Harry Potter et le Complot du Serpent

Chapitre 13 : Un sauveteur inattendu

6123 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/07/2020 23:44

EXPELLIARMUS !

Anguis était sur le point de prononcer la formule du sortilège de Mort quand ses deux baguettes s’échappèrent de ses mains pour voler jusqu’à l’autre bout de la pièce.

Drago Malefoy venait d’entrer dans le cachot, sa baguette brandie en avant. C’est lui qui venait de sauver la vie d'Harry et d’Hermione en lançant un sortilège de désarmement sur Anguis.

Ce dernier perdit immédiatement son rictus sardonique et tourna la tête vers le nouvel arrivant. En voyant Drago, ses traits se tordirent en une grimace haineuse et terrorisée à la fois.

Harry, lui, n’avait jamais été aussi heureux de voir Malefoy. Il ne put retenir une exclamation de triomphe et sentit une vague de reconnaissance l’envahir.

Drago, quant à lui, restait impassible, concentré à tenir en joue Anguis de sa baguette toujours braqué en avant.

- Recule, intima-t-il d’une voix ferme.

Anguis ne s’exécuta pas immédiatement. Complètement décontenancé, il restait figé et ne semblait pas comprendre ce que lui disait Drago.

- JE T’AI DIT DE RECULER ! aboya agressivement Malefoy.

Cette fois, l’information arriva jusqu’à l’esprit d'Anguis qui recula doucement, sans quitter des yeux la baguette pointée sur lui. Il avait désormais l’air d’un chien apeuré, à l’exact opposé de sa maîtrise machiavélique quelques instants plus tôt. Son attitude rappelait à Harry celle des opposants de Dumbledore face à la stature imposante de l’ancien directeur, ce qui était très flatteur pour Drago.

Mais ce dernier ne prenait aucun crédit de la situation, trop occupé à garder Anguis sous contrôle :

- Maintenant, mets-toi à genoux, et tends tes deux mains en avant.

Anguis ne lui fit pas répéter la consigne et s’exécuta docilement.

- Incarcerem ! prononça distinctement Malefoy.

De minces cordelettes apparurent à l’extrémité de sa baguette, comme pour celle d'Harry quelques minutes auparavant. Elles s’enroulèrent autour des poignets d'Anguis, liant ses poings tendus.

Le visage crispé de Drago se détendit enfin. Maintenant qu’il pensait son opposant neutralisé, il s’accorda une déconcentration et balaya le cachot des yeux. Il analysa le décor environnant, sans tenir compte des regards admirateurs d'Harry et Hermione.

Il s’arrêta un instant sur Mr Aquilibus, mais ne parut pas surpris de voir le professeur se vider de son sang. En fait, il connaissait bien ce sortilège puisqu’il en avait lui-même été victime en sixième année, de la part d'Harry justement.

Malefoy ne s’inquiéta pas plus de l’état de paralysie du professeur Loyd. Il contourna attentivement l’étagère pour s’informer de la présence des Weasley. Ginny était toujours consciente, mais pas encore assez énergique pour se relever.

Toute l’attention était portée sur Drago. Seul le bruit du verre cassé sous ses pieds venait rompre le silence, à mesure qu’il continuait son inspection. Il revint finalement devant Anguis, qu’il toisa avec autorité.

- Il a bu une potion de force, prévint Hermione. Il pourrait briser ses liens facilement.

Harry avait oublié ce détail, et fut reconnaissant envers Hermione d’en informer Malefoy. Anguis n’avait pas encore osé bouger mais il n’aurait eu aucun mal à se libérer.

Drago tourna enfin la tête vers Hermione et Harry, et les considéra pour la première fois.

- Merci, dit-il respectueusement. Tu pourrais t’en occuper ?

Hermione hocha la tête et se précipita vers l’étagère pour y trouver une potion adéquate. Harry osa finalement esquisser un mouvement à son tour, après s’être contenté d’observer l’entrée en matière de Drago. Il ramassa sa baguette et la tendit à son tour sur Anguis.

Ce dernier sourit à nouveau, mais cela ne témoignait plus de sa joie. Son rictus mauvais ne laissait transparaître qu’une rancœur désagréable.

- Tu as eu chaud, Harry, grogna-t-il. Ce doit être humiliant de voir ton ancien ennemi te sauver la mise.

Mais Harry ne répondit pas à la provocation. Il ne considérait plus Malefoy comme un ennemi, et n’aurait eu aucune honte à lui témoigner sa reconnaissance.

