Filament de lune

Chapitre 6 : Casu Consulto

2449 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/05/2020 11:30

Le soleil avait finalement transpercé l’épais brouillard qui cernait le château depuis quelques jours, faisant scintiller l’épais manteau de neige qui recouvrait maintenant le parc. Ce mois de Décembre s’annonçait décidément plein de promesses.

L’après-midi touchait à sa fin, mais le soleil déclinant à l’ouest s’alanguissait dans le ciel hivernal tel un ruban de soie pourpre, embrasant farouchement les nuages épars d’une teinte rouge sang. Le professeur Trelawney y aurait peut-être vu un quelconque signe mystique, pensa Hermione en souriant. Mais, pour l’heure, elle savourait un moment de détente bien mérité en compagnie de Drago, en s’exhortant à ne pas se poser trop de questions.

Elle aimait la sensation du vent qui jouait dans ses cheveux, les faisant virevolter au-dessus de sa tête telle une auréole vaporeuse. Drago, lui, fixait l’horizon. Son visage semblait plus pâle encore que d’habitude, au milieu de tout ce blanc. Ils marchaient en silence, main dans la main, perdus dans leurs pensées, indifférents à l’écho de leurs pas qui crissaient en s’enfonçant dans le tapis neigeux. Parvenus à proximité d’un bosquet en bordure du lac, Drago fit halte tout à coup.

- On s’assoit un peu ?, proposa-t-il.

- Si tu veux, acquiesça Hermione.

Ils prirent place au pied d’un grand saule – aucun risque majeur avec celui-ci, semblait-il – sur une grosse racine qui affleurait du sol, et se serrèrent l’un contre l’autre pour se tenir chaud, tout en regardant en direction du terrain de Quidditch, dont on apercevait les buts haut perchés et leurs anneaux dorés. Au bout d’un moment, Hermione brisa le silence qui s’était installé entre eux depuis qu’ils avaient quitté l’école.

- Alors ? Qu’avais-tu à me dire de si important, finalement ?

Drago évitait son regard. Il ramassa un caillou à ses pieds et commença à le triturer.

- Je ne sais pas si c’est une bonne idée de t’en parler, tout compte fait…

- Tu as peur de quoi ? Que je sois vexée ou que je me mette en colère, peut-être ?

- Peut-être, oui, insinua-t-il.

- Eh bien, sois tranquille sur ce point, le rassura Hermione, qui commençait à s’alarmer. Je n’aurais pas la moindre réaction, d’accord ? Je te le promets. Tu sais que tu peux tout me dire, Drago, n’est-ce pas ?

Drago eût un sourire amusé.

- Je n’ai pas dis que je ne voulais pas que tu réagisses. Je pense seulement que…

- Drago, crache le morceau !, le coupa-t-elle abruptement.

Hermione rougit de son emportement, mais ne lâcha pas son compagnon du regard. Drago prit un air résigné.

- D’accord. Tu veux vraiment savoir ?

La question était purement rhétorique, mais il se leva et s’approcha de la rive, en prenant soin de tourner le dos à Hermione.

- Je n’apprécie pas que tu traînes avec ce vaurien de Weasley.

Il avait dit ça de façon incisive et, comme pour souligner sa colère, il lança violemment le caillou qu’il avait à la main en direction du lac, qui fit plusieurs ricochets à la surface de l’eau. Hermione s’était levée à son tour, perplexe, mais contint sa réaction. Ne lui avait-elle pas promis de rester de marbre ?

- Mais enfin, Ron est mon ami, plaida-t-elle calmement. Je ne pensais pas que ça te poserait problème…

- Peut-être que si, en fin de compte.

Quelques pas derrière lui, Hermione tâchait de trouver un sens aux paroles de Drago.

- Dans ce cas, si je te suis bien, avança-t-elle prudemment, je devrais cesser de fréquenter Harry aussi ?

- Non pas que ça me plaise que tu traînes avec Sa Majesté Potter, railla-t-il entre ses dents serrées. Mais c’est différent…

En lui tournant toujours le dos, il prit une profonde inspiration.

- Il n’est pas amoureux de toi, lui, lâcha-t-il nerveusement.

Hermione ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Elle avait du mal à y croire : Drago Malefoy, jaloux de Ron Weasley ? C’était à mourir de rire ! En d’autres circonstances, elle en aurait sûrement eu mal aux côtes. Mais Drago avait l’air franchement peiné. Elle jugea préférable de ne pas le tourner en dérision et, au lieu de se moquer de lui, elle vint passer les bras autour de sa taille et appuyer sa tête contre son dos.

- Tu n’as rien à craindre de Ron, tu sais… Il n’est pas…

Elle marqua une pause.

- …amoureux de moi.

