Harry Potter et le Complot du Serpent

Chapitre 10 : Le dernier indice

6650 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/07/2020 23:33

Les jours suivants furent très difficiles pour Harry. Il ne savait même pas pourquoi le suicide d’Eliott l’affectait autant.

Il se sentait encore plus coupable qu’après la mort de la première élève. Cette fois, il n’avait pas donné une arme au meurtrier, il lui avait donné un motif pour tuer un enfant.

Évidemment, ses amis faisaient tout pour le déculpabiliser. Ils lui assuraient que Eliott aurait parlé à quelqu’un d’autre de toute façon. Ils lui rappelaient que ce n’était même pas lui qui avait demandé à voir le jeune Poufsouffle, et qu’il n’aurait pas pu connaître les conséquences à l’avance. Mais leur discours ne changeait rien : Harry se morfondait.

Il s’efforçait de dormir la nuit, cette fois. Il se rappelait des remontrances d’Hermione qui lui avait hurlé que son comportement n’arrangeait pas la situation. Alors Harry mangeait même sans y prendre goût et dormait même sans y trouver repos.

Quant à sa soif de vengeance, elle le rongeait toujours, sans pouvoir être satisfaite. Car depuis le suicide d’Eliott, l’enquête n’avait pas avancé d’un poil. Ils avaient continué à éplucher les livres de la bibliothèque sur les créatures magiques, mais cela ne leur avait rien apporté de plus.

Leur espoir éphémère de consulter le souvenir d’Eliott s’était éteint en même temps que le petit garçon. La pensine ne permettait pas de consulter les mémoires d’un défunt. Ron avait pourtant émis cette hypothèse, mais il n’avait reçu en retour qu’un regard noir de la part d’Hermione.

Elle considérait comme une honte à la mémoire d’Eliott de réduire ce drame à la perte d’un indice. Harry était entièrement d’accord. La piste qu’ils avaient perdue n’était pas bien grave à côté de la vie de ce pauvre enfant.

Mais au fond de lui, Harry déplorait aussi cette occasion manquée. Il avait encore été négligent à plusieurs reprises, et se mordait les doigts de ne pas avoir su réagir correctement. Il avait eu une journée entière pour penser à utiliser la pensine pour récupérer le souvenir d’Eliott. Et au lieu de ça, il avait bêtement perdu son temps à la bibliothèque à consulter des encyclopédies inutiles.

Rien de tout cela n’aurait sauvé Eliott, et Harry réalisait qu’il n’aurait pas pu changer le sort du pauvre enfant. Il n’aurait jamais pu anticiper que le Serpent serait mis au courant de leur conversation. La capacité de ce dernier à tout savoir agaçait profondément Harry. Qui pouvait être omniscient à ce point, pour connaître l’existence de la Carte du Maraudeur et toutes ses discussions privées ?

Il en devenait paranoïaque, et en venait même parfois à suspecter ses propres amis puisqu’ils étaient les seuls à qui il communiquait toutes ces informations. Mais il chassait aussitôt cette idée ridicule de son esprit, en se blâmant d’avoir pu penser à une chose pareille.

En attendant, il ne comprenait toujours pas qui d’autre était capable d’obtenir tous ces renseignements. Il avait l’impression que le Serpent prenait un malin plaisir à déjouer tous ses plans à la dernière minute avec une facilité déconcertante. A chaque fois qu'Harry s’approchait d’une piste, l’inconnu lui filait entre les doigts.

Cela avait encore été le cas en haut de la tour d’astronomie, juste après la chute d’Eliott. Paralysé par le choc de ce décès brutal, Harry n’avait pas eu le réflexe de monter pour intercepter le coupable. Car le Serpent était encore en haut à ce moment-là, c’était une certitude. Il fallait être à proximité de sa victime pour le pousser à se suicider grâce à l’Imperium.

Si Harry était sorti plus vite de sa torpeur, il aurait eu le temps d’intercepter le Serpent avant que celui-ci n’ait eu le temps de s’enfuir. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Mr Loyd. Alors que tout le monde s’affairait autour du corps sans vie d’Eliott, il s’était précipité dans les escaliers de la tour d’astronomie. Lui avait pris l’initiative de grimper les marches avant que le meurtrier ne s’échappe.

Pourtant, et pour une raison inexplicable, Mr Loyd était revenu bredouille. Il avait assuré avoir fouillé les lieux sans y trouver la moindre trace du Serpent. Ce dernier n’avait pas pu trouver le temps de dévaler les escaliers pour fuir. Il n’avait pas pu s’échapper par la voie des airs, avec tous les témoins présents en contrebas. Les escaliers en colimaçon de la tour d’astronomie n’étaient pas assez larges pour passer à côté de quelqu’un dans le sens inverse sans le toucher.

