Contre tout espoir
- Tu viens avec moi, pas vrai ?
Un silence.
- Bois. Je te rejoints.
Harry prit le verre prudemment, voulant ajouter quelque chose, mais déjà, l’homme s’éloignait de lui. Il baissa les épaules et porta le liquide à sa bouche. Il pensa à Ron et à Hermione, à tout ce qu’il avait laissé derrière lui. Il ressentit un tiraillement dans tout son corps, et bientôt, la pièce s’effaça.
Quelques secondes plus tard, il atterrit violemment sur un sol de pierre. Au même moment, il sentit sa tête assaillie par un flot de souvenirs, tellement puissants qu’il se sentit défaillir. Ses yeux se fermèrent et soudain, tout fut noir.
Il se réveilla en sentant quelqu’un lui passer tout doucement un linge humide sur le visage. Des doigts chauds frôlèrent sa joue, réveillant en lui une sensation de sécurité jusque là inconnue.
- Regarde, James, il est tout froid ! Je me demande ce qu’il lui est arrivé. Tu crois qu’il a attrapé la dragoncelle, comme le fils Londubat ?
- Je ne sais pas, ma chérie. Mais Madame Pomfresh pense que qu’il a juste fait un petit malaise.
James. Harry sentit une boule se former dans sa gorge. Il explora les souvenirs qu’il avait acquis lors de son retour dans le futur. Ses parents étaient vivants. Il se souvenait de tout, depuis la première fois que son père l’avait fait monter sur un balai pour adulte avec lui, alors qu’il avait tout juste cinq ans, jusqu’à la fête de ses dix-sept ans, entouré de ses amis les plus proches : Ron, Hermione, Neville, Ginny. Son parrain Sirius l’avait pris à part pour lui demander quand est-ce qu’il comptait demander en mariage la jolie petite rouquine qui le suivait partout, puis l’avait assailli de questions sur les sorts de contraceptions, le mettant dans l’embarras devant tous ses amis.
Ce jour-là, James lui avait offert une belle montre en argent toute neuve, avec une gravure au dos. Harry fit glisser sa propre montre à son poignet, les yeux entrouverts. « A mon fils aimé ». Son rêve s’était réalisé. Il avait grandi entouré par ses parents, ses amis, il avait été un petit garçon puis un adolescent tout à fait normal, qui se distinguait juste par ses talents héréditaires en Quidditch.
- Harry, chéri, tu es réveillé ?
Lily se penchait sur lui, aimante, souriante. Toujours là, comme dans ses tous nouveaux souvenirs. Il plongea ses yeux dans les siens, si semblables aux siens. Son regard émeraude se remplit de larmes brillantes. Un gémissement de désespoir sembla jaillir de sa poitrine. En dehors de ceux qu’il avait avant son départ pour le passé, il n’avait aucun nouveau souvenir de Severus.
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Allongé dans son lit d’infirmerie, sous l’effet de la potion calmante que l’avait forcé à avaler Madame Pomfresh, Harry se laissait aller depuis plusieurs jours au gré des souvenirs d’une autre personne, celle qu’il aurait dû être. A ceux de Sirius et James qui lui apprenaient à faire des blagues sans se faire prendre à l’école, se superposait ceux de Pétunia et Vernon Dursley l’enfermant dans un placard. L’esprit embrumé, il avait du mal à différencier ce qu’il avait réellement vécu des nouveaux souvenirs qu’il venait d’acquérir. Même s’il n’avait que 17 ans physiquement, au fond de lui, il en avait déjà vécu le double. Même si malgré lui, il restait cet enfant détruit dont le monde sorcier s’était servi comme d’une arme.
