Contre tout espoir
- Séverus, il faut que je vous parle.
Séverus leva la tête vers le professeur de métamorphose qui venait de faire une entrée fracassante dans ses appartements.
- Albus. Que puis-je pour vous ? demanda-t-il d’une voix qui détrompait son semblant de serviabilité.
- Que s’est-il passé dans votre bureau ce soir ?
- Dans mon bureau ?
Albus fondit sur lui, la baguette déjà dégainée. Séverus serra la sienne au fond de sa poche, au cas où Dumbledore cèderait à sa colère.
- Ne me prenez pas pour un idiot, Séverus. Il faut qu’on parle.
- N’est-ce pas ce qu’on est en train de faire, directeur ?
Il se rendit compte de son erreur en voyant le visage de Dumbledore afficher un profond air d’incompréhension. Séverus eut envie de se gifler lui-même de la bêtise dont il avait fait preuve, mais la vérité était qu’il avait été plutôt chamboulé- Non, dérangé serait plus juste- par sa dispute avec Harr… Potter. Ce satané gamin lui en faisait encore baver, comme d’habitude.
- Je veux dire, professeur, n’est-ce pas ce qu’on est en train de faire, que de parler ?
- Que ce soit bien clair, Séverus. Je peux à tout moment appeler Azkaban pour qu’il nous envoie un détraqueur qui vous ferait à jamais passer l’envie de vous en prendre à un élève.
Il prit le temps de laisser son interlocuteur réaliser ses propos.
- Ou bien vous pouvez me dire la vérité. Je me suis rendu compte que le médaillon était de la même essence que Tom Jedusor.
Séverus ne répondit rien, légèrement sous le choc de la révélation. Il prit une grande inspiration, comme s’il se préparait à plonger dans une piscine, mais sa bouche se referma sans qu’il puisse en sortir un mot. Au lieu de ça, il se leva, sortit sa baguette et verrouilla la porte d’entrée. Il n’osa pas lancer d’assurdiato, après tout ce sortilège (qu’il avait créé lui-même) ne serait pas inventé avant de nombreuses années. Puis il fit signe à Albus de s’asseoir sur le sofa, et prit lui-même place dans le canapé qui lui faisait face, toujours silencieux, la tête dans les mains.
- Par où commencer ? se demanda-t-il plus à lui-même qu’à Dumbledore.
- Qui est Tom Jedusor ?
Un silence pesant meubla l’espace entre les deux hommes. Le maître de potions se demanda s’il prenait la bonne décision en expliquant la vérité à Albus. D’un autre côté, il était acculé. Puisque le garçon était vivant, une enquête allait être ouverte et le ministère allait découvrir qu’il avait remplacé l’encre avec laquelle le garçon devait écrire ses lignes par une potion hautement toxique ayant la même consistance, mais ayant la particularité de dégager une épaisse fumée létale lorsqu’elle entrait en contact avec autre chose que du verre. Lorsque Tom avait commencé à écrire, il avait signé son arrêt de mort.
- La question est plutôt qui DEVIENDRA Tom Jedusor, monsieur le directeur.
- Pourquoi m’appelez-vous comme ça ?
Il y eut un profond soupir, alors que Snape se rendait compte qu’il en révélait trop. Il ne fallait surtout pas changer d’avantage que nécessaire le futur. Mais il devait révéler ce qu’il savait afin d’éviter le baiser du détraqueur, et avec lui l’échec de sa mission.
- Parce que lorsque je vous ai connu, vous étiez directeur de Poudlard.
- Lorsque vous m’avez connu ? Comment ça ?
- Vous auriez compris que mon « apprenti » et moi-même ne sommes pas réellement les personnes que nous prétendons être.
- C’est en effet ce que je soupçonnais.
Mais qu’est-ce que le rationalisme d’un homme était-il capable d’accepter ? On nageait en plein roman de science-fiction. Pourtant il espérait tant le soutien d’Albus.
- Nos venons de l’année 1997, commença enfin Séverus, en se disant qu’il se ramollissait vraiment en compagnie de Potter pour révéler ses secrets si vite.
Mais après tout, c’était Albus.
- A notre époque, le monde sorcier est asservi par le plus grand mage noir de tous les temps, qui se fait appeler Lord Voldemort. Il a basé son œuvre sur l’épuration du monde sorcier, incluant le massacre des nés-moldus, des sang-mêlés et l’embrigadement de la jeunesse. Il torture et tue tous ses opposants. Son règne est un règne de terreur, sans aucune possibilité de lumière, sans aucun amour.