La seule option pour partir sans être repéré était de transplaner, ce qui n’était pas possible pour un sorcier dans l’enceinte de Poudlard. Harry ne voyait alors plus qu’une possibilité : la créature qui avait forcé Eliott à sauter était la même qui avait transplané dans la salle commune de Poufsouffle.

Sauf qu’il y avait autre chose. Depuis cet événement étrange, Mr Loyd n’avait plus jamais été le même. Son comportement avait radicalement changé du jour au lendemain sans explication préalable. L’air jovial de l’Auror avait laissé place à un visage impassible. Il passait désormais la majorité de son temps à fixer ses yeux vitreux dans le vide, et ses cours étaient devenus insipides.

Ce changement n’était pas anodin, et Harry s’en inquiétait beaucoup. Mr Loyd avait été le seul à monter dans la tour d’astronomie, alors personne ne pouvait savoir ce qui s’y était réellement passé. Il aurait très bien pu être possédé par le Serpent à son tour. Mais ce dernier était-il vraiment capable d’utiliser l’Imperium sur un Auror ? Lancer ce sortilège sur des écoliers était une chose, mais le faire sur un adulte préparé à y résister était beaucoup plus impressionnant. D’autant plus que ce petit manège durait déjà depuis plusieurs semaines.

Par moments, Mr Loyd paraissait plus éclairé, sans pour autant retrouver son comportement habituel. Harry avait espéré qu’il ait pu communiquer sur ses symptômes lors de ses phases de réveil partiel, mais l’Auror restait muet comme une tombe.

Le suicide d’Eliott, qui représentait le deuxième décès dans l’école depuis le début de l’année, eut naturellement un écho retentissant. La terreur s’empara à nouveau des élèves, qui avaient quelque peu oublié leur inquiétude en se défoulant sur les jeunes Serpentard. Ce harcèlement redoubla d’intensité après cet autre meurtre du Serpent, qui était toujours considéré comme le meneur de Serpentard.

Évidemment, le ministère de la Magie fut rapidement mis au courant de cette nouvelle mort. Il imposa à Mme McGonagall une date butoir pour trouver le coupable et mettre fin à ses agissements. A compter du 7 mars 1999, date de la mort d’Eliott, elle avait un mois pour arrêter le Serpent, ou l’école devrait fermer. De plus, si un seul autre habitant du château était tué à son tour, Poudlard serait contraint de s’arrêter immédiatement.

Ces consignes furent communiquées par la directrice un soir, lors du dîner dans la Grande Salle. La nouvelle reçut des réactions diverses, certains se soulageant de cette intervention ministérielle, d’autre déplorant la fermeture imminente de l’école.

Hermione était dans ce dernier cas.

- C’est catastrophique, se lamenta-t-elle. L’année de nos A.S.P.I.C, ça n’est pas possible ! Mais je ne vais donc jamais avoir ce diplôme ?

Harry aussi était très contrarié. L’école qui l’avait initié au monde de la magie allait finalement fermer ses portes et Mme McGonagall serait sûrement démise de ses fonctions pour cet échec.

Mais alors qu’il pensait que les choses ne pouvaient plus empirer, Mr Loyd se volatilisa. Sa disparition intervint de manière encore plus impromptue que son changement d’attitude préalable.

C’était trois semaines après la mort d’Eliott. Il ne s’était pas présenté à l’entraînement d’Auror du lundi matin, et demeura introuvable depuis. Il n’assurait plus ses cours, n’était plus présent à la table des professeurs et personne n’avait vu un quelconque signe de vie de sa part. Son bureau avait été fouillé de fond en comble sans trouver le moindre indice sur sa subite disparition.

Évidemment, de nombreuses théories avaient circulé à ce propos, toutes plus pessimistes les unes que les autres. Certains racontaient qu’il avait été capturé par le Serpent, d’autres pensaient qu’il l’était lui-même et d’autres encore disaient simplement qu’il avait pris la fuite. Mais tous s’accordaient sur leur inquiétude vis-à-vis de cet événement. La plupart des élèves restaient plus marqués par son absence que par la mort des deux petits enfants, car ils étaient désormais orphelins de la seule figure rassurante pour ses compétences en matière de défense contre les forces du mal.

Harry n’était pas de cet avis. La mort d’Eliott l’avait beaucoup plus affecté que la disparition de Mr Loyd. Mais surtout, il ne voyait pas vraiment ce que l’Auror avait apporté à l’enquête jusque là. Ce dernier l’avait laissée aux mains de ses apprentis et n’avait rien fait pour les aider.

Son absence n’était tout de même pas anodine aux yeux d'Harry. D’autant plus qu’elle intervenait à une semaine de la date fatidique où l’école devrait fermer si le coupable n’était pas arrêté.