Pourtant, Harry et Drago restaient là, silencieux. Ils étaient exactement dans la même position, leurs bras droits tendus vers Anguis. Ils se regardèrent respectueusement, sans pour autant s’adresser la parole. Leur cordialité mutuelle restait pudique.

Harry n’avait pas besoin de parler pour comprendre que sa sympathie inédite envers Drago était réciproque. C’était comme si leur nouvelle relation cordiale devenait claire, aidée par le contexte. Le sauvetage de Malefoy scellait l’officialisation de leur rapprochement.

Ils étaient comme deux anciens adversaires qui venaient de se serrer la main pour marquer la fin d’une vieille querelle, à la seule exception que ce signe de réconciliation résidait plutôt en la mise en joue commune d’Anguis.

Hermione mit fin à leur silence timide en leur ramenant les potions dont ils avaient besoin. Tous deux se retournèrent simultanément en l’entendant revenir.

- J’ai trouvé une potion affaiblissante, ça devrait faire l’affaire, expliqua Hermione. Et j’ai enfin pu mettre la main sur une potion de l’œil-vif pour réveiller Ron.

- Parfait, approuva Harry.

Elle pencha une fiole orange au-dessus de la bouche d’Anguis pour lui administrer quelques gouttes de la potion affaiblissante.

- Et pour Mr Aquilibus, on fait quelque chose ? demanda-t-elle, un peu mal à l’aise.

- Oui, décida Harry, confus d’avoir blessé ainsi le professeur de potions. On peut lui donner la même potion qu’à Ginny, en prenant soin de l’affaiblir lui aussi.

Avant de s’éloigner pour ranimer Ron, Hermione se tourna vers Malefoy d’un air reconnaissant :

- Merci, Drago. Je ne crois pas qu’on s’en serait sorti sans toi. On te doit une fière chandelle.

Ce devait être la première fois de sa vie qu’elle l’appelait par son prénom. Elle venait de mettre des mots sur la gratitude silencieuse d'Harry.

- C’est normal, répondit Malefoy poliment. J’avais une dette envers vous.

Hermione rougit et retourna au chevet de Ron. De son côté, Harry s’occupa d’administrer une potion de régénération sanguine à Mr Aquilibus avant que ce dernier ne perde ses dernières gouttes de sang. Il libéra également Mr Loyd de sa paralysie grâce au contre-sort :

- Enervatum !

Mais l’Auror demeurait inconscient. Les effets des potions de haine et de l’œil-vif s’étaient dissipés. Il n’était donc plus réveillé, mais plus sous l’emprise d’une possession maléfique non plus.

Harry jugea bon de le garder endormi. Ils le porteraient à l’infirmerie dès que le cas du Serpent serait réglé.

Harry fut ravi de voir Ron se redresser, un peu plus loin. Ginny aussi avait été revigorée par une autre potion apportée par Hermione. Les deux Weasley rejoignirent Harry avec un sourire penaud.

- Désolé d’avoir été mis hors-course aussi tôt, mon pote, s’excusa Ron avec déception. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Maintenant qu’ils étaient tous réunis autour du prisonnier Anguis, Harry entreprit de faire le récit des derniers événements. Ron put rattraper son retard, et Malefoy écouta aussi attentivement.

Ron paraissait toujours réticent à faire entièrement confiance à Drago, mais le remercia pour son rôle salvateur.

- C’est McGonagall qui t’a envoyé ? questionna Ginny.

- Oui, renseigna Malefoy. Elle est venue me chercher dans le dortoir de Serpentard, et je me suis précipité au cachot. Elle m’a prévenu juste à temps, heureusement.

- Et pourquoi te fait-elle autant confiance ? interrogea Ron. Sans offense, bien sûr, mais elle ne pouvait pas être sûre que tu n’étais pas le coupable.

Harry fronça les sourcils, soucieux de la réaction de Malefoy. Même si Ron ne voulait pas être insolent, sa remarque était franchement insinuante.

- Croyez-moi, elle avait de bonnes raisons, éclaira Drago sans tenir compte de l’inconvenance de Ron. J’ai fait un serment inviolable avec elle. Je me suis engagé à n’utiliser la magie noire ou un sort impardonnable que contre un ennemi de Poudlard. Et vous savez ce qu’implique ce serment : j’y laisse ma vie si je ne le respecte pas. Cela donnait l’assurance à Mme McGonagall que je n’avais pas de mauvaises intentions. Et elle a aussi pu savoir que je n’étais pas le Serpent, puisque j’étais encore vivant.

