Harry Potter et le Complot du Serpent
Les jours suivants, Harry sentit peser des regards sur lui continuellement. La nouvelle de la réunion privée dans le bureau de Mme McGonagall avait rapidement fuité et ce rassemblement de crise n’avait pas vraiment rassuré les élèves.
Harry espérait que personne ne soit au courant de leur enquête, car cela aurait indirectement aidé le Serpent. Anguis aurait sûrement bien du mal à capter discrètement une conversation entre des Serpentard, étant donné l‘ambiance anxiogène qui avait envahi le château.
Harry ne croisait plus Anguis hors des entraînements d’Auror. Ce dernier avait pris sa mission très à cœur et ne rejoignait leur dortoir que très tard la nuit, quand ils dormaient déjà profondément. Il leur avait expliqué qu’il restait plusieurs heures caché derrière un poteau, à surveiller la porte d’entrée de la salle commune des Serpentard.
Avec Ron, Harry scrutait régulièrement la table des Serpentard dans le réfectoire pour essayer d’y repérer la trace d’oreilles à rallonge, mais ils n’en virent jamais. Ils se dirent que c’était une bonne nouvelle qu’eux mêmes ne puissent pas remarquer l’espionnage d'Anguis.
D’autre part, les entraînements d’Auror étaient devenus plus tendus. Mr Loyd les interrogeait régulièrement sur l’évolution de l’enquête mais ils ne pouvaient pas se targuer d’une quelconque avancée.
Drago, toujours muet comme une tombe, ne cherchait pas à s’impliquer dans leur recherche. S’ils étaient ravis de ne pas être contraint de lui partager leurs théories, son attitude les inquiétait toujours plus. Son silence, plus mystérieux que jamais, les appuyait jour après jour dans leurs soupçons à son égard.
Harry s’efforçait de suivre le conseil d’Hermione, et de ne pas se fier à ses préjugés sur les Serpentard ni sur son ancien ennemi. Mais il ne pouvait s’empêcher de voir en Drago un potentiel voleur. Il se demandait même si ce dernier ne serait pas désormais capable de tuer. Malefoy n’avait pas pu achever Dumbledore deux ans plus tôt, mais peut-être était-ce simplement parce qu’il était attaché à l’ancien directeur. Rien ne prouvait qu’il n’était pas capable de posséder une jeune fille inconnue et de lui briser le cou indirectement.
Au contraire, Harry était surpris lui-même de sa complicité avec Drago lors de leurs duels. Ils ne s’adressaient jamais la parole mais leurs échanges de sortilèges restaient courtois depuis le premier jour.
De son côté, le Serpent ne ralentissait pas la cadence de ses agissements. Plus personne n’avait été touché physiquement depuis la mort de la jeune fille possédée, mais cela avait largement suffi à instaurer durablement la terreur dans les esprits. Dans la tête de chaque élève résonnait les menaces macabres de ce soir dramatique.
Quant au nom du Serpent, que Mme McGonagall avait qualifié de « ridicule », il s’avérait en fait particulièrement marquant. Il était impossible de participer à une conversation sans entendre ce qualificatif être évoqué. Ces discussions déprimantes devenaient maintenant une habitude, tout comme l’atmosphère oppressante du château et les regards suspicieux que se lançaient mutuellement les élèves.
Un matin, Harry émergeait doucement de son sommeil dans un canapé de la salle commune de Gryffondor, entouré de ses amis. Comme tous les jours à la même heure, Hermione reçut la Gazette du Sorcier par intermédiaire d’un hibou noir qui toquait bruyamment à la fenêtre. Elle lui donna à becqueter quelques graines soigneusement préparées, et lui ôta l’exemplaire quotidien de la patte. Quand elle retourna la page de couverture devant ses yeux, elle laissa échapper un cri de surprise aigu.
Harry, Ron et Ginny se rassemblèrent autour d’elle pour consulter le journal par-dessus son épaule. Le titre en grosses lettres majuscules leur arracha la même exclamation effarée qu’Hermione quelques instants plus tôt :
POUDLARD MENACE !?
En dessous, une large image animée montrait le château en contre-plongée, sous un ciel orageux. De brusques éclairs y apparaissaient à intervalles réguliers pour illuminer momentanément la sombre illustration.
