Filament de lune

Harry se rongeait les ongles, nerveux. Il faisait les cent pas devant l’infirmerie depuis plus d’une heure, maintenant. Que faisait donc Mrs Pomfresh ? Exaspéré, il donna un violent coup de pied dans l’un des battants de la porte. Presque aussitôt, celle-ci s’ouvrit sur Mrs Pomfresh, sourcils froncés.

- C’est vous qui faites tout ce bruit, Mr. Potter ?

- Excusez-moi Mrs Pomfresh, s’empourpra-t-il. Mais ça fait déjà une heure que j’attends et…

Devant l’expression contrite de Harry, Mrs Pomfresh se fendit d’un sourire compatissant.

- L’examen a été plus long que prévu.

- Comment va-t-il ?

Mrs Pomfresh grimaça d’une manière qui n’annonçait rien de bon.

- Entrez, et jugez donc par vous-même…

L’infirmière lui fit traverser la salle, jalonnée de lits inoccupés, et le guida jusqu’au fond du dortoir. Là, derrière un paravent, une silhouette familière était étendue, inerte.

- Ron…

Harry se mordit la lèvre. Ron était allongé sur le dos, les yeux ouverts, le regard vague, perdu dans la contemplation du plafond. Harry approcha un tabouret de son lit et s’assit auprès de son ami. Il lui tapota le bras affectueusement.

- Alors, mon vieux ? Comment ça va ?, murmura-t-il d’un ton qui se voulait léger.

Mais Ron demeura silencieux. Harry eût beau déployer des trésors d’imagination pour sortir son ami de sa torpeur, rien n’y fit. Ni le Quidditch, ni la boutique Zonko, ni les nouvelles du Terrier ne semblaient l’intéresser.

- Ecoute Ron, il faut que tu me dises ce qui s’est passé. Je ne peux pas t’aider si tu persistes à te taire. Tu as été attaqué par quelqu’un ?

En entendant la voix de Harry tendue par l’inquiétude, Ron esquissa un faible hochement de tête. Non, personne ne l’avait attaqué. Pas directement, du moins…

De guerre lasse, Harry prit congé de son ami en lui promettant de revenir bientôt.

A la porte de l’infirmerie, Harry se heurta à Hermione. Elle avait l’air inquiet. Le souffle court, elle s’était visiblement dépêchée de venir jusqu’ici. Ils se mesurèrent du regard un moment, silencieusement. Hermione fût la première à baisser les yeux.

- Comment va-t-il ?, s’enquit-elle d’une voix à peine audible.

La mâchoire crispée, Harry ne savait que répondre.

- Il ne va pas bien. Pas bien du tout, finit-il par dire.

- Et tu sais ce qui s’est passé ?

- Non. Il refuse de prononcer le moindre mot. Il se contente de regarder dans le vague. Il a l’air… sous le choc. Mais je ne sais pas pourquoi, pesta-t-il, en enfonçant rageusement les mains dans ses poches.

Perdue, Hermione réfléchissait intensément.

- Enfin réfléchis, Harry ! Il a bien dû dire quelque chose ! Il a été attaqué ? On lui a fait du mal ? Réponds, enfin ! Il a bien dû se passer quelque chose, non ? On ne se plonge pas comme ça, d’un coup, dans le mutisme le plus total !

Elle criait presque, à présent. Hermione parut s’en apercevoir d’elle-même car elle soupira d’un air las, se passa la main sur le front pour se recomposer une attitude plus digne et reprit finalement d’une voix plus posée :

- C’est toi qui l’as amené ici ?

- Non, c’est Ginny. Elle sortait du cours de Flitwick quand elle l’a trouvé, à moitié inconscient dans un couloir, pas loin de la Tour d’Astronomie.

Le cœur d’Hermione rata un battement.

- Pas loin de la Tour d’Astronomie ?

- Ouais. On avait cours de Divination mais il était en retard à cause du professeur McGonagall…

Prise de vertige, Hermione déglutit avec difficulté, tentant de contrôler son angoisse, mais son trouble n’échappa nullement à Harry.

- Il n’a rien dit à Ginny ?, demanda-t-elle en baissant les yeux.

- Il a juste marmonné un truc du genre : « Tout a tellement changé ». Et puis plus rien.

Hermione étouffa un cri.

- Oh, Ron…

Elle venait de comprendre, et la seule pensée que Ron ait pu la surprendre avec Malefoy la catastrophait. Elle releva la tête, pleine d’espoir.

- Tu crois que je peux le voir ?

Harry hocha la tête.

- Nan, il a besoin de se reposer. Et puis… je ne sais pas si c’est une bonne idée que toi, tu ailles le voir. Etant donné la situation entre vous ces derniers temps, je pense que ta présence… Enfin… Tu comprends ?

Elle acquiesça.

- Tu as sans doute raison.

Un silence gêné s’ensuivit. Hermione détaillait obstinément le bout de ses chaussures, tandis qu’Harry fixait résolument la porte de l’infirmerie, s’attendant à voir Ron la franchir, un léger sourire aux lèvres, comme s’il leur avait simplement fait une mauvaise blague. Mais la porte demeura désespérément close. Finalement, Harry se décida à rompre le silence.

- Je vais aller retrouver Ginny pour lui donner des nouvelles de Ron. On se voit ce soir au dîner ?

- D’accord…

Harry descendait déjà les escaliers quand Hermione le rappela d’une voix tremblante.

- Harry ?

Il tourna la tête. Hermione avait une expression inhabituellement grave sur le visage.

- Il faut que je te parle de quelque chose… Je crois savoir pourquoi Ron… Pourquoi il est dans cet état.

