Les Premiers Chasseurs

Chapitre 25 : XXIV Discussions diverses

5111 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/01/2023 02:54

CHAPITRE XXIV : DISCUSSIONS DIVERSES


Le soleil était déjà haut quand Mathias quitta la chambre. Estimant que c’était l’heure du déjeuner, il se rendit à la salle à manger où il rejoignit Philippe entamant un pâté.

— Mathias, avez-vous bien dormi ? demanda-t-il.

— Oui, merci, répondit-il. Ce n’est pas habituel pour moi de me lever aussi tard…

— Vu l’heure à laquelle nous nous sommes couchés… À une heure près, nous aurions vu le soleil poindre à l’horizon. Je me suis levé il y a seulement une demi-heure.

Mathias prit place et se servit.

— Isabelle m’a dit qu’elle avait cherché mademoiselle Lehel ce matin, mais elle ne l’a pas trouvé dans sa chambre, raconta Philippe.

— Elle était avec moi, dit Mathias.

— C’est ce que j’ai pensé, et ma femme aussi, assurément. Si vous vouliez que ça reste secret…

— Je me doutais bien que ça se saurait. Elle pourrait même s’installer dans mes quartiers. À moins, bien sûr, que vous ne soyez pas d’accord à cause du fait que nous ne sommes pas unis maritalement.

— Je ne suis pas croyant, ma femme l’est, mais pas au point de séparer deux amants. Je n’y vois donc aucun inconvénient, et étant le maître sur ses terres, ma voix a force de loi. Cela étant dit et acté, parlons maintenant de notre « invité ». Noé est allé le voir ce matin, il était réveillé.

— N’a-t-il rien dit ? questionna le baroudeur.

— Il a ordonné à Noé de le détacher, ce qu’il n’a bien sûr pas fait, puis il l’a copieusement insulté et menacé.

— Voulez-vous l’interroger vous-même ou dois-je m’en occuper ?

— J’ai vu cette nuit que vous étiez plus à l’aise que moi dans cet exercice. Et je dois écrire un rapport à l’attention du ministre.

— Je vais m’y mettre juste après ce repas.

Comme il l’avait annoncé, Mathias se rendit à la cave où était enfermé l’agitateur de la veille. Il fit mine de ne pas remarquer le regard assassin de celui-ci quand il s’installa sur un tabouret juste devant lui. Noé entra à sa suite, déposant un pichet d’eau et un verre sur un autre tabouret.

— Monsieur a-t-il besoin d’autre chose ? demanda le majordome.

— Non merci, Noé, répondit Mathias. Mais peut-être que notre « hôte » désire quelque chose.

— Je ne veux rien qui vienne de cette sale engeance moldue, cracha-t-il.

Mathias bondit immédiatement, frappant d’un crochet au visage.

— Ça, c’est pour t’apprendre la politesse, dit-il en se rasseyant calmement. Pouvez-vous nous laisser s’il vous plaît, Noé ?

Le majordome s’inclina légèrement et referma la porte derrière lui.

— Bien, maintenant causons toi et moi, dit Mathias.

L’agitateur cracha du sang sur le sol avant de dire :

— Je n’ai rien à dire à un traître à la cause sorcière.

— Tu sais donc qui je suis.

— Un Corvus… Je vous croyais tous morts. Je vois que la vermine est vraiment dure à éliminer. Vous auriez pu être le fer de lance de notre cause, mais vous préférez appauvrir votre sang et vous unir à ces animaux. Et maintenant, toi, peut-être le dernier de ton clan, tu te dresses contre nous !

— Si je me suis dressé, c’est parce que mon clan a été détruit pour les tiens… Mais commençons par le début : quel est ton nom ?

— Phéléas Lenier.

— Lenier… Ce n’est pas un nom sorcier, tu es né-moldu ?

— J’ai renié ma famille quand elle-même m’a rejeté en découvrant ma nature. Je n’ai plus aucun lien avec ces chiens de Moldus.

— Et c’est pour cette raison que tu as rejoint Taran… en conclut Mathias.

— Il nous guidera vers un avenir où les nôtres n’auront pas peur des Moldus. Ce seront à eux d’avoir peur de nous. Et nous n’aurons pas à nous terrer comme des lapins effrayés.