- Le temps presse, il faut absolument qu’on trouve ce Serpent, clama Harry à à ses amis, un samedi soir où ils travaillaient dans leur salle commune.

- Évidemment, mais on ne sait plus où chercher, fit remarquer Ron. Personne n’arrive à l’arrêter. Si même l’Auror y est passé, je ne vois plus trop ce qu’on peut faire.

- On a toujours trouvé la solution au dernier moment, positiva Harry. Elle est sûrement juste devant nos yeux. Hermione, c’est toujours toi qui nous aidais dans ses moments-là.

- Je n’en sais pas plus que vous, se défendit l’intéressée, prise au dépourvu.

- Alors on va simplement laisser les choses se faire ? s’agaça Harry, dépité. On abandonne Poudlard et Mme McGonagall à leur sort ? On n’essaie même pas de venger Eliott ?

- Ça ne me fait pas plaisir non plus, mais on n’a plus aucune piste, se résigna Ron. Il faut se rendre à l’évidence, on ne peut plus rien faire, cette fois.

Harry aurait voulu répliquer à Ron qu’ils n’avaient jamais abdiqué de la sorte, mais il ne trouvait pas non plus de moyen pour changer le destin de Poudlard. Il soupira et s’écroula dans son fauteuil en maudissant son impuissance.

- Il y a peut-être un dernier espoir, suggéra Ginny sans grande conviction.

Harry se redressa avec intérêt.

- Avec un peu de chance, Eliott a peut-être eu le temps de glisser son souvenir dans la pensine avant de se suicider, poursuivit Ginny prudemment. On ferait peut-être bien d’aller voir, au cas où.

- Tu parles d’un dernier espoir, commenta aigrement Ron, pas convaincu par la proposition.

Harry n’était pas beaucoup plus emballé par cette solution. L’hypothèse de Ginny paraissait hautement improbable. Il aurait fallu qu’Eliott pense en même temps qu’elle à cette solution pour partager son souvenir, sans compter le fait qu’il ne connaissait sûrement même pas l’existence de la pensine.

- Je n’y crois pas vraiment non plus, mais c’est déjà mieux que rien, soutint Hermione.

Voyant qu’elle n’avait toujours pas décidé les deux garçons, elle insista :

- Comme tu dis, Harry, on a toujours trouvé la solution au dernier moment. Et on a toujours eu un peu de chance. Essayons de la provoquer, c’est tout ce qu’on puisse faire.

- Et au pire, ça nous permettra de voir Mme McGonagall, elle aura éventuellement une autre idée à nous proposer, appuya Ginny.

Sans grande conviction, Ron et Harry acceptèrent et suivirent leurs amis hors de la salle commune de Gryffondor. Ils descendirent jusqu’au deuxième étage où se situait le bureau de Mme McGonagall.

Harry eut un pincement au cœur, en voyant la gargouille de pierre qui bloquait l’entrée. C’était sûrement la dernière fois qu’il lui donnait le mot de passe :

- Albus et Fumseck.

Ils toquèrent à la porte du bureau de Mme McGonagall, qui les invita à rentrer de sa voix sévère habituelle. Mais son ton était moins impérieux qu’à l’accoutumée, comme teinté d’une once de tristesse.

Elle parut ravie de les voir entrer. Comme sa voix, son visage souriant dévoilait un émoi particulier, qui ne lui ressemblait pas. Elle ne laissait que très rarement transparaître ses émotions, mais ce soir-là, elle ne semblait pas pouvoir les maîtriser.

- Ça me fait plaisir de vous voir, leur dit-elle tendrement, ce qui n’était pas moins surprenant de sa part. Je suis sincèrement désolée de ne pas avoir su vous assurer une année sereine et complète.

Elle était réellement bouleversée, malgré tous ses efforts pour le cacher.

- Mais l’année n’est pas finie, lui répondit Hermione avec une assurance feintée.

- Malheureusement, je crois bien que c’est terminé, déplora la directrice. Je n’ai pas réussi à garantir la sécurité à Poudlard. Je n’ai pas été à la hauteur d’Albus, c’est désolant.

- Pourquoi nous avoir confié l’enquête ? Pourquoi ne l’avez-vous pas menée vous-même ? demanda Ron avec curiosité

- Je pensais que vous arrêteriez facilement ce Serpent, avoua Mme McGonagall. Vous êtes tout de même Harry Potter et Ron Weasley, alors je n’ai pas hésité à vous offrir pleinement ma confiance. Mais rien n’est de votre faute. C’est ma responsabilité, c’est moi qui ai pris la mauvaise décision.