* * *

Pendant ce temps, dans son lit, Ron repensait aux événements de l’après-midi. Il n’arrivait pas à chasser de son esprit l’image de Malefoy posant ses mains sur Hermione… Sa Hermione ! Il se sentait trahi. Si elle s’était entichée de quelqu’un d’autre, il aurait été jaloux bien sûr, comme toujours… Mais Malefoy ! C’était inconcevable. Même s’il n’avait pas été l’adversaire direct de Harry, Ron savait qu’il aurait détesté Malefoy de la même manière. Son air suffisant, cette perpétuelle arrogance, cette attitude dédaigneuse qu’il adoptait sans cesse en prenant tout le monde de haut… Ron l’avait en horreur.

D’un autre côté, il revit en pensée le sourire radieux d’Hermione, les étoiles qui dansaient dans ses yeux, son air extatique. A bien y réfléchir, il ne l’avait jamais vu aussi heureuse, pas même au bras de ce bellâtre de Krum. Et pourtant, Krum pouvait se vanter de l’avoir fait sourire, Hermione. Mais c’était bien différent cette fois…

Retournant la situation dans tous les sens, Ron s’aperçut que, tout compte fait, le plus important pour lui, c’était de la voir heureuse, elle. Pas lui. Elle.

Un doux sourire se dessina sur son visage. Peu importait qu’il souffre en silence, si Hermione avait trouvé le bonheur, il devait le respecter. Et tant pis si l’envie lui prenait encore d’utiliser une potion d’Enflure sur Malefoy. Si Hermione l’avait choisi… Il n’avait plus qu’à s’incliner. Tout ce que Ron voulait, à présent, c’était laisser la douleur s’apaiser, peu à peu… Qu’elle s’évanouisse avec le temps. Et que Hermione et lui retrouvent leur ancienne complicité. Ça serait long, bien sûr.

Mais le reste avait bien peu d’importance, en fin de compte…

* * *

- QUOI ?????

Harry était rouge de colère. Heureusement, personne ne pouvait l’entendre alentour : prévoyant sa réaction, Hermione avait convoqué la Salle sur Demande et l’y avait poussé à l’intérieur. Les traits déformés par la rage, Harry fixait Hermione, avec une forte envie de la gifler. Il serrait si fort les poings que ses phalanges étaient devenues blanches.

- Je comprends ta réaction, Harry… Mais…

- TU COMPRENDS ?!

Il donna un violent coup de pied dans une boîte en carton remplit de fioles brisées qui se répandirent sur le sol. Hermione sursauta, décontenancée par la réaction si violente de son ami.

- Mais tu devais bien avoir remarqué que…, bredouilla-t-elle.

- Que tu flirtais avec lui ?, cracha-t-il avec dégoût. Oh, ça oui ! Mais j’étais loin d’imaginer que c’était sérieux entre vous ! Je veux dire, comment aurais-je pu penser que toi et lui… Réellement ? !

Il avait les yeux exorbités, lui donnant l’air un peu fou, comme si commenter l’éventualité d’une telle relation entre sa meilleure amie et son ennemi de toujours le révulsait plus que tout.

- Harry, je suis désolée. Tout ça est arrivé très vite, et je… Honnêtement je ne pensais pas que Drago et moi…

- Drago Malefoy est une vermine de la pire espèce, et je pensais que tu le savais, Hermione, susurra Harry, la mâchoire crispée. C’est pour ça que je n’ai rien dit.

- Non, tu te trompes. Drago a changé. Il a changé… pour moi, ajouta-t-elle timidement.

Harry observa un moment de silence, agacé. Il respirait bruyamment, tentant de reprendre le dessus.

- Je n’y crois pas, dit-il finalement en secouant obstinément la tête.

- C’est pourtant le cas, murmura Hermione d’une toute petite voix. Il a beau être ton ennemi… Tu ne le connais pas. Tu ne sais rien de lui.

Harry afficha une moue dubitative. Le sang battait encore à ses tempes, quoique plus faiblement.

- Toi non plus, Hermione. Mais soit !, coupa-t-il en voyant la jeune fille ouvrir la bouche pour protester. Je t’accorde le bénéfice du doute tant qu’on n’en sait pas plus sur ses véritables intentions à ton égard.

- Merci…, murmura-t-elle d’un air reconnaissant.

- Ça ne veut pas dire que j’approuve, ou que je fais confiance à Malefoy, tempéra Harry d’un air sévère. Mais j’ai toujours eu confiance en toi.

Harry esquissa une grimace qui se voulait être un sourire, mais qui en était encore trop éloigné pour rassurer complètement Hermione.

- Merci, Harry. Je sais que tout ça paraît complètement fou, et inattendu. J’en suis la première surprise ! Mais je suis certaine de ne pas me tromper à propos de Drago.

- J’espère que tu as raison, Hermione. Sincèrement. Mais ça ne résout pas le problème pour autant, poursuivit Harry. Si Ron vous a vu…

Harry baissa les bras, impuissant, et franchement énervé par la situation. Hermione, quant à elle, se cacha le visage dans les mains, désemparée. Elle n’avait pas voulu que les choses tournent ainsi. Elle avait voulu se venger de Ron, bien sûr, et lui faire payer son éternelle désinvolture quand il s’agissait d’elle… Mais jamais elle n’avait souhaité le faire souffrir. Désormais, bien contre son gré, le mal était fait. Et maintenant, même si ses sentiments avaient quelque peu changés, Hermione donnerait tout pour que Ron lui reparle à nouveau. Mais lui pardonnerait-il un jour ?

Rien n’était moins sûr…