- Mais alors pourquoi tu ne nous l’as pas dit immédiatement ? s’enquit Harry. On a tous eu des soupçons sur toi, véhiculés par Anguis. Tu étais le principal suspect, mais cela t’aurait immédiatement innocenté.

- C’était une des clauses du serment, je ne devais pas en parler à n’importe qui. Une directrice n’a pas vraiment le droit de faire un serment inviolable avec un élève, normalement. Elle y met directement en danger la vie de quelqu’un dont elle est responsable, c’est contradictoire. Alors il ne fallait pas que ça sache, d’autant que peu de gens me font confiance…

- Et ils ont bien raison… maugréa Anguis, à leurs pieds. Tu es le pire des Serpentard, c’est peu dire.

Cette provocation suffit à faire perdre à Drago le sang-froid imperturbable dont il avait fait preuve jusqu’alors. Ses yeux s’injectèrent de sang alors qu’il surplombait agressivement Anguis.

- N’oses même pas me reprocher quoi que ce soit ! pesta Malefoy en le menaçant de sa baguette tendue. Je n’ai pas toujours été exemplaire, mais je n’ai jamais abattu des enfants, contrairement à toi.

- Ça, c’est parce que tu es faible, le défia Anguis malgré sa position pour le moins défavorable. Tu n’as pas le courage de te battre pour ce qui te tient à cœur. Tu défendais la cause des Mangemorts, mais même faire le mal, tu n’as pas réussi.

Envahi par la haine, Drago se pencha sur lui, arc-bouté juste au-dessus de son visage pour marquer sa supériorité. Mais Anguis ne perdait pas la face, soutenant son regard noir et se débattant furieusement pour libérer ses poignets de l’étreinte des cordes.

- Tu n’étais peut-être pas du côté des Mangemorts, mais tu as causé plus de souffrance que la plupart d’entre eux, rétorqua Malefoy. Et le pire, c’est que tu y as pris du plaisir. Tu sais qui s’amusait autant de la douleur chez les Mangemorts ? (Il marqua une pause dramatique et dévoila un sourire mesquin) Bellatrix Lestrange !

Drago avait touché un point sensible dans leur lutte d’égos. Être assimilé à la meurtrière de ses parents rendit fou de rage Anguis. Incapable de se mouvoir convenablement à cause des liens qui le tenaient, il se débattit frénétiquement.

La ressemblance avec Bellatrix Lestrange en devenait d’autant plus frappante. Il présentait exactement le même profil dément que la Mangemort sur les photos de journal quand elle était à Azkaban.

Les yeux exorbités par la haine, Anguis serrait les dents et contractait chaque muscle de son corps pour tenter de s’échapper. Son visage n’était qu’à quelques centimètres de celui de Malefoy, mais il était incapable de s’en approcher davantage. Il aurait probablement aimé mordre Drago, ou lui faire quoi que ce soit qui puisse le blesser, mais il se contenta de lui cracher furieusement au visage.

- Ne me compares pas à cette criminelle ! enragea Anguis. Elle s’est attaquée à des innocents, alors que je n’ai fait que me venger des tueurs de son espèce et de la tienne.

- Mais non, contesta calmement Malefoy, qui prenait clairement le dessus dans leur échange verbal. Tu n’étais pas assez fort pour te venger sur les vrais coupables comme Bellatrix, alors tu t’es attaqué à des enfants innocents. C’était forcément plus facile, et j’ai vu que ça t’as bien défoulé. Mais tu avais tout faux, et tu vas le payer.

- Ils n’ont rien d’innocents, calomnia Anguis. Ce sont tous des futurs mages noirs. Alors en effet, je me suis bien défoulé et j’en suis particulièrement fier. Tu devrais me remercier, j’ai plutôt fait honneur à ta famille, finalement.

Il s’était fendu d’un ricanement saugrenu sur cette dernière phrase pleine de sous-entendus.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? balbutia Drago, quelque peu décontenancé.

Revigoré par la perte de maîtrise de son interlocuteur, Anguis expliqua son insinuation avec un plaisir malsain :

- Dis-moi, le complot que j’ai créé de toutes pièces, il ne te rappelle rien ? Je me suis particulièrement inspiré de l’année où la chambre des secrets a été ouverte. Ce mystère de l’héritier de Serpentard, ça avait terrorisé toute l’école. Il fallait alors que j’utilise un stratagème similaire pour faire renaître les soupçons. Et en effet, tout le monde a automatiquement pensé à Serpentard quand je me suis donné le nom du Serpent.

