Luna Mula
Hermione Granger s’arrêta à quelques pas de l’escalier menant aux cachots, le souffle coupé, la tête bourdonnante et les jambes tremblantes. Elle resta comme cela quelques instants, le buste penché vers l’avant, les mains sur les cuisses pour tenter de calmer sa respiration et son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle réussit avec grande peine à étouffer un gémissement avant de se laisser totalement submerger par les sanglots. Elle se plaqua contre le mur, se laissa glisser tout le long avant de tenter d’étouffer ses pleurs dans ses genoux, les cheveux collés au visage.
Son meilleur ami. Harry Potter. Le survivant. Comment était-ce arrivé ? Pourquoi ? Qu’avait-elle fait pour qu’il la regarde de cette manière avec autant de colère et de dégoûts ? Qu’avait-elle fait pour qu’il ose se jeter de cette manière sur la jeune fille et tenter de…
Non ! C’était impossible. Totalement impossible. Elle ne pouvait pas croire ce qu’elle venait de subir, ce qu’elle venait de vivre à l’instant près de cette bibliothèque, allongée sur le sol glacé. Ce n’était pas possible ; cela ne pouvait pas être son meilleur ami. C’était une hallucination, un cauchemar.
Harry avait perdu la raison. Il n’avait jamais agi de la sorte avec quiconque à Poudlard. Jamais, ô grand jamais, le survivant pourrait tenter de faire une chose pareille ou que même cette idée lui aurait traversé l’esprit.
Voulait-il vraiment la faire renvoyer ? Voulait-il vraiment réduire sa scolarité à néant ?
La plus brillante élève de Poudlard…
Était-il vraiment au courant de leur relation ou était-ce seulement un test pour vérifier cette rumeur idiote ? Était-ce Mimi Geignarde qui lui aurait raconté les avoir vus entrelacés dans les toilettes des filles ?
Ce baiser forcé. Cette horrible impression qu’il avait été sur le point de commettre l’irréparable envers sa meilleure amie.
NON ! C’était tout simplement impossible. Il devait être sous le sortilège de l’Imperium. Voilà. Ou c’était quelqu’un d’autre. Oui, c’était une tout autre personne qui avait utilisé du Polynectar. Cela ne pouvait pas être lui. Cela ne pouvait pas être Harry !
Et si ?
Cherchait-elle une explication pour ne pas regarder la vérité en face ? Les yeux d’Harry étaient remplis de rancœur, de colère et de dégoût. Avait-il cru qu’elle sortait avec le maître des potions juste pour lui faire du mal indirectement ? Tout simplement, car Harry détestait cette personne du plus profond de son être ?
Hermione ne comprenait pas comment elle avait pu se mettre dans une telle situation avec le professeur Rogue. Un jour, elle le détestait ; le jour suivant, elle l’aimait plus que quiconque. Haine et amour seraient donc si proches, si irrémédiablement liés ?
Que pensera le professeur Dumbledore ? Avait-il lui aussi des soupçons avant même qu’ils s’embrassassent dans la salle de cours de potions ? Était-ce si évident avant même que cela n’existe ?
Était-ce pour cela qu’il était venu dans les cachots pour s’assurer que tout allait bien et qu’ils n’étaient pas en train de s’embrasser sur un des bureaux ou plus si affinité ? Était-ce aussi pour cela qu’il avait demandé « pas grand-chose » au professeur Rogue uniquement pour essayer de le retenir le plus longtemps possible afin qu’il ne vienne pas au rendez-vous ? Pourquoi aurait-il fait une chose pareille au lieu de simplement mettre les choses au clair directement avec le maître des potions ? Il n’avait sans doute aucune preuve de ce qui se passait entre les deux concernés. Cependant, Hermione ne pouvait pas s’empêcher de penser que rien n’échappait au directeur de l’école de sorcellerie. Alors, pourquoi ?
La jeune fille commençait à penser que tout le monde autour d’elle voulait les séparer à tout prix. Oui, c’était son professeur. Oui, elle était une de ses élèves. Oui, elle n’avait que seize ans. Oui, elle était encore mineure. Oui, ils étaient en tort, en tort et encore plus en tort dans cette histoire. C’était insensé, de la folie pure. Tout allait forcément mal se finir entre eux. Si par miracle, leur relation restait secrète et devenait aussi solide que de la roche, elle n’était même pas sûre de la direction de cette même relation. Allaient-ils droit dans le mur par eux-mêmes quoiqu’il arrive ? Elle ne savait pas ; elle n’en avait aucune idée. Elle n’avait jamais réfléchi à ce genre de chose. Et elle se sentait incapable pour le moment de prendre ce genre de décision.