Il fit une pause après cette dernière révélation, sachant qu’elle ferait son effet dans la tête de Dumbledore. Lequel le regardait sans un mot, attentif à la moindre de ses paroles, n’osant pas l’interrompre.
- Personne n’est capable de le battre, il n’y a plus aucun espoir. C’est pourquoi nous sommes revenus dans le passé grâce à une potion que j’ai inventée dans l’espoir de tuer la vipère dans l’œuf.
- Ce Lord Voldemort, c’est Tom, n’est-ce pas ? demanda pensivement Albus.
- Exactement.
- Quel est le rôle du garçon dans tout ça ?
- Quel garçon ?
- Je devrais plutôt dire jeune homme. Je parle d’Harry.
- Ah, celui-là ! Eh bien, dans notre monde, une soi-disant voyante a prédit que le seul à posséder le pouvoir capable de tuer le Seigneur des Ténèbres serait ce bon à rien. Résultat, même si c’est moi qui ai prit la potion, cet abruti m’a suivi sans le vouloir. Et je me retrouve à jouer les nounous pour hyperémotifs !
Séverus avait hurlé ces derniers mots et s’était à demi levé de son fauteuil. Albus sourit d’un air las.
- Ah, l’amour peut parfois nous causer bien des problèmes !
- L’AMOUR ? Non mais qu’est-ce que vous croyez ?
- Je sais ce que je vois, Séverus. Je vous ai entendu vous disputer avec lui au sujet de l’« accident » de monsieur Jedusor, et à présent, vous êtes totalement bouleversé.
- Peut être, mais c’est plutôt parce que j’ai raté mon coup et que j’ai été découvert.
- En parlant de cela justement, quel est votre plan, exactement ?
- Tuer l’enfant avant qu’il ne développe trop de pouvoirs.
Il y eut un grand silence dans la pièce. On aurait pu entendre un ange passer.
- Vous voulez tuer un enfant de sang froid ? demanda Albus avec horreur.
- Non. Sinon je lui aurais lancé un avada avant de me tuer moi-même.
Dumbledore frissonna.
- Récapitulons. Vous êtes arrivés ici en utilisant une potion expérimentale, sans garantie de retour, vous avez menti sur vos identités, vous avez essayé de gagner ma confiance, tout ça dans le but de tuer un être encore innocent ?
- D’après ce que vous m’avez dit dans le futur, vous avez découvert qu’à neuf ans, il avait déjà torturé psychiquement deux enfants de l’orphelinat. Et que son comportement ne correspondait pas à celui d’un « enfant innocent », répliqua Séverus en omettant la possibilité de retour dans leur monde.
L’homme en face de lui demeura interdit, alors qu’il repassait dans sa tête les occasions qu’il aurait eu de dire à quelqu'un ce qu’il avait appris de Tom de la directrice de l’orphelinat. Il n’en trouva aucune.
- Et Harry dans tout ça ?
- Je crois que c’est lui qui doit porter le coup de grâce. Lorsque Voldemort a essayé de le tuer à un an, le sort s’est retourné contre lui.
Pendant l’heure qui suivit, Séverus raconta à Dumbledore tout ce qu’il avait besoin de savoir sur l’histoire de Voldemort et d’Harry, sur leurs différentes rencontres, sur ce qu’il avait lui-même appris du personnage au cours des années passées comme mangemort. Dumbledore l’écouta sans interruption, les épaules soudain alourdies d’un poids effroyable, concernant la conduite à tenir. S’il tuait un enfant, il épargnait au monde des milliers de morts, mais peut être pouvait-il le faire changer, lui donner une autre éducation, lui faire découvrir l’amour ?
Un semblant de paix dans le monde contre un crime abominable. Mais un seul crime.
*********************************
Alors que Séverus s’apprêtait à parler de la Chambre des Secrets, un serpent glissa dans les couloirs, silencieux, impressionnant, avec un petit quelque chose qui faisait dresser les cheveux sur la tête : Jedusor sortait de l’infirmerie, après avoir profité d’une minute de distraction de Madame Pomfresh pour prendre la fuite. Il se dirigeait vers les quartiers de son très cher professeur de DCFM. Dans un but : se venger de ce qu’il lui avait fait. Il savait que l’homme avait essayé de le supprimer. Il avait déjà été victime de ce genre de tentative de la part d’autres enfants à l’orphelinat. Il ne devait surtout pas le laisser passer. Le serpent allait mordre ce soir, et un homme allait tomber. Tas de chair inutile.
