Filament de lune

Chapitre 11 : Une valse en hiver

4763 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/05/2020 11:51

Dés lors qu’ils eurent franchi la porte du Terrier, les quatre adolescents se sentirent renaître. Et la douce chaleur qui leur caressa le visage dès le seuil, le délicieux fumet qui flottait dans l’air et le sourire bienveillant de Mrs Weasley, achevèrent de les réconforter. Enfin, ils étaient à la maison.

_ Bienvenue à vous les enfants !, les accueillit la maîtresse de maison avec bonne humeur.

_ Home sweet home !, s’exclama Ron, rayonnant, en déposant son sac dans un coin.

_ Bonjour ma chérie, dit Mrs Weasley en embrassant Ginny sur chaque joue, tu vas bien ? Oh, Ron ! Nom d’une chimère, tu as encore grandit!, se récria-t-elle en ébouriffant tendrement les cheveux de son fils.

_ Bonjour, M’man, marmonna Ron en se dégageant doucement de l’emprise de sa mère.

_ Harry, mon chéri ! Comment vas-tu ? Tu dors bien, ces derniers temps ? Tu manges suffisamment ? On ne dirait pas, à en juger par ta silhouette… Tu es maigre comme un clou ! Tu n’as pas reçu de menaces au moins ?, s’inquiéta Mrs Weasley en le serrant dans ses bras.

_ Non, non. Rassurez-vous, tout va bien, répondit Harry avec un sourire reconnaissant. Pas de catastrophe en vue ! Et je mange largement à ma faim, rassurez-vous.

Mrs Weasley s’était toujours montrée très prévenante à son égard, et Harry en était profondément touché. Il trouvait quelque réconfort dans ces attentions toutes maternelles. Il n’avait donc nullement l’intention de troubler leurs retrouvailles en la mettant au courant de « l’affaire Malefoy ».

_ Hermione ! Tu es venue, finalement !

Mrs Weasley s’était tournée vers la jeune fille, l’air ravi. Mais son sourire s’évanouit lorsqu’elle nota la pâleur extrême de Hermione. Elle s’approcha d’elle pour l’observer de plus près et lui prit délicatement le visage dans ses mains.

_ Tu n’as pas bonne mine, ma chérie. Pas bonne mine du tout, déclara Mrs Weasley en secouant la tête d’un air préoccupé. Quelque chose te tracasse ?

Hermione ouvrit la bouche pour répondre, embarrassée, mais Ron, occupé à jouer avec une orange qu’il avait chipé dans une coupe de fruits sur la table, la devança.

_ Les profs nous ont mis la pression ces dernières semaines, Maman. On est tous crevés. Et puis, tu connais Hermione, dit-il en adressant un clin d’œil moqueur à celle-ci, qui lui adressa un sourire reconnaissant. Il faut toujours qu’elle en fasse trop pour épater la galerie.

_ Je vois, acquiesça Mme Weasley, l’air grave. Je veux que tu profites de ton séjour pour te reposer, Hermione, c’est compris ? Et c’est valable pour vous tous, prévint-elle en se tournant vers les autres.

_ Mais c’est bien mon intention !, répliqua Ron, enchanté.

_ Ne crois pas pour autant que tu vas te tourner les pouces, Ronald Bilius Weasley, gronda sa mère en guise d’avertissement.

_ Merci, Mrs Weasley, dit Hermione, touchée de sa sollicitude.

_ Ce n’est rien, ma chérie. Bien ! Maintenant, montez vos affaires. Harry, mon chéri, tu partageras la chambre de Ron, comme d’habitude.

_ Personnellement, je ne sais pas si j’appellerais ça une chambre…, murmura Ron entre ses dents tout en hissant son sac sur son dos.

Mrs Weasley, qui l’avait parfaitement entendu, lui lança un regard noir, tandis que Harry réprimait un sourire à l’évocation du grenier dans lequel Ron et lui avaient d’ordinaire leurs quartiers d’été.