Le règlement ; ce fameux règlement auquel elle tenait tant depuis sa première journée à Poudlard : pouvait-il être suffisamment dissuasif sur les sentiments, sur ses propres sentiments ? Cet amour insensé et naissant entre eux pouvait-il leur perdre la raison comme à Harry Potter, le survivant ?
La jeune fille ne pouvait pas s’empêcher de se demander s’il l’aimait vraiment. Bien sûr qu’il l’aimait ! Sinon, il ne se serait jamais mis dans une telle situation. Il aurait mis fin à tout cela quand ils étaient dans le cachot, à s’enlacer avant leur premier baiser ou juste après cet instant sous la pluie durant le cours de botanique, sous cet arbre, la serrant contre lui.
Il aurait mis fin à tout cela avant même que Hermione ait pu ressentir la moindre chose.
Cependant, que se passerait-il si quelqu’un savait pour leur relation ? Et si cela lui dissuadait de continuer avec la jeune fille ? La laisser là… toute seule…
Elle savait éperdument bien qu’en racontant ce qui s’était passé dans cette bibliothèque, le professeur Rogue se montrerait indifférent — il n’y avait eu que tentative et un baiser forcé — ou il se mettrait dans une colère noire et voudrait faire de la chair d’hippogriffe du célèbre Harry Potter.
La plus brillante élève de Poudlard…
Cependant, la jeune fille redoutait une tout autre possibilité ; celle où le professeur Rogue lui annoncera tout simplement qu’il valait mieux arrêter leur relation avant qu’il ne soit trop tard.
Pour l’heure, elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander si c’était l’idéal de le mettre dans la confidence. Elle dramatisait peut-être pour Harry, son meilleur ami. Ce dernier avait certainement cédé à la folie, « pété un câble ». Ce ne serait pas la première fois qu’il réagirait d’une façon aussi disproportionnée.
La plus brillante élève de Poudlard fricotant avec un professeur. Vraiment, Hermione ?
Tout cela était ridicule. Harry devait l’attendre à la salle commune de Gryffondor pour s’excuser, s’expliquer, lui donner sa bénédiction et lui souhaiter bonne chance avec le maître des potions. Harry n’avait eu aucunement l’intention de la…
Non, elle ne devait plus y penser. Ce n’était pas ce qu’elle croyait. Non, Harry n’aurait jamais osé. Il attendait peut-être une explication d’elle ? Il était devenu fou, car elle lui avait menti et qu’elle lui avait caché un truc aussi gros que le château de Poudlard ?
Pourtant, ne pouvait-il pas se montrer plus compréhensif envers elle ? Comme si elle avait voulu tout cela depuis le début. Elle aurait voulu tout lui raconter depuis le début, le mettre dans la confidence, avoir un ami qui pourrait la conseiller ou la consoler après les innombrables disputes avec le professeur Rogue. Elle aurait tellement voulu ne pas être obligée de leur fausser compagnie comme elle l’avait fait aux Trois Balais pour passer un peu de temps avec le maître des potions. Elle aurait tellement voulu leur partager son sourire, à Harry et à Ron, après être rentrée à l’école, l’écharpe de Serpentard autour du cou et la boîte de chocolat de Honeydukes sous le bras.
Toutefois, le professeur avait raison. Pour être tranquilles, personne ne devait être au courant de leur situation. Moins de gens savaient pour eux, mieux ce sera pour l’avenir à tous les deux. Combien de temps allait-elle supporter cette situation ? Devoir se cacher et mentir ? Elle savait pertinemment bien qu’elle ne pouvait pas s’afficher avec le professeur Rogue dans les couloirs, devant toute l’école et le corps enseignant. Même si tout le monde le savait, elle ne le pourrait tout simplement pas. C’était au-dessus de ses forces. Sa timidité était beaucoup trop présente.
