Contre tout espoir
Le vieil homme tenta de refermer la porte sur ses souvenirs. Mais à presque cent ans, il n’était plus de taille à rivaliser contre un jeune homme de 17. Harry réussit à son insu à se faufiler à l’intérieur du manoir. Il claqua la porte derrière lui, se retrouvant dans un vaste vestibule silencieux qui donnait en face sur un grand escalier de marbre, à sa droite sur une pièce à l’aspect chaleureux éclairée par la lumière vacillante d’un feu de cheminée mourant.
Le poids des années se faisait sentir dans la décoration et dans les meubles autrefois somptueux, qui arboraient à présent un aspect élimé, fatigué. Harry se tourna vers celui qui avait été son amant, 58 ans auparavant. Le vieillard le dévisageait toujours, le visage plus aussi fermé qu’autrefois, comme du vieux cuir qui se serait assoupli avec l’âge. Le bouleversement était visible au fond de ses yeux qui ne semblaient plus aussi noirs qu’autrefois, comme voilés par les remords.
- J’ai toujours su que tu viendrais, stupide Gryffondor.
La voix brisée fit monter les larmes aux yeux du garçon, même si au fond de lui, il ne pouvait s’empêcher de se sentir soulagé d’entendre les sarcasmes de son aîné, comme autrefois. Une impression de sécurité l’envahit, associée à une situation connue. Severus désigna du menton la pièce éclairée, qui était en fait un petit salon qui ne comprenait que deux fauteuils au coin du feu, l’un des deux presque nerf, comme si l’occupant des lieux s’était servi du même pendant plusieurs décennies, achetant l’autre que pour apporter un équilibre à la pièce. Au milieu, une table basse croulait sous des monceaux de parchemins vieillis. D’un geste douloureux, Severus sortit une baguette aussi usée que lui de sa poche et les fit disparaître. Il invoqua ensuite une bouteille de brandy et deux verres. Il s’en servit un à ras-bord, et en versa un fond dans l’autre.
- Je crois me souvenir que tu supportes mal l’alcool ?
Toujours sous le choc, Harry ne répondit rien, se contentant de saisir d’une main tremblante le verre le moins plein et de l’avaler d’une traite.
- Tu n’as apparemment rien appris des règles de la politesse. Tu aurais au moins pu attendre que je sois assis et trinquer avec le vieil homme qui t’a sauvé la vie.
Harry se laissa tomber sur le fauteuil le plus proche, regardant d’un drôle d’air l’homme qui camouflait difficilement un demi-sourire. Il semblait s’être presque adouci avec les années. Le feu de bois qui crépitait dans le petit salon du manoir semblait réduire le poids du temps. Assis l’un en face de l’autre, dans les deux fauteuils de la pièce, les deux hommes se fixaient, les yeux dans les yeux, comme si rien d’autre ne comptait dans le physique de l’autre que son regard. Harry avait conscience de serrer tellement ses doigts autour des accoudoirs que leurs jointures étaient devenues toutes blanches. Son cœur battait à tout rompre, incapable de choisir une ligne de conduite. L’homme qu’il aimait était bien là. Mais c’était un vieil homme à présent. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de croire que ce n’était pas irrémédiable, qu’il y avait un antidote, ou n’importe quoi d’autre, qui pouvait lui permettre de retrouver son amant.
Aucun d’eux n’osait prendre la parole. Que dire après des décennies d’abandon ? Bien sûr, pour Harry, le temps avait été beaucoup moins long. Pour Severus par contre… S’il avait seulement songé que le garçon essaierait de le retrouver après tout ce temps…
- Tu as perdu ta langue, Harry ? demanda le vieil homme avec un sourire en coin.
Ses mots eurent l’effet d’un déclic sur le plus jeune, qui prit une grande inspiration, tout de suite bloquée par un sanglot.
- Pourquoi ? Comment peux-tu plaisanter, Severus, comment peux-tu plaisanter après ce que tu as fait ? Ce que tu m’as fait ?
- Harry…
Comme pour se donner contenance, le vieillard prit une gorgée de brandy.
- Regarde-moi, Harry.
Mais le jeune homme fixait résolument la bouteille, comme pour ne pas voir la vérité en face.
