Contre tout espoir
- Sev ?
Un instant d’hésitation. Un seul. Harry reprenait-il le contrôle ? Trop tard. Tom avait bondi. Severus ne s’attendait pas à ce que le gamin lui saute dessus. Il tomba en arrière, la fenêtre se brisa. Un instant, il eut l’impression que sa chute s’interrompait, comme dans un dessin animé où il aurait couru plusieurs secondes dans les airs avant de tomber. Mais ce ne fut pas le cas. Severus Snape s’écrasa au pied de la cabane hurlante.
***********************************
Albus Dumbledore faisait les cent pas dans son bureau, se demandant ce qu’il devait faire. Si Severus ne voulait pas entendre raison, ils allaient tous les deux perdre Harry. En l’espace de quelques semaines, Albus s’était profondément attaché au garçon. Il savait que c’était quelqu’un de bien, même s’il se méfiait de lui depuis qu’il avait découvert la possession du jeune homme. Mais la plupart du temps, Harry apparaissait comme un enfant blessé par les événements, épuisé, qui n’avait qu’une envie : se reposer enfin. Alors, il fallait qu’il l’aide.
Il avait vu dans l’esprit de Severus que l’histoire qui lui avait racontée était vraie, d’ailleurs, le petit Tom avait tout de suite semblé étrange, fuyant. Mais Albus ne pouvait s’empêcher de penser que si les choses avaient été différentes, si Severus avait pris le garçon sous son aile au lieu d’être tout de suite agressif, peut être que les choses auraient été différentes. Peut être qu’il ne se serait pas conforté dans cette attitude défensive qui l’avait conduit à devenir un meurtrier. Peut être aurait-il accepté de ressentir de l’amour. Mais à présent c’était trop tard. Severus avait péché de la même façon que lui lorsqu’il était jeune. Il avait cru au Plus Grand Bien.
Peut être qu’il pouvait en sauver au moins un. Albus se dirigea d’un pas résolu vers la porte de son bureau. Il fallait qu’il voit Severus, qu’il le convainque de ne pas abandonner l’amour de sa vie. Car ce qu’il avait ressenti l’autre jour en passant devant l’appartement des deux hommes l’avait bouleversé. Un flux de magie incroyable, à faire pleurer un ange tellement c’était beau. De l’amour à l’état pur. Il fallait qu’il sauve ces deux enfants.
Il toqua à la porte de l’appartement de son collègue ; comme il s’y attendait, ce dernier ne répondit pas. Il tourna la poignée. Verrouillé. Il sortit sa baguette magique. Après plusieurs essais, la porte céda enfin et il entra.
- Severus ?
Mais seul le silence lui répondit. Un pressentiment le gagna. Severus était parti chercher Harry. Ce qui impliquait qu’il devait agir, et vite : s’il le retrouvait, il tuerait Tom et un professeur de Poudlard serait accusé du meurtre d’un élève. Comme Dippet n’était pas au courant, c’était à lui d’agir dans le bien de tous. Il devait prévenir les aurors de la fugue d’un enfant suspecté du meurtre de Mimi et préciser que deux de ses professeurs étaient partis à sa recherche ; ainsi que faire avaler ce conte au directeur. Albus Dumbledore prouvait une fois de plus qu’il était bien plus Serpentard que la plupart des gens de cette maison.
*************************************
Harry regarda comme dans un rêve l’homme tomber par la fenêtre, ses robes volant autour de lui. Severus. L’homme qu’il aimait. Il sentit un flux de magie le transpercer. La suite des événements resta assez floue dans son esprit. Certains parlèrent de la folie qui s’empara de lui à la vue de son maître mort. Mais trois personnes au moins savaient que c’était la magie de l’amour qui voulait venger la perte de l’être aimé.
