Filament de lune

Chapitre 12 : Le chaud et le froid

2610 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/05/2020 13:25

Sans qu’elle fût véritablement exécrable, l’atmosphère au Terrier s’avéra relativement pesante durant les derniers jours des vacances de Noël.

Arthur Weasley passait à nouveau ses nuits au ministère, tandis que Molly se faisait un sang d’encre, craignant à tout moment une attaque surprise des Mangemorts.

Fred et George avaient dû repartir pour le Chemin de Traverse pour s’occuper de leur boutique et faire face à la demande croissante de leurs farces et attrapes : en effet, beaucoup de jeunes sorciers avaient pour projet de dilapider l’argent de leurs étrennes dans l’achat des gadgets des jumeaux Weasley. Bill, quant à lui, n’avait finalement pas supporté d’être séparé plus longtemps de sa chère Fleûrk – comme l’avait très aimablement rebaptisée Ginny – et était partit rejoindre sa future belle-famille en Auvergne. Charlie, esseulé, se réfugia dans la partie du grenier qui n’hébergeait pas Harry et Ron et, plusieurs jours durant, s’attela à la tâche louable de déblayer les combles. Il ne descendait que pour les repas.

Au milieu de la tribu éclatée, Harry et Ginny se sentaient un peu comme une île : seuls au monde, dérivant tranquillement tout le long du jour sur l’océan de leur amour, se raccrochant l’un à l’autre comme deux naufragés sur un radeau. Cette parenthèse morose pour tous les autres n’avait que du bon à leurs yeux : ils passaient plus de temps ensemble que jamais auparavant, ignorés de tous, libérés de l’attention vigilante de Mrs Weasley, et laissaient libre cours à leur tendre attachement. Malgré tout, la tête leur tournait un peu de n’avoir d’autre occupation que de rester dans les bras l’un de l’autre, alanguis, confortablement calés dans un vieux fauteuil du salon qu’ils avaient placé devant la fenêtre pour observer avec condescendance les gnomes survivants fuir le Jarvey, toujours aussi grossier. Harry aurait aimé jouer d’avantage au Quidditch, mais il n’y avait plus assez de joueurs pour constituer de vraies équipes, et Ginny en avait vite eu assez de ne remporter aucun de leurs pathétiques duels sous la neige. Pour ajouter encore à leur mélancolie cotonneuse, depuis le soir du réveillon, Ron et Hermione s’évitaient soigneusement, bien qu’ils en ignorent la cause.

Pour être tout à fait exact, Hermione n’avait pas jugé utile d’adresser la parole à Ron suite au « baiser de la honte ».

Elle s’était enfermée dans sa chambre, prétextant avoir une foule de devoirs à faire, et se plongea à corps perdus dans ses livres. Ron quant à lui, après avoir erré un moment à travers la maison comme une âme en peine, avait décidé lui aussi d’opérer une retraite stratégique dans sa chambre, dont il ne sortait qu’à de rares occasions, après s’être assuré qu’il ne risquait pas de croiser Hermione. Harry avait fait son possible pour en apprendre plus sur leur nouveau sujet de discorde – bien que Ginny, elle, en eût une idée assez précise – mais en vain.

_ Vous vous conduisez vraiment comme des gamins, tous les deux !, s’était emporté Harry alors qu’il exhortait Hermione à se confier à lui pour mettre fin au statu quo.

_ Je ne vois pas de quoi tu parles, Harry, avait-elle répliqué, piquée au vif. De toute façon, ça ne te regarde pas !