- Regarde-moi. Je suis vieux à présent. A l’époque, j’aurais pu être ton père, j’aurais vieilli bien avant toi, et tu n’aurais pas pu profiter de ta jeunesse en restant avec moi. Tu aurais dû supporter un vieil homme aigri, j’aurais été un frein à ton épanouissement personnel, à ta vie entière.
- Tu aurais dû me laisser le choix ! Tu n’avais pas le droit de choisir à ma place !
-Crois-tu que j’aurais pu vivre avec toi en sachant que tu étais le fils de Lily ? A chaque fois que je t’embrassais, j’avais l’impression de commettre un acte contre nature, de te…
- C’était tout ce que je représentais pour toi ? Je te dégoutais ?
- Tu sais bien que ce n’était pas le cas. Je…
- Tu quoi, Sev ?
Le vieil homme s’autorisa un petit sourire. Il y avait tant d’années que personne ne l’avait appelé comme ça. L’écho d’un souvenir. Harry ? Lily ? Il ne se souvenait pas. En tout cas, il était temps de dire ce qu’il avait toujours voulu avouer.
- Je… T’aimais, répondit l’autre après un court silence. Je ‘aimais tellement que j’en avais oublié le plus important, oublié que j’étais censé te protéger, t’aider à prendre ton envol, comme je me l’étais promis après la mort de ta mère. Je ne pouvais pas assumer ce que j’avais fait, Harry. Et avec le recul, je sais que j’ai fait le bon choix, ce jour-là. Tu avais le droit de vivre ta vie, d’avoir une enfance heureuse, puis de devenir l’adulte épanoui que tu méritais d’être. Tu avais le droit de te marier, de fonder une famille.
- C’était avec toi que j’aurais voulu fonder une famille ! Tu m’as privé du plus grand bonheur que je n’avais jamais ressenti ! J’ai 34 ans de souvenirs, Severus ? j’ai été un orphelin pendant une guerre sanglante, et là je me retrouve dans un monde totalement surréaliste, où mes anciens amis agissent comme des gosses, où mes parents me prennent pour celui que je ne suis pas, où ceux que j’appelait mangemorts font partie de la société, alors que je sais qu’ils sont capables de tuer des centaines de personnes et de faire preuve d’autant de cruauté que Voldemort lui-même !
- Harry, s’il y a bien une chose que j’ai apprise ces dernières décennies, c’est que chacun a en lui les armes nécessaires pour faire le bien ou le mal. Nous ne naissons pas bons ou mauvais.
- Mais Jedusor…
- A été notre pire erreur.
Le jeune homme resta muet d’étonnement. Ces derniers jours, il n’avait survécu que parce qu’il avait réussi à se convaincre qu’il avait agi pour le mieux. Quelques art, il avait envié ses amis d’être si désinvoltes, il avait envié leur bonheur. Il ne pouvait tout simplement pas supporter de faire semblant. Il ne s’en sentait pas la force. Pas après Tom. Alors entendre Severus dénigrer leur acte…
- Comment ?
- Tom n’était pas maléfique à son entrée à Poudlard. Il était ambitieux, certes, il avait beaucoup souffert de son enfance à l’orphelinat et ne réclamait qu’une vie plus facile, où il serait enfin reconnu, admiré. C’est humain. Si nous l’avions pris sous notre aile, il aurait appris à aimer, et ne serait pas devenu un meurtrier. Nous avons provoqué sa chute, tout comme nous l’aurions provoquée si nous n’avions rien fait du tout. J’ai souvent voulu revenir en arrière, tu sais, j’ai voulu recommencer lorsque j’ai enfin compris ça. Mais j’étais déjà vieux, et mon existence à elle seule relevait du miracle, je ne voulais pas créer un paradoxe de plus. J’ai empêché ma naissance, j’aurais dû disparaître.
La réalité de ses paroles atteignit Harry de plein fouet. La pièce devint tout à coup profondément silencieuse, en dehors du crépitement de la buche qui finissait de se consumer. Bientôt, il faudrait en rajouter une autre, se dit Harry, sinon le feu allait s’éteindre.