Dans ce nouveau monde, il ne se sentait pas dans son élément, il avait l’impression d’être un imposteur, de vivre la vie d’un autre. Lorsque Peter Pettigrow était venu le voir pour lui apporter une boîte de chocogrenouilles et lui souhaiter un bon rétablissement, il avait essayé de lui jeter un avada, mais heureusement il était encore trop affaibli par les médicaments pour mettre sa menace à exécution. Apparemment, dans ce futur, Peter n’avait eu aucune raison de trahir ses amis. Néanmoins, la vue du rat d’égout lui soulevait toujours autant le cœur.
Il n’avait parlé à personne, encore sous le choc de son retour. Il avait toujours voulu connaître ses parents, et lorsqu’il s’était retrouvé devant eux, il n’avait vu que son reflet dans le miroir du Rised. Ses parents étaient des étrangers, tout comme ses amis. Madame Pomfresh avait conseillé à ses parents de le laisser seul le temps qu’il se remette, et depuis, personne n’était venu le voir.
Les seules personnes dont il acceptait la présence étaient Ron et Hermione, à cause de tout ce qu’il avait partagé avec eux dans son ancienne vie. Eux, au moins, il savait qu’ils auraient été là en cas de besoin. Même si Ron les avait abandonnés dans cette forêt. Mais les Ron et Hermione de ce monde étaient bien différents de ceux qu’il avait connus. Trop insouciant, inconscient de la dure réalité des choses, il avait l’impression d’avoir deux enfants en face de lui. Il se rendait compte que la guerre les avait obligés à devenir adulte trop vite.
Un monde sans mage noir, sans mangemort. Ceux contre qui il s’était battu étaient maintenant des membres intégrés de la société. D’après ce qu’il avait appris, James et Sirius étaient devenus d’éminents aurors, et avaient plaidé en faveur de leur ami Remus afin que celui-ci ait un emploi au ministère, au service de contrôle et de régulation des créatures magiques.
Le professeur McGonagall était passé le voir aujourd’hui. Ou peut être était-ce hier. Il ne se souvenait pas. Il était resté de marbre alors que sa directrice de maison lui faisait la morale au sujet des ASPICs qui approchaient et que aucun chagrin d’amour ne valait le coup de rater ses examens pour ça. Mais elle ne comprenait pas. Elle croyait qu’il s’était disputé avec Ginny. Ginny… Il l’avait presque oubliée. Elle était comme ces souvenirs d’enfance, une odeur, une couleur, quelque chose de flou dont on se souvient avec nostalgie, en étant pourtant convaincu de ne jamais pouvoir les retrouver.
La porte s’ouvrit tout doucement, laissant entrer la lumière du couloir, contrastant durement avec la pénombre dans laquelle était plongée l’infirmerie. Une longue barbe blanche surmontée d’un nez aquilin chaussé d’une petite paire de lunettes rondes entra dans son champ de vision.
- Alors, Harry, tu es enfin de retour ? Tu as fait un long voyage, mon enfant.
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Mais comment Harry avait-il pu oublier le seul témoin de sa vie ? La seule personne, en dehors de Severus, qui avait su ce qu’il avait vécu ? Il dévisageait Dumbledore avec désespoir. Il était surement trop tard. Trop tard pour remonter le temps.
- Tu viens de revenir dans le futur, n’est-ce pas ? demanda Albus. J’ai longtemps guetté ce moment, mon enfant. Je suppose que c’est parce que Severus ne t’a pas suivi que tu te sens si mal.
Le garçon ne pouvait toujours pas ouvrir la bouche, envahi par l’émotion. Severus. Entendre ce nom dans la bouche de quelqu’un d’autre que lui le remplissait de tristesse mêlée d’espoir.
- Pose-moi toutes les questions que tu veux, Harry. Je ne peux pas te promettre de répondre à toutes, mais je répondrai à autant que possible.
Le vieil homme contempla avec bienveillance son élève qui luttait à présent contre les larmes qui refusaient de s’arrêter de couler.
- Pourquoi ?
- Tu veux dire pourquoi il t’a laissé derrière ? Je suppose qu’il s’agit là de l’une des questions auxquelles je ne suis pas le plus apte à répondre.