Toujours est-il que le jeune homme sortit sa baguette, un rictus de haine sur le visage. A chaque sort qu’il lançait, il ressentait la douleur dans son propre corps. Chaque sort se répercutait sur lui un peu plus fort. Et soudain, le visage déformé par la colère de perdre son ton nouveau jouet, Jedusor leva à son tour sa baguette. Il ne savait pas ce qu’il faisait, il ne savait qu’une chose : il voulait tuer. Il avait déjà réussi sans baguette. Celle-ci ne serait que le catalyseur de sa magie. Des éclairs verts commencèrent à sortir de son arme. C’est le moment que choisirent les aurors et Dumbledore pour pénétrer dans la pièce.
- STUPEFIX !
Le cri jaillit de cinq bouches en même temps : les trois aurors, Harry, Dumbledore, et Snape. Ce dernier était pâle et s’appuyait contre la porte pour ne pas tomber, la souffrance clairement affichée sur son visage. Jedusor s’effondra, et Snape eut le temps de voir le sourire de soulagement et de bonheur de Harry avant que ce dernier ne s’effondre à son tour, sous l’effet des cinq sortilèges qui s’étaient retournés contre lui. Les bras en croix, le garçon et le jeune homme gisaient sur le sol.
- Harry ?
Snape s’approcha tout doucement du corps, comme pour retarder le moment inéluctable où il allait conclure à la mort de son amant. Sa main tremblante s’approcha de la carotide du jeune homme, à la recherche d’un pou inexistant. De son côté, l’un des aurors alla vérifier les fonctions vitales de Tom.
- Vous vous rendez compte ? demanda un des aurors. Il allait jeter un sortilège de mort ! A onze ans !
Mais le sanglot désespéré qui s’échappa de la gorge de Severus l’interrompit.
- Il est mort ? continua l’auror. Mais… Un stupefix ?
- Cinq stupefix, rectifia Dumbledore. L’enfant n’était pas assez puissant pour résister à ce genre d’attaques, à son âge et avec sa maîtrise de la magie. Et les sorts ont rebondi sur Harry.
- Comment est-ce possible ? demanda le plus âgé des aurors. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose.
- Malheureusement, je pense que nous ne découvrirons jamais la vérité, à présent.
Alors que les aurors s’éloignaient pour prévenir leurs supérieurs, Dumbledore se rapprocha de Severus et lui posa sa main sur l’épaule, espérant le réconforter un peu. Mais l’homme le repoussa, brisé.
Devant eux, le corps du jeune homme semblait seulement paisiblement endormi. D’ailleurs, il semblait reprendre des couleurs. Snape lui caressa doucement la joue, qui se contracta involontairement sous le geste. Surpris, l’homme rechercha de nouveau son pouls.
- Albus, dites-moi si je suis victime d’une hallucination.
L’homme approcha doucement sa main du coup du garçon, mais avant qu’il ait pu vérifier, Harry laissa échapper une toux grasse.
- Harry ! Est-ce que tu m’entends ?
- Sev… croassa le garçon.
- Mais… comment ?...
Il se tourna vers Jedusor, sa baguette à demi levée, prêt à toute éventualité. Mais Albus, un immense sourire aux lèvres, l’interrompit.
- Non, Severus, monsieur Jedusor est bel et bien mort.
- Mais Harry…
- Les sorts ont seulement tué l’horcruxe. Harry a bel et bien survécu ! Je ne peux pas expliquer comment, peut être que l’horcruxe avait été affaibli par la mort de Tom, ou bien…
Mais Severus ne l’écoutait pas. Indifférent aux larmes qui coulaient à présent sur ses joues, il se pencha sur le garçon et le serra dans ses bras, répétant inlassablement son nom.
*************************************
Harry se réveilla dans des draps blancs, avec l’impression de s’être fait piétiner par une armée d’hypogriffes. Il ouvrit douloureusement ses yeux éblouis par la lumière de la pièce. A sa droite, sur une petite tablette, un reflet brillant : ses lunettes. Mais sa main était trop lourde pour les saisir, et il la laissa retomber sur le lit, épuisé par l’effort fourni.
- Il faut te reposer, Harry.
- Professeur Dumbledore ? Tom…
- Tom est mort. Tu n’as pas de soucis à te faire.
- Et Severus ?
- Il va bien. Je vais le prévenir que tu es réveillé. Tu nous as fait une belle peur, mon garçon !