Harry sentit croître son désespoir d’être impuissant face aux événements. Mme McGonagall avait cru en eux, et ils ne s’étaient pas montrés à la hauteur. Ce qu’ils avaient pris pour de la négligence de la part de la directrice témoignait en fait de sa confiance infaillible en leurs capacités à démanteler ce complot.

- On peut encore éviter la fermeture de l’école, dit-il d’une voix étranglée, trahissant ainsi son incertitude.

Mme McGonagall semblait ne pas avoir remarqué son appréhension, car cette remarque la ragaillardit.

- C’est pour ça que vous êtes venus ? Vous avez une piste ?

Harry fit tout son possible pour paraître sûr de lui.

- Nous espérons, en effet.

- Alors demandez-moi ce que vous voulez, Potter, je ferai tout pour vous aider, assura la directrice en retrouvant son air fier.

- Et bien oui, nous nous demandions si nous pourrions utiliser votre pensine, madame, requit poliment Harry.

- Bien sûr, faites.

Harry s’approcha lentement de la pensine. Il se pencha avec appréhension sur le récipient en pierre.

Il se sentait idiot. Il avait tenu à se montrer rassurant auprès de Mme McGonagall car il avait été ému de la voir dans un état aussi inhabituel. Mais à vrai dire, il n’était pas confiant du tout, au contraire.

Même si c’est ce qu’il espérait le plus au monde à cet instant précis, il doutait sérieusement d’apercevoir le souvenir d’Eliott dans le liquide translucide de la pensine. Il ne s’attendait pas à y trouver quoi que ce soit d’utile à son enquête d’ailleurs. Cela relèverait du miracle.

Harry ferma les yeux et supplia le destin de lui venir en aide. Quand il rouvrit ses paupières, il se figea de surprise.

Légèrement déformé par les remous du liquide, le visage d’Albus Dumbledore apparut à ses yeux. Un sourire malicieux se dessinait sur ses lèvres et son regard bleu perçant fixait Harry avec courtoisie.

Ce dernier était estomaqué. Il ne comprenait pas vraiment ce que cela signifiait. La vue de Dumbledore était toujours rassurante, mais dans ce contexte, il n’était pas sûr que ce soit d’une grande aide.

Désemparé, Harry releva la tête et tourna la tête vers Mme McGonagall, cherchant une explication. Il s’attendait à la découvrir aussi surprise que lui de cette vision. Mais elle était au contraire très calme, et la même malice que celle de l’ancien directeur s’alluma dans ses yeux.

- Évidemment, souffla-t-elle comme si le visage de Dumbledore avait répondu à toutes ses questions.

- Je ne comprends pas, madame, confessa Harry.

- Et bien, Potter, s’exclama McGonagall, visiblement bien plus étonnée par l’incrédulité d'Harry que par l’apparition inattendue de Dumbledore dans la pensine. Je croyais que vous vous y attendiez, que vous étiez venu pour le voir.

- Voir quoi ?!

Harry était au comble de l’incompréhension. La logique de la situation lui échappait. En leur jetant un œil, il fut rassuré de constater que ses amis étaient aussi désorientés que lui. Seule Mme McGonagall avait eu une illumination en découvrant l’image du précédent directeur.

- C’est une aide que vous donne actuellement la pensine, Potter, expliqua-t-elle finalement. J’aurais dû y penser moi-même, c’était évident. Cette pensine appartenait à Albus Dumbledore. Il est celui qui l’a installée dans ce bureau. Il y a glissé tant de souvenirs qu’elle est liée à lui pour l’éternité, c’est comme s’il y avait laissé une partie de son âme. Or Albus vous appréciait beaucoup, Potter. Il a toujours tout fait pour vous aider, pour vous guider dans vos moments de doute. C’est ce que fait la pensine actuellement, et ce qu’elle a toujours fait. Il l’a ensorcelé pour qu’elle vous apporte les réponses dont vous avez besoin, comme lui le faisait de son vivant.

- La pensine ne m’a pas toujours apporté la solution à mes problèmes, objecta Harry.

- Si, d’une certaine façon. Ce n’est pas exactement ce qu’elle fait, apporter une solution à vos problèmes. Mais quand un souvenir pourrait vous aider, elle vous le propose par elle-même. Rappelez-vous, Potter, lors de votre quatrième année. La première fois que vous avez découvert cette pensine, dans ce même bureau. Dumbledore s’était absenté, et pourtant, elle vous a montré ce dont vous aviez besoin à cette période-là.

- Les procès de Karkaroff et de Barty Croupton Jr, se rappela Harry, qui commençait à comprendre. C’étaient des mémoires de Dumbledore…

- Et vous avez pu y accéder. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi la pensine vous avait présenté ces souvenirs en particulier ? C’est parce qu’elle sentait qu’ils vous éclaireraient en temps voulu.