Traversant les couloirs en chemise de nuit blanche, comme une âme en peine dans un mauvais film d’horreur moldu, un rictus mauvais sur les lèvres, il avançait, inexorablement. Bizarrement, aucun élève sur son passage n’osa se moquer de lui. Il émanait du garçon une violence palpable, et tous ceux qui le rencontrèrent eurent soudain l’envie de disparaître.
Il s’approcha de l’entrée des appartements de son professeur et leva sa baguette. Peu lui importait qu’il ne connaisse aucun sort. Il savait déjà faire du mal aux gens qu’il n’aimait pas. La baguette ne serait que le catalyseur à sa colère.
Il stoppa net en entendant la voix de son professeur de métamorphose, l’espèce de mollasson qui était venu lui expliquer sa vraie nature. Il comprit tout de suite que les deux hommes parlaient de lui.
- … Et lorsqu’il était élève ici, en cinquième année, il a découvert qu’il était l’héritier de Serpentard et a ouvert la Chambre des Secrets, dans les toilettes des filles, tuant un né-moldu et faisant accuser quelqu'un à sa place.
- Monsieur Jedusor !
Il se retourna précipitamment, pour se retrouver nez-à-nez avec Madame Pomfresh. Laquelle l’attrapa sévèrement par le bras. Il recomposa aussitôt sur son visage une expression plus ennuyée que rageuse.
- Monsieur Jedusor, est-ce que je peux savoir qui vous a permis de quitter l’infirmerie ? Alors que vous avez été victime d’une intoxication sévère ?
Elle entraina à travers les couloirs l’élève qui se débattait, certain qu’il manquait des informations cruciales sur lui-même. Il lui tardait une seule chose : aller visiter les toilettes des filles.
******************************
- Nous pouvons au moins essayer de permettre à Tom de mener une autre vie, loin de toutes ces souffrances inutiles !
- Ca ne vous a pas suffit, ce que je vous ai raconté, Albus ? Vous voulez laisser ce fou furieux massacrer des femmes, des enfants, mettre fin à des vies innocentes, punir quiconque aurait l’audace d’aimer ?! Nous faisons cela Pour Le Plus Grand Bien, Albus ! ajouta-t-il, sachant que cela éveillerait un écho dans l’esprit de l’homme.
Lequel se raidit tout à coup.
- Il faut faire passer ça pour un accident, vous en êtes conscient.
Albus venait de briser le silence d’une voix bien trop calme. Un semblant de paix dans le monde contre un crime abominable. Mais un seul crime.
- C’était bien mon projet, répondit Séverus.
- Excusez-moi, Séverus, mais votre agression à l’encre empoisonnée était plutôt grossière !
- Non. La potion utilisée a la même consistance que l’encre, et je l’ai faite préparer à mon apprenti pendant les vacances. Il se serait trompé de flacon.
Dumbledore prit le temps de réfléchir à la situation.
- Je peux soutenir votre version des faits, mais je ne vous promets rien. En parlant d’Harry, vous devriez aller le chercher.
- Qu’il aille au diable !
- A demain, Séverus, ajouta Albus en quittant la pièce, faisant comme s’il n’avait rien entendu.
**************************
Une chauve-souris passa furieusement : Séverus traversait la Cour Pavée en faisant voler ses robes autour de lui. Il savait par le professeur de vol qu’il avait rencontré qu’un balai avait été volé par quelqu'un de l’école. Sans doute cet idiot de Potter serait en train de se défouler sur le terrain de Quidditch.
En longeant le bord du lac, il entendit des pleurs hystériques, totalement incontrôlés. Se maudissant lui-même à la pensée que le courageux Gryffondor qu’il avait passé six ans à insulter soit devenu un pleurnichard, tout ça à cause d’une potion aux effets secondaires pour le moins étranges, il se décida pourtant à aller en direction du bruit.
- Potter, vous êtes ridicule. Relevez-vous tout de suite et respirez un peu.
Harry se redressa faiblement à la vue de son professeur et se força à respirer un peu plus calmement. Sans grand succès. Séverus s’accroupit alors à ses côtés, priant pour qu’aucun élève ne passe par là. Mais s’il n’employait pas de moyens radicaux, il en avait pour la nuit entière. Heureusement, le couvre-feu était tout proche et il n’y avait plus beaucoup de passage.
- Harry, regardez-moi. Pourquoi pleurez-vous ?
- Pour rien.
- Je sais que vous aimez le mélodrame, soupira Séverus, mais je n’ai pas le temps de jouer les psychiatres pour Survivant, alors…
- Je suis un raté, j’ai laissé mourir toutes ces personnes à qui je tenais, voila, c’et ça que vous vouliez entendre ? lâcha Harry avant de se remettre à pleurer de plus belle.
