis que ses lèves emprisonnèrent celles d’Hermione. Elle eut l’impression d’étouffer, elle se débattit plus violemment encore. Harry lui mordit les lèvres au sang, complètement pris de folie. Ce fut à ce moment-là que la main gauche d’Hermione agrippa ce morceau de bois et dans un geste et un cri presque de désespoir, elle hurla :
— STUPEFIX !
L’éclair rougeoyant toucha en plein fouet Harry Potter. Elle le repoussa au loin, fit quelques pas à quatre pattes avant de se lever, de jeter la baguette de Harry au loin et de s’enfuir à toute jambe, les larmes aux yeux. Par jalousie ou par pure folie, son meilleur ami, le survivant, celui en qui elle avait le plus confiance....Comment avait-il pu faire une chose pareille ?