- Je vais bientôt mourir, Harry. Je crois que la seule chose qui m’a permis de tenir était la conviction qu’un jour je te reverrai. Je voulais voir une dernière fois ton visage.
- Pourquoi ? Tu m’as abandonné.
- Je vais être sincère, contrairement à mon habitude, car cela fait tellement longtemps que je rêve d’avoir cette conversation avec toi, afin de partir en paix. Je t’aimais, même si je savais que je devais m’empêcher de t’aimer, ou me perdre tout à fait.
C’est à ce moment-là qu’Harry prit sa décision. Il savait que jamais Severus n’accepterait de l’aimer de nouveau. Au fond de lui, il avait toujours su que Severus n’accepterait jamais ses sentiments à son égard, et il le comprenait. Lui-même regardait le visage de Ginny. Il n’avait même pas été capable de lui adresser la parole. Il l’avait trompée et plus jamais il ne pourrait reposer ses mains sur elle.
- Je ne pourrais pas vivre dans ce monde, Severus. J’en suis tout simplement incapable.
- Je ne peux pas te rendre ton ancienne vie.
- Je ne te le demande pas. Mais tu peux finir ce que tu as commencé.
- Que veux-tu que je finisse ? J’ai fini ma vie.
- Mais tu peux partir en paix.
- Pas en aillant tué un enfant.
- Tu ne vois toujours pas où je veux en venir, grand sage ? Tu as vécu ta vie, et ton corps est fatigué. Mais le mien est celui d’un jeune homme, malgré mes 34 ans d’expérience. Je peux rattraper nos erreurs, Severus. Je peux t’apporter la paix et la sérénité sachant que j’aurais fait ce que nous aurions du faire dès le début.
- Tu veux dire…
La voix du vieil homme se faisait hésitante, comme s’il n’osait pas croire à ce qu’il entendait. En même temps, l’espoir renaissait sous son expression torturée.
- Oui, tu sais ce que je veux dire. Je veux recommencer de nouveau, Severus. Je veux retourner dans le passé et permettre à Tom de faire les bons choix.
Sur ces derniers mots, le jeune homme se releva, enthousiaste.
Quelque part, Severus sut d’où viendrait sa délivrance, ou plutôt sous quelle forme elle se présenterait à lui. Il sut pourquoi il n’avait pas cessé d’exister. Il sut qu’il devait donner sa chance à ce stupide Gryffondor borné. Il se leva à son tour, sans tenir compte de la douleur persistance dans ses genoux, une chaleur nouvelle lui réchauffant le cœur. C’était bientôt fini. Lentement, il sortit de la poche de sa robe une fiole qui ne l’avait jamais quitté, ces 58 dernières années, en souvenir de son libre arbitre et des choix qu’il avait faits. Puis il fit apparaitre d’un coup de baguette une lettre cachetée plusieurs années auparavant, d’après sa couleur jaunie. Il tendit les deux à Harry, lequel s’en saisit avec émotion.
- Bois-là en pensant à l’époque à laquelle tu veux revenir. Pour la lettre, je l’ai écrite il y a quelques années, au cas où je n’aurais pas eu le temps de te revoir avant de mourir.
Harry s’approcha doucement de l’homme usé. Il tendit la main vers le visage ridé par l’âge, et caressa lentement la joue de l’homme.
- Merci de m’avoir aimé, Severus, chuchota-t-il au creux de son oreille.
Sur ces dernières paroles, il déposa un court baiser sur les lèvres du plus âgé. Puis il déboucha la fiole légèrement poussiéreuse et la but d’une traite.
Alors que le garçon disparaissait sous ses yeux, Severus dit adieu à sa vie. Il savoura l’impression persistante des lèvres de son amant sur les siennes. Déjà, les contours de son corps s’estompaient. Sur un dernier sourire, il disparut.
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Harry apparut dans une rue sombre et glauque de Londres. Il se souvint avoir vu Dumbledore y apparaitre lui-même dans un souvenir que lui avait montré l’homme. Devant lui, une grande bâtisse l’attendait. Au dessus de la porte, un seul mot en peinture écaillée. Orphanage.
Il frappa à la lourde porte et entra sans un mot. A l’entrée, une secrétaire à l’air fatigué se redressa et l’interrogea du regard.