Séverus regarda d’un air désespéré cet idiot en train de s’auto-flageller à ses côtés. S’il s’attendait à ce qu’il lui dise à quel point il était exceptionnel, il pouvait toujours espérer.
- Un raté, je ne dis pas, encore qu’il y a un peu plus d’espoir que pour Vincent Crabbe, mais qui pensez-vous avoir laissé mourir ? Ce satané cabot ? Il n’avait qu’à faire ce qu’on lui disait et rester au QG.
- Non, Dumbledore !
Séverus soupira bruyamment. Et voila que le Survivant avait débloqué. Ne se souvenait-il pas que c’était lui qui avait tué Albus, et personne d’autre ?
- Comment pourriez-vous avoir laissé mourir Albus, Harry ?
- Si j’avais été capable de tuer Voldemort, vous n’auriez pas eu à le tuer pour ne pas trahir votre condition d’espion.
« QUOI ?! » pensa Séverus.
- Je crois que vous vous méprenez, Harry. Ce n’est pas pour cela que j’ai tué Albus.
- ALORS POURQUOI ?
- Calmez-vous un peu, et mouchez-vous, c’est répugnant, grogna Séverus en tendant un de ses propres mouchoir au Survivant, qui le prit par réflexe. Lors du dernier été avant votre sixième année, Albus a été blessé par un sortilège très dangereux. C’est ce qui explique la nécrose de sa main. J’avais endigué le sortilège, mais je ne pouvais rien faire pour l’empêcher de se propager quand même. Je n’ai fait que lui donner quelques mois de plus. Il serait mort en quelques jours, sinon.
- Quoi ? Dumbledore était mourant et ne m’en avait rien dit ?
- Ne me coupez pas, Harry. Il m’a alors dit savoir que la mission de Draco Malfoy était de me tuer, et que je devais tout faire pou l’empêcher de se transformer en meurtrier. Je devais le tuer à sa place. J’ai d’abord refusé net, mais Albus m’a parlé de lui donner la possibilité de partir dignement, sans laisser la maladie gagner. J’ai fini par accepter, et quelques jours plus tard, j’ai fait le Serment Inviolable, promettant de protéger Draco dans sa mission, et s’il n’était pas capable de la mener à bout, de le faire à sa place. Mon acte n’avait rien de courageux ou de noble, Harry. J’ai protégé ma vie, c’est tout.
Il s’interrompit alors qu’Harry le fixait de ses grands yeux verts, rendus si brillants par les larmes. Il avait apparemment retrouvé son calme et buvait les paroles de son interlocuteur et les interprétait de la façon qu’il lui arrangeait de croire.
- Moi, je crois que vous avez fait ça pour abréger les souffrances d’Albus, pour tenir votre promesse à un vieil homme.
- J’AI FAIT CA POUR ME PROTEGER, HARRY ! s’énerva Séverus. Je l’ai tué avec dégout, mais je l’ai TUE ! Je n’aurais jamais du lui obéir, JAMAIS ! J’aurais du refuser le serment, au risque de passer pour un lâche, ou même un traitre ! J’ai tué le seul soutien que j’avais !
Harry attendit que le professeur ait vidé son sac, et le laissa reprendre son souffle ainsi qu’une contenance, avant de donner son opinion.
- Ca vous aura au moins permis de concocter un plan pour nous sauver tous. Il aurait voulu que cela se passe ainsi.
- Si ça vous rassure de vous dire ça… Moi, je pense qu’il aurait voulu vivre plus longtemps, le temps de vous aider à mener à bien votre mission, à vous mâcher le boulot pour pouvoir ensuite dire que vous étiez bien l’Elu. En tout cas mon plan est mal parti : ma tentative a échoué à cause de vous, et résultat, Dumbledore sait TOUT !
- QUOI ? Mais vous êtes fou ! Pourquoi vous lui avez tout raconté ?
- Dixit l’homme qui a ruiné toutes nos chances de survivre !
- Je ne pouvais pas laisser un enfant mourir dans ces conditions, vous pouvez quand même lui éviter des souffrances ! Il n’a encore tué personne !
- C’est le mal en puissance, Harry, et il n’y a pas de belle façon de tuer ! C’est un meurtre, pas un acte charitable !
- Je sais ce qu’il a fait, Séverus, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le sauver, se défendit Harry. J’avais l’impression que quelque chose me pousser à y aller, comme si une autre volonté prenait le pas sur la mienne.
- Comme si vous étiez possédé ?