Quand ils eurent tous pu consulter la une, Hermione tourna délicatement la page. Elle leur lut l’article correspondant en même temps qu’ils le consultaient eux-mêmes :
L’école de sorcellerie Poudlard est à nouveau exposée à de mystérieux événements. Le collège, qui s’était rapidement remis de la bataille qui y a eu lieu en fin d’année dernière, était prêt à enfin exercer sa fonction éducative loin des troubles causés par les mages noirs. Mais cet espoir a malheureusement été vite refroidi par l’action d’un inconnu qui s’autoproclame « Le Serpent ». Si les agissements de ce fauteur de troubles ont d’abord consisté en de simples vols nocturnes, le phénomène s’est vite amplifié. Les larcins se multipliant, mais surtout avec la terrible soirée de ce mardi 27 octobre 1998.
Une très jeune élève de 12 ans a perdu la vie dans des circonstances très étranges. Si rien ne peut être prouvé pour l’instant, elle aurait été soumise au sortilège de l’Imperium pour faire passer le message du tueur avant de se suicider contre son gré. Par respect pour la famille de cette pauvre enfant, ni son nom ni la description précise de sa mort ne seront divulgués dans cet article. La seule information que nous pouvons vous donner avec certitude étant que ce tragique décès n’était pas un accident.
En conséquence, la vie du collège Poudlard se retrouve bouleversée et ses habitants ne se considèrent plus en sécurité à l’école. Notre envoyé spécial nous décrit un climat de peur et de tension. Il a même eu l’occasion d’interviewer Seamus Freadrick, père d’une élève de première année à la maison Serdaigle. «Ma fille ne peut pas se considérer en sécurité dans le château de Poudlard, et comme sa santé compte plus que tout à mes yeux, j’envisage sérieusement de la déscolariser cette année. Ou de l’envoyer dans l’école française de Beaubâtons, mais lui permettre de fuir loin des incidents de Poudlard, en tout cas » a bien voulu nous dire Seamus, que nous remercions pour son témoignage édifiant.
Les plaintes des parents ont bien été prises en compte par la directrice de Poudlard Minerva McGonagall, qui aurait selon nos sources organisé une réunion de crise pour trouver une solution face à ce problème majeur. « C’est le minimum qu’on puisse exiger d’une directrice dans une telle situation » nous a ajouté Seamus en apprenant la nouvelle. Selon notre envoyé spécial, elle aurait commandé à un groupe particulier la tenue d’une enquête pour trouver le coupable et ramener un climat propice à l’apprentissage à Poudlard.
- C’est qui ce père de famille, Seamus Freadrick ? s’écria Ron, scandalisé. Sa fille est en première année, évidemment qu’elle a peur de ça. Mais nous on s’est tapé Voldemort, c’était quand même un peu plus violent ! Elle ne va pas en faire tout un plat !
- Ron ! le réprimanda Hermione, outrée. Aie un peu de considération pour elle. Je comprends que ça puisse la choquer, à onze ans.
- Non mais tu as vu comment son père parle de McGonagall ? « Le minimum qu’on puisse attendre » (Ron relut la citation en prenant un air ridicule). Non mais il s’attend à quoi ? A ce que McGonagall claque des doigts pour capturer automatiquement le Serpent ?
- Tu as raison, mais il a peur pour sa fille, c’est pour ça qu’il ne prend pas de recul, expliqua Hermione avec un air de pitié. En outre, tu peux t’estimer heureux pour Madame McGonagall que Kingsley Shacklebolt soit notre nouveau ministre. Il empêche la Gazette du Sorcier de faire de la diffamation, car sinon, tu peux me croire qu’ils s’en donneraient à cœur joie.
Ron ne put rien ajouter de plus convaincant. De toute évidence, Hermione connaissait bien mieux que lui l’actualité et le fonctionnement des institutions magiques. Il pouvait simplement se vanter d’être plus au point sur le quidditch, ce qui ne l’aidait pas dans cette conversation.
- En attendant, l’enquête du « groupe particulier » n’avance pas, dit sévèrement Hermione en toisant Ron et Harry. Je vais voir comment se débrouille Anguis, ça fait déjà plusieurs jours qu’il utilise les oreilles à rallonge. Si ce n’est pas efficace, il faut trouver un autre plan tout de suite. La situation commence vraiment à être urgente et tout repose sur vous.
Elle se leva du canapé d’un air décidé, suivie par les trois autres. Anguis étudiait tranquillement sur un bureau, de l’autre côté de la pièce. Hermione abattit brusquement le journal sur la table, juste sous ses yeux.
Il leva calmement la tête de son devoir.
- Bonjour Hermione, réveil difficile ? demanda-t-il d’une voix mielleuse en lui souriant.
- Regarde ! gronda Hermione impatiemment en pointant du doigt la une de la Gazette du Sorcier. Si tu n’as rien obtenu avec les oreilles à rallonge, ce n’est pas une honte, mais il faut nous le dire avant que Mme McGonagall ait de sacrés ennuis.