En admettant que le règlement strict sur les relations professeur-élève n’eût pas lieu d’être, cela ne changerait absolument rien du point de vue des lois du monde des sorciers. Bon sang, dans quelle situation désastreuse s’était-elle mise ? Peut-être se sentira-t-elle mieux l’année prochaine quand elle aura la majorité… ? Le professeur Rogue était beaucoup plus âgé qu’elle. Elle ne pouvait pas le nier.
De point de vue de la loi du monde des sorciers, ils étaient en tort dans un sens. Elle était mineure et, lui majeur. Elle ne pouvait pas le nier. Néanmoins, ce genre de raisonnement semblait ambigu, car quelqu’un de vingt ans pouvait très bien sortir avec quelqu’un qui en avait seize sans qu’on paraisse offusqué.
Non, Hermione, non, tu le sais très bien de quoi il retourne.
Une question de morale, de protection, pour éviter les abus des plus horribles. Bon sang, elle aurait pu être sa fille.
Le dos contre le mur glacial, à quelques mètres des escaliers menant aux cachots, elle releva la tête d’un geste brusque. Pourquoi se posait-elle ces questions que maintenant ? Était-ce parce que bien malgré lui Harry lui avait ouvert les yeux sur ce qu’elle refusait de voir jusqu’à aujourd’hui ? Que cette relation était totalement… prohibée et dangereuse ? Ils ne devaient pas être les premiers dans ce cas-là. C’était évident. Elle s’imaginait avec beaucoup de facilité les tours de passe-passe qu’aurait pu faire ce genre de couple, comme prendre du polynectar ou des potions de rajeunissement ou de vieillissement pour être tranquilles. Allait-elle en arriver là ? Elle secoua rapidement la tête pour chasser cette pensée absurde. Non, bien sûr que non.
Elle devait se ressaisir. Pour l’instant, rien ne disait que Harry avait des preuves. Et même si cela avait été le cas, qui le croirait ? Le professeur Dumbledore ? Et si ce dernier avait déjà tout compris et attendait le bon moment pour intervenir ? Si elle pouvait se prouver à elle-même qu’ils ne risquaient rien, elle n’aurait plus à avoir peur de son ami. Tout cela n’était que des menaces en l’air. Il ne pouvait pas répéter sur tous les toits sans avoir la moindre preuve de ce qu’il avançait. C’était bien trop risqué et dangereux.
Dangereux pour qui ? Pour Harry ou pour Hermione ? La jeune fille n’en avait aucune once d’idée. Elle n’avait pas envie d’y réfléchir pour le moment. Pour l’heure, elle était persuadée qu’il ne les avait pas vus s’embrasser ni échanger des mots complices. Il n’avait rien sauf des spéculations. Même s’il montrait la carte du maraudeur au directeur, cela ne prouvera rien, car le professeur Rogue et Hermione Granger seraient simplement dans la même pièce à un moment donné. Oui et alors ? Cela n’était pas inscrit ce qu’ils faisaient ou se disaient. De plus, s’ils se retrouvaient dans la même pièce, c’était dans le bureau du directeur de Serpentard afin de s’entraîner pour le cours du professeur Lupin. Ce dernier pouvait témoigner qu’elle en avait bien besoin.
Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir demandé au professeur Lupin lui-même de lui donner ce genre de cours ? Le loup-garou avait encore des soucis avec la pleine lune et le professeur Rogue continuait d’assurer ses cours pendant ce temps-là. Hermione avait simplement souhaité passer plus de temps avec le maître des potions pour lui prouver que Serpentard et Gryffondor pouvaient s’entendre tout simplement ? Était-ce vraiment le rôle d’une élève, mais plutôt de celui de la directrice de Gryffondor ? Hermione restait persuadée que si personne ne les voyait s’embrasser, ils ne risquaient rien.
Le jeune Potter pouvait aller « se faire voir chez les elfes de maisons » ! Il risquait aussi le renvoi si jamais on apprenait qu’il avait fait une tentative de viol et qu’il avait stupéfixié la bibliothécaire.
La jeune fille se leva, tapota sa robe du bout des doigts, remit le mieux qu’elle pouvait ses cheveux d’un geste maladroit. Elle prit une grande inspiration, le cœur battant à tout rompre avant de reprendre sa route en direction des cachots.