- Que voulez-vous dire ? Je n’ai plus le médaillon.
Séverus n’y comprenait rien lui-même, mais il se promit d’y réfléchir. Surement n’était-ce qu’une manifestation du côté Gryffondor de Harry, de sa bravoure légendaire. Il se retint de vomir à cette pensée.
- Bien, maintenant j’espère que vous arrêterez d’être un fardeau, et…
Il s’interrompit à la vue des yeux du garçon qui se remplissaient de larmes. Il ressentit une impulsion bizarre dans son ventre, comme s’il voulait prendre Harry dans ses bras pour le réconforter. Peut être de la honte d’être à l’origine de ses pleurs.
- Mais enfin, qu’est-ce qui ne tourne pas rond, chez vous ? demanda-t-il.
- C’est juste que… commença Harry avec une voix rauque, vous commenciez à me respecter, et à présent, vous avez perdu le peu de respect que j’avais réussi à gagner. Je ne suis qu’un fardeau et j’en suis désolé, parce que pour moi, vous êtes important, Séverus. Vous êtes la première personne à m’avoir traité comme quelqu'un de normal, à m’avoir vu à ma juste valeur.
Il se tut et scruta le visage du maître de potions, à la recherche d’une émotion. Les deux trous sombres qui lui servaient d’yeux semblèrent vaciller.
- Harry, vous n’avez pas perdu mon respect. Vous êtes un jeune adulte et vous êtes beaucoup plus respectable que moi au même âge. A votre âge, j’étais mangemort. Vous, vous vous battez malgré vos doutes, vos peurs… Avec votre stupidité de Gryffondor peut être, mais vous savez vous battre pour ce qui est juste. Je pense que cela mérite le respect.
Harry sembla se regonfler à ces paroles, et se rapprocha légèrement de son professeur.
- Quant à la façon dont je vous traite, je ne fais que vous traiter à votre juste valeur. Vous n’avez rien d’exceptionnel.
Harry eut un petit rire. Son professeur ne changerait jamais. Il se releva, tendit sa main. Laquelle en rencontra une beaucoup plus calleuse, usée par la vie. Il sentit mal, intérieurement. Une conscience effleura vaguement la sienne, sans la violer pour autant.
- Quel est le problème, monsieur Potter ? Expliquez-moi le pourquoi de toute cette souffrance.
- J’ai l’impression de trahir la personne que j’aime, Séverus, admit-il.
- Qui ça ? Cette petite Weasley qui vous court depuis toujours après ?
- En effet.
- Et pourquoi donc ? Vous avez flashé sur une fille de septième année ? Quel problème allez vous encore me créer ?
- Pas vraiment, monsieur.
- Eh bien ?
- J’ai l’impression que mon opinion à propos de quelqu'un est en train de changer radicalement, et que je trahis tous mes principes. Tous les gens que j’aime.
- Accouchez, Potter, quelle est cette personne ?
- Le problème de cette personne est qu’elle ne pourra jamais éprouver les mêmes sentiments à mon égard.
Deux yeux verts encore brillants se rapprochèrent furtivement de leurs homologues marrons, et alors qu’ils se perdaient les uns dans les autres, des lèvres douces et neuves se posèrent au coin d’un menton qui commençait à s’assombrir. Séverus sursauta alors qu’Harry prenait la fuite, et il posa deux doigts à l’endroit où les lèvres du garçon l’avaient effleuré. Il regarda fixement l’endroit où se tenait Harry, deux secondes auparavant, et s’effondra à son tour sur le sol, hébété.
*********************************
Des pensées se battaient furieusement dans l’esprit du jeune homme. Adossé contre un mur, il écoutait le rythme de son cœur qui battait au gré de ses émotions. Il venait d’embrasser son pire ennemi. Un homme. Il se rappela un instant de cheveux roux tombant en cascade devant son visage, de l’amour qui l’emplissait alors qu’il la tenait par la taille. Il aimait Ginny, aucun doute là-dessus. C’était son avenir, sans aucune surprise, un avenir avec des exigences, toutefois. La fin de la liberté. Séverus représentait l’interdit, la normalité. Une banalité terrible. Une vie sans admiration pour ce qu’il avait pu faire dans son enfance, mais avec la satisfaction du travail accompli depuis.
Errant dans les couloirs, l’ombre cherchait à comprendre sa nature, son fonctionnement. Comment pouvait-il aimer un meurtrier ? Un homme si vide qu’il était capable de tuer un enfant de sang froid. Un homme qui l’avait haï pendant six années de sa vie, un homme qui aurait préféré qu’il soit mort. Un homme qui avait tué son mentor. Il accueillit avec une bienveillance ironique le syndrome de Stockholm. La folie l’avait emportée entre ses vagues câlines.