- Bonjour madame, fit-il doucement. Je cherche le fils de mon cousin. On nous a dit qu’il avait été déposé dans un orphelinat de Londres à la mort de sa mère. Je le recherche depuis que j’ai appris la nouvelle.
- Quel est son nom ?
- Tom Elvis Jedusor.
- Et quel est le votre ?
- Harry Prince. Je souhaiterai l’élever comme s’il était mon fils. C’est bien ce que je dois à mon défunt cousin.
- Je reviens dans quelques minutes.
Une heure plus tard, c’est un Harry particulièrement fier de son mensonge qui sortit de l’orphelinat, tenant la main d’un jeune garçon de tout juste huit ans. Il avait réussi à faire croire à son histoire à la directrice, laquelle l'avait aidé à régler les formalités d’adoption. Il avait eu l'impression qu'elle était heureuse de se débarrasser d’un pensionnaire. Tom était plus jeune que dans son souvenir. Dans un coin de sa tête, Harry se souvint que dans son souvenir, Tom avait commencé à se montrer cruel avec ses camarades un peu après ses neuf ans ; sans doute lorsque sa magie s’était déclarée. C'était surement pour cela que la potion l'avait ramené juste avant cette période.
Il conduisit le jeune garçon qui n’avait toujours pas dit un mot au chaudron baveur, avec dans l’idée de trouver du travail dans le monde sorcier lorsque l’argent manquerait. Avant d’être allé voir Severus, il avait retiré une bonne partie de ses économies, mais pas suffisamment pour vivre éternellement avec un enfant.
Il fit entrer le garçon qui alla sagement s’asseoir sur le bord d’un des deux lits jumeaux, l’air un peu effrayé par cet homme qu’il ne connaissait pas, et qui l’avait sorti de son univers.
- C’est vrai que tu connaissais mon père ?
- Oui, Tom, répondit Harry, en se répétant que s’il le connaissait au travers des souvenirs de Dumbledore, il ne mentait pas réellement au garçon. Je me suis promis de prendre soin de toi s’il ne pouvait pas.
- Alors il est mort ?
- Non, mais il ne peut pas s’occuper de toi.
Au fond de lui, Harry savait qu’il allait devoir tout expliquer à Tom, un jour. Mais à huit ans, il avait surtout besoin de savoir qu’il était en sécurité.
- Pourquoi il ne peut pas s’occuper de moi ? Dites la vérité !
Harry sentit son cœur battre à tout rompre. Mais Tom semblait si enfantin en disant cela. Surement personne ne lui avait appris les règles de la politesse, et il ne se rendait pas compte du trouble que pouvaient provoquer ses paroles. Ce n’était qu’un enfant, se répéta Harry. Un enfant qui avait le temps d’apprendre à faire les bons choix. Il alla s’asseoir à ses côtés sur le lit, et passa un bras autour de ses épaules.
- Je vais te raconter une histoire, Tom. C’est l’histoire d’une jeune femme que son papa ne laissait jamais sortir de la maison. Elle était amoureuse de son voisin, qui était très riche mais déjà fiancé. Comme elle connaissait la magie, elle força l’homme à tomber amoureux d’elle, et bientôt, elle attendit un enfant. Alors, elle fit cesser le sort qui obligeait l’homme à l’aimer ; lorsqu’il revint à lui, il comprit ce qu’il s’était passé, mais à cause de sa famille et de sa fiancée, il ne pouvait pas élever l’enfant.
- C’était moi ?
- Oui, Tom, c’était toi. Il a alors quitté sa femme, et lorsqu’elle a accouché, elle était très malade et n’a pas survécu. Tu es alors allé à l’orphelinat. Des années plus tard, j’ai appris ce qu’il s’était passé, et j’ai décidé de prendre soin de toi. Car tu es spécial, toi aussi.
- Pourquoi ?
- Tu as hérité des talents de ta maman. Tu es un sorcier, Tom. Comme moi. Et je vais t’élever pour que tu puisses devenir à ton tour un grand sorcier.
- Mais la magie, ça n’existe pas !