Harry soupira. Il s’y était attendu, mais malheureusement, il n’avait pas pu s’empêcher d’espérer. Il avait cru qu’un homme comme Albus, qui avait réussi à comprendre les fondements mêmes de l’amour, aurait pu lui expliquer comment un homme pouvait abandonner l’amour de sa vie, celui pour lequel il avait risqué sa vie.
- Qu’est-il devenu, après ?
- Après ton départ ? Il a continué à enseigner. On a fait passer ta disparition pour un décès suite aux blessures reçues. Severus a totalement révolutionné les potions, en utilisant des formules découvertes avant son voyage dans le passé. Très Serpentard, comme tactique, tu ne trouves pas, que de s’approprier les inventions des autres ? Enfin, je ne le juge pas. Grace à lui, notre école a acquit une notoriété certaine dans le domaine des potions, et jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite, il y a vingt ans, de nombreux étudiants en thèse de potions venaient faire des stages auprès de lui. Mais au fond de lui, je crois qu’il lui a toujours manqué quelque chose.
Dumbledore s’interrompit, un sourire nostalgique sur les lèvres.
- Il ne s’est jamais marié, si c’est ce que tu te demandes. Je me demande même s’il a déjà fréquenté quelqu’un en dehors de son travail. Il a eu une vie très accomplie, professionnellement parlant, mais je pense que sa vie sentimentale a été particulièrement vide. Je le regrette. Je n’ai pas réussi à lui faire comprendre que l’amour est la plus belle des magies.
- Il le savait.
L’interruption d’Harry prit Albus au dépourvu. Il dévisagea le garçon en face de lui.
- Comment ?
- Lorsqu’on… Lorsqu’on est arrivés dans le passé, Sev avait un petit livre avec lui. Le livre de vos mémoires. Celles que votre autre vous avait écrites afin de permettre à ceux qui restent de tuer Voldemort si jamais vous mourriez. Vous y expliquiez la véritable nature de l’amour. C’est comme ça qu’il a accepté de m’aimer, même si… Même s’il n’a jamais vraiment assumé sa décision.
- Je suis désolé, mon enfant. Je suis désolé pour toi.
- Et qu’a-t-il fait, ensuite ?
- Comme je te l’ai dit, il a pris sa retraite il y a vingt ans. Si mes souvenirs sont bons, il devrait avoir 96 ans aujourd’hui. Il a coupé les ponts avec ses anciens collègues, aujourd’hui il vit reclus dans un vieux manoir appartenant à la famille de sa mère, qu’il a racheté à la mort de son grand-père.
- Mais alors, y a-t-il eut un autre Severus Snape ? Demanda Harry, déboussolé.
Le refus de revenir de Severus avait dû entrainer des paradoxes sur le présent.
- Non, mon garçon. Il semblerait que Severus ait appris au père d’Eleen Prince ses projets de fiançailles avec un certain moldu violent, et que monsieur Prince lui ait interdit une telle folie. D’après ce que j’en sais, Eleen a épousé un Black, mais n’a jamais pu concevoir d’enfants.
Ainsi donc, Severus s’était arrangé pour empêcher qu’un autre enfant ne vive les mêmes souffrances que lui au même âge. 96 ans… Toute une vie. Même s’il n’était pas rare qu’un sorcier vive au-delà de cent vingt ans, Severus était un vieillard. L’ombre vieillie de l’homme qu’il avait aimé à la folie.
- Où habite-t-il ? demanda brusquement Harry.
- Mon garçon, es-tu certain que…
- Où habite-t-il ? répéta le jeune homme.
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Quelque part au pays de Galles, sur une colline battue par la pluie, un craquement se fit entendre, et un jeune homme apparut sous un arbre. Harry remonta le col de sa cape, et mit sa capuche, essayant de ne pas prêter attention à la pluie qui lui fouettait le visage. Au loin, il apercevait le manoir, grande bâtisse gothique dominant la plaine. Il se rapprocha, la baguette à la main, dans un dernier sursaut de ses réflexes d’antan.