De son côté, Ron s’était lui aussi muré dans le silence. Pâle, les traits tirés, il faisait peine à voir. Il dormait peu, Hermione occupant ses pensées nuit et jour. Il s’était repassé mentalement la scène de leur premier baiser des dizaines de fois, mais il avait beau faire, il ne comprenait pas où il avait pu gaffer, cette fois. La rage au cœur d’avoir été assez stupide pour paraître un tant soit peu sentimental et abaisser ses murailles en pure perte, il avait imaginé un moment verser un philtre d’amour dans son jus de citrouille pour forcer Hermione à l’aimer, mais il savait que ce n’était pas la solution. Ron était fatigué de ces déboires, il en avait plus qu’assez de toujours payer les pots cassés, marre d’être constamment sur la touche, quoi qu’il entreprenne. Il avait fait son possible. Si Hermione ne voulait toujours pas de lui, il n’y pouvait plus rien. Dorénavant, les choses devaient venir d’elle.

_ Parle-lui, avait préconisé Harry. Je suis sûr que c’est juste un malentendu et que les choses peuvent s’arranger entre vous.

_ Non, Harry. C’est fini, avait-il déclaré, résigné. J’arrête les frais.

Et il semblait effectivement s’en être persuadé lui-même.


Lorsque Ron descendit à la cuisine le soir de leur départ, tous furent surpris de son extrême bonne humeur, qui contrastait tant avec l’affreuse apathie dont il avait fait preuve ces derniers jours. Apparemment très content de retourner à Poudlard, il affichait un large sourire.

_ Les bagages sont prêts ?, demanda-t-il en se frottant les mains. Si on se dépêche, on arrivera à temps pour le dîner. J’ai hâte de revoir les autres, dit-il à Harry, les yeux pétillants.

_ Moi aussi, mais… Tu es sûr que ça va, Ron ?, s’enquit Harry, étonné de ce brusque revirement de la part de son meilleur ami.

_ Impeccable ! Je ne me suis jamais senti aussi bien !, s’exclama l’intéressé en exagérant sans doute un peu. Ginny, tu n’as rien oublié ?

Sa sœur leva les yeux au ciel, agacée. Entre sa mère et son frère, elle ne savait plus où donner de la tête. Mrs Weasley s’affairait autour des malles, allant de l’une à l’autre avec un empressement désordonné.

_ Tu devrais prendre un pull supplémentaire Ginny chérie, recommanda-t-elle anxieusement. Il fait encore très froid pour la saison.

_ C’est l’hiver, Maman !, ronchonna Ginny, mécontente. C’est normal qu’il fasse froid. Et je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à emmener, non ?

Mrs Weasley n’insista pas mais continua de jauger le bagage de sa cadette d’un air contrarié. Ron, trépignant d’impatience, enfilait déjà sa veste.

_ On est parés ? N’oublie pas ton monstre orange, dit-il à Hermione, l’air de rien. Je doute que maman veuille de lui à la maison en plus de cet abominable Jarvey !

Jusque-là, Hermione l’avait surveillé craintivement du coin de l’œil, redoutant que leurs retrouvailles ne soient un peu houleuses. Aussi, surprise que Ron lui adresse la parole comme si rien ne s’était passé, elle resta un moment sans voix. Puis, apercevant son chat couché sous une étagère du salon, elle l’appela.

_ Pattenrond ! Allez, viens mon gros, on s’en va !

Le matou se traîna paresseusement jusqu’à sa jeune maîtresse et grimpa dans ses bras de mauvaise grâce.

_ Bon, on est partis, déclara Harry, avec une pointe de regret. Au revoir Mrs Weasley, et merci pour tout.

Molly le serra un moment dans ses bras.

_ Au revoir, Harry. Prends bien soin de toi surtout.

_ Salut Maman ! A plus !, s’exclama Ginny, de nouveau guillerette, en lui plaquant un baiser retentissant sur la joue.

_ Sois sage, prévint Mrs Weasley en fronçant les sourcils d’un air inquiet. Au revoir, Hermione. Ne réfléchis pas trop, surtout, lui murmura-t-elle en lui tapotant doucement le front.

Hermione lui sourit d’un air reconnaissant et se dirigea vers la cheminée. Harry et Ginny venaient d’y disparaître dans un nuage de fumée.