Les souvenirs de l’événement revenaient difficilement dans son esprit. Il se rappelait avoir vu tomber Severus, puis tout d’un coup l’arrivée des aurors, et là, le blanc. Il s’était retrouvé dans un grand hall de gare, semblable à celui de King’s Cross, face à face avec le petit Tom.
Flash Back
Le garçon et le jeune homme se dévisagèrent avec nostalgie, seuls dans ce King’s Cross vide, comme s’ils étaient soudain au dessus de tout ce qui avait pu les séparer lorsqu’ils étaient vivants.
Soudain, une voix bizarrement aigue et abîmée s’éleva dans la gare.
- Eh bien, Potter, je pense que c’est la fin.
Harry et Tom se dévisagèrent, et cherchèrent du regard l’origine de la voix. Une chose un peu plus loin. Une chose qui avait l’aspect d’un petit enfant, avec une peau à vif, écorchée. La chose respirait difficilement, comme si elle n’était composée que de souffrance. Elle reprit la parole d’une voix douloureuse.
- Tu as gagné, Potter. Tu m’as tué. Et maintenant, que vas-tu faire ? Tu es mort. Tout aussi mort que moi. Tu t’es battu pour rien.
Pour rien ? L’echo de cette dernière phrase résonna bizarrement dans l’esprit de Harry. Il s’était battu pour ceux qu’il aimait. Pour Ron, Hermione, Ginny. Pour Severus. Severus ! Il était tombé, peut être n’était-ce pas trop tard ! Severus avait besoin de lui. D’un côté, cet endroit était calme, il pourrait peut être y trouver la paix. De l’autre, il pouvait trouver bien plus jouissif auprès de l’homme qu’il aimait. Il pourrait vivre son amour pleinement, sans aucune restriction, être vivant, réellement.
- Non, Voldemort, je ne crois pas. Moi, j’ai une raison de vivre, et j’ai un corps. Cinq stupefix peuvent peut être tuer un enfant, mais pas moi. Au revoir, Voldemort. Peut être un jour comprendras-tu ton erreur.
- Mon erreur, Potter ? Quelle erreur ? J’ai été mille fois plus puissant que toi.
- Mais moi je possède une magie que tu n’as pas.
- Vraiment ? Tu vas peut être me dire que c’est l’amour ? Si elle est si puissante, pourquoi es-tu là, avec moi ?
- Elle est tellement puissante que grâce à elle, je vais y retourner. Adieu.
Et Harry se nimba d’un hâle éclatant, et disparut de King’s Cross, abandonnant derrière lui Tom Jedusor.
**************************************
Un morceau de journal posé sur la tablette à côté du lit attira son attention. Désormais suffisamment réveillé pour s’en emparer, il le prit ainsi que ses lunettes. C’était la une du journal du jour.
« Meurtres à Poudlard
Un élève de la célèbre école de sorcellerie Poudlard a été neutralisé hier soir à Pré-Au-Lard par les aurors après avoir tué une de ses camarades de classe et tenté de tuer deux de ses professeurs. Le directeur Dippet avait signalé la disparition du garçon quelques heures auparavant ainsi que ses présomptions au sujet du décès…"
Harry eut un ricanement qui se transforma bientôt en une quinte de toux douloureuse. Il était prêt à parier que Dumbledore était derrière toute cette mascarade. Encore une fois, il avait bien réussi à manipuler les ficelles de ses pantins, et le ministère l’avait suivi les yeux fermés. C’était tellement ironique. Il avait tué un enfant et personne ne l’accusait. Il avait tué un enfant…
La porte s’ouvrit bruyamment et laissa entrer un Severus Snape boitant et pâle, soutenu par Albus.
- Harry ! Comment te sens-tu ? demanda Severus.
- Ca va.
Les deux hommes se dévisagèrent sans savoir que dire. Il est certaines paroles dites sous le coup de la colère qui laissent sans voix des années après. La culpabilité nous ronge et nous empêche de réparer les dégâts commis. Severus finit par faire demi-tour vers la porte de l’infirmerie. Sur le seuil, il laissa échapper une dernière parole emplie de frustration et de regrets.