Harry leva sa baguette, la tendit vers un coussin, et le transforma en un ours en peluche plus ou moins bancal. Songeant que Hermione aurait fait mieux, il le fit venir néanmoins vers lui avec un accio et le tendit au petit garçon abasourdi.
- Ouah ! Je pourrais faire ça, moi aussi, un jour ? fit Tom en serrant l’ours très fort dans ses bras.
- Oui, tu le pourras.
Le garçon ne dit plus rien, tout à fait absorbé par son nouveau jouet. Harry soupira, sachant qu’un jour Tom ne se satisferait plus de ces piètres explications. Mais en attendant, il était heureux de voir l’ombre d’un sourire sur le visage de son nouveau petit protégé. Il sortit distraitement la lettre que lui avait remise Severus de sa poche, caressant doucement le cachet de cire représentant deux serpents entrelacés. Il l’ouvrit, laissant son cœur se serrer à la vue des pattes de mouches de Severus.
« Cher Harry,
Le temps a passé et je désespère de te voir revenir. Surement vas-tu être tellement heureux de retrouver tes parents et amis que tu vas m’oublier. Que dis-je, en stupide Gryffondor que tu es, tu reviendras surement me hanter. Mais trop tard.
Je vais bientôt mourir, je le sens au plus profond de moi. Mon corps se fatigue et bientôt, je ne serai plus capable de continuer. C’est pourquoi je t’écris cette lettre. Pour te dire tout ce que je n’ai pas eu le temps de te dire.
Je te demande pardon de t’avoir abandonné, mais je ne pouvais pas vivre en sachant que j’avais trahi Lily. Je l’ai trahie car je m’étais promis de prendre soin de toi après sa mort, et au lieu de ça, je t’ai laissé tomber amoureux de moi. Ce fut l’une de mes pires erreurs. Au fond de moi, j’avais honte, Harry, tu ne peux pas savoir à quel point.
J’espère que tu pourras refaire ta vie, moi, j’ai vécu la mienne, sans plus jamais tomber amoureux, mais en faisant tout ce que j’avais toujours rêvé faire. J’avais connu les deux êtres les plus merveilleux qui soient, ta mère et toi. Tu lui ressembles énormément, et je pense que c’est pour ça que je suis tombé amoureux de toi. Car je t’aimais, Harry. Mais je ne pouvais continuer de t’aimer en te sachant son fils, c’était contre nature. Je te demande encore pardon.
J’ai appris bien des choses ces dernières années. J’ai enseigné à un Sirius Black et à un James Potter qui ont tout fait pour me prouver qu’ils étaient doués, sans jamais se montrer désobligeant, en tout cas pas plus qu’avec les autres professeurs. C’est ainsi que j’ai compris que les gens ne sont pas bons ou mauvais dès le départ. Ils le deviennent.
C’est aussi valable pour Tom. Ca a été ma deuxième grande erreur. Croire que ce pauvre garçon était un être maléfique. Il avait surement connu des moments difficiles, mais il ne méritait pas de mourir pour avoir tenté de se protéger, et d’être admiré. Il méritait qu’on l’aide à devenir quelqu’un de bien, surtout après ce qu’il avait vécu. Je suppose que tu comprends ce que je veux dire. Nous, les enfants oubliés, nous nous sommes élevés tous seuls, et nous avons fait notre vie en fonction des gens que nous avons rencontré. Si je n’avais pas eu Lily, je serais devenu tout aussi maléfique que Voldemort, Harry, n’en doute pas un instant. Quant à toi, tu peux remercier tes amis Weasley et Granger.
Si tu lis ces lignes, un jour, sache que tu m’as profondément manqué, mais que j’ai fait ça pour toi. Pour que tu ais une vie normale. Profite-en pleinement, comme j’ai profité de la mienne.
Je ne t’oublierai jamais.
Severus Snape. »
Harry passa une main tremblante sur son visage, essuyant vaguement ses larmes. Il était temps de passer à autre chose, et de vivre sa vie, comme l'aurait voulu Severus. Il se tourna vers le garçon qui regardait toujours son ours en peluche avec adoration.
- Tu veux que je te montre le monde sorcier, Tom ?
- Oui !!
- Suis-moi. Va mettre ta veste.