Il repensa à l’évolution de ses émotions ; elle était bien réelle, elle. Elle était peut être la conséquence de ses mésaventures, mais il devait à présent faire avec s’il voulait rester sincère avec lui-même. Une routine s’était installée comme dans un vieux couple, tellement habitués à trouver l’autre au réveil qu’ils ne se souvenaient même plus de leur vie avant leur rencontre. Ils avaient crée un univers sécurisant, un cocon d’intimité, et la chenille devenait chrysalide. Bientôt un papillon en résulterait, et sa beauté dépendrait de ce qu’ils sauraient se donner.
Mais qu’espérer d’un homme aussi brisé par la vie ? L’amour doit se greffer sur du vivant pour fructifier. Et même si son esprit lui criait que c’était contre-nature, son âme avait reconnu une âme sœur. Et son âme se fichait des conditionnements moraux.
Mais il allait en souffrir. Autant prévenir que guérir. Il se faisait du mal en espérant quoi que ce soit d Séverus. Il fallait qu’ils s’expliquent. Prit d’une subite inspiration, il fit demi-tour et percuta violemment quelqu'un.
********************************
L’esprit vide, le corps sans réactivité, Séverus regardait le jeune homme se perdre dans la nuit. Il se souvenait parfaitement d’avoir senti la caresse de deux lèvres fraiches sur son visage. Il ne pouvait accepter.
C’est un malentendu, un malentendu, rien qu’un stupide malentendu.
Un ancien élève ! Un jeune homme, tout juste adulte, sous l’emprise de ses hormones, reportant son affection sur un homme mur, qui n’avait vraiment rien pour lui. C’était inconvenant. Malhonnête.
Mais au fond de lui, le profond trouble qu’il ressentait depuis qu’il s’était disputé avec Harry ne cessait de revenir. Il avait eu… peur. Peur de le perdre.
C’était comme une drogue douce. On la prend au départ sans trop y penser, puis avant qu’on ne s’en rende compte, elle s’est infiltrée dans notre mode de vie, a modifié notre fonctionnement, nos pensées. On reconnait les inconvénients liés à la prise, mais on ne peut pas s’en passer pour autant. Il avait déjà aimé. Une fois. Lily… Ce sont ces deux émeraudes liquides qui l’ont perdu. Ces si beaux yeux qu’ils partagent. Il a fait une simple transposition malhonnête. Il n’a jamais aimé que des femmes. Ou plutôt qu’une femme. Les autres n’ont pas compté. Elles ont fini en souvenirs délavés et douloureux d’une dure gueule de bois.
Il n’était pas digne d’être aimé. Surtout pas par quelqu'un de suffisamment pur pour refuser sauver des milliers de vies humaines en échange de celle d’un enfant déjà monstrueux. Juste parce que c’est un enfant.
La peur de blesser l’emporta sur le désir de rétablir la situation. Il s’emporterait et briserait en mille morceaux l’âme si pure avec qui il partageait bon gré mal gré son existence. Il emporterait l’innocence encore visible dans ses prunelles verdoyantes. S’il détruisait le garçon, c’est sûr, il se détruirait lui-même. Tout est tellement plus simple lorsque nos actions sont guidées par quelqu'un qui nous assure que nous faisons le bon choix ! Il aurait dû suivre une religion moldue, là, il n’aurait pas eu besoin de se poser de questions.
Le livre des mémoires de Dumbledore en main, il y plongea avec l’assurance forcée de celui qui est bloqué sur une minuscule corniche au milieu d’une falaise, sans possibilité de sauvetage, et qui espère que l’eau est assez profonde en dessous pour amortir sa chute.
« Le pouvoir de l’amour.
La plupart des sorciers sous-estiment ce pouvoir. Pour que cela cesse, il faudrait d’abord en connaître la nature. L’amour est une énergie. Une énergie magique, et qui rend ainsi chaque homme sur cette terre capable de miracles. Et même chaque animal, à partir du moment où il ressent des émotions. L’amour ne peut se quantifier, chaque personne possède un potentiel amoureux qui lui est propre. Rien ne peut lui enlever cela, ce qui implique que toute personne peut aimer avec la même intensité autant de personnes qu’elle s’y autorise.