— C’est ainsi que tu vois le Secret Magique.

— Ne me fais pas croire que le clan Corvus était d’accord avec ça ! Je connaissais votre réputation avant que notre maître n’ordonne votre destruction : vous avez toujours vécu en bonne entente avec les Moldus, n’hésitant pas à vous unir à eux. Ce Code du Secret vous impactera, vous isolant comme jamais vous ne l’avez été auparavant. Enfin, toi seul au final… Même si notre opinion diverge concernant les Moldus, elle se rejoint sur le sujet du Secret Magique. N’est-ce pas la vérité ?

— Je me fous du Secret Magique à l’heure actuelle, répondit Mathias. Ma cible c’est Taran, et ma raison de le combattre est la vengeance. Le reste m’importe peu. Alors, venons-en au fait : où est Taran ?

Lenier se mit à rire, se moquant ouvertement de lui.

— Tu me prends pour un traître ? lança-t-il. Tu crois que je vais te livrer mon maître juste parce que tu le demandes.

— Non, je me doutais que tu ne révélerais rien de ton plein gré.

Mathias produisit sa baguette et d’un geste nonchalant, il insonorisa la pièce.

— Il y a un bébé qui dort plus haut… Où est Taran ? répéta Mathias.

— Je t’emmerde, toi et ton clan dépravé !

— Comme tu voudras… soupira le baroudeur en tendant sa baguette vers lui.

 

Mathias ne remonta de la cave qu’à la nuit tombante, les mains et la chemise tachées d’éclaboussures écarlates. Il sortit pour se rendre au puits, enlevant sa chemise pour se laver.

— Monsieur veut-il que je fasse nettoyer sa chemise ? questionna Noé en s’approchant.

— Noé ! Comment faites-vous pour deviner les désirs et les besoins de tout le monde ? s’étonna Mathias.

— Plus de trente ans de métier, monsieur.

— C’est une bonne explication, sourit le spadassin. Tenez, en vous remerciant.

— Et dois-je apporter de quoi manger au prisonnier ?

— Juste de l’eau et un bout de pain. Je pense qu’il ne bougera pas beaucoup quand vous irez. Où se trouve monsieur le comte ?

— Dans son étude.

— Bien, je vais passer une chemise propre et aller le voir.

— Vous devriez aussi aller voir votre belle-sœur et votre neveu, suggéra Noé.

— Vous avez raison, je vais commencer par là.

Quand il entra dans la chambre de Rose, celle-ci était assise dans un fauteuil et donnait le sein à son fils. Charlotte et Désirée en profitaient pour changer les draps du lit.

— Mathias ! Charlotte m’a dit que tu étais rentré cette nuit, dit Rose. Je m’étonnais de ne pas te voir plus tôt.

— J’ai eu à faire, s’excusa-t-il.

— Vous ne les avez pas trouvés…

— Il n’était pas là, mais nous avons fait un prisonnier, nous en saurons certainement plus bientôt. Et vous deux ? Comment allez-vous ?

— Ton neveu est un goinfre ! rit la jeune mère. Désirée dit que c’est normal, et elle a l’expérience.

Le petit être finit par repousser la mamelle nourricière, Rose lui fit faire son rot puis le tendit à Mathias qui le prit délicatement. Il le berça doucement en marchant dans la chambre. Charlotte le rejoignit, se penchant sur le bébé en souriant. Rose apprécia le tableau qui s’offrait à ses yeux, et en même temps, elle sentit la tristesse la gagner. Son cher Nathaël aurait dû être là près d’elle, et ensemble, ils auraient enveloppé leur fils d’un cocon d’amour, comme Mathias et Charlotte le faisaient devant elle.

Elle empêcha ses larmes de couler et sourit au couple qui revenait vers elle pour lui rendre sa progéniture.

— Je suis sûre que vous ferez d’excellents parents quand viendra votre tour, dit-elle.

Aussitôt, Charlotte rougit, ce qui, avec ses cheveux roux, lui donnait l’air d’un coucher de soleil.

— C’est encore un peu tôt, fit remarquer Mathias.