La cours pavée était recouverte de feuilles mortes, formant un tas d’humus en décomposition. Surement Severus était-il trop vieux pour entretenir l’habitation, et il n’aurait jamais supporté la présence de quiconque à ses côtés, serviteur ou ami. Harry se surprit à sourire. Cet endroit ressemblait vraiment à l’image moldue du manoir d’un vampire, d'un château hanté par de vieux démons. Si comme il s’en doutait, Severus possédait un fort sens de l’autodérision, sans doute avait-il choisi la demeure en conséquence.
Il arriva à une lourde porte en chêne, surmontée d’un heurtoir représentant deux serpents entrelacés en fer forgé. Il le prit et l’abaissa sur la lourde porte. Un coup sourd résonna dans la bâtisse. Il recommença. Des bruits de pas, accompagnés par un léger tapotement, comme une cane sur laquelle quelqu’un s’appuierait, se fit entendre à l’intérieur. Puis de nombreuses serrures cliquetèrent, et enfin, la porte s’entrouvrit.
Harry contempla, muet, le visage ridé encadré par une pluie de cheveux longs, du blanc le plus pur. La couleur encore plus pale de son visage contrastait avec les deux trous noirs qui lui servaient d’yeux, et qui commençaient à se recouvrir d’un voile blanc.
- Qui…
La voix tremblotante de l’homme le prit à la gorge. Harry baissa sa capuche, découvrant son visage décomposé par l’émotion. En face de lui, le vieillard sembla s’arrêter de respirer.
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Seul. Severus avait vécu seul pendant toutes ces années. Il avait réussi à être reconnu pour ses talents de potionniste, avait eu une longue vie bien remplie à former de nouveaux esprits, rejetant comme il l’avait toujours fait les plus faibles, encourageant et avantageant ceux qui semblaient avoir des prédispositions. Sa réputation avait grandi alors que de jeunes chercheurs étaient venus lui demander conseil, et il avait commencé à prendre de jeunes gens talentueux comme apprentis l’espace de quelques mois, ou quelques années. Lorsqu’il avait pris sa retraite, ils avaient été nombreux à le féliciter pour sa carrière, et à le remercier d’avoir mis à profit ses connaissances en matière de potions magiques.
Il avait réussi à sauver sa mère de Tobias Snape, empêchant ainsi sa propre naissance. Il était un paradoxe temporel à lui tout seul. Tout d'abord, il avait cru qu'il disparaitrait en empêchant sa naissance, emportant avec lui ses regrets. Mais il était resté en vie, sans savoir pourquoi. Peut être avait-il déjà changé trop de choses. Depuis vingt ans, tout le monde l’avait oublié, et il avait vécu en reclus, mettant par écrit tout le savoir qu’il avait engrangé en deux vies, au profit des générations futures.
L’un dans l’autre, Severus Prince avait eu une vie bien remplie. Il ne lui manquait qu’une chose, son plus grand sacrifice.
Un bruit sourd parvint à son oreille. Il crut tout d’abord avoir rêvé, son audition s’affaiblissant avec l’âge. Mais le bruit retentit à nouveau, et il ne put plus l’ignorer. Quelqu’un avait frappé à la porte.
Se relevant difficilement, dépliant douloureusement ses genoux rendus raides par l’âge, il claudiqua jusqu’à l’entrée, s’appuyant le moins lourdement possible sur sa cane. Arrivé à la porte, il ouvrit d’un geste de la main les serrures qui le protégeaient de l’extérieur. Il sortit sa baguette, dans un ancien réflexe d’espion, il observa la silhouette détrempée devant sa porte.
- Qui… demanda-t-il d’une voix rendue chevrotante par le manque de pratique.
L’inconnu baissa sa capuche, dévoilant un visage encore juvénile.
Son plus grand regret se tenait devant lui.