_ Les filles, indiqua-t-elle à Hermione et Ginny, vous savez où vous installer. Ginny, chérie, vérifie avant de toucher quoi que ce soit que tes frères n’ont rien caché d’anormal sous les meubles, d’accord ?

_ Euh… D’accord, acquiesça Ginny en échangeant un regard intrigué avec Hermione, avant de se diriger vers les escaliers.

_ Les jumeaux ne sont pas là ?, s’enquit Ron, vaguement surpris.

_ Fred et George n’arrivent que dans quelques jours. Avec les fêtes de Noël, ils ont à faire à la boutique. C’est fou de voir à quel point les enfants semblent enthousiastes à la perspective de gâcher le réveillon de leurs parents grâce aux horribles inventions de tes frères, souligna Mrs Weasley avec une moue désapprobatrice. Le dîner devrait être prêt d’ici une petite demi-heure. J’espère que ton père sera rentré, glissa-t-elle à Ron. Il passe ses nuits au bureau ces derniers temps.

Ron ne fut nullement surpris de cette information. La montée en puissance de Voldemort entraînait depuis plusieurs mois déjà des troubles sans précédents dans le monde de la magie, et la frontière – fragile – avec celui des moldus ne cessait d’être franchie. Le Service des Détournements de l’Artisanat Moldu était constamment sur le pied de guerre, occupé à rétablir la situation ici et là, aux quatre coins du pays… et ailleurs. Même si le Ministère de la magie, dorénavant dirigé par Rufus Scrimgeour, cherchait à dissimuler les causes réelles de la recrudescence des fraudes en matière d’utilisation de la magie face aux moldus, l’Ordre du Phénix, lui, n’était pas dupe. Avec Kingsley Shacklebolt et Arthur Weasley dans la place, les membres de l’Ordre étaient bien renseignés et étaient même parvenus à créer un lien entre les récentes incursions dans le monde moldu et des réunions de personnes douteuses sur les lieux des incidents, dont certaines s’avéraient être des Mangemorts reconnus. La raison de telles incursions restait encore à déterminer, mais le fait qu’elles aient un rapport direct avec Voldemort était indéniable. Shacklebolt avait tenté de présenter une liste de suspects très probables à Scrimgeour, mais celui-ci n’était pas encore prêt à l’entendre. En conséquence, le surplus de travail devait être difficile à gérer au Ministère, d’autant que les jeunes recrues n’étaient pas encore assez expérimentées pour régler seules les problèmes les plus importants. De fait, les anciens du service tels Arthur Weasley étaient plus que jamais sollicités.

Ron n’avait guère de mal à imaginer les nuits d’angoisse qu’avait passé sa mère, et celles qui l’attendaient encore… Mais il ne pouvait, hélas, rien y faire… Pour le moment du moins. Il haussa les épaules pour chasser ces sombres pensées de son esprit et prit la direction du dernier étage de la maison à la suite de ses compagnons.


Harry s’affala sur le lit qui lui avait été réservé, non loin de celui de Ron. D’où il était, il pouvait contempler les étoiles par la fenêtre du grenier. Il soupira d’aise.

_ Je suis vraiment content d’être là, Ron. Tu n’as même pas idée !, déclara Harry, aux anges.

Son ami sourit d’un air entendu.

_ Je vois ça ! Et moi, je suis content que vous soyez là, Hermione et toi. Cette maison est aussi la vôtre, tu le sais bien.

_ Oui. Et je ne pourrais jamais assez vous remercier, ta famille et toi, répliqua Harry. Je me sens vraiment chez moi, ici, et… C’est relativement nouveau, pour moi, tu sais, de… De me sentir… bien, quelque part. Enfin… Tu vois ? C’est grâce à vous, et je vous en suis très reconnaissant, crois-moi.

_ On est amis ou on ne l’est pas, non ?, fit remarquer Ron, d’un air bourru pour masquer son émotion. Tu ne nous dois rien, Harry, ok ?