Bien utilisé, ce pouvoir peut avoir des conséquences sur le plan matériel. L’amour peut interagir au même titre que la magie sur les êtres vivants comme sur les objets inanimés. La preuve en a été faite avec le sacrifice de Lily Evans sur son fils Harry Potter, le protégeant du sortilège de mort lancé par Tom Jedusor le 31 octobre 1981, alors que ceci était réputé impossible. De la même façon, on peut laisser une trace de son amour dans un objet, afin que la personne qui s’en saisit puisse le ressentir, des années après notre passage. »
Les mots s’infiltrèrent en Séverus comme animés d’une vie propre, et le remplirent de quiétude. Non, quelque chose de plus fort. Il ne se souvenait pas… L’amour de Dumbledore, tout l’amour que l’homme avait pu éprouver pour lui, et qu’il avait soigneusement consigné dans cet ouvrage en espérant qu’un jour, il en aurait besoin, le transperçait, l’animait, le modifiait, et il s’abandonna à la sensation. Des perles suintèrent aux coins de ses yeux. Il se souvint d’avoir ressenti quelque chose de semblable, un jour. Des lèvres qui butinaient son visage. Des lèvres appartenant à une magnifique rousse aux yeux verts.
Il aurait voulu s’abandonner à ce sentiment de sécurité, mais le livre l’en empêcha. Il n’avait pas lu la totalité du message qui lui était destiné.
« Il ne faut pas refuser l’amour. C’est le plus beau cadeau que l’on peut nous offrir, la chose la plus simple et en même temps la plus importante au monde. Il ne faut pas refuser d’aimer sous prétexte d’avoir promis à quelqu'un qu’il serait le seul. On peut se préserver dans un couple, mais cela n’implique pas que l’on arrête d’aimer les gens qui le méritent. L’amour le plus puissant est l’amour partagé.»
Séverus s’effondra sous ces derniers mots, transperçait par l’évidence de cette déclaration. Le pouvoir existait, il était à portée de main. Saurait-il le saisir ? Ses pensées étaient guidées par un sortilège, tout comme le veritaserum abattait les résistances de l’interrogé, l’amour de Dumbledore l’obligeait à accepter le sentiment contre lequel il s’était blindé. Peu importe la viabilité de celui-ci, il ne pouvait pas le rejeter. On peut rendre quelqu'un heureux sans que cela n’implique rien d’autre que le plaisir de vivre. Il venait de s’autoriser à aimer et être aimé.
***************************
- Professeur Dumbledore ! Euh, je suis désolé de vous avoir percuté, je ne regardais pas devant moi.
- Il n’y a pas de problème, mon garçon. Je suppose que tu avais d’autres sujets de préoccupation.
Ce disant, Harry sentit un poids lui enserrer la poitrine. Maintenant, Albus savait tout. Il mourrait d’envie de se confier à lui.
- Je t’ai vu te disputer avec Séverus, tu veux en parler ?
L’implosion était proche alors qu’Harry retenait ses émotions. Un séisme gagna ses lèvres, mais la main de Dumbledore sur son épaule sembla stabiliser l’édifice. Il sentit un flux d’énergie le parcourir, le réchauffer. C’était plus que de la chaleur. C’était de l’amour. Albus commença à avancer, insufflant toujours son amour à Harry, et le guida au travers des couloirs jusqu’au bureau qu’occuperait un jour le professeur McGonnagall. Arrivé en haut de la tour, il le fit s’asseoir et fit de même.
En sentant la main du professeur quitter son épaule, Harry eut l’impression de chuter brutalement. Il sentit le poids revenir sur sa poitrine, dix fois plus fort qu’auparavant, lui sembla-t-il. La sensation de manque l’accabla soudain.
- Ce que tu ressens est tout à fait normal, Harry. C’est le manque lié à l’amour. Chaque magie possède sa propre addiction, seulement l’amour est une vraie drogue. Lorsque tu l’arrêtes, tu prends le risque de te perdre toi-même. On dirait que c’est ce qui est arrivé à Séverus. En tout cas, il semble blessé par la vie, il refuse tout contact émotionnel, n’est-ce pas ?
Harry resta silencieux, regardant le professeur comme s’il ne l’avait jamais vu. L’amour, un pouvoir ? Une drogue ? Maintenant qu’il y pensait, il était réel qu’il ressentait le besoin de quelque chose, un manque tellement puissant qu’il avait envie de mourir.
- Il ne faut pas refuser l’amour, Harry. Pourquoi le refuses-tu ?
- J’aime déjà quelqu'un, expliqua Harry à demi-voix.
- Et tu ne te sens pas capable d’aimer deux personnes en même temps ?
- Ce n’est pas le problème ! Bien sûr que je peux les aimer toutes les deux ! Mais je sais qu’aucune des deux n’accepterait que je partage mon amour ! Un bon couple est un couple uni, exclusif !