— Oui, tu me l’as déjà dit, acquiesça Rose. Mais bon, je vous verrais bien avec une ribambelle d’enfants. Et comme Nathaël n’aura malheureusement pas de frères ni de sœurs, ce serait bien qu’il ait des cousins et des cousines.

— Je vais lui ramener ceux qu’il a déjà. Et puis, je sais que tu es en deuil actuellement, mais d’ici quelques années, rien ne t’empêchera de te marier à nouveau et d’avoir d’autres enfants.

— Personne ne pourra remplacer ton frère…

Mathias n’ajouta rien, pour lui aussi la perte de sa famille était encore trop récente. Il cachait sa peine derrière sa vengeance. Même ses sentiments naissants pour Charlotte n’étaient peut-être qu’une tentative de réconfort. Il ne le souhaitait pas, ce serait cruel, pour elle comme pour lui.

Il prit congé, se rendant au bureau de Philippe. Celui-ci était plongé dans les registres de son comté.

— Je croyais que vous aviez un intendant pour administrer vos terres, dit Mathias en entrant.

— C’est vrai, mais cela ne veut pas dire que je ne dois pas m’intéresser un minimum à ce sujet, même si c’est loin d’être excitant, répliqua-t-il en se laissant aller contre le dossier de son siège.

Il invita Mathias à prendre place devant lui, profitant de cette excuse pour refermer l’imposant registre.

— Avez-vous réussi à soutirer des informations à notre prisonnier ? questionna le comte.

— Je connais son nom : Phéléas Lenier, indiqua Mathias. Et je sais qu’il est bien un fidèle de Taran. Pour le moment, c’est tout. Je reprendrais l’interrogatoire demain. Il a de la volonté et il croit en la cause de Taran, ça peut prendre des jours pour le faire parler.

Le silence s’installa, chacun se terrant dans ses réflexions. Une chose dite par Phéléas revint à l’esprit du spadassin.

— Concernant le Secret Magique, il y a quelque chose que m’a dit Phéléas Lenier, et aussi une autre de Quildas Hautfaucon, qui me trouble, dit-il. Le Secret Magique va effacer notre existence de la mémoire des Moldus, n’est-ce pas ?

— En effet, confirma Philippe.

— Nous n’aurons donc plus aucun lien avec eux, nous serons isolés.

— Pas exactement… D’après ce que j’ai compris, rien ne nous empêchera d’avoir des relations de quelque nature que ce soit avec les Moldus. Il sera juste interdit de révéler notre identité de sorcier.

— Les mariages entre Moldus et Sorciers ne pourront plus se faire, à moins de cacher sa nature.

Philippe comprenait maintenant les raisons du questionnement de son partenaire, il s’inquiétait pour l’avenir de sa relation naissante avec Charlotte si elle devait aller plus loin. Et aussi pour sa belle-sœur, certainement.

— Il y aura des exceptions, reprit-il. Certains Moldus seront dans le secret. Le Roi et son principal ministre par exemple, les époux et épouse, ainsi que les parents de sorciers nés au sein de familles moldus… Si quelqu’un devait épouser un ou une Moldu, il serait autorisé à se révéler. Bien sûr, nous serons partiellement isolés, il ne faut pas se mentir. Je sais que mes gens les plus proches vont oublier que je suis sorcier, et je ne pourrais rien contre ça. Et pourtant, je sais que Noé, Désirée et Flavius ne m’auraient jamais trahi. Mais si c’est la loi…

— Savez-vous comment les Moldus autorisés à connaître notre existence seront protégés ?

— Je vous avoue que non. Concernant Rose, étant veuve d’un sorcier et mère d’un autre, il n’y a pas à se poser de question, quel que soit le moyen, elle en jouira. Concernant Charlotte… Je ne sais pas. Je pourrais poser la question au ministre la prochaine fois que j’irai le voir si vous le souhaitez.

— Le plus simple serait que j’épouse Charlotte… soupira Mathias.

— Le voulez-vous ?

— Je ne sais pas. Parfois, je me demande si partager sa couche ne serait pas juste un moyen de sortir un tant soit peu de cette spirale de violence dans laquelle je me trouve. Je ne l’espère pas, car Charlotte est quelqu’un d’une grande gentillesse, elle mérite d’être heureuse avec quelqu’un qui l’aime pleinement.