Harry hocha la tête, l’air franchement heureux, et entreprit de défaire sa valise. Ron, de son côté, déblayait l’espace autour de son lit, cerné de divers cartons et autres boîtes remplies des inventions ratées des jumeaux qui s’entassaient là depuis le mois de juillet. Mais Ron n’avait pas vraiment la tête à ce qu’il faisait. Une question le hantait, et il ne parvenait pas à s’y soustraire. N’y tenant plus, il orienta la conversation vers le sujet qui lui tenait tant à cœur.

_ Tu crois qu’elle va mettre longtemps à l’oublier ?

Harry, surpris, releva la tête de sa valise et considéra Ron, qui lui tournait le dos, d’un air interrogateur.

_ De qui tu parles ?, s’enquit-il.

_ Hermione.

_ Ah…

_ Quoi ?, demanda Ron d’un air abrupt en se tournant brusquement vers Harry, les oreilles rouges.

_ Rien, rien… Continue, l’invita nonchalamment Harry en replongeant dans les profondeurs de sa valise.

Ron se pencha au-dessus d’un carton éventré d’où émergeaient d’étranges toupies multicolores surmontées d’une hélice brillante, et entreprit de les transvaser dans un emballage plus sûr.

_ Tu crois qu’elle va mettre longtemps à oublier… Enfin, tu sais de qui je veux parler ?, demanda Ron, évasif.

_ Tu sais, Ron, je ne crois pas qu’Hermione ait eu de réels sentiments pour Malefoy, répondit Harry d’un air évasif. Et puis, leur histoire n’a pas duré bien longtemps. Alors…

_ Mais ça la travaille !, objecta Ron. Tu ne vois pas comme elle est pensive ces derniers temps ? Je suis sûr qu’elle regrette que ça se soit terminé entre eux, dit-il d’un ton amer. Elle aurait sans doute préféré ne jamais avoir à découvrir que c’était un salaud…

_ Et moi je suis certain qu’elle n’en a rien à faire. Pour elle, c’est de l’histoire ancienne. La seule chose à laquelle elle pense activement en ce moment, c’est au meilleur moyen de récupérer la cape de mon père et la Carte du Maraudeur. Et, accessoirement, de se venger de Malefoy.

Mais Ron n’était toujours pas convaincu.

_ Non, il y a autre chose. Elle est vraiment bizarre en ce moment, ajouta-t-il, faisant toujours mine de ranger le fatras qui le séparait de son lit.

_ Je croyais qu’elle l’était depuis toujours ?, fit remarquer Harry, amusé.

Il s’était calé confortablement contre un oreiller, et observait Ron depuis l’autre bout de la pièce, étendu comme un pacha.

_ Oui, c’est vrai, admit Ron avec un sourire. Mais là, elle se comporte de façon étrange avec nous…

_ Ah, non mon vieux ! Elle n’est bizarre qu’avec toi, assura Harry, satisfait de la tournure que prenait la conversation.

_ Ouais, peut-être, mais c’est bien la preuve qu’elle s’en veut de penser encore à Malefoy, non ?

Harry s’étira sur son lit en soupirant.

_ Combien de fois faudra-t-il te le répéter, Ron ? Hermione se fiche complètement de Malefoy. En fait… Elle n’est sortie avec lui que pour te rendre jaloux !

Ron fit volte-face, surpris. Harry affichait un large sourire, assez content de lui.

_ Tu te fiches de moi ?

_ Il n’y a que toi pour ne pas avoir vu ça, se moqua Harry. Hermione en avait assez que tu ne fasses pas assez attention à elle. Alors elle a simplement décidé de se désintéresser de toi pour s’intéresser à un autre. Du coup, maintenant, c’est toi qui es obsédé par elle. C’est assez ironique, tu ne trouves pas ?

Ron parut désorienté. Il ne comprenait pas bien la logique d’une telle manœuvre. Mais après tout, c’était bien le genre des filles, et d’Hermione en particulier, de faire quelque chose dans ce goût-là. Alors, soit. Mais ce qu’il n’arrivait pas à saisir, c’était la distance qu’elle semblait vouloir instaurer entre eux de jour en jour. Depuis sa rupture avec Malefoy, et bien que Ron ait tout fait pour que les choses redeviennent comme avant, Hermione lui glissait entre les doigts. Plus il pensait la cerner, et plus elle lui échappait. C’était à n’y rien comprendre.