- Je ne vois pas de quoi te remercier, coupa Malefoy d’un air méfiant.

- Je pensais que tu verrais ma reconstitution comme une sorte d’hommage, railla Anguis. Un hommage à celui qui a provoqué l’ouverture de la chambre des secrets en donnant le journal de Jedusor à Ginny Weasley. A moins que ce soit un souvenir difficile pour toi ? Car cet homme, c’est ton méprisable père, Lucius Malefoy.

Très fier de cette pique cinglante, Anguis attendit avidement la réaction de Drago. Ce dernier fut pris d’une convulsion incontrôlée face à cette insulte à un de ses parents. Il perdait son sang-froid, alors qu’il avait préalablement pris l’ascendant dans leur duel psychologique.

- Ne parles pas comme ça de mon père, intima-t-il autoritairement, en appuyant chaque syllabe.

- Tu préfères peut-être que je parle de ta pourriture de mère, du même sang que Bellatrix, siffla Anguis. Toute ta famille me dégoûte, Malefoy. Alors je ne vais pas me gêner pour insulter tes immondes parents.

Drago explosa cette fois de fureur. Il se redressa de toute sa hauteur et appuya violemment l’extrémité de sa baguette contre la tempe d’Anguis. Sa mâchoire contractée, il luttait contre l’envie insoutenable d’abattre à bout portant son opposant désarmé.

Harry avait un air de déjà-vu. Une scène très similaire avait eu lieu en début d’année, dans la clairière de la forêt interdite. Incontrôlable après l’insulte de ses parents, Malefoy avait été à deux doigts de tuer Anguis. Seule l’intervention de Mr Loyd l’en avait empêché, mais l’Auror n’était cette fois pas en état de les stopper.

Titillant la limite de Drago, Anguis mena à bout sa provocation :

- Tue-moi, Malefoy ! Révèle donc ton âme de Mangemort ! Abats un homme sans défense ! C’est ce qui rendrait fier ta famille !

Anguis n’avait pas peur de la mort. Il savait que son sort était maintenant inéluctable. S’il n’était pas immédiatement tué par Drago, il irait à Azkaban, ce qui était peut-être encore pire.

Il en profitait alors pour défier Malefoy et le pousser dans ses retranchements. D’ailleurs, il ne semblait pas vraiment considérer le Serpentard comme un véritable meurtrier. Il ne le croyait pas capable d’un tel acte de barbarie.

Harry était du même avis. Il avait déjà vu Drago face à une situation pareille, au sommet de la tour d’astronomie en sixième année. Ce soir-là, il avait été incapable de remplir sa mission en exécutant Dumbledore.

Mais dans les circonstances actuelles, Harry était beaucoup plus inquiet. Car cette fois, Malefoy ressentait une réelle révulsion pour la personne en face de lui. Il n’avait jamais vraiment souhaité la mort de Dumbledore, tandis qu’il semblait très motivé à ôter la vie d’Anguis.

- Ne le tue pas, Drago, conseilla Harry d’une voix bienveillante. Ça ne servirait à rien, il est déjà hors d’état de nuire. C’est fini, il suffit de l’emmener à Mme McGonagall.

Harry redoutait que Malefoy succombe à la tentation de tuer Anguis. Cela donnerait justement en partie raison au Serpent. Drago deviendrait un meurtrier, il s’abaisserait à ce qu’il tentait de fuir.

Toute la rédemption de Malefoy résidait en sa capacité à repousser ses pulsions meurtrières, à renier l’éducation violente de ses parents. Il s’était engagé en tant qu’Auror pour se repentir de son passé de Mangemort.

Il avait l’occasion de prouver qu’il avait définitivement échappé aux gênes de tueur que lui avaient transmis ses parents. Il lui suffisait pour cela de résister à la provocation d'Anguis, de contenir son envie meurtrière.

Le temps semblait suspendu. Tout le monde retenait son souffle, attendant avec appréhension la réaction de Malefoy. Harry sentait l’hésitation de Drago. Il était torturé par le dilemme. Il tremblait de frustration, restreignant sa haine tant bien que mal. Mais Harry sentait qu’il l’aidait à faire le bon choix. Son conseil avait ému Malefoy, il allait l’écouter.

Drago desserrait déjà l’étreinte de son poing autour de la baguette. La lumière furieuse de ses yeux baissait en intensité. Il se détendait peu à peu, perdant progressivement la rage qui avait crispé ses traits.