_ A bientôt, M’man, dit Ron en étreignant sa mère. N’oublie pas de me donner des nouvelles, d’accord ?

_ Promis, mon chéri. Allez, file maintenant…

Ron entra dans la cheminée à la suite d’Hermione et, avant qu’elle ait le temps de protester, lui prit la main sans ménagement.

_ Les Trois Balais !, annonça-t-il d’une voix claire et forte en jetant une poignée de Poudre de Cheminette devant eux.

Ils disparurent à leur tour dans des volutes de cendres froides, laissant Mrs Weasley seule au milieu de la cuisine. Dans la maison désertée, le balancier de la comtoise troublait à peine le silence qui s’installa brusquement, pesant. Bientôt, sur le cadran de la pendule, les aiguilles de Ron et Ginny pointèrent sur Pré-au-Lard. Celle d’Arthur, en revanche, oscilla un instant hors du Ministère.


Le chemin de retour se passa sans encombre. Tandis qu’ils traversaient le village de Pré-au-Lard, désertés par les promeneurs à cette heure avancée de la soirée, Harry profita de ce que Ron et Ginny étaient en pleine conversation au sujet de leur père pour s’entretenir avec Hermione. Il l’attrapa par le bras pour l’inciter à ralentir le pas.

_ Il faut que vous ayez une discussion, Ron et toi, lui souffla-t-il sans préambule.

_ De quoi tu parles ?, demanda Hermione avec une pointe d’agacement.

_ Tu sais très bien de quoi je veux parler, chuchota Harry pour ne pas être entendu de ses camarades. Il est hors de question que je sois pris entre deux feux comme cet automne. Alors, de deux choses l’une : ou bien tu parles à Ron et vous réglez ce que vous avez à régler, ou bien… je vous laisse tomber tous les deux ! Voilà. C’est vu ?

Bien que l’ultimatum posé par Harry manque un peu de conviction, Hermione hocha silencieusement la tête en signe d’acquiescement.

_ D’accord, j’essaierais de lui parler. Mais je ne te promets rien, Harry. Ron et moi, c’est… C’est compliqué.

_ Oui, ça je sais, soupira-t-il.


Arrivés à Poudlard, les quatre amis déposèrent leurs bagages dans le hall avec ceux des autres élèves. Les elfes de maison se chargeraient de les monter dans leurs dortoirs respectifs au cours du dîner. Ginny partit comme une flèche rejoindre ses camarades, tandis que Harry entreprenait de libérer Hedwige de sa cage. Hermione pensa que c’était le bon moment pour tenter une approche et s’avança vers Ron, occupé à hisser sa dernière valise sur un tas de malles empilées les unes sur les autres.

_ Ron ? Je peux te parler une minute ?, lui demanda-t-elle d’une toute petite voix.

Mais à cet instant, Ron aperçût Neville et Seamus qui descendaient les escaliers quatre à quatre.

_ Tu as eu deux semaines entières pour me parler quand et aussi souvent que tu le voulais, lui fit-il remarquer sans lui accorder un regard. Je suppose que ça n’est pas si urgent ?

Et sans attendre sa réponse, Ron planta là Hermione, et s’élança vers ses deux amis avec un large sourire aux lèvres. Ils se topèrent dans les mains, heureux de se retrouver.

_ Alors ? Quoi de neuf, les mecs ?

_ Devine… Neville a eu son premier flirt !, annonça triomphalement Seamus.

_ Sérieux ?, s’étonna Ron, amusé, en s’efforçant de ne pas repenser au soir du réveillon. Vas-y, raconte-nous tout, Neville !

Mais celui-ci se balançait d’un pied sur l’autre, gêné.

_ Arrêtez, les gars, marmonna-t-il d’une voix plaintive. Je devais pas en parler, normalement…

Seamus donna un brusque coup de coude à Ron.

_ Eh ! Mate un peu ce qui arrive, lui dit-il en désignant le bout du couloir.