_ Mais…, commença Ron.

La voix étouffée de Mrs Weasley leur parvint depuis le rez-de-chaussée à travers la porte entrouverte, le coupant dans son élan.

_ A table ! Les garçons ! Dépêchez-vous !

Harry se leva d’un bond, affamé.

_ Tu viens ?, demanda-t-il à Ron, qui restait planté là, aux prises avec ses multiples réflexions sur la gent féminine.

_ J’arrive.

Il jeta un dernier coup d’œil perplexe aux toupies ratées des jumeaux, et emboîta le pas à Harry.


Le lendemain, Bill et Charlie, qui avaient réussi à se libérer pour quelques jours, arrivèrent au Terrier. Ils s’installèrent dans leurs chambres respectives, ravis de partager les vacances avec le reste de la famille. Fleur, la fiancée de Bill, était restée en France : elle devait passer les fêtes avec les siens. Fred et George, eux, regagnèrent le Terrier le lundi suivant. Bien sûr, la maison fut mise sens dessus-dessous par les jumeaux, qui étaient venus les bras chargés de tout un stock de leurs Farces pour Sorciers Facétieux. Mrs Weasley s’arrachait les cheveux en retrouvant ses coussins éventrés, ses napperons brûlés et sa cuisine dévastée à toute heure de la journée. Un après-midi, alors qu’elle revenait du Chemin de Traverse, elle avait trouvé le salon en piteux état, une pluie de plumes bleues tournoyant sans relâche au milieu de la pièce. Elle ne cessait de hurler après le terrible duo, mais rien n’y faisait : de retour à la maison, Fred et George étaient bien trop contents de renouer avec leurs anciennes habitudes pour songer à laisser leur mère en paix. D’ailleurs, bien qu’elle se refuse à l’avouer aux jumeaux, leur remue-ménage la divertissait malgré tout, lui faisant oublier l’espace de quelques heures les absences prolongées d’Arthur.

Un matin, tandis que Ginny et Hermione aidaient Mrs Weasley à dresser la liste des commissions pour le repas de Noël, Ron et Harry décidèrent qu’il était grand temps de lancer les hostilités. Dehors, la neige avait recouvert le terrain d’un épais tapis cotonneux, et la vue de cette aire immaculée offerte aux facéties rendait les deux garçons fébriles.

_ Fred ! George ! Descendez donc avec vos balais !, appela Ron en se frottant les mains. Venez prendre votre raclée !

_ Si j’étais toi, je ne m’avancerais pas trop, le prévint Harry avec un sourire narquois.

Mais Ron s’en fichait. Il pouvait bien perdre, la seule pensée de disputer un match de Quidditch contre ses frères suffisait à le griser.

_ Appelez Charlie et Bill !

Harry et Ron se dirigeaient déjà vers la porte d’entrée.

_ Tu veux que l’on en profite pour dégnomer le jardin, M’man ?, proposa Ron.

_ Non, ce n’est pas la peine. Avec cette neige, on ne distingue même plus leurs mottes, soupira-t-elle d’un air fataliste. Ton père et moi nous sommes procurés un Jarvey, c’est plus pratique.

Hermione et Ginny parurent choquées. Les Jarvey, cette espèce de gros furets réputés pour leur incurable grossièreté et leur extrême associabilité, étaient de redoutables chasseurs de gnomes. Ils ne se contentaient pas seulement de les déloger des jardins… ils les dévoraient. Une pratique quelque peu discutée, mais qui, au grand dam de Mrs Weasley, portait ses fruits.

_ Voilà qui va nous faire gagner du temps! Ces sales bêtes n’ont qu’à bien se tenir, s’enthousiasma Ron, soulagé de ne pas avoir à donner lui-même la chasse aux squatteurs.