Harry était fasciné. A vrai dire, non, il ne s’était jamais posé cette question. Mais maintenant, il se souvenait que ces informations l’avaient aidé à comprendre les rouages du plan vicieux de Voldemort pour revenir à la vie.

- Dumbledore était un grand homme, poursuivit Mme McGonagall. Un homme sage et prévoyant. Il a imprégné de cette sagesse tous les êtres vivants qui l’entouraient, comme les objets. Ils lui étaient voués et aidaient les gens qu’ils aimaient aux moments où lui ne pouvait le faire personnellement. C’est le cas de son phénix, Fumseck, qui vous a apporté l’épée de Gryffondor dans la chambre des Secrets. La pensine aussi possède en elle la sagesse de Dumbledore, et elle se montre capable de vous aider dans les moments de doute, où tout semble perdu.

- Vous voulez dire que même après sa mort, Dumbledore tente de m’aider à travers la pensine ? s’exclama Harry, émerveillé.

- Exactement, acquiesça la directrice avec satisfaction. Elle vous présente en ce moment même un des souvenirs de Dumbledore, quand vous en avez le plus besoin. Alors profitez-en, consultez-le.

Harry frémit d’excitation. Il avait espéré un miracle, et celui-ci venait de se réaliser.

Il se pencha à nouveau au-dessus du récipient, où le visage de Dumbledore lui souriait toujours. Il approcha prudemment son visage du contenu de la pensine. Lorsque son nez effleura le liquide argenté, Harry se sentit basculer à l’intérieur, poussé en avant par une force invisible. Il chuta vertigineusement dans la pensine, mais ne s’en inquiéta pas. C’était parfaitement normal, et il le savait. Il plongeait simplement dans le souvenir pour le revivre comme s’il était sur les lieux ce jour-là.

Il atterrit debout, brusquement mais sans la moindre douleur. Le décor dans lequel il se trouvait n’était plus le bureau de Mme McGonagall, mais une autre salle du château.

Cette pièce était facilement reconnaissable, c’était la cuisine de Poudlard. La salle était immense avec un plafond très haut. Des victuailles en tous genres couvraient de longues tables en bois. Le long des murs en pierre étaient soigneusement disposées des marmites de tailles et de formes diverses. Il s’en échappait le doux fumet du ragoût qui y mijotait. D’ailleurs, il régnait une chaleur étouffante, certainement due aux larges cheminées renfoncées dans les murs de la salle.

Partout autour de lui, des elfes de maison s’affairaient à cuisiner en chantant allégrement. C’étaient ces créatures qui étaient chargées de couvrir de nourriture les tables de la Grande Salle, située juste au-dessus. Ils devaient être une centaine, tous vêtus d’immondes habits débraillés. Ils avaient aussi en commun un petit corps frêle et de gros yeux globuleux. Par contre, la forme de leurs nez variait, certains arborant un nez crochu de sorcière et d’autres un large groin de cochon.

Harry eut un pincement au cœur nostalgique en reconnaissant parmi eux Dobby, un elfe de maison qu’il avait beaucoup apprécié et qui s’était sacrifié pour lui un an auparavant.

Mais actuellement, Harry était dans un souvenir, et s’il pouvait voir son ancien compagnon, ce n’était pas réciproque. Personne ne pouvait le remarquer, car il n’était que spectateur de cet événement.

En tout cas, la présence de Dobby indiquait à Harry qu’il était revenu plusieurs années en arrière, quand l’elfe servait encore dans les cuisines de Poudlard.

Soudain, un homme qu'Harry n’avait pas remarqué sortit de la pénombre juste derrière lui. C’était Albus Dumbledore, qui veillait d’un regard paternel sur le travail méticuleux de ses employés.

Il était désormais à droite d'Harry, à un mètre seulement. Mais il ne voyait pas l’intrus, et interpella plutôt Dobby. Celui-ci accourut auprès de lui avec un sourire docile.

- Bonjour, monsieur le proviseur, c’est un honneur de vous recevoir ici, dit-il en s’inclinant assez bas pour toucher le sol.

- Ne t’embêtes pas avec ces formalités, Dobby, assura Dumbledore avec amusement. Je viens juste vérifier que tout se passe bien pour vous avant le banquet de ce soir.

- Oh oui oui, bredouilla l’elfe de maison. Ce sera prêt largement à temps, les invités seront ravis du repas, monsieur le directeur.

- Excellent, merci bien. En tout cas, ça sent bon, complimenta jovialement Dumbledore. Les écoles de Durmstrang et Beauxbâtons vont se régaler, je n’en doute pas.

Harry comprit alors à quelle date ce souvenir l’avait emmené. Il était revenu à sa quatrième année, où Poudlard avait accueilli deux autres établissements pour organiser la coupe des trois sorciers à laquelle il avait lui-même participé.