- J’ai presque fini de stabiliser la potion pour rentrer. Prépare-toi.
Et sans plus attendre, il quitta la pièce, abandonnant Albus derrière lui.
- Il finira par te pardonner, mais il faut que vous fassiez tous les deux des efforts.
- Il ne veut pas de moi, de toute façon. Je me demande pourquoi je suis revenu. Pourquoi j’y croyais.
- N’as-tu pas des amis, dans ton époque ? Des gens qui comptent pour toi ?
Ron, Hermione. Les Weasley. Il soupira. Bien sûr qu’il voulait rentrer. Maintenant qu’il avait accompli sa mission. Vivre enfin. Il s’était fait cette promesse, cette promesse de ne pas vivre pour rien, contrairement à Voldemort, il allait construire, et non pas détruire. Avec ou sans Severus.
- Au fait, comment a-t-il pu stabiliser la potion ?
- Figure-toi que lorsque cette pauvre Mimi est morte, Severus est parti à ta recherche. Il en a profité pour ramasser une écaille de basilic pour stabiliser la potion.
- Il ne reste plus qu’à détruire l’horcruxe, n’est-ce pas ?
- Je me suis occupé du médaillon. Un feudeymon, je ne te le conseille vraiment pas.
- Je croyais que c’était trop risqué.
- Ca l’était. D’ailleurs, à présent, il manque une pièce au château, à présent.
Les deux hommes échangèrent un sourire complice. Harry se demandait quelle pièce allait manquer lorsqu’il reviendrait dans son Poudlard. Les choses détruites par quelque chose d’aussi destructeur que le feudeymon ne pouvait pas être réparées. Il se redressa difficilement.
- Je pense qu’il est temps que je me prépare. Il va falloir expliquer notre disparition au reste de l’équipe enseignante.
- Ne t’inquiète pas pour cela, vous avez des circonstances atténuantes. Après tout, peu de professeurs manquent de se faire tuer par leurs élèves. Je m’en occupe.
- Vous auriez dû être à Serpentard, Albus.
L’homme rigola doucement dans sa barbe.
- C’est ce que me disais aussi le choixpeau. J’ai préféré ne pas ajouter à la réputation qui m’a précédée.
Harry qui se souvenait de l’article de Rita Skitter en convint. Albus lui tendit la main, les yeux brillants.
- J’ai été ravi de te rencontrer, mon enfant. Je suppose qu’on se reverra dans quelques dizaines d’années.
- Je l’espère, monsieur. Je vous serai à jamais redevable.
- Je ne crois pas, non. Si je me souviens bien, c’est à cause de moi que tu t’es retrouvé dans cette histoire. Avec un peu de chance, lorsque tu reviendras, la vie sera plus facile pour toi. Au revoir, Harry.
Il quitta la pièce sur ces derniers mots, laissant Harry se reposer.
Quelques minutes plus tard, Harry se rendit dans l’appartement qu’il avait partagé ces dernières semaines avec Severus. Lorsque la porte s’ouvrit, la pièce lui sembla plus vide qu’avant. Comme si tout avait perdu sa saveur. Severus sortit de sa chambre avec deux verres dans les mains.
- La potion est prête. Tu vas la boire en pensant à l’époque dans laquelle tu veux te rendre. Je ne puis que te suggérer celle d’où l’on vient, puisque tu vas garder tes souvenirs actuels.
- D’accord. Severus ?
- Quoi ?
- Tu viens avec moi, pas vrai ?
Un silence.
- Bois. Je te rejoints.
Severus lui tendit le verre et se pencha pour ramasser le sac d'Harry, contenant ses affaires. Harry prit le verre prudemment, et mis le sac sur son épaule. Il sembla vouloir ajouter quelque chose, mais déjà, l’homme s’éloignait de lui. Il baissa les épaules et porta le liquide à sa bouche. Il pensa à Ron et à Hermione, à tout ce qu’il avait laissé derrière lui. Il ressentit un tiraillement dans tout son corps, et bientôt, la pièce s’effaça autour de lui.