Malefoy décolla légèrement sa baguette de la tempe d’Anguis, sans pour autant l’écarter complètement. Mais le bien en lui était en train de l’emporter. Il allait réussir à contenir ses pulsions meurtrières. Harry en était convaincu, il le sentait...

- Avada Kedavra !

Harry n’en revenait pas. Bouche-bée, il vit le corps sans vie d’Anguis s’écrouler au ralenti dans une intense lumière verte.

Drago venait d’incanter le sortilège de mort, abattant sauvagement son prisonnier. Anguis était pourtant désarmé et inoffensif, il n’y avait plus aucune raison de le tuer. Malefoy l’avait fait gratuitement, simplement pour défouler sa colère.

Contrairement à la perception d'Harry, Drago ne s’était pas encore entièrement repenti. Harry avait pourtant cru qu’il avait définitivement échappé à son passé de Mangemort.

Mais Malefoy avait craqué. Il avait laissé ses pulsions dépasser ses bonnes intentions. Il avait laissé son éducation violente le rattraper. Son chemin vers la rédemption était loin d’être terminé.

C’était une réelle désillusion pour Harry. Pendant un moment, il avait cru découvrir un nouveau Drago. Il y avait vu un homme indulgent et vertueux. Sans pour autant le considérer comme un ami, il l’avait presque reconnu comme un camarade.

Mais ce jugement mélioratif inédit se voyait balayé par la cruauté impitoyable dont Malefoy venait de faire preuve. Harry revit en lui le jeune garçon méprisant et intolérant qu’il avait été. Incanter ce sort lui avait comme redonné son visage froid, avec un rictus insidieux.

Harry fut extrait de ses pensées par l’arrivée de Mme McGonagall dans le cachot quelques instants plus tard. Elle étouffa une exclamation d’horreur en découvrant les débris et les corps qui jonchaient le sol. Ses yeux s’arrêtèrent successivement sur Mr Loyd paralysé et sur Mr Aquilibus inanimé, mais elle fut rassurée de constater qu’ils n’étaient pas morts.

Au contraire, son regard s’assombrit quand elle le posa sur le cadavre d’Anguis. On ne pouvait s’y tromper. Les yeux vitreux et la bouche entrouverte du jeune homme trahissaient immédiatement son décès.

- Qui l’a tué ? demanda sévèrement McGonagall en relevant la tête.

- Mais c’était le lui le Serpent, le meurtrier ! justifia penaudement Hermione.

- Ce n’est pas une raison pour le tuer, répliqua sèchement la directrice. Ses poings liés montrent qu’il était prisonnier, il est donc mort alors qu’il était inoffensif. J’en déduis que l’un de vous l’a tué sans raison valable. L’usage d’un sortilège impardonnable hors du cadre de la légitime défense a des conséquences graves. Dénoncez le coupable, où vous serez tous gravement sanctionnés.

Ils baissèrent tous honteusement la tête sans dire un mot. Mme McGonagall les fixait impatiemment, comme si elle les sondait intérieurement. Elle ne semblait pas du tout reconnaissante d’avoir neutralisé le Serpent, et voulait seulement savoir qui était le meurtrier.

Harry ne pouvait se résoudre à dénoncer Drago. Même si l’acte barbare de ce dernier avait remis en cause sa sympathie pour lui, il leur avait tout de même sauvé la vie quelques minutes plus tôt en désarmant Anguis. Et s’ils l’inculpaient, ce n’était pas seulement sa carrière d’Auror qui serait avortée. Il était désormais majeur, ce qui ne faisait aucun doute sur sa sanction s’il était découvert. Harry comprenait très bien ce qu’avait sous-entendu Mme McGonagall. L’usage du sortilège meurtrier condamnait assurément son auteur à la prison d’Azkaban. Là-bas, l’âme de Drago serait lentement aspirée par les Détraqueurs, le condamnant à une existence de malheur.

Ron se décida enfin à briser le silence pesant :

- Très bien, madame, je vais vous le dire…

Le sang d'Harry se glaça. Ron allait vraisemblablement désigner Malefoy. Le jeune Weasley ne l’avait jamais aimé, et c’était l’occasion pour lui de s’en venger. Il allait faire payer au Serpentard toutes ses insultes par rapport à la pauvreté de sa famille durant leur scolarité.

Ron n’avait d’ailleurs jamais vraiment cru en la rédemption de Drago. Il était le plus rancunier d’entre eux envers leur ancien ennemi scolaire. Il remettait constamment en question la confiance qu’ils plaçaient en Malefoy.