Quelques minutes plus tard, Harry se promenait sur le chemin de traverse, tenant dans sa main la petite menotte du garçon. Sur la devanture de l’apothicaire, il vit un panneau « cherche vendeur ». Il devait tenter sa chance, pour offrir une éducation à Tom. Il frappa à la porte et demanda à voir le patron au vieil employé qui tenait la caisse.
- Quelles sont vos compétences, jeune homme ?
- J’ai étudié avec un maître de potions, monsieur, pendant plus de sept ans, répondit-il, en se répétant qu’il ne mentait pas, puisqu’il avait été élève de Severus de sa première année jusqu’à son voyage dans le passé. Je ne connais peut être pas tous les ingrédients, mais je suis prêt à apprendre. J’ai besoin de travailler pour élever mon petit cousin, je suis tout ce qu’il lui reste, monsieur.
De plus, il avait vu le programme entier de Poudlard deux fois, en comptant les souvenirs qu’il gardait de sa vie dans le futur qu’il avait transformé, après la mort de Tom. Le patron loucha sur le gamin assis sur les genoux de Harry, et qui commençait à somnoler.
- Je ne demande pas vraiment de diplômes, seulement que mes employés sachent reconnaître les ingrédients et soient capables de les vendre. Tu pourrais apprendre sur le tas. J’accepte de te prendre à l’essai, mais vraiment parce que j’ai besoin d’un employé d’urgence, mon vendeur quitte la profession demain. Il veut prendre sa retraite.
L’homme taciturne semblait trouver cette idée particulièrement saugrenue.
- Merci beaucoup, monsieur. Je ne vous décevrai pas.
- Je l’espère, petit. Sinon, cousin à charge ou pas, tu iras voir ailleurs !
C’est ainsi que Harry entra dans la vie active, à deux fois 17 ans. Après son premier salaire, il loua un petit appartement à Londres, et inscrivit Tom à l’école pour jeunes sorciers de Pré-Au-Lard. Les années passèrent tranquillement, Harry découvrant de jour en jour les joies de la paternité. Il découvrait un jeune homme particulièrement intelligent, qui perdait peu à peu ses manières de sauvageon héritées de l’orphelinat, et qui apprenait à aimer à son tour. Il était encore très méfiant vis-à-vis des autres enfants, mais il se dégelait peu à peu, entouré de jeunes sorciers pleins de bonnes intentions.
Bientôt, le jour fatidique arriva. Harry, âgé de tout juste 20 ans, essayait de convaincre son petit protégé qu’il ne risquait rien en franchissant la barrière magique du quai 9 ¾, à 10 minutes du départ du train. Enfin, Tom accepta de le suivre, fermant les yeux si fort que son visage se plissa d’un gros pli soucieux, serrant la main de son tuteur comme si sa vie en dépendait. Mort de rire, Harry tirait derrière lui la valise surmontée d’un hibou grand duc nouvellement acquis, qu’il avait offert à Tom pour ses onze ans. Il aida toute la ménagerie à monter dans le train, puis fit un grand sourire au garçon de l’autre côté de la fenêtre du compartiment. Un jeune garçon qui était à l’école de Pré-Au-Lard avec lui le rejoignit, et il l’accueillit avec un grand sourire.
Sur le quai, le cœur d’Harry battait tellement fort qu’il menaçait d’exploser. Il avait vu Tom évoluer, ces trois dernières années, avant de devenir un petit garçon tout à fait normal, qui découvrait ses pouvoirs et le monde de la magie, qui reprenait peu à peu confiance en lui, se faisant des copains, apprenant à voler avec son père adoptif. Aujourd’hui, il se sentait tout de même un peu anxieux à l’idée de le laisser partir pour Poudlard, où il ne pourrait plus veiller sur lui. Il faudrait qu’il prenne rendez-vous avec le professeur Dippet pour suivre les progrès de son garçon.
Et s’il était à Serpentard ?
- Tu n’oublies pas de m’écrire après la répartition, hein, Tommy ?
Le garçon qui trépignait sur son siège lui tira la langue.
- Promis papa !
Alors que le train s’éloignait, Harry se surprit à penser que peu importait la maison dans laquelle irait Tom. Il savait qu’il ferait les bons choix.