— Et vous souhaitez être cette personne ? demanda Philippe.

— Oui, mais je ne pourrais l’être tant que je ne serais pas sûr de mes sentiments.

Un nouveau silence s’installa, rompu au bout de quelques instants par le rire de Mathias.

— Qu’est-ce qui vous fait rire ? voulut savoir le comte.

— Je repensais à ce que nous nous sommes dit cette nuit, quand je vous ai dit que nous allions finir par devenir amis. Si ce n’était pas déjà le cas, je ne me serais pas ouvert à vous ainsi.

— Eh bien mon ami, sachez que je serais toujours présent pour vous écouter.

 

Le lendemain, répondant à une convocation du ministre de la Magie Étienne Courneuf, Philippe d’Estremer se rendit au Ministère. Mathias déclina son invitation à le suivre, avançant qu’il devait continuer à interroger Lenier.

En entrant dans l’étude du ministre, il y trouva ce dernier seul, penché sur des documents, encore une fois.

— Monsieur le comte, je vous en prie, asseyez-vous, invita Étienne Courneuf. Je suis à vous dans une minute.

Philippe s’assit, attendant patiemment. Le ministre parapha le parchemin et releva ses yeux fatigués vers lui.

— La nuit de la veille n’a pas été reposante pour vous, dit Étienne Courneuf avec un léger sourire.

— Pour vous, c’est cette nuit qui ne le fut pas, me semble-t-il, monsieur, fit Philippe

— Oh moi ! C’est plus une accumulation de mauvaises nuits. En plus du fait que je n’ai plus votre âge ! J’ai lu votre compte-rendu concernant les évènements de Bressols. C’est malheureux que vous n’ayez pas réussi à empêcher cette échauffourée.

— Quelles en seront les conséquences ?

— Nous avons quelques jours pour nous y préparer, le temps que la nouvelle monte à Versailles et ensuite que l’Inquisition et le pouvoir royal passent à l’action. Ce qui est sûr, c’est que nos relations avec les Moldus vont s’en retrouver dégradées. J’en saurais plus lors de ma prochaine entrevue avec le ministre Colbert, mais je m’attends à des remontrances voire des menaces. Cela risque de remettre en cause certaines des conditions que nous avons négociées.

— Ce sera un obstacle ?

— Pas forcément, la Confédération Internationale des Sorciers pense depuis longtemps maintenant que la scission sera unilatérale. J’essaye de faire au mieux en négociant, mais avec les derniers évènements et les actions de Taran, je pense que je vais faire comme certains de mes collègues ont déjà décidé : mettre les autorités moldues devant le fait accompli.

— Et dans l’immédiat ? s’intéressa Philippe.

— Le village de Montbal va être évacué, au moins jusqu’à ce que le Secret Magique soit mis en place. S’il l’est…

— Vous pensez qu’il risque de ne pas l’être ? Il a pourtant l’air d’être sur la bonne voie quand je vous écoute.

— C’est de la politique, il y a toujours une possibilité que le vote final bascule du côté du non. Rien n’est jamais gagné tant que ce n’est pas fini.

— Comme lors d’une bataille… soupira pensivement le comte.

— En effet… Et votre prisonnier ? demanda le ministre.

— Mathias Corvus s’en occupe, j’ai pu constater qu’il s’y entendait pour faire parler les récalcitrants. Nous espérons qu’il nous indiquera l’endroit où se trouve Taran, mais cela risque de prendre quelques jours d’après lui. Ensuite, nous agirons.

— Il faudra que je rencontre ce monsieur Corvus un jour prochain…

— J’essayerai de vous l’amener, mais il n’est pas très mondain, c’est quelqu’un de rustique et d’authentique. Ne vous attendez pas à de la déférence de sa part, s’il a quelque chose à dire, il le dira sans détour. Son clan s’est tenu à l’écart du Ministère depuis des siècles.

— Je vois… Et je comprends pourquoi vous l’appréciez, sourit le ministre. Avec cette affaire, vous avez déjà eu une nuit chargée. Et cependant, vous avez arrêté quelqu’un d’autre !