Anguis consulta longuement l’article, toujours sans montrer le moindre signe d’inquiétude. Il prit tout son temps pour finir sa lecture, sans prêter attention à l’air empressé d’Hermione. Finalement, il leva à nouveau les yeux.
- Ah oui, constata-t-il sereinement. Eh bien, ça tombe bien, parce que j’ai obtenu des informations très intéressantes, figurez-vous.
- Et qu’est-ce que tu attendais pour nous le dire ? s’agaça à son tour Ginny.
- Je ne crois pas que tu fasses officiellement partie du groupe d’enquête, lui répondit-il d’un air pourtant très amical.
- Moi non plus, soutint Hermione. Mais je pense que plus on est, mieux on avancera.
- Sans aucun doute. En fait, je comptais vous le dire dès ce matin, je ne voulais simplement pas vous déranger. J’ai surpris une conversation hier soir entre des élèves de Serpentard, et je compte bien utiliser le veritaserum sur eux. Dès aujourd’hui, d’ailleurs.
- Excellent ! s’exclama Ron avec admiration. Je ne pensais pas que ça marcherait !
- Attends, il faut encore qu’ils avouent en prenant le veritaserum, signala durement Ginny, qui n’avait pas oublié la remarque condescendante dont Anguis avait fait preuve à son égard.
- Comment tu vas faire pour t’en procurer ? Tu voudrais qu’on t’aide à en voler ? demanda Harry à Anguis.
- Non merci, répondit ce dernier d’un air reconnaissant. Je vais me débrouiller tout seul encore pour cette partie-là, faites-moi confiance.
Ils le laissèrent à contrecœur continuer l’enquête de son côté. Ils auraient aimé y participer, mais son espionnage solitaire s’était déjà montré concluant, et il semblait maîtriser les événements. Leur principal objectif était d’aider Mme McGonagall à tenir le calme dans l’école, et l’article de la Gazette du Sorcier les avait beaucoup inquiétés.
Et ils eurent raison de ne pas insister puisque Anguis leur donna des nouvelles dès le repas du midi. Ils finissaient de manger à la table des Gryffondor quand il accourut vers eux.
- Harry, Ron, venez ! C’est le moment, on va utiliser le veritaserum !
- Déjà ? s’étonna Harry en se ruant sur ses pas.
- Oui, vous allez voir, on va enfin tout savoir.
Ils n’eurent pas plus d’explications et se contentèrent de le suivre dans le petit escalier en colimaçon menant au cachot. Ils arrivèrent devant la porte de la salle de potions, qu'Anguis poussa précipitamment.
A l’intérieur, Mr Aquilibus les attendait. Le professeur était au milieu de la pièce, étonnement rangée. Il tenait entre ses mains une fiole contenant un liquide incolore qu'Harry devina être le veritaserum.
Aquilibus les regarda d’un air sérieux et fit un signe de tête à Anguis.
Juste devant lui, un tabouret avait été soigneusement placé. Et derrière lui, à moitié cachées derrière une armoire, trois jeunes filles vêtues des robes vertes de Serpentard les contemplaient d’un air apeuré. Elles étaient ratatinées dans un coin de la pièce, le visage livide.
Harry comprit immédiatement qu’elles étaient les élèves de Serpentard surprise par les oreilles à rallonge en pleine discussion suspicieuse.
En constatant leurs frêles corpulences et leurs visages terrorisés, il se demanda si Anguis n’avait pas fait une erreur. Ces petites filles-là ne semblaient pas du tout capables de voler quoi que ce soit.
Aquilibus fit rentrer les apprentis Aurors et les plaça à l’écart, à l’opposé des jeunes Serpentard terrorisées. Il allait enfin prendre la parole quand il fut interrompu par l’ouverture brutale de la porte une seconde fois.
Mais contrairement à leur entrée, cette deuxième paraissait inattendu pour le professeur de potions. Il jeta un regard inquiet à la nouvelle venue.
C’était Mme McGonagall.
- Que se passe-t-il ici ? demanda-t-elle d’un air de reproche encore plus soutenu qu’à son habitude.
- Eh bien, je… Nous allions utiliser le veritaserum, bredouilla Mr Aquilibus.
- Sur ces élèves ? s’étonna la directrice, scandalisée.
Son regard passa successivement des trois Serpentard au professeur, puis aux jeunes Aurors.
- Oui, clama Anguis avec assurance, osant un pas en avant vers elle. En fait, j’ai surpris des propos très étonnants de la part de ses trois élèves, et j’ai jugé bon d’utiliser le veritaserum pour m’assurer de ce que j’avais entendu.