_ Ron !, s’écria Ginny sur un ton de reproche. Tu n’as donc aucun cœur ? Pauvres petits gnomes…

_ Mais…

_ Allez viens, lui dit Harry en l’attrapant par la manche pour couper court au débat sanglant qui ne manquerait pas de s’ensuivre.

Le match opposa Fred, George et Charlie à Ron, Harry et Bill. Comme Harry l’avait prévu, les jumeaux, bien qu’ils s’en défendirent farouchement par la suite, s’acharnèrent sur Ron, qui passait d’avantage de temps à éviter les Cognards qu’à arrêter le Souaffle. A la fin du match, le pauvre était couvert de bleus. Pourtant, si Charlie marqua un nombre conséquent de buts – fortement favorisés par la coalition des jumeaux terribles – l’équipe de Ron l’emporta haut la main, Harry étant, de loin, le meilleur attrapeur. Ereintés mais heureux, les garçons s’empressèrent d’aller déjeuner après quelques bourrades.

Le reste de la semaine fut rythmé par des préparatifs en tous genres. Les filles s’amusèrent tout particulièrement à transformer le Terrier en véritable palais étincelant. Molly suspendit des branches de sapin tressées au-dessus des fenêtres, que Ginny avait saupoudré de paillettes irisées. Hermione ensorcela toutes les bougies qu’elle put trouver en les laissant flotter, ça et là, répandant une douce lumière à travers toute la maisonnée. Harry fut sollicité pour faire léviter des boules scintillantes au plafond, qui formaient comme une arche stellaire dans le salon. Ginny lui demanda ensuite son aide pour fixer à divers endroits du Terrier des branches de gui, qui lui furent un prétexte parfait pour embrasser Harry à tout bout de champ, ce qui fut loin de déplaire au jeune homme, bien au contraire ! Ron, quant à lui, préféra errer à travers la demeure, désœuvré, observant aux diverses heures de la journée les changements successifs qui s’opéraient dans chaque pièce. Il avait bien proposé son aide à Hermione, quoique timidement, mais la jeune fille l’avait gentiment repoussé, prétextant qu’elle se concentrerait mieux toute seule. Ron avait donc laissé tomber avec un haussement d’épaules, et sa mère s’empressa de lui imposer de l’aider à farcir les pommes de terre pour le dîner. Charlie et Bill avaient dressèrent la table, tandis que Fred et George s’étaient barricadés dans leur chambre pour y concocter une surprise de Noël plus facétieuse encore que toutes leurs autres inventions.


Le réveillon s’annonçait au mieux. Arthur avait réussi à se libérer pour la soirée, au grand soulagement de tous. Autour de la table, chacun fit honneur au repas gargantuesque qu’avait concocté Mrs Weasley. Elle était certes épuisée, mais ravie. Les jumeaux avaient délaissé pour un temps leurs dangereuses manipulations magiques pour s’attaquer à la dinde, Ron en était à sa troisième part de tarte à la mélasse, et Harry ne cessait de se resservir de la purée de potimarron. Molly avait interdit la moindre allusion au Ministère à table, et les conversations tournaient donc autour de sujets plus légers, tels que la prochaine Coupe du monde de Quidditch ou la sortie du nouvel album des Bizarr’Sisters.

Seule Hermione était restée assez silencieuse pendant le dîner. Malgré son apparente bonne humeur, Mrs Weasley n’était pas dupe et avait flairé que quelque chose troublait la jeune fille depuis son arrivée au Terrier. Alors que les garçons étaient lancés dans une discussion effrénée concernant la rétrogradation de l’équipe Bulgare dans le classement de la ligue, Mrs Weasley se pencha vers Hermione.

_ Tout va bien, ma chérie ?

_ Oui, mentit Hermione avec un sourire. C’est une soirée très réussie ! Je ne me serais pas autant amusée chez ma grand-mère Clarisse, vous pouvez me croire !

_ Justement, poursuivit Mrs Weasley avec un drôle de sourire, tu n’as pas l’air de t’amuser beaucoup. Tu ne veux pas me dire ce qui t’angoisse ? Je suis capable de garder un secret, tu sais, assura-t-elle avec un clin d’œil.