Encadrée par Padma et Parvati Patil, Lavande Brown s’avançait vers eux avec suffisance. Elle s’était teint les cheveux pendant les vacances et avait opté pour un rouge flamboyant qui lui donnait, en plus de sa démarche assurée, des allures de féline. Ron sourit malgré lui, impressionné par son assurance.

_ On dirait qu’elle a repris du poil de la bête, fit remarquer Seamus, non moins charmé.

Ron haussa les sourcils d’un air intéressé et, n’y tenant plus, alla à la rencontre de son ex. Hermione attendait Harry, toujours occupé avec Hedwige, qui s’était coincé une sers dans les barreaux de sa cage. Elle avait donc tout loisir d’assister à la scène. Ron se planta devant Lavande, les mains dans les poches, l’air décontracté.

_ Jolie couleur, Brown, lui dit-il, flatteur.

Lavande croisa les bras sur sa poitrine, apparemment résolue à lui tenir tête. Mais un vague sourire flottait sur son visage.

_ Qu’est-ce que tu cherches, Weasley ?, demanda-t-elle, mi-figue, mi-raisin.

_ Juste à te faire un compliment.

Le regard brûlant, il avait emprunté un ton enjôleur qui ne lui ressemblait pas. Sans lâcher Lavande des yeux, il avait attrapé une mèche de ses cheveux rouges qu’il faisait à présent tournoyer autour de ses doigts. Lavande réprima un gloussement nerveux.

_ Tu te fiches de moi, c’est ça ?

Ron sourit en laissant retomber les cheveux de la jeune fille.

_ A plus tard, Brown.

Il tournait les talons quand Lavande, après avoir concerté les sœurs Patil du regard, le rattrapa par le dos de sa chemise. Ron se retourna, visiblement satisfait. Dans son coin, Hermione frissonna.

_ Une amie organise une petite fête clandestine, ce soir, chez les Pouffsouffle, histoire de s’amuser encore un peu avant la reprise des cours. Tu veux venir ?, proposa Lavande, l’œil brillant.

_ Pourquoi pas ?

Ron offrit alors son bras à la jeune fille, rayonnante, sous les regards perplexes de Hermione et Harry, qui avait finalement réussi à libérer sa chouette.

_ Mais qu’est-ce qu’il lui prend ?, s’étonna Harry en désignant Ron d’un vague signe de tête. Il a perdu la tête ou quoi ?

_ Aucune idée…, murmura Hermione avec dépit.

Ron désigna Seamus et Neville d’un hochement de tête.

_ Il y a de la place pour mes copains ?, demanda-t-il à Lavande.

_ Bien sûr !, s’empressa-t-elle d’accepter, craignant sans doute que le rouquin ne se débine.

Ron avisa Harry et Hermione, figés à côté de la montagne de bagages au milieu du hall.

_ Harry ? Tu veux venir à une fête, ce soir ?

Le jeune homme parut déconcerté.

_ Euh… Je… Je ne sais pas, bredouilla-t-il, pris au dépourvu. Ginny…

Mais Ron haussa les épaules.

_ Ouais, laisse tomber, vieux. Tu feras comme tu le sens. Je t’aurais bien proposé de venir, dit-il en s’adressant à Hermione, mais je suis sûr que tu as déjà des tonnes de recherches à faire à la bibliothèque ou ailleurs…

Ron avait dit ça sans animosité, presque gentiment même, mais Hermione eût mal malgré tout. Son indifférence la blessait plus qu’elle ne l’aurait cru. Lavande s’esclaffa devant la mine défaite de sa rivale, et se laissa pompeusement entraîner vers la Grande salle au bras de Ron, suivis de près par les sœurs Patil, Neville et Seamus. Harry se tourna vers Hermione : elle s’était recomposé un visage de marbre, et n’affichait aucune expression particulière. Il hocha la tête, désabusé.

C’est reparti pour un tour, songea-t-il, amer.


Laisser un commentaire ?