- Vous savez que l’usage de cette potion est strictement restreint par le Ministère de la magie, Mr Econiuratis ?
- J’en suis bien conscient, appuya le jeune Auror, qui tâchait de rester fier face à la stature imposante de McGonagall. Mais étant donné les circonstances, et mon rôle dans l’enquête, je pense que cela est nécessaire. Je soutiens même que ce protocole donnera lieu à des résultats que vous ne regretterez pas, madame.
- Si vous êtes si sûr de vous, je vous fais confiance, dit la directrice. Mais sachez que vous en êtes le responsable, et qu’une erreur de jugement entraînerait pour vous des sanctions considérables.
Comme Harry, elle semblait ne pas imaginer les fillettes de Serpentard réaliser les crimes dont elles étaient accusées.
Anguis inspira un grand coup et hocha la tête, assumant ainsi sa responsabilité. Harry fut impressionné de sa confiance en lui. Il mettait en jeu son propre statut pour mener à bien l’enquête. Il devait être vraiment sûr de ne pas s’être trompé pour oser prendre de tels risques.
Juste à côté, Ron frémit lui aussi d’empressement. Qu’allaient révéler les élèves de Serpentard pour qu'Anguis ait une foi inébranlable en leur témoignage ?
Sous le regard attentif de la directrice, Anguis s’approcha du tabouret. Il intima à une première jeune fille de le rejoindre, et la fit asseoir.
Elle avait de longs cheveux noirs et un teint très pâle, même si celui-ci était sûrement dû à son état de panique actuel. Ses yeux turquoises perçants s’accordaient parfaitement au vert de sa tunique.
Elle s’exécuta en tremblotant. Une fois installée sur le tabouret, elle jeta un regard implorant à Mme McGonagall comme pour la supplier de l’aider. Mais cette dernière resta stoïque, concentrée à vérifier le professionnalisme d’Anguis.
Il avait intérêt à ne pas se tromper, il y avait trop en jeu. Si la pauvre fillette s’avérait innocente, tous les adultes de la pièce en subiraient les conséquences.
Mr Aquilibus lui tendit le flacon qu’il tenait entre les mains. Anguis s’en saisit précautionneusement, et le montra à Mme McGonagall. Elle scruta précisément le liquide, et jugea qu’il était conventionnel. D’un hochement de tête, elle ordonna à Anguis de continuer.
Il récupéra le veritaserum et tourna lentement le bouchon pour ouvrir la bouteille. Aucune odeur ne s’en échappa, ce qui était très inhabituel pour une potion. Mais Harry savait que c’était normal. Le veritaserum était incolore, inodore et indolore.
La tension monta d’un cran. Le silence pesant n’était entrecoupé que par les déglutitions angoissées de la petite fille.
Anguis pencha la bouteille au-dessus de la bouche de la jeune Serpentard et y glissa deux gouttes de la potion.
Tous retinrent leur souffle, mais rien de particulier ne se passa. La fillette se détendit simplement, et leva ses yeux verts sur Anguis, attendant la sentence.
L’apprenti Auror inspira à nouveau, puis commença l’interrogatoire :
- Je vais vous poser des questions auxquelles vous ne répondrez que par oui ou par non. Vous ne devrez ni contester les questions, ni ajouter des détails, car ils pourraient être utilisés contre vous. Vous êtes Mathilda Banes, âgée de treize ans et en troisième année au collège Poudlard, c’est exact ?
Elle hocha la tête.
- Vos réponses doivent être clairement formulées à l’oral, c’est la procédure, ordonna Anguis sévèrement.
Il connaissait vraisemblablement ce protocole sur le bout des doigts. Il avait aussi bien étudié le dossier des jeunes filles qu’il devait interroger. Il savait très bien quelle lourde responsabilité il prenait, et s’était préparé à l’assumer.
- Oui, c’est bien ça.
- Vous avez été répartie dans la maison Serpentard ?
- Oui.
Anguis marqua une pause. Les formalités étaient désormais passées, il allait entrer dans le vif du sujet.
- Mlle Mathilda Banes, j’ai surpris, hier dans la soirée, une conversation très suspecte que vous teniez avec vos deux amies ici présentes. Vous vous êtes félicitée du vol de plusieurs objets, est-ce exact ?
Il eut un silence durant lequel la pression s’intensifia. La jeune Serpentard semblait réfléchir.
- Oui, bredouilla-t-elle finalement.
Le professeur Aquilibus poussa un petit cri aigu. Mme McGonagall eut un haut le cœur. Anguis dévoila un sourire de soulagement qu’il se hâta de réprimer. Il continua de son air sérieux.