- Pourquoi ?
Dans les minutes qui suivirent, Harry eut l’impression d’être un petit enfant qui apprenait à réfléchir. Il refusait à Ginny le monopole de son amour, au risque qu’elle vive cela comme une trahison. Mais son amour pour elle restait immense. Il ne voulait pas qu’elle se sente salie par celui qu’elle aimait. Mais il n’existait plus, et ce qu’elle croyait connaître de lui n’était que des préjugés, des effets secondaires d’une prophétie faite par une voyante de second choix. Il avait besoin d’être aimé et de donner son amour. Cet amour qui jaillissait de lui et cherchait quelqu'un sur qui se poser.
Il se leva sans écouter ce que lui disait Albus sur la possibilité d’aimer de façon platonique, sans trahir son épouse. Il sortit de la pièce et se retrouva avant d’avoir pu y penser devant ses appartements.
Il entra. La pièce était sombre et semblait vide. Jusqu’à ce qu’Harry sente une énergie sortir de la chambre de Séverus. C’était de la grande magie, il en était sûr. Il avait l’impression de distinguer les contours de l’homme dans le noir comme s’il scintillait de l’intérieur. Ses doutes s’évanouirent. Il s’approcha de Séverus avec tout le calme et la maîtrise de soi dont il était capable, et le serra dans ses bras. Lorsque l’autre lui rendit son étreinte, il eut l’impression d’être au bord d’un gouffre. Et se jeta avidement dedans.
**********************************
- Harry, on risque de le regretter.
- Il ne faut pas regretter les bons moments, Séverus. C’est tout ce qui nous reste quand on va mal. On ne peut pas être tout le temps heureux, mais on peut faire en sorte d’avoir des épisodes heureux dans notre vie.
Il regarda son compagnon qui était assis à ses côtés sur le sofa, et qui le serrait dans ses bras comme si sa vie en dépendait. Une bouffée d’amour l’envahit alors qu’il se plongeait dans ses yeux si sombres qui pour la première fois depuis qu’il le connaissait semblaient dégager de la chaleur, comme des braises sous les cendres. Harry brûlait.
- Ne me dis surtout pas que tu ne mérites pas d’être aimé. Tu ne peux pas m’en empêcher, et toute personne mérite de connaître l’amour. J’ai besoin de toi, besoin de sentir m’aimer pour ce que je suis. Besoin de rendre quelqu'un heureux et de l’être en retour.
- Je ne sais pas si je suis capable d’aimer.
- Et pourtant tu as tout cet amour qui jaillit de toi. Tu m’as dit avoir appris la même chose que moi sur l’amour, cet après-midi. Pourquoi Dumbledore ne nous a pas expliqué cela avant ?
- Avant, on l’aurait pris pour un fou et on aurait refusé de comprendre. On se détestait.
- Je ne te déteste plus.
- Moi non plus. Mais tu restes quelqu'un de très banal.
- Et toi un vieux grincheux.
Un sourire réunit leurs lèvres. Pour la première fois depuis qu’Harry était rentré à l’appartement, les deux hommes arrêtèrent de parler. Ils s’étaient dit tout ce qu’ils ressentaient, tout ce qu’ils avaient compris. La révélation qu’ils avaient eue leur ouvrait des univers jamais explorés. Harry approcha lentement ses lèvres de celles de Séverus.
- J’aime les femmes, Harry.
- Et moi j’aime, répondit simplement le garçon. Je ne mets pas de limitation. J’aime.
Les yeux de Séverus s’éclairèrent. Il se rapprocha à son tour et accepta le baiser que lui proposait le jeune homme. Une main curieuse explora les collines de vêtements du nouveau territoire conquis, et s’arrêta sur une colline plus résistante que d’autres. La main explora la surface du membre enveloppé de coton, comme un cadeau qui n’attendait plus qu’à être déballé. La main se répandit en caresses intimidées, alors que Séverus commençait à haleter. Mais l’amour le plus puissant est l’amour partagé. C’étaient les paroles de Dumbledore.
Séverus approcha sa main inquiète de l’entrejambe de son compagnon. Il essayait de ne pas penser au fait qu’il aurait pu être son père. La magie de l’amour était si puissante qu’elle lui faisait oublier ce genre de détails. Harry se raidit de plaisir alors que des effluves de magie le traversaient, le reliant à la personne aimée. Il se cambra légèrement et se blottit un peu plus contre son amant. Le paradis est silencieux. Jusqu’au chant de bonheur que deux anges partagèrent.