— La situation était urgente, la vie d’une femme était en jeu, nous n’avons pas hésité.

— Oui… Maître Marchas est venu tout me raconter hier.

— Je m’étonne de ne pas le voir ici !

— Il m’a demandé son congé pour la journée pour aller officiellement demander la main de cette jeune femme au père de celle-ci. Je dois dire que cela m’a surpris, je m’attendais à le voir finir vieux garçon, errant sans fin entre des étagères remplies de livres anciens et poussiéreux. Je suis heureux qu’il n’en soit rien, au final.

— Et concernant Quildas Hautfaucon ? s’enquit Philippe.

— Je vais m’assurer qu’il soit jugé pour ses crimes. Je ne peux pas vous promettre qu’il sera condamné, vous connaissez mes principes, je refuse de m’immiscer dans des décisions de Justice. Je ne suis pas notre Roi.

Philippe préféra taire le fait que si par miracle Quildas Hautfaucon était acquitté, Mathias Corvus le prendrait en chasse pour le punir à sa façon. Une façon qui se finirait par la mort de ce criminel.

— Monsieur Corvus se pose des questions vis-à-vis du Secret Magique, je n’ai pu lui répondre et ai promis de vous soumettre ses interrogations, reprit Philippe.

— Je vous écoute, fit le ministre. Je ne vous promets pas de répondre si je juge que je ne le dois pas, mais si je peux, je le ferai.

— J’ai déjà rassuré Mathias concernant les relations futures entre Sorciers et Moldus, à savoir que certains seront autorisés à connaître notre existence, comme les familles. Il se demandait par rapport à sa belle-sœur, moldue, veuve de Nathaël Corvus depuis peu et mère également d’un charmant bambin qui vient de naître.

— Son enfant ayant toutes les chances d’être sorcier, et ayant été mariée à un sorcier, cette femme sera protégée. Je peux m’en assurer personnellement si cela peut vous rassurer. Quel est son nom ?

— Rose Corvus, et son fils : Nathaël Orion Corvus. Merci pour eux, je n’en doutais pas. La question principale concerne quelqu’un qui n’est pas lié à un sorcier par un acte officiel, mais qui l’est de manière forte et sentimentale.

— Comme de futurs époux, par exemple ?

— Leur relation peut en prendre le chemin, effectivement, confirma Philippe.

— Les règles établies pour le moment, à l’état de projet, sont que la révélation doit se faire au plus tôt la veille des épousailles ou équivalent, présenta Étienne Courneuf.

— Équivalent ?

— Certaines minorités magiques ne pratiquent pas le mariage tel que nous l’entendons, le texte prévoit donc de couvrir également ce qui peut être considéré comme des cérémonies ou des actes d’union équivalents. Par exemple, quelque chose que je trouve très poétique, c’est le Serment des Mains Liées que pratiquent les Celtes, une sorte de mariage basée sur la promesse entre deux individus et qu’ils peuvent faire sans témoin, juste entre eux, souvent en attendant une véritable cérémonie. Chez les Moldus, cette tradition existe toujours, avec témoin cependant, mais se perd au fil du temps. Elle perdure chez les Sorciers de ces contrées, c’est un acte de magie d’une grande pureté, liant les âmes d’une manière naturelle et intime. Tellement naturelle qu’il n’y a même pas besoin de baguette !

— Je ne vous savais pas si… lyrique ! s’exclama le comte.

— Heureux de vous surprendre ! Pour en revenir à votre question, je suis au regret de vous dire que cette personne sera touchée par l’enchantement si aucune union n’est actée d’une quelconque manière. Mais je vous rappelle que ce n’est que les souvenirs liés à la nature de sorcier qui seront touchés, ceux concernant les individus resteront. Ce qui fait d’ailleurs toute la complexité de cet enchantement.

— Merci de votre honnêteté, monsieur. D’ailleurs, je me demandais comment ces moldus seront protégés concrètement.

— Voilà une question à laquelle je ne peux malheureusement pas répondre. Tout ce qui concerne l’enchantement est secret, ce fut le premier point sur lequel nous fûmes d’accord. Nous voulons éviter toutes fuites. L’Inquisition demeure une ennemie redoutable, vous en conviendrez.

— Je