Hermione sourit à nouveau. Sans qu’elle y prête attention, ses yeux se posèrent un moment sur Ron. Comme d’habitude, il vociférait contre Krum, le poursuiveur bulgare qui, à son avis, n’avait pas tant de talent que ça. Mrs Weasley suivit son regard et hocha la tête d’un air entendu.

_ Ron est un gentil garçon, dit-elle, une nuance de fierté dans la voix. Il a ses travers mais je doute que quiconque soit plus loyal que lui. C’est un ami dévoué. Et lorsqu’il aura trouvé la perle rare, il saura se montrer sous un nouveau jour. Encore un peu de patience, insinua Mme Weasley avec une pointe de malice.

Hermione se tourna vers elle en rougissant légèrement, mais le regard affectueux que lui rendit Molly la tranquillisa quelque peu.

_ Je…

Mrs Weasley posa sa main sur le bras de la jeune fille.

_ N’écoute jamais que ton cœur, Hermione. Il n’y a que lui qui saura te montrer la route à suivre. Il n’est pas bon de trop raisonner sur tout.

Sur ce, elle se leva pour porter quelques plats vides à la cuisine. Hermione croisa le regard de Ginny, qui avait écouté la conversation. Celle-ci lui sourit doucement, puis se rapprocha de Harry, posant sa tête sur l’épaule du jeune homme. Hermione ressentit alors un manque cruel : celui de ne pas pouvoir le faire, elle, avec… Elle secoua la tête, pour chasser cette vision de sa tête. Non. Pas lui. Il resterait son ami. Rien de plus.

Lorsque tout le monde eût fini de manger et que la table fut débarrassée, Charlie mit un disque des Bizarr’Sisters. Les jumeaux, Bill, Harry et Ginny commencèrent à danser sur un rythme endiablé. Ron et Charlie entamèrent une partie d’échecs, tandis que Arthur et Molly savouraient une tasse de thé, serrés l’un contre l’autre, goûtant pleinement de ce moment de répit. Personne ne vit Hermione s’éclipser en direction du jardin, Pattenrond sous le bras.

Dehors, il faisait presque clair comme en plein jour. Le ciel, peu encombré de nuages, laissait tout loisir à la lune de se refléter sur la neige qu’elle nimbait de son halo irréel. Hermione avait l’impression de marcher sur un tapis d’étoiles. Pattenrond, lui, se roulait dedans avec délice, mordant dans la neige, cherchant à attraper les cristaux scintillants du bout de ses pattes ourlées de fourrure. Hermione s’amusa un moment de son manège, puis alla s’asseoir sur une balançoire qu’avait fixée Bill à un grand saule l’été dernier, et se mit à se balancer doucement en laissant ses pieds traîner au sol, qui vinrent creuser de larges sillons dans la neige. Elle soupira, abattue. Il était immense, ce manque qu’elle ressentait comme un trou béant dans la poitrine. Ce manque…

Ce manque qui tiraillait tout autant Ron. Absolument pas concentré sur sa partie, il se faisait battre à plates coutures par Charlie. Au bout d’un moment, ayant remarqué l’absence de son amie, il laissa sa dame se faire estourbir par le cavalier de Charlie, puis prétexta un vague mal de tête pour se soustraire à la partie, en laissant son aîné se moquer à son aise de sa cuisante défaite. Il partit en quête de Hermione, pensant la trouver en train de se resservir en douce une part de pudding mais, ne la trouvant ni à la cuisine, ni dans les étages, il se hasarda finalement à sortir dans le jardin.

Elle était effectivement là, en train de se balancer mélancoliquement au clair de lune. Ron soupira, et un nuage de brume s’éleva dans les airs. Pourquoi diable s’isolait-elle à ce point ? Le rouquin enfonça les mains dans ses poches pour les protéger du froid et, prenant un air désinvolte, se dirigea vers son amie.

Lorsqu’elle entendit des pas crisser dans la neige, Hermione releva la tête. A la vue de Ron, elle tressaillit.