En voyant ainsi Dumbledore et Dobby vivants, avec leur bonne humeur, Harry sentit des larmes monter à ses yeux. Il profitait de chaque seconde à leurs côtés, même si eux ne pouvaient pas le considérer. Il avait complètement oublié la raison de son arrivée, et voulait simplement que le souvenir dure le plus longtemps possible.

- Oh non, ne nous remerciez pas, c’est le devoir des elfes de maison, rougit Dobby en se ratatinant de plus belle. Je vais aller vérifier que les couverts soient bien installés, si ça ne vous dérange pas, monsieur le proviseur.

- Non, ne pars pas ! s’écria Harry sans que son ami ne puisse l’entendre.

Dobby claqua des doigts et disparut. Consterné, Harry se tourna vers Dumbledore, et fut surpris de voir que celui-ci était tourné dans sa direction. Il crut même le voir lui adresser un clin d’œil.

Mais Harry ne put s’en assurer, car une force invisible le projetait irrémédiablement vers le haut. Alors qu’il remontait hors de la pensine, il jeta un dernier coup d’œil à la cuisine de Poudlard en contre-bas. Les elfes de maison ressemblaient maintenant à une colonie de minuscules fourmis grouillant autour des tables.

Harry fut projeté au dehors de la pensine avec brutalité. Ce retour à la réalité était très désagréable. Le bureau de Mme McGonagall était glacé en comparaison avec l’ambiance chaleureuse du souvenir.

Harry aurait voulu rester là-bas, simplement à observer Dobby travailler. Il aurait aimé contempler le visage protecteur de Dumbledore.

- Alors ? l’interrogea Mme McGonagall en se penchant sur lui.

- Je… je ne sais pas… marmonna Harry dans un soupir.

Il avait complètement oublié l’objectif de son excursion dans la pensine. La nostalgie de ce souvenir l’avait déconcentré, et il se souvint alors qu’il était censé y trouver une information utile à son enquête.

Et après réflexion, il ne comprenait toujours pas ce qu’il devait tirer de cette vision. Elle avait été très agréable, mais il ne la trouvait pas vraiment instructive.

Il aurait cru que la pensine allait lui montrer l’identité du Serpent, sa cachette ou au moins son mode d’action. Mais rien de tout cela ne lui avait été révélé, et il se retrouvait bredouille.

- C’est à dire ? Vous n’avez rien vu ? s’étonna Mme McGonagall, la mine déconfite.

- Si… bégaya Harry. Si, j’ai vu des choses, oui… Mais je ne comprends pas le lien avec l’enquête. Regardez, si vous voulez.

Mme McGonagall ne se fit pas prier et se pencha à son tour au-dessus de la pensine. Tandis qu'Harry se relevait, elle bascula à l’intérieur du récipient.

Quelques longues minutes plus tard, elle en ressortit brusquement, et se tourna vers eux.

- C’est vrai, je ne comprends pas non plus, annonça-t-elle, le visage livide.

Éprises de curiosité, Hermione et Ginny plongèrent elles aussi dans la pensine pour y consulter le souvenir de Dumbledore. Et comme Harry et la directrice avant elles, aucune ne comprit la révélation de la pensine.

Il ne restait plus que Ron, qui bascula en dernier au fond du récipient. Après quelques instants, il surgit de la pensine et se tourna vers eux. Mais au contraire de leurs mines contrariées à leurs retours, lui avait un sourire radieux.

- Quoi ? Vraiment ? Vous n’avez pas compris ?

Face à leurs têtes hébétées et en absence de réponse, Ron reformula sa question :

- Sérieusement, ça ne vous paraît pas évident ?

Ils secouèrent la tête en signe de négation. Ron les regardait d’un air ahuri, comme si la solution était aussi simple que deux plus deux.

- Eh bien, c’est un elfe de maison, daigna-t-il enfin expliquer. La créature qu’on cherche, celle qui est apparue devant Eliott dans la salle commune de Poufsouffle, c’est un elfe de maison. Dobby a transplané dans le souvenir, c’est pour nous rappeler que les elfes de maisons ont la capacité de transplaner dans l’enceinte de Poudlard, au contraire des sorciers.

Harry réalisa enfin, et se demanda pourquoi il avait mis si longtemps à comprendre. C’était évident, il aurait dû le remarquer dès qu’il l’avait vu. Et Dumbledore qui lui avait fait un clin d’œil juste après, c’était comme s’il avait voulu lui faire comprendre.

Les visages d’Hermione et Ginny s’éclairèrent aussi en comprenant le message de la pensine. Mais Mme McGonagall resta circonspecte. Elle n’était pas au courant du récit d’Eliott Duff.