Drago eût un rire amer.

- Que tu dis ! J’ai bien vu comment il te regarde… Avec cet air ahuri collé sur le visage en permanence ! On dirait une chouette prise en flagrant délit de détournement de courrier !

Dans son dos, Hermione se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire.

- Tu veux que j’arrête de voir mes amis, donc ?, murmura-t-elle à brûle-pourpoint.

- Mais non ! Non ! Bien sûr que non…

Il se retourna et la prit dans ses bras.

- Je voudrais juste que tu passes moins de temps avec lui… et davantage avec moi.

- Ça risque d’être difficile, tu sais. Moi à Gryffondor, toi à Serpentard… Entre les cours, les devoirs, les vacances bientôt… Ça ne nous laisse pas beaucoup le loisir de nous voir.

- Justement…

Drago l’écarta de lui, la tint par les épaules et planta son regard dans le sien, avec cet air sérieux qu’elle n’aimait pas. Celui d’avant.

- Si je pouvais venir te rejoindre à la Salle Commune… ou ailleurs dans la Tour de Gryffondor, insinua-t-il.

Hermione avala de travers. Elle le dévisagea quelques instants, ahurie.

- Tu… Tu veux que je te révèle notre mot de passe, c’est ça ?

Il se mordit la lèvre, mais hocha finalement la tête avec un petit sourire. Elle se dégagea alors de son emprise et recula de quelques pas, méfiante.

- Je ne suis pas censée te donner ce genre d’information, Drago, tu le sais bien, se défendit-elle. C’est interdit par le règlement !

- Comment tu crois que font les autres couples, ici ?, s’enquit-il avec une moue dédaigneuse.

- Ils vont dans la…

Elle eût un moment d’hésitation.

- Dans une salle… quelconque, se rattrapa-t-elle.

- Tu veux parler de la Salle sur Demande ? Laisse-moi rire !, se moqua Drago avec mépris.

Hermione releva la tête vers lui, à la fois soulagée et déconcertée.

- Tu la connais ?

- Entre autres choses, oui, se vanta-t-il. Potter et toi n’êtes pas les seuls à connaître les petits coins secrets de Poudlard. Mais ça n’a pas d’importance !

Il agita la main pour changer de sujet, et se rapprocha d’Hermione pour l’enlacer, un sourire angélique sur le visage.

- Ce serait tellement plus simple si je pouvais…

- Je ne sais pas, Drago !

Hermione se déroba à son étreinte. Elle avait l’air paniquée tout à coup.

- J’ignore si… Je ne sais pas… Ce n’est pas…

Elle agitait les bras en tous sens, comme si elle allait trouver une réponse à ses questions en gesticulant de la sorte. Drago se referma comme une huître.

- Dois-je comprendre que tu ne veux pas que l’on passe davantage de temps ensemble ?, demanda-t-il durement.

- Je n’ai pas dit ça, souffla-t-elle, le front plissé par la concentration. Je…

- Laisse tomber. J’ai compris.

Déjà, Drago se détournait d’elle et prenait la direction du château à grandes enjambées, adoptant l’attitude un rien dramatique de quelqu’un qui vient de subir un insupportable affront. Hermione, complètement perdue, couru spontanément après lui et, parvenue à sa hauteur, se cramponna à son bras pour le stopper.

- Attends !

Elle se planta devant lui, le souffle court, en essayant de rassembler ses idées. Drago, vexé, continuait de regarder au loin comme si elle n’était pas là.

- Tu sais bien que ça n’a rien à voir avec toi, plaida-t-elle d’un air plaintif.

Vraiment ? N’éprouvait-elle pas, en ce moment même, une certaine forme de défiance à son égard ? Ses yeux suivirent la ligne dure de sa mâchoire crispée, l’arrête de son nez aquilin, le galbe de ses pommettes boudeuses, la moue indignée de ses lèvres pincées… Ils remontèrent jusqu’à ses yeux à l’éclat glacial dans lesquels, cela lui pinça le cœur, Hermione discerna une réelle souffrance.

- Je… Je vais te le dire.

- Vraiment ?

Le ressentiment de Drago parut se dissoudre instantanément, remplacé par une sorte d’ébahissement. Il haussait les sourcils à présent, comme si, tout compte fait, il n’avait jamais vraiment envisagé qu’elle accède à sa requête. Mais Hermione hocha la tête pour confirmer sa décision.

- Oui. Le mot de passe, c’est…

Elle marqua encore une pause, tiraillée par ses sentiments contradictoires. Mais devant le regard plein d’espoir de Drago, elle capitula pour de bon.

- Casu consulto.

- Casu consulto ?

Elle hocha de nouveau la tête, en tremblant nerveusement. Attendri, Drago la pris dans ses bras et embrassa ses cheveux.