- Bien, cet aveu est suffisant à prouver votre culpabilité (il jeta un regard en coin à Mme McGonagall, qui resta impassible). Mais nous allons comprendre plus précisément les conditions de ces vols. Je vais résumer les informations que j’ai pu obtenir à ce propos. Cela concernait le vol des balais de tout un groupe d’élève de Gryffondor. Vous vouliez subtiliser ces objets depuis longtemps ?
- Oui, avoua encore Mathilda, dont le teint virait du blanc à un rouge cramoisi.
- Pourquoi vouliez-vous voler ces objets précis, et pourquoi à ces personnes en particulier ? Je vous autorise à me donner une réponse plus complète cette fois, mais ne tentez pas de biaiser notre interprétation.
Anguis prenait toutes les précautions nécessaires. Le veritaserum empêchait de mentir, mais n’obligeait pas à dire la vérité. La nuance était très importante, car un choix judicieux des mots pouvait donner une information inexacte, sans pour autant mentir. L’interrogateur devait donc s’assurer d’obtenir des réponses exhaustives et spontanées.
- Ce sont des troisième année, comme moi. On a développé une rivalité, une animosité avec eux. Vous savez, ils sont dans une maison ennemie. Je ne les aime pas, alors je voulais me venger. Et les balais sont très précieux, donc je me disais que ç’aurait été un bon moyen pour les agacer. Mais je…
- C’est tout ce que je voulais savoir, la coupa Anguis.
Il avait déjà obtenu ce qu’il voulait : la jeune fille avait avoué ses crimes. Il ne craignait plus de sanction pour avoir fait boire du veritaserum à une innocente. Mais il prenait visiblement son rôle très à cœur et continuait de se montrer intraitable.
- Où sont ces balais désormais ? reprit-il d’un ton encore plus solennel.
- Je ne sais pas, je…
- Non ! N’en dites pas plus que ce à quoi je vous autorise.
Harry ne comprenait pas pourquoi Anguis était aussi intransigeant. Mathilda, sans prendre compte de son état lamentable, n’avait de toute façon pas les capacités de manipuler la vérité. Elle était une enfant dépassée par les événements.
- Vous êtes sûre que vous ne savez plus où ils sont ? continua Anguis.
- Mais non, je vous dis que je n’en ai aucune idée. Je ne mens pas.
Harry sourit. Ils pouvaient la croire sur parole puisque c’était là tout l’intérêt du sérum de vérité qu’ils venaient de lui faire boire. Mais il lui parut tout de même très étrange qu’elle ne sache plus où se trouvaient des objets qu’elle avait elle-même volés.
- Est-ce que vous savez qui est le Serpent ? s’acharna Anguis sans même la laisser reprendre son souffle.
- Non, je vous jure que je ne le connais pas ! s’exclama Mathilda d’un ton si angoissé qu’on ne pouvait pas contester sa sincérité.
Elle n’aurait d’ailleurs pas pu prononcer cette phrase si elle connaissait l’identité du Serpent, car cela aurait été un mensonge.
- Donc ces vols n’ont pas été fait pour le compte du Serpent ? s’étonna Anguis.
- Je n’en sais rien, c’est vrai, je ne comprends pas pourquoi vous… bredouilla Mathilda en éclatant cette fois en sanglots.
- Ça suffit ! s’interposa Mme McGonagall, qui avait pitié de la jeune fille malgré ses aveux. Bravo, Mr Econiuratis, vous avez obtenu ce que vous nous promettiez, mais laissons cette pauvre élève respirer.
Ron et Harry, qui étaient restés crispés tout au long de l’entretien, se détendirent en même temps qu'Anguis.
- Vous pouvez remonter dans votre salle commune, dit la directrice à l’adresse de Mathilda Banes.
- Mais, madame, vous n’allez quand même pas m’exclure ? renifla l’intéressée, dont les larmes avaient envahi ses joues rosées.
- Non, répondit sévèrement Mme McGonagall. Nous verrons plus tard pour ce qui concerne vos sanctions, mais vous n’y échapperez pas. Je suis évidemment très déçue de votre comportement. En attendant, nous avons d’autres interrogatoires à mener.
Les deux autres fillettes, qui avait assisté en silence à l’entretien de leur amie, furent prises d’un nouveau spasme.
Anguis se tourna vers l’une d’elle. C’était la plus grande du trio, elle avait de longs cheveux blonds et de grands yeux sombres.
Elle s’assit sur le tabouret et subit exactement le même protocole que la précédente.
Anguis précisa à nouveau les conditions de l’interrogatoire. Après avoir administré du veritaserum à la deuxième suspecte, il se lança dans un nouvel entretien :
- Vous êtes bien Bertha Perkins, élève de treize ans à Poudlard ?