Mais Harry n’aurait tout de même pas cru Ron capable de condamner ainsi Drago. Sa dénonciation allait ruiner la vie du Serpentard. Harry se surprit même à en vouloir à Ron pour ce qu’il s’apprêtait à faire.

Mais encore une fois, le jugement d'Harry était prématuré. En fait, Ron n’inculpa pas du tout Malefoy :

- Personne n’a tué Anguis, madame. Il a simplement bu trop d’une potion dangereuse, et c’est ce qui a provoqué sa mort (il montra du doigt le chaudron au-dessus duquel frémissaient des somnimus). C’est la potion de Somnimus Apocalypsis, là-bas. C’est de la magie noire, et une erreur de dosage peut provoquer l’étouffement. Il en avait fait une, manifestement, puisqu’il a suffoqué en l’avalant.

Harry était sidéré. Il avait cru un instant que Ron allait lâchement condamner Drago, mais il venait au contraire de le sauver. Son mensonge était brillant. Harry se rappela que le professeur Loyd leur avait expliqué, en effet, qu’une erreur de dosage dans la concoction de Somnimus Apocalypsis pouvait coûter la vie du buveur. Or une suffocation pareille aurait laissé le cadavre intact, tout comme le sortilège meurtrier l’avait réellement fait.

Ron prit bien soin de garder la tête baissée pour ne pas croiser le regard perplexe de Mme McGonagall. Il rougissait piteusement de mentir ainsi à la directrice.

Drago lui en était évidemment reconnaissant. Il soupira de soulagement, après avoir retenu son souffle en attendant sa peine. Harry sourit de la malice de Ron, mais se hâta de le cacher à Mme McGonagall.

Cette dernière réfléchit longuement, ménageant un suspens insupportable pour Drago.

- Soit, concéda-t-elle finalement, sans paraître tout à fait convaincue par la version de Ron.

De toute façon, elle ne pourrait jamais tester la véracité de ces propos. Elle ne prendrait jamais le risque de faire goûter la potion pour voir si elle était véritablement meurtrière.

Mais surtout, Mme McGonagall paraissait plutôt enchantée de ne pas avoir à punir un de ses élèves d’une sanction disproportionnée. Elle avait été obligée de les menacer d’une lourde sanction, au vu de la responsabilité de directrice qui lui incombait. Mais Harry savait qu’elle aurait condamné le coupable à contrecœur.

Elle se dépêcha d’ailleurs de changer de sujet :

- Je dois alors vous remercier d’avoir neutralisé le Serpent. Je vois que vous avez dû vous démener. (Elle balaya la pièce des yeux une nouvelle fois du même air inquiet) C’est un grand service que vous rendez à l’école, une nouvelle fois.

Son visage grave laissa enfin place à un sourire bienveillant. Elle ne demanda aucune explication supplémentaire sur les raisons du chaos de la pièce et des corps inanimés. Elle jugeait sûrement plus sage de les ménager pour l’instant.

Pour cause, ils étaient tous dans une piteux état. Les vêtements de Ginny étaient lacérés et couverts de sang, témoignant de ses plaies recousues. Ron ne paraissait pas encore tout à fait réveillé de son évanouissement préalable. Quant à Harry, Hermione et Drago, ils étaient simplement en état de choc. Tous trois arboraient un visage livide et des yeux vitreux. Les bras ballants, ils accusaient la fatigue physique consécutive à leur lutte acharnée.

Mais ils étaient surtout affectés psychologiquement. Harry et Hermione avaient dû combattre des ennemis impitoyables et mieux préparés. Ils s’étaient démenés pour sauver leurs compagnons respectifs, et n’étaient eux-mêmes pas passés loin de la mort.

Drago, lui, ne paraissait tout de même pas fier de son meurtre. Il avait agi sous le coup de la rage et réalisait seulement à quel point son acte avait été barbare. C’était comme s’il avait vieilli d’un coup de plusieurs dizaines d’années. Ses traits étaient tirés et ses sourcils froncés. Il gardait des yeux rougis qu’il posait frénétiquement sur la dépouille d’Anguis. Ses regrets étaient perceptibles.

Cette attitude coupable était très visible, et Mme McGonagall semblait l’avoir remarqué. Elle n’avait pas vraiment cru Ron, malgré l’ingéniosité de son excuse.

Mais elle fit semblant de n’avoir rien vu. La culpabilité de Malefoy sautait aux yeux mais elle l’ignorait purement et simplement. Harry crut même l’apercevoir lui faisant un clin d’œil indiquant qu’elle était complice de leur dissimulation.