- Merci, ma douce, souffla-t-il entre ses mèches rebelles.

Il la berça un moment dans ses bras, tandis que le soleil disparaissait complètement derrière les frondaisons de la Forêt Interdite.

- Mais j’y pense, fit-il comme s’il venait juste de se souvenir d’un détail important. Comment ferais-je pour… localiser ta chambre ?

Cette fois, Hermione éclata de rire, amusée.

- Eh bien… Je suppose que c’est comme chez vous, à Serpentard.

Drago secoua la tête, sceptique.

- Ça m’étonnerait beaucoup. Rappelle-toi : vous êtes dans une tour, et nous sommes dans les cachots. Ça n’est absolument pas la même disposition.

- Dans ce cas…

Elle s’accroupit dans la neige et, du bout de sa baguette, commença à tracer le plan de la Salle Commune dans l’épaisse couche opaline, en ponctuant son schéma d’explications.

- Alors tu vois, ici, c’est la Salle Commune, dans laquelle tu arrives par ce corridor, après avoir franchi le portrait de la Grosse Dame. Là, c’est la cheminée. Là, les deux escaliers menant aux dortoirs.

- Ils sont face à face ?

- Oui, quasiment.

- Weasley dort presque à côté de toi, alors ? fit remarquer Drago d’une voix boudeuse.

La vision de Ron dans son pyjama à rayures et son vieux pull distendu s’imposa à Hermione, et elle ne put s’empêcher de rire.

- Tu trouves ça drôle ?, demanda Malefoy d’un air bougon.

- Oui, un peu, admit-elle d’un ton badin. Mais rassure-toi, les garçons ne viennent jamais dans notre dortoir, c’est un principe.

Elle poursuivit son dessin, en détaillant le dortoir des filles dans lequel elle dormait.

- Là, le dortoir en rotonde. Nous sommes cinq par chambre. Mon lit est juste ici, tu vois ? Près de la seconde fenêtre.

- Les chambres sont toutes organisées de la même façon ?

- Oui, oui. Un lit entre chaque fenêtre.

- Même chez les garçons ?, questionna Drago d’un ton espiègle.

Hermione haussa les sourcils.

- Tu comptes leur rendre visite à eux aussi, sans doute ?, s’enquit-elle, amusée.

Drago partit d’un grand éclat de rire.

- Bien sûr que non ! Je me renseigne, c’est tout…

Hermione fronça les sourcils en rassemblant ses souvenirs.

- D’après ce que je sais, c’est exactement pareil chez les garçons. Je n’y ai été qu’une fois, s’empressa d’expliquer la jeune fille en rougissant légèrement, mais je sais que La Tour de Gryffondor est organisée de façon symétrique, comme un miroir. Tu vois ? De toute façon, le plus simple, c’est de se retrouver dans la Salle Commune.

Elle rougissait toujours mais, cette fois-ci, c’était l’évocation de Drago se glissant entre les rideaux de son lit à baldaquins au beau milieu de la nuit qui l’émouvait sérieusement.

Ils continuèrent à deviser un moment, riant de temps à autres, se taquinant gentiment. Il faisait presque nuit à présent. Un peu plus haut, sur le sentier, Hermione aperçut Harry et Ron qui revenaient de leur entraînement de Quidditch, leur balai sur l’épaule, le sourire aux lèvres. Ils la virent eux aussi et, à la vue de Malefoy, ils hâtèrent le pas, visiblement pressés de rentrer au château afin de ne pas avoir à les croiser ensemble. Hermione observa que Ron eut l’air dépité tout à coup, et elle se sentit un peu coupable malgré elle. N’avait-elle pas décrété qu’elle irait à la bibliothèque coûte que coûte, tout à l’heure ? Au lieu de cela, elle batifolait dans le parc depuis plus d’une heure en compagnie de Drago. Elle se releva en époussetant sa robe.

- Si on rentrait ? Il commence à faire froid, dit-elle en frissonnant.

- Ok.

Ils reprirent le chemin du château, étroitement enlacés, en prenant garde de laisser Harry et Ron prendre une bonne longueur d’avance.

- Tu viendras me voir cette nuit ?, s’enquit soudain Hermione d’une toute petite voix.

- On verra…

Si Hermione avait levé la tête à cet instant, elle aurait sans doute compris – mais bien trop tard – que Drago avait une idée derrière la tête qui dépassait de loin le cadre de tendres roucoulades sous la lune. Il affichait alors un curieux sourire de travers, avec dans le regard cet éclat de méchanceté qu’il n’avait pas eu depuis un certain temps. Un sourire et un regard qui en disaient long, très long

Mais, hélas, Hermione ne releva pas la tête.

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