- Oui.
- Vous avez été répartie dans la maison Serpentard ?
- Oui.
- Mlle Bertha Perkins, j’ai surpris, hier dans la soirée, une conversation très suspecte que vous teniez avec vos deux amies. Vous vous êtes félicité du vol de plusieurs objets, est-ce exact ?
- Oui.
Harry remarqua que les questions étaient, au mot près, formulées de la même manière que la première fois. Anguis les avait sûrement apprises par cœur pour les réciter efficacement et ne pas laisser de répit aux trois filles.
- Nous allons comprendre plus précisément les conditions de ces vols. Je vais résumer les informations que j’ai pu obtenir à ce propos. Cela concernait le vol de différents manuels d’élèves de Poufsouffle. Vous vouliez subtiliser ces objets depuis longtemps ?
- Oui.
- Pour les mêmes raisons que votre amie, Mathilda Banes ?
- Oui.
- Savez-vous où ils se trouvent actuellement ?
- Non.
- Connaissez-vous l’identité du Serpent ?
- Non.
- Ces vols ont-ils été commis pour le compte du Serpent ?
- Je ne sais pas, comme Mathilda.
- Merci. Vous pouvez disposer.
L’échange avait été beaucoup plus rapide et bien moins oppressant. Bertha Perkins avait compris qu’elle devait répondre succinctement pour rendre sa sentence moins longue et désagréable. Elle était moins chamboulée que son amie avant elle, mais sortit tout de même du cachot en sanglotant.
La dernière Serpentard s’appelait Dalia Bragomp. A son tour, elle passa l’épreuve éprouvante du veritaserum. Anguis lui posa exactement les mêmes questions qu’aux deux premières, et elle donna exactement les mêmes réponses. En ce qui la concernait, il était cas de vols d’animaux de compagnie appartenant à des garçons de la maison Serdaigle. Elle non plus ne connaissait pas l’identité du Serpent, elle le jura sincèrement comme l’avaient fait ses camarades.
Mme McGonagall la sermonna puis la convia à rejoindre sa salle commune. Enfin, elle se tourna vers Anguis.
- Mr Econiuratis, vous avez toutes mes félicitations. Je dois vous avouer que je ne pensais pas voir ces jeunes filles témoigner de tels méfaits. Mais vous ne m’aviez pas menti, et en effet, je ne regrette pas de vous avoir laissé procéder à ces entretiens, malgré le risque.
Il la remercia poliment. La tension insoutenable qui avait régné tout au long des interrogatoires s’était évanouie. Ils s’en tiraient à bon compte, mais surtout, cela faisait avancer l’enquête.
- Le ministère sera mis au courant de ce qui s’est passé, continua Mme McGonagall. Mais rassurez-vous, les résultats que vous avez obtenus vous immunisent contre toute sanction de leur part. Vous serez même récompensé, car vous nous aidez dans la recherche des coupables de cette sombre affaire.
- Madame, si je peux me permettre, je pense pouvoir obtenir encore plus d’informations, affirma Anguis avec confiance. Il faudrait simplement que je puisse interviewer d’autres coupables.
- Mais vous avez surpris une discussion entre ces trois-là, répondit la directrice. Je doute fort que ce coup de chance se reproduise deux fois.
Harry se retint de signaler que ce n’était pas un coup de chance. Il jugea mieux de ne pas avertir Mme McGonagall de l’espionnage des Serpentard avec les oreilles à rallonges.
- En fait, je pense qu’il y a un autre moyen, insinua Anguis. Si vous le voulez bien, il suffirait de rendre ces résultats publics et d’en faire un exemple en infligeant une sanction conséquente à ses trois fillettes. Ensuite, il faudrait en inciter d’autres à venir se dénoncer par eux-mêmes en leur proposant de baisser considérablement leur sanction s’ils prennent l’initiative d’avouer leur culpabilité. Ils préféreront sûrement dévoiler rapidement leurs vols pour ne pas aggraver leur cas. Nous pourrions ainsi en soumettre beaucoup au veritaserum, et peut-être qu’un d’entre eux saura qui est le Serpent.
- C’est une bonne idée, je ferai passer ce message dans toutes les salles communes, approuva Mme McGonagall. Et compte tenue de votre maîtrise aujourd’hui, je vous fais confiance pour rééditer ce genre d’interrogatoire si d’autres enfants viendraient s’avouer coupable.
Malgré tout, ces mesures semblaient ne pas enchanter du tout la directrice. Elle était encore sous le choc de s’être rendu compte de la culpabilité des trois filles de Serpentard.
- Merci, madame, se réjouit Anguis. Dites leur d’aller voir Mr Aquilibus directement, et je procéderai aux entretiens.
- Mais je ne comprends pas, dit Ron. Elles ont toutes dit qu’elles ne savaient même pas si leurs vols avaient rapport avec le Serpent. C’est étrange qu’il vante la loyauté de ses disciples s’ils ne le connaissent même pas. Ces voleuses n’avaient peut-être rien à voir avec lui.
- Je pense qu’elles ont été manipulées par ce Serpent, répondit Mr Aquilibus de sa voix criarde.
- Vous voulez dire, par l’Imperium, comme la fille du réfectoire ? demanda Harry.
- Ce n’est pas possible, elles s’en seraient rendues compte après coup et l’aurait témoigné, indiqua Ron. C’est d’ailleurs probablement pour ça que le Serpent fait mourir la fille qu’il avait possédé pour faire passer son message. Il ne voulait pas qu’elle raconte quoi que ce soit.
- Ce doit être une manipulation plus subtile que l’Imperium, rajouta le professeur de potions. Il existe malheureusement de nombreux sortilèges ou lotions qui permettent de manipuler une personne, et un jeune élève de collège n’a ni la capacité d’en produire ni d’y résister. Par ailleurs, il pourrait très bien leur infliger l’Imperium, et les soumettre à un sortilège d’amnésie ou de faux souvenirs juste après, pour qu’ils n’en sachent plus rien.
- Mais alors ce doit être un puissant sorcier, sûrement un adulte, ou même un mage noir, supposa Harry.
En posant cette question, il se rendit compte que l’Auror Loyd et Drago n’étaient pas présents. Ils étaient pourtant appelés à être impliqués dans l’enquête, le premier parce qu’il l’avait commandé et le second parce qu’il en était membre.
Harry comprit alors que c’était Anguis qui ne les avait pas conviés. Ce dernier n’avait pas du tout confiance en Malefoy, et il avait même émis des soupçons sur l’Auror en signalant qu’il était un ancien Serpentard également.
- J’ai peur que nous soyons en présence d’un sorcier très dangereux, en effet, se désola Mme McGonagall. Pas seulement parce qu’il sait invoquer des sortilèges puissants, mais aussi parce qu’il faut être dérangé mentalement pour oser les utiliser sur des adolescents.
- Mais s’il manipule tous ses disciples pour qu’ils n’aient plus souvenir de lui, ils ne pourront rien nous apporter, raisonna Harry. On a bien vu avec les trois filles de Serpentard qu’elles ne le connaissent pas. Elles ne savent même plus ce qu’elles ont fait des objets.
- Il faudrait que je puisse leur poser plus de questions, dit Anguis.
Cette remarque s’adressait indirectement à Mme McGonagall, qui l’avait stoppé dans son premier entretien.
- Il faut que je sois claire, dit celle-ci sombrement. J’ai autorisé ces interrogatoires en vous accordant une totale confiance, Mr Econiuratis. Mais si vous aviez eu tort, j’aurais donné mon approbation à l’utilisation du veritaserum dans un cadre illicite, sur des individus innocents. Les conséquences en auraient été terribles, et pas simplement pour moi. Nous aurions tous été considérés comme consentants. Nous avons eu beaucoup de chance que vous n’ayez pas fait d’erreur de jugement. Car cette potion est très réglementée. On ne peut pas pousser à bout le suspect, et c’est pour cela que j’ai interrompu les entretiens de tout à l’heure. Je ne pourrai pas assister à tous les prochains, puisqu’il risque d’y en avoir d’autres. Mais je veux absolument qu’ils soient réalisés dans des conditions respectueuses et professionnelles. Je m’en assurerai en venant parfois inspecter votre travail, Mr Econiuratis.
- Mais vous êtes sûre que des élèves viendront se dénoncer de leur plein gré ? s’étonna Ron.
- L’idée de Mr Econiuratis est très bonne. Je pense que cela va en effet inciter des coupables à réduire leur peine en se démasquant par eux-mêmes. Faute avouée, à demi-pardonnée, comme on dit. Je vais essayer de leur donner envie de le faire, en tout cas. Pour cela, je vais devoir prendre des mesures très sévères contre les trois jeunes filles qui ont été démasquées. Elles auront plusieurs semaines de retenues, et perdront chacune 100 points pour leur maison.
- 100 points chacune ?!
Harry était abasourdi. Cela faisait perdre 300 points d’un coup à Serpentard, qui avait presque automatiquement perdu toutes ses chances de remporter la coupe des quatre maisons. Même s’il n’aimait pas Serpentard, il ne pouvait s’empêcher de trouver la sanction terriblement démesurée.
- Cela peut représenter beaucoup à vos yeux, mais c’est bien moins important que la sécurité de l’école, confia la directrice. Si je menace de cette sanction les élèves coupables, mais que je leur offre la possibilité de ne pas perdre ces points en venant avouer leurs méfaits, j’espère qu’ils viendront d’eux-mêmes nous aider.
- Madame, pensez-vous que ce complot ne concerne que des élèves de Serpentard ? interrogea Ron prudemment.
La question lui brûlait visiblement les lèvres depuis un moment, mais il était osé de le demander à la directrice, qui n’avait pas d’idées reçues sur cette maison, contrairement à eux.
- J’espère de tout cœur que non. Ce ne sont que trois élèves prises à part, on ne peut pas en faire une généralité. Il est vrai que le nom de Serpent est associé à eux, et qu’ils n’ont pas été affectés par les vols, mais nous ne pouvons rien appuyer pour l’instant. Nous saurons bien assez tôt quels autres élèves sont impliqués, si certains viennent se dénoncer de leur propre initiative dans les prochains jours.
Elle les somma de quitter le cachot pour assister à leurs cours de l’après-midi. Anguis ne masquait pas son enthousiasme. Son soulagement était compréhensif, il avait risqué de lourdes sanctions du Ministère pour faire avancer l’enquête. Harry et Ron lui en étaient reconnaissants, car ils devaient avouer qu’ils n’y étaient pas pour grand-chose.
C’était la première fois qu’ils se retrouvaient spectateur de ce genre d’affaire, et cela n’avait rien pour déplaire à Harry. Il avait déjà donné en ce qui concernait les complots en tous genres, et se ravissait de voir quelqu’un prendre le relais.
Quant à l’affiche incitant à les élèves à avouer leurs vols, elle fut placardée dès le lendemain dans toutes les salles communes. A la place du précédent message qui les avait avertis de vols en série, il était écrit en grosses lettres :
APPEL A VOTRE COOPÉRATION
Trois élèves ont avoué avoir effectué certains des vols recensés ces dernières semaines. Elles ont naturellement été lourdement sanctionnées par vingt heures de retenue et 300 points enlevés à leur maison. Pour éviter des punitions similaires, nous vous conseillons de venir immédiatement avouer un vol que vous auriez commis au professeur Aquilibus. Votre témoignage nous sera très utile dans notre lutte contre le fauteur de troubles dont vous avez tous entendu parler. Nous valoriserons cette démarche, et quiconque viendrait par lui-même confesser son délit ne se verrait enlevé aucun point.
Minerva McGonagall.
La proposition était convaincante. La coupe des quatre maisons, qui récompensait en fin d’année la maison ayant obtenu le plus de points, était très importante. Faire perdre des points à sa maison était une honte terrible, tandis qu’en faire gagner assurait une popularité auprès de tous ses camarades.
Il fallut attendre quelques jours avant que le message ne fasse effet. Harry et Ron demandaient tous les soirs à Anguis s’il y avait du neuf, mais celui-ci ne put pas tout de suite leur répondre affirmativement.
Puis progressivement, il leur apprit que de nombreux élèves avaient avoués des vols de leur propre initiative. Il leur expliqua qu’ils venaient se dénoncer à Mr Aquilibus, qui le contactait ensuite pour procéder aux interrogatoires.
Ron et Harry furent autorisés à assister à quelques-uns de ces entretiens, en tant que membres de l’enquête. Comme convenu, Mme McGonagall venait surveiller la stricte tenue du protocole dès qu’elle en avait l’occasion. Enfin, Mr Loyd les rejoint à plusieurs reprises et félicita chaleureusement Anguis pour son rôle majeur dans l’avancée de l’enquête. Malefoy, lui, ne vint jamais, et Harry n’osa pas demander pourquoi.
Rapidement, Anguis devint très efficace. Il appliquait le protocole à la lettre, posait toujours les mêmes questions et ne permettait à personne de prononcer un mot de plus que ce qu’il demandait. Quand les spectateurs comme Ron et Harry arrivaient, le suspect était déjà installé sur le tabouret. Il avalait deux gouttes de veritaserum, répondait succinctement et quittait le cachot.
De nombreux élèves furent ainsi testés au veritaserum.
Il y eut d’abord John Tuff, un quatrième année corpulent aux cheveux châtains. Puis Élodie Prisey, une grande blonde en sixième année. Suivirent les jumeaux Jadon et Manuel Fratz, la deuxième année Pauline Campton, le plus jeune Enzo Prat, et de nombreux autres.
Ils avaient tous un seul point commun : ils appartenaient à la maison Serpentard.