Cela ne ressemblait pas vraiment à la directrice, et Harry se demanda s’il n’avait pas rêvé. Il ne se prit pas la tête à ce propos et profita de l’indulgence générale à l’égard de Drago.

Mme McGonagall brandit sa baguette et exerça d’amples mouvements circulaires devant elle. Aussitôt, tous les débris qui jonchaient le sol s’envolèrent pour retrouver leur place initiale. Les différents morceaux de verres brisés reconstituèrent leurs bouteilles respectives, qui se remplirent de liquides divers. Les animaux et plantes dispersés aux quatre coins de la pièce retournèrent dans les bocaux. Les chaudrons renversés se redressèrent en accueillant à nouveau leurs mixtures. Le bois cassé de l’étagère se répara pour reconstituer un meuble tout neuf.

Quand la directrice eut exercé un dernier moulinet avec sa baguette, le cachot avait retrouvé son organisation ordonnée initiale. Un nouvel arrivant n’aurait jamais pu deviner qu’une violente bataille y avait eu lieu quelques minutes plus tôt, s’il faisait abstraction des trois corps à même le sol.

Harry avait déjà eu l’occasion de voir un sortilège de rangement à l’œuvre, exécuté par Dumbledore et le professeur Slughorn. Mais l’efficacité de cet enchantement l’époustouflait toujours, et Mme McGonagall le maîtrisait à merveille.

La directrice se retourna vers eux, satisfaite de l’état du cachot. Elle leva sa baguette avec grâce, et les trois corps inertes s’élevèrent dans les airs, comme suspendus par des fils invisibles.

- Je crois que Mme Pomfresh aura du travail, nota Mme McGonagall. Naturellement, je vais déplacer ces trois hommes à l’infirmerie. Mais je crois que vous feriez bien d’y faire vous aussi un tour, à en juger par votre état.

Les jeunes sorciers restèrent tous immobiles, ne jugeant pas leur condition physique assez détériorée pour perdre du temps à l’infirmerie.

- C’est un ordre, intima la directrice avec un ton pourtant très chaleureux.

Comme les autres, Harry s’exécuta à contrecœur. Malgré la fatigue qui engourdissait tous ses membres, il n’avait aucune envie de s’allonger à l’infirmerie. Il aurait souhaité se réunir avec ses amis dans le calme de leur salle commune pour débriefer tranquillement des événements. Au contraire, il savait que Madame Pomfresh allait être tellement énervée de leur état qu’elle allait rendre l’atmosphère de l’infirmerie épouvantable.

Harry ne s’y trompait pas. La petite infirmière accueillit ses nouveaux patients avec des cris scandalisés. Elle se hâta d’installer chacun d’eux dans un lit, puis se rua vers une grande armoire au fond de la salle, à proximité de son bureau.

Harry était situé dans le lit le plus proche d’elle, et put l’entendre marmonner alors qu’elle cherchait des lotions appropriés à leurs maux dans le fouillis de l’armoire :

- Mmpffff… pas idée de me ramener des cas pareils… mmpffff… aura donc jamais d’année sans blessures graves… mmpffff… école de fous furieux…

Mme McGonagall interrompit son monologue en faisant irruption dans la pièce. Elle avait fait léviter devant elles les trois corps inanimés et les déposa délicatement dans trois lits vides, juste à côté d'Harry.

A nouveau, il put saisir des bribes de la conversation entre la directrice et l’infirmière :

- Il est… bredouilla Mme Pompfresh, le teint livide, en désignant le corps sans vie d’Anguis.

- Mort, oui, annonça fatalement Mme McGonagall. Et je suis également très inquiète pour l’état des deux autres, j’ai bien peur qu’ils subissent le même sort à long terme.

Harry jeta un regard inquiet à Mr Aquilibus et Mr Loyd. La remarque de la directrice l’ébranla. Les deux professeurs étaient donc dans une situation très précaire, et risquaient de perdre la vie. Or, si Mr Aquilibus mourrait, Harry devenait responsable d’un meurtre. Il savait qu’il n’en serait nullement tenu responsable mais s’en voudrait beaucoup lui-même. Il avait incanté un sort dangereux sous l’emprise de la fureur, aveuglé par l’état préoccupant dans lequel était Ginny à ce moment-là. Il n’avait alors pas réalisé toute la violence de son geste, et cela avait sûrement aussi été le cas pour Drago lorsqu’il avait tué Anguis quelques minutes plus tard.