_ Tout va bien, Herm’ ?, s’enquit-il d’un air aussi désinvolte que possible. T’es pas un peu givrée de te balader dehors à cette heure ?

_ J’avais envie de me retrouver un peu seule, se justifia la jeune fille en se mordant la lèvre.

_ Ok. Donc… Tu préfères que je parte, je suppose ?

_ N.. Non. Non, reste.

Ron hocha la tête, mais ne se sentit pas plus à l’aise. Mutique, Hermione continuait à se balancer doucement, les yeux rivés sur la pointe de ses chaussures.

_ Tu… T’as pas envie de rentrer au chaud ?, proposa Ron au bout d’un moment.

_ Il ne fait pas si froid, murmura-t-elle.

_ Non, c’est vrai, admit Ron à contrecœur, en frissonnant sous son pull.

Pattenrond était à présent aux trousses d’un gnome qui, miraculeusement, avait échappé au Jarvey. De la maison, les bruits de basse leur parvenaient, assourdis. Ron toussota d’un air gêné.

_ Les autres sont en train de danser, tu n’as pas envie d’aller te trémousser avec eux ?, risqua-t-il.

Hermione secoua lentement la tête. Une musique douce succéda aux riffs de guitare, à l’intérieur. Ron, comme guidé par un vague instinct, tendit la main à son amie, en signe d’invitation. Hermione releva la tête vers lui, surprise.

_ Danse avec moi, alors, proposa-t-il.

Sa voix tremblait mais sa main était sûre. Hermione hésita un moment avant de la saisir. Sans un mot, ils commencèrent à valser au gré de la mélodie qui s’échappait par une fenêtre entr’ouverte de la cuisine, tournoyant sur le tapis immaculé, s’enivrant de ce moment de solitude partagée. Ils ne se lâchaient pas du regard, souriants, le monde alentour ayant brusquement disparu. En cet unique instant, la terre entière leur appartenait, et plus rien d’autre ne comptait que leur valse sur la neige. La lune disparut doucement, masquée par de lourds nuages, et de gros flocons se mirent à virevolter dans l’air, entourant le couple d’un rideau virevoltant.

_ Ça va mieux ?, s’enquit Ron dans un murmure.

Hermione hocha la tête et lui adressa un sourire radieux. Un flocon vint se poser sur le bout de son nez. Ron souffla dessus, amusé. Leurs regards se mêlèrent un moment, plus intensément, et ils ne s’aperçurent pas immédiatement qu’ils s’étaient immobilisés.

_ Ron…, souffla Hermione, la gorge nouée par l’émotion. La musique s’est arrêtée.

_ Ah ?

Sans détacher son regard du sien, Ron approcha son visage de celui de son amie et posa ses lèvres sur les siennes doucement, très doucement. Sans plus réfléchir, Hermione s’abandonna à la magie du moment, et se pressa un peu plus contre lui. Ce goût de miel…, pensa-t-elle, alors que leur baiser s’intensifiait. Ne sentant aucune résistance de sa part, Ron la serra un peu plus étroitement dans ses bras, et le temps s’arrêta, suspendu à leurs souffles mêlés, comme si ce premier baiser était le dernier…

La porte d’entrée claqua soudain, brisant le lien fragile entre eux. Hermione eût un sursaut de honte et repoussa fermement Ron, pendant que Harry, sur le pas de la porte, les observait d’un air interloqué.

_ Ah ! Vous êtes là ? On vous cherche partout… Ils veulent ouvrir les cadeaux.

_ Bien sûr !

D’un pas guindé, Hermione se hâta vers la maison et disparut à l’intérieur, sans un mot, sans un regard pour Ron. Harry lança un coup d’œil interrogateur à son ami, mais Ron hocha la tête, dépité.

_ Tu rentres ?

_ Dans une minute…

Il resta là un moment, à regarder la neige tomber, en laissant se dissiper la chaleur de Hermione entre ses bras. Partagé entre tristesse et fébrilité, Ron regagna la maison à regret, avec la désagréable impression que tout était à refaire.


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