Alors qu’Hermione expliquait à la directrice ce que le jeune Poufsouffle avait vu, Harry assimila cette nouvelle information. Très bien, ils savaient désormais que c’était un elfe de maison qui avait transplané dans la salle commune de Poufsouffle. La description correspondait. Mais à quoi cela pouvait-il bien leur servir ?

- Je ne comprends pas, réfléchit-il à haute voix. Ça ne nous aide pas à trouver le Serpent.

- Au moins, on sait que ce sont des elfes de maison qui ont commis les vols, pas les élèves de Serpentard, argua Ginny.

- Oui, mais on n’a aucune preuve, et c’est le Serpent qu’on doit arrêter, rappela Harry.

Ginny acquiesça d’un air penaud. Drago Malefoy avait déjà dit à Harry que les Serpentard étaient innocents. Ils le savaient donc depuis plusieurs semaines, et Eliott l’avait confirmé. La pensine ne leur apportait rien de nouveau, à part le nom de cette créature. Ils ne connaissaient toujours pas l’identité du Serpent, ni sa technique pour tout savoir, ni celle pour manipuler des élèves et les faire mentir au veritaserum.

- Attendez, ça ne colle pas, remarqua Ron. J’imagine que ce sont les elfes de maisons travaillant des les cuisines du château qui ont subtilisé ces objets. Mais ça n’est pas possible, puisque ces créatures restent loyales en toute circonstance à leurs maîtres. Et en l’occurrence, ces elfes sont au service de Poudlard. Ils ne pourraient pas agir contre les habitants du château.

- A moins que leur maître n’ait changé, suggéra Mme McGonagall.

- Mais il faut qu’on leur donne un vêtement pour cela, et ils n’acceptent jamais d’en recevoir, objecta Harry. C’est une terrible honte pour eux d’être libérés de leur maître.

- Mais il y a une autre solution pour assujettir un elfe de maison, appuya la directrice. Si on arrive à lui faire croire qu’il est de son devoir de nous obéir, alors il le fera en plus de ses tâches envers son véritable maître.

- Vous voulez dire, avec un sortilège, comme l’Imperium ? avança Ron.

- Ce n’est pas grâce à un sortilège, non. L’imperium ne peut pas fonctionner sur les elfes de maison, car leur grande puissance magique les rend insensibles à ce genre d’enchantement. C’est plutôt grâce à un sérum...

Mme McGonagall jeta un regard complice à Hermione. Cette dernière sourit malicieusement, et prit son air érudit caractéristique des moments où elle récitait une notion savante apprise dans un livre.

- La potion Falsum Fidelitatis, plus communément appelée le philtre de fausse allégeance, installe dans l’esprit du buveur l’idée que sa fidélité revient à celui qui lui a donné la potion. Cela fonctionne un peu de la même manière qu’un philtre d’amour, sauf que le sujet ne développe pas des sentiments amoureux mais plutôt un désir incontrôlable d’obéir à son nouveau maître. Ce sérum est très puissant s’il est bien préparé, mais il ne fonctionne que sur des créatures ayant déjà une nature de serviteur. Les elfes de maison sont donc les plus à même d’y être soumis.

- C’est forcément ça, s’égailla Harry. Le serpent leur a fait boire ce philtre de fausse allégeance pour qu’ils lui obéissent en plus de servir Poudlard.

- Sauf que cette potion est extrêmement complexe, et requiert des ingrédients particulièrement rares, ajouta Hermione. Ce qui veut dire qu’un élève n’aurait ni le matériel ni les connaissances nécessaires à sa concoction.

- Tu insinues que c’est un professeur qui l’a préparée ? devina Ron.

- Oui, lâcha Hermione, un peu honteuse d’accuser un enseignant. Seul un adulte expérimenté, et en possession d’ingrédients spécifiques, a pu préparer le philtre de fausse allégeance.

Harry pensait avoir compris. Sans oser mentionner son nom, Hermione pensait à Mr Aquilibus, le professeur de potions. Ron, lui, ne se gêna pas pour formuler cette hypothèse :

- Alors il faut foncer aux cachots pour arrêter monsieur Aquilibus !

- Attendez, Weasley, le raisonna Mme McGonagall. Cela ne reste pour l’instant qu’une supposition. De nombreux autres adultes de ce château auraient pu réaliser cette potion, en subtilisant simplement les ingrédients nécessaires dans le bureau de Mr Aquilibus.

Elle aussi semblait mal à l’aise à l’idée qu’un de ses enseignants ait pu la trahir.

- C’est peut-être Mr Loyd, alors ! s’exclama Ginny. C’est un Auror, alors il est très fort en potions. En plus, ça expliquerait son comportement étrange des derniers jours et sa disparition soudaine.