Mais Harry fut rassuré par la réponse de Mme Pomfresh à Minerva McGonagall, d’une voix si basse qu’elle devenait presque imperceptible à l’oreille :

- Oh, les deux vont s’en sortir vivants, je peux vous l’assurer. Ils auront des séquelles graves, j’en ai bien peur, mais ils n’en mourront pas. Ils pourraient par contre être victimes d’amnésie grave, et je doute qu’ils puissent un jour enseigner à nouveau. L’Auror, en tout cas, n’exercera plus jamais une fonction aussi éprouvante. Je pense que je vais les transférer dès cette nuit à l’hôpital Ste Mangouste pour les maladies et blessures magiques. Ils seront bien mieux pris en charge là-bas. En attendant, je peux deviner à peu-près quels enchantements ils ont subis, mais un témoignage me serait très utile.

- J’aurais préféré leur éviter ce labeur supplémentaire pour ce soir, répondit Mme McGonagall avec réticence. Mais j’imagine que la médecine ne peut pas attendre, je vais leur demander s’ils veulent bien nous raconter ce qui s’est passé.

Elle se retourna et exprima cette requête à voix haute. Hermione se porta volontaire pour narrer le récit de la soirée. Harry lui fut reconnaissant de lui éviter cette tâche, puisqu’il était avec elle le seul à avoir assisté à tout.

Hermione détailla les aveux d'Anguis, la bataille des potions et le sauvetage de Drago, en prenant bien soin de ne pas mentionner le meurtre de ce dernier.

Lorsqu’elle eut terminé sa narration, l’aube pointait à l’horizon, les premiers rayons de soleils frappant les fenêtres de l’infirmerie de leur lueur dorée. Harry se rendit compte qu’ils avaient passé presque toute la nuit dans le cachot, et qu’il aurait dû se sentir fatigué. Mais depuis qu’il s’était couché dans le lit confortable de l’infirmerie, il ne ressentait plus du tout le besoin de dormir.

La nuit avait été éprouvante, mais il comprit que tout était enfin terminé. Il était encore un peu sous le choc de l’hémorragie de Ginny, de sa propre vengeance sur Mr Aquilibus, et surtout du meurtre de Malefoy. Mais il réalisait également que la bataille des potions avait marqué la fin du complot du Serpent, des suicides sous Imperium et du harcèlement de Serpentard.

Harry entendait les premiers bruits de pas marteler le sol dans les étages supérieurs. Le château se réveillait tranquillement, comme à l’accoutumée. Les éclats de rires de jeunes élèves éclataient par moments. Tous ces enfants profitaient innocemment des premières lueurs matinales, loin de tout tracas. Ils ne pouvaient se douter de tout ce qui s’était joué la nuit précédente, du combat terrible qui avait eu lieu au cachot.

Harry sourit. Il commençait à en avoir l’habitude. Il s’était retrouvé plusieurs fois, par une matinée de printemps, contemplant le plafond blanc de l’infirmerie en pensant à tous les autres élèves de cette école qui menaient une vie tranquille, eux.

Encore une fois, il leur avait sauvé la mise en écartant une menace insidieuse. Et encore une fois, ses amis avaient été là pour l’aider.

Il balaya du regard l’infirmerie, silencieuse depuis la fin du monologue d’Hermione. Mme McGonagall était partie préparer le petit-déjeuner dans la Grande Salle et Mme Pomfresh s’était enfermé dans son bureau.

Tous les autres patients étaient inconscients, entre celui qui était mort, ceux qui restaient évanouis et ceux qui s’étaient tout simplement endormis. Harry était le seul éveillé, et en profita pour contempler ses amis avec bienveillance. Plus personne ne pouvait consulter leurs rêves à leur insu, et ils somnolaient paisiblement, comme si rien ne s’était jamais passé.

Harry sourit. Il n’aurait jamais imaginé, la veille au soir, que tout se passerait aussi vite. Mme McGonagall annonçait peut-être en ce moment même que l’école ne fermerait pas, finalement. Elle devait être ravie et fière de pouvoir dire à tous ses élèves que le Serpent avait été neutralisé, et qu’ils n’avaient plus rien à craindre.

La quiétude était revenue à Poudlard, et Harry pouvait en profiter. Il se retourna dans son lit pour regarder par la fenêtre. Il contempla avec émerveillement les tours du château rosies par l’aube printanière.

Oui, malgré toutes les épreuves auxquelles il avait dû faire face, la quiétude était revenue à Poudlard. Harry savoura cette pensée, et ferma enfin les yeux.

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