Nier ce qui s’était produit n’était pas la meilleure solution. Cependant, avait-elle vraiment le choix ? Harry devait s’attendre à un changement de comportement de sa part, de la panique dans sa voix ou un besoin extrême de venir s’expliquer, ou même de le mettre dans la confidence en le suppliant de ne rien faire ou de ne rien révéler. Hermione n’en fera rien. Elle savait qu’en faisant ce genre de chose, cela ne pouvait que confirmer les soupçons du jeune homme envers cette relation indélicate.
Elle devait absolument rester de marbre, même devant un ami dont les réactions semblaient exagérées et dangereuses. Ne rien dire. Ne rien laisser transparaître. Tout devait rester secret. Tout devait rester comme ils l’avaient souhaité. Tout devait rester parfait.
Trop parfait.
Une fois arrivée devant la porte du bureau du professeur Rogue, Hermione prit une longue inspiration avant de frapper par trois fois. Elle ne put s’empêcher de tripoter ses doigts d’une manière anxieuse en attendant que le maître des potions daignait lui ouvrir. Elle se balança sur un pied puis sur l’autre d’impatience mélangé à de la gène avant de se retourner pour parcourir les alentours du regard. Elle se fabriqua à un petit jeu de patience qui consistait à compter les pierres du mur. Quand elle en fut au chiffre quatorze, la porte s’entrouvrit. Elle se retourna pour faire face à un professeur Rogue à la mine apathique. Elle lui afficha un sourire timide, les joues sèches et légèrement rosies. Il la toisa de toute sa hauteur et lança d’un ton sec :
— Vous êtes en retard.
— Je.. Je n’ai pas vu l’heure... j’étais à la bibliothèque, expliqua rapidement Hermione. Je suis navrée.
Il se dégagea de l’encadrement de la porte pour la laisser entrer avant de refermer derrière elle. La jeune fille balaya la pièce du regard, l’estomac noué. Il était mieux éclairé que la dernière fois. Les bocaux aux mille mixtures avaient pour la plupart une consistance verdâtre et passablement dégoûtante. Triturant toujours ses doigts, la jeune fille se tourna vers son professeur qui prit place derrière son bureau. Sur ce derrière se trouvaient un tas de parchemins, deux ou trois bocaux, un encrier et une plume verdâtre.
Le maître des potions joignit les mains devant lui et invita d’un signe de la tête la jeune fille à s’asseoir en face de lui. Elle s’exécuta. Elle posa les mains sur ses genoux, l’estomac légèrement capricieux. Il la dévisagea avant d’ajouter :
— Bien, Miss Granger. Que savez-vous sur l’Occlumancie ?
Elle le considéra à son tour. Il était de nouveau derrière ce masque impassible. Bien entendu, tout cela était un cours, pas un rendez-vous.
— L’art de lire dans les pensées ? se risqua Hermione d’une voix mal assurée.
Il était évident que sa réponse était tout sauf parfaitement juste. Elle n’avait presque rien lu sur cet art. Elle le regrettait. Elle aurait voulu pouvoir débattre à ce sujet avec l’homme en face d’elle, avoir une conversation intéressante sur cette pratique plus que secrète et compliquée. Au lieu de cela, elle lui présentait une réponse bancale alors qu’elle avait pour réputation de toujours être dans l’exactitude de ses réponses.
La plus brillante élève de Poudlard, vraiment ?
Elle secoua doucement la tête comme pour chasser cette odieuse phrase de son esprit. Le ton qu’avait employé Harry Potter pour cette déclaration lui avait fait froid dans le dos. Pourquoi n’arrivait-elle pas à sortir cela de son esprit ?
Le professeur décroisa les mains pour croiser les bras cette fois-ci, sans quitter la jeune fille des yeux.
— Non, Miss Granger. Je m’abstiendrai d’enlever des points à Gryffondor cette fois-ci, car je peux comprendre que vous n’y connaissez rien en cette matière, car... cette discipline de la magie n’est plus enseignée à Poudlard depuis des années.
Il se leva lentement de sa chaise et fit le tour du bureau tout en expliquant, sans quitter la jeune fille des yeux.
— L’Occlumancie est une branche obscure de la magie, Miss Granger. Elle est en doublé avec son antonyme Legilimancie. Cet art permet de lire votre esprit, d’y trouver des souvenirs et de les interpréter. Seuls les moldus parlent de lire les pensées ; or vos pensées ne sont pas des lignes dans votre esprit n’est-ce pas ? Ce sont des images et des émotions. Et l’Occlumancie vous permet de cacher ses images au légilimens qui essaie de l’interpréter.
Contre toute attente, Hermione pâlit tandis que son professeur passa derrière elle. Et s’il voyait le souvenir de la scène dans la bibliothèque ? Tout était encore frais dans sa mémoire. Comment allait-il interpréter cela ? Elle se sentit de plus en plus mal à mesure que le professeur expliquât le processus étudié.
— Vous allez vider votre esprit de toute pensée et de toute émotion, Miss Granger, murmura-t-il en se plaçant en face d’elle. C’est par ce procédé que vous pourriez m’empêcher d’approcher vos souvenirs les plus lointains.
Elle acquiesça, le teint toujours livide. Il remarqua sa pâleur, lui afficha un rictus avant de lancer d’une voix douce :
— Je ne vais pas vous faire de mal. Juste vous lancer le sortilège de Légilimancie, Miss Granger. Essayez de me repousser en vidant voter esprit.
Il brandit sa baguette sur elle, arrachant un hoquet de surprise à Hermione. Elle n’était pas prête du tout. Comment pouvait-elle vider son esprit comme ça ? Elle avait tant de choses en tête pour le moment. Ces merveilleux souvenirs de l’après-midi passé avec le professeur Rogue par exemple. Cependant, il y avait eu cette scène dans la bibliothèque et les yeux d’Harry. Elle respira longuement, ferma les yeux pour se détendre. Elle rouvrit les yeux, pinçant ses lèvres.
— Legilimens ! s’écria le professeur Rogue.
Hermione eut l’impression que son crâne aller exploser. Des souvenirs de son enfance refirent surface. Elle se vit petite fille se faire maltraitée par des enfants de son âge qui lui criaient dessus et ricanaient. Malefoy qui lui avait traité de sang-de-bourbe. Le troll dans les toilettes qui essayait de la tuer.
Tout s’arrêta.
Elle haletait sur sa chaise, le visage livide et en sueur. Devant elle, le professeur Rogue la fixait, la baguette le long de son corps. C’était beaucoup plus difficile qu’elle l’aurait imaginé.
— J’aurais été surpris… voir... inquiet que vous puissiez y arriver du premier coup, Miss Granger, avoua le maître des potions.
— Pardon, professeur, murmura-t-elle, les larmes aux yeux.
Il se remit en position tandis que la jeune fille retrouva une respiration plus sereine. Il prononça à nouveau l’incantation. Hermione se força à ne penser à rien. Pourtant, encore une fois, elle revit des scènes qui lui avaient fait de la peine.
Buck qui se faisait trancher la tête avant bien sûr de se faire sauver par Harry et Hermione grâce au retourneur de temps. Drago qui l’avait touché avec le sortilège de dents longues. Ron qui se moquait d’elle après leur premier cours de sortilège. De nouveau, tout s’arrêta.
— Miss Granger, vous me donnez des armes, concentrez-vous ! fit le professeur d’un ton sec.
— Je sais, professeur, mon dieu, je sais, haleta-t-elle avant de secouer vivement la tête.
Elle ferma à nouveau les yeux, se concentrant pour ne penser à rien, la tête un peu penchée vers l’avant. Elle pouvait y arriver, elle en était certaine. Elle releva la tête et sentit ses lèvres se faire happer. Elle eut la respiration coupée pendant quelques fractions de seconde. Des cheveux noirs lui caressèrent les joues ; un souffle chaud se mélangea au sien. Elle enlaça le cou du directeur de Serpentard ; ce dernier, un genou à terre, posa sa main gauche sur la base du cou de la jeune fille, la main droite tenant fermement sa baguette. Il cessa le baiser aussi brusquement qu’il l’avait commencé, laissant une Hermione légèrement haletante, les joues rougies.
— On essaie encore une fois, murmura-t-il.
Il se releva, prit un peu de distance et brandit de nouveau sa baguette. Hermione était encore sous l’emprise du baiser si soudain qu’elle ne fit même pas attention quand il s’écria pour la troisième fois « Legilimens ».
Le polynectar raté. Elle en chat. Le basilic dans le miroir. Une bibliothèque. Deux bras la bloquant, des yeux émeraude remplis de fureur.
— Non, pensa-t-elle en retrouvant ses esprits. Il ne faut pas qu’il voie cela.
Elle essaya tant bien que mal de faire le vide dans son esprit. Les lunettes rondes si proches du nez de la jeune fille. Ces lèvres happant la sienne dans un baiser forcé. Tout s’arrêta. La jeune fille haleta, lançant un regard interrogateur au professeur Rogue. Celui-ci la considéra un long moment, la main gauche touchant le bout de sa baguette. Il eut un sourire crispé :
— Touchant, commenta-t-il.
Non. Non. Non. Non ! Il n’avait pas tout vu. La jeune fille sentit son estomac se retourner, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Il ne pouvait pas avoir mal interprété. C’était impossible.
— Au moins, j’ai une explication plus plausible de votre retard, cracha-t-il.
Il lui fit volte-face et déposa d’un geste brusque sa baguette sur le bord de son bureau. La jeune fille se leva d’un bond :
— Ce n’est pas ce que vous croyez ! cria-t-elle, la voix hystérique et tremblante. Je vous en prie, professeur.
Des larmes perlant au coin de ses yeux, la jeune fille était sur le point de s’effondre ; ses jambes n’avaient plus la force de la porter. Le professeur Rogue tourna la tête vers elle. Elle eut un hoquet d’horreur en captant son regard. Il était haineux.
— Et qu’est-ce que je crois, Miss Granger ? dit-il d’un ton sec.
— Vous… vous…, balbutia Hermione en prise à la panique.
Cela lui apprendra à ne pas tout lui raconter en arrivant dans son bureau. Elle aurait pu venir ici en pleurant à chaude de larmes, en se collant contre lui pour expliquer ce qu’il s’était passé quelques minutes auparavant. Non, elle avait voulu lui cacher cela, pensant que cela ne pouvait pas l’atteindre ; pensant même que cela pouvait, l’aider à affronter les menaces de Harry. En voulant être trop prudente, elle risquait de tout perdre.
— Expliquez-moi, Miss Granger, ordonna-t-il sans changer de ton.
— Je... je.. , paniqua Hermione.
— Vous allez me sortir que c’était ce qui était convenu, n’est-ce pas ? Que vous bécotiez le premier venu dans mon dos ? cracha-t-il en lui faisant face.
— Non... non... professeur… Je vous en prie, ce n’est pas cela.
Elle pleurait à chaudes larmes. C’était impossible. Ne pouvaient-ils pas passer une seule journée sans se disputer à tout va ? Comment lui expliquer ce qui s’était produit dans la bibliothèque sans attiser encore plus sa colère ? C’était même incroyable ! Avec lui c’était toujours pareil. Quand quelque chose arrivait et que Hermione en était la victime, c’était elle qu’on punissait. Le professeur Rogue lui tourna à nouveau le dos et fit d’un ton de dépit :
— Vous faites ce qui vous chante, je m’en contrefiche. Maintenant, sortez de ce bureau.
— Professeur..., supplia Hermione en réprimant un sanglot.
— SORTEZ ! hurla-t-il en faisant volte-face.
La jeune fille se jeta contre lui, le visage suppliant, ses larmes roulant le long de ses joues, ses yeux remplis de désespoir.
— Harry a essayé de me violer, professeur... sanglota-t-elle sans le quitter du regard. Professeur... je vous en prie. Vous devez me croire… Regardez-moi, je vous en supplie.
Elle lui tint fermement sa robe, sanglotant et priant qu’il comprenne. Ce n’était pas possible. Il ne pouvait pas mal interpréter ce qu’il avait vu. Il devait comprendre.
Il se dégagea d’elle sans la brusquer. Elle leva les yeux. Son visage était impassible, mais ses yeux brillaient encore d’une colère noire. Il lui tourna à nouveau le dos, s’appuyant contre une des étagères et murmura d’une voix qui se voulait calme.
— Sortez, Miss Granger.
Non. Pas maintenant. Il ne pouvait pas la laisser dans un état pareil. Il ne pouvait pas la laisser seule comme cela.
— J’ai fait une erreur en voulant préparer Luna Mula avec vous. J’en paie les conséquences.
— Professeur, conjura Hermione. Je vous en prie...
— Sortez de ce bureau et n’y remettez plus les pieds, Miss Granger.
— PROFESSEUR ROGUE ! s’égosilla la jeune fille.
— MISS GRANGER, SORTEZ IMMÉDIATEMENT DE MON BUREAU ! lança-t-il sur un ton plus fort.
La jeune fille prit peur et s’enfuit en claquant la porte derrière elle. Le professeur Rogue donna un coup de dépit contre le mur avant de s’emparer de sa baguette et de sortir lui aussi du bureau.
Elle courut le plus vite qu’elle le pouvait dans une direction au hasard avant de ralentir et de se laisser glisser le long du mur en sanglotant et en criant. Tout était fini. Elle n’allait plus jamais le revoir. Plus jamais elle n’aura ce moment de complicité, ce moment où elle se sentait si bien contre lui. Plus jamais elle ne se sentirait autant en sécurité avec quelqu’un. Et tout ça à cause de quoi ?...À cause de qui ?...Du survivant. Celui qui défiait celui dont on ne devait pas prononcer le nom. Le garçon qui avait survécu. Celui qui avait décidé qu’Hermione ne devait pas s’amouracher de son professeur tant détesté.
Elle en était certaine maintenant. Le directeur de la maison Serpentard la détestait plus que tout.
Harry Potter reprit conscience, allongé contre le sol à quelques mètres de la bibliothèque. Il porta une main au front tout en se mettant en position assise. Il essaya de se remémorer ce qui s’était produit ici même. Un sourire machiavélique se dessina sur ses lèvres quand il se souvint de la tête désespérée d’Hermione Granger quand il lui avait dit qu’il pouvait faire renvoyer le maître des potions. Il porta ses doigts à ses lèvres. Celles d’Hermione étaient incroyablement douces et sensuelles. Comment un homme aussi misérable et vil que le directeur des Serpentard pouvait avoir ce privilège de les toucher ?
— Bientôt, il ne les touchera plus jamais, pensa le survivant.
Il poussa un rire mesquin. C’était parfait. Comme il le souhaitait. Hermione allait prendre peur, casser la relation laissant derrière elle un Rogue démoralisé. Après tout ce qu’il lui avait fait subir, c’était bien mérité. Il ne méritait que cela.
Le jeune sorcier fit mine de se lever. Il sentit une déflagration et bientôt, il se retrouva collé contre le mur, impossible de bouger, une baguette noire collée contre sa joue droite, une main lui tenant fermement le col de sa robe. Il eut un hoquet d’horreur. Devant lui, le visage ravagé par la colère, une colère qu’il n’avait encore jamais vue chez lui : le professeur Rogue.
— Lâchez-moi, professeur, s’étouffa Harry, incapable de se débattre.
— Oh non, Potter, souffla-t-il, avec un rictus de mépris.
Il appuya sa baguette plus fort sur la joue du survivant. Ce dernier réprima un cri de douleur.
— Je vous avertis, Potter, le sortilège Doloris sera une caresse comparée à ce que je vais vous faire si vous remettiez la main sur Miss Granger, dit-il d’un ton menaçant. Et vous pouvez me faire confiance pour mettre ma menace à exécution.
Le jeune Potter était paralysé par cette peur soudaine que lui donnait son professeur de potions. Il ne l’avait jamais vu dans une telle rage. Au fond de lui, Harry savait qu’il n’hésiterait pas utiliser un sortilège impardonnable sur lui, là, en plein milieu de l’école.
— Ceci est aussi valable si vous la menacez ou si vous dites quoi que ce soit sur la relation que nous avons, ajouta-t-il, les yeux pétillant de fureur. Ai-je été clair ?
Harry essaya d’approuver, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le professeur s’impatienta et accentua encore plus la pression de sa baguette sur le visage du survivant.
— Ai je été clair ? répéta-t-il avec dédain.
— Oui... oui, professeur Rogue, bégaya Harry.
Il le relâcha d’un geste brusque. Le jeune homme tituba quelque peu avant de retomber sur le sol. Le professeur Rogue le toisa de toute sa hauteur :
— Fichez le camp, Potter.
Le jeune homme s’exécuta, récupérant sa baguette au passage. Il courut comme il ne l’avait jamais fait jusqu’à la tour des Gryffondor, la joue engourdie. Il était certain maintenant d’une chose : il le fera renvoyer quoi qu’il lui en coûtera.
Hermione rêvait.
Elle se revoyait en première année. Elle levait la main très haute, espérant que le maître des potions y fasse attention. Il passait devant elle sans la regarder, lâchant son venin sur les autres qui ne répondaient pas à une question qui lui semblait si simple. Elle avait lu tous ses livres de premières années deux mois avant la rentrée. Elle avait dévoré l’histoire de Poudlard et pouvait réciter n’importe quel chapitre du livre des Enchantements, niveau un. Elle faisait ses devoirs avec une telle énergie qu’elle en faisait toujours trop. Deux fois plus de ce que demandait les professeurs et elle écrivait petit. Ses potions étaient toujours parfaites. Elle attendait avec amusement que son professeur la félicite. Mais jamais. Jamais cela ne se produisait. Il jetait un œil à sa potion, acquiesçait et partait vers un élève à critiquer. Elle répondait sans qu’il en donnât l’ordre, dictant avec passion les paragraphes répondant à la question qui ne lui était pas posée. Il la grondait, méprisant son je-sais-tout-isme.
Elle se revoyait en deuxième année, entourant de son gros feutre rouge les heures de cours avec le professeur Lokart. Lui dans le club de duel, se montrait d’un ridicule face au maître des potions qui le toisait de tout son être, le sourire malsain. Et là, la déflagration entre les deux professeurs. Un à terre, cherchant une excuse pour se justifier, l’autre le regardait avec mépris, le visage crispé par la rage et l’envie de lui jeter un sort plus dangereux pour le calmer. Elle, inquiète pour celui qui était à terre, les autres riant de la stupidité de la scène.
Elle se revoyait en troisième année. Elle était assise en défense contre les forces du mal. Elle écoutait le professeur Lupin avec avidité. Quand son tour était arrivé pour l’Epouvantard, elle avait paniqué. L’illusion du professeur McGonagall riait et répétait qu’elle avait eu zéro à ses devoirs. Hermione pleurait. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n’y arrivait pas. Un jour sombre, le professeur Rogue la toisait de son pupitre dans cette même classe. Il la remettait à sa place, insistant bien sur le fait qu’elle répondait toujours aux questions qui ne lui était pas destinée. Il était rempli d’amertume. Comme à chaque fois, aucun de la classe ne semblait vouloir aider la jeune fille.
Elle se revoyait en quatrième année. Elle avait très peur pour le jeune Harry. Les épreuves du tournoi des trois sorciers étaient horribles. Dans la foule, une personne se dessinait un jeune sorcier étranger. Lui tant aimé des autres filles l’avait choisie. Elle se voyait au bras du sorcier dansant à Noël dans sa belle robe pervenche, ses cheveux tenus dans une coiffure stricte. Ces mêmes cheveux qui étaient à l’ordinaire touffus et complètement décoiffés. Elle souriait. Elle était belle et élégante.
Elle se revoyait en cinquième année. À l’aube de ses seize ans. Elle était impatiente et anxieuse à la fois de commencer cette année. L’année la plus importante du cycle. L’année des BUSE. Elle voulait étudier sans relâche pour obtenir le maximum de Optimal. Elle voulait être la meilleure. Montrer que les enfants de moldus pouvaient être aussi doués que les enfants de sorciers. Elle se voyait assise sur un escalier. Puis, énervée, devant la Grosse Dame. Une lumière. Une baguette. Un visage narquois. Un cachot. Un chaudron. Une potion. Des ingrédients. Une élève. Un professeur. Un toucher délicat. Une odeur. Une sécurité. Un baiser.
Comment pouvait-elle l’aimer ?
Quand Hermione Granger ouvrit les yeux, elle se trouvait dans le couloir où elle s’était assise pour laisser échapper sa peine et ses larmes.
À l’exception près que deux bras puissants lui enlaçaient la taille.
À l’exception près qu’un menton était posé sur son épaule droite.
À l’exception près que son visage était contre un autre, plus terne.
À l’exception près qu’elle sentait une odeur si familière et que des cheveux noirs lui balayaient le visage.
À l’exception près qu’elle sentait un souffle apaisant sur sa nuque.
À l’exception près qu’elle ne voulait plus pleurer, plus crier, plus bouger.
À l’exception près qu’elle comprit enfin ce que voulait dire « aimer ».