Mme McGonagall ne contredit pas cette hypothèse, sans pour autant la valider. Elle restait très préoccupée par leur découverte, et ne voulait toujours pas croire qu’un professeur puisse être derrière ce complot.

Elle baissa la tête d’un air pensif, sans remarquer que les quatre élèves en face d’elle la fixaient impatiemment. Ils attendaient tous ses consignes pour agir. Après cette longue réflexion silencieuse, la directrice se redressa et posa son regard sévère sur eux.

- Et bien, soit, décida-t-elle. Dans tous les cas, vous avez tout intérêt à faire un tour au cachot. Soit vous y démasquerez Mr Aquilibus, soit vous pourrez l’interroger sur des vols dans ses étagères.

Harry avait déjà fait volte-face pour se précipiter aux cachots. Ses amis allaient l’imiter lorsque Mme McGonagall refroidit leurs velléités :

- Mais soyez prudents, il faut présumer qu’il pourrait vous attaquer. Je vais chercher du renfort, au cas où vous en ayez besoin.

- Comment savoir si ce renfort est fiable ? s’inquiéta Ginny. Chaque professeur pourrait être coupable, ils sont peut-être plusieurs dans le coup.

A leur grand étonnement, un sourire malicieux se dessina sur les lèvres de Mme McGonagall.

- J’ai ma petite idée là-dessus, annonça-t-elle d’un air mystérieux. Allez-y, de l’aide arrivera bientôt.

Sans avoir le temps de poser plus de questions, Harry fut poussé dans le dos par ses amis qui sortaient. Ils bondirent hors du bureau de la directrice et se précipitèrent dans le couloir.

Il était déjà tard et tous les autres élèves devaient dormir, ou du moins étudier dans leurs salles communes respectives. Leurs pas rapides résonnaient dans la château désert et baigné dans une semi-obscurité.

Harry se sentait poussé par un vent d’excitation. Quoi qui les attende dans les cachots, la perspective de partir à l’aventure avec ses amis l’enchantait. Moins de deux heures plus tôt, il se morfondait dans un canapé de la salle commune. Et là, il se retrouvait à nouveau embarqué dans des péripéties incertaines.

Finalement, cette adrénaline lui plaisait beaucoup. Il se rappelait tous les soirs des années précédentes où ils s’étaient lancés dans l’inconnu. Cela avait toujours été lors d’une chaude soirée de printemps, comme cette nuit d’avril. Qu’ils partent découvrir le mystère de la pierre philosophale ou celui de la chambre des secrets, c’était à chaque fois avec ce même frémissement d’impatience qu'Harry et ses amis se lançaient dans ces expéditions nocturnes.

Ils dévalèrent les petits escaliers miteux menant aux cachots. Ils avaient presque atteint le bas des marches quand Ron, qui menait la file, s’arrêta soudainement. Harry n’eut pas le temps de ralentir sa descente effrénée et le percuta violemment.

- Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il à son ami avec agacement.

Mais Ron n’eut pas besoin de lui répondre. Un cri perçant transperça la quiétude nocturne. Ce hurlement de douleur provenait justement du sous-sol, vers lequel ils se dirigeaient.

Un silence pesant s’installa alors, Harry tendant l’oreille pour déceler un autre bruit. Le cri macabre avait refroidi son excitation.

Alors qu’ils allaient reprendre leur descente, un nouveau glapissement les interrompit. C’était une exclamation de douleur sinistre. Celui qui poussait ces cris semblait souffrir atrocement.

Harry déglutit et se tourna vers ses amis. Ils avaient des visages livides et le regardaient d’un air interrogateur.

- Qu’est-ce qu’on fait ? lui demanda Ron avec appréhension.

Harry jeta successivement un coup d’œil à ses amis et à la porte du cachot, qu’il pouvait apercevoir en contrebas. Les hurlements l’avaient quelque peu intimidé. Son engouement s’était transformé en hésitation. Mais c’était trop tard, ils s’étaient engagés auprès de Mme McGonagall à retrouver ce Serpent. Et puis de toute façon, Harry ne se voyait pas reculer par frayeur. Il s’était déjà retrouvé à maintes reprises dans ce genre de situations, et il s’en était toujours brillamment sorti. Il s’était confronté à Voldemort et à ses sbires, alors il n’allait pas fuir devant quelques cris inquiétants.

Qui que ce soit ce Serpent, quel que soit la terrible raison de ces cris stridents, il se sentait prêt à l’affronter. En compagnie de ses amis, il se sentait invincible. Ensemble, ils ne craignaient rien.

Il se tourna à nouveau vers ses amis, qui avaient remonté quelques marches. Ils n’étaient pas rassurés mais attendaient sa réponse pour le suivre.

Harry prit alors une grande inspiration, saisit sa baguette avec conviction, et annonça en souriant :

- Eh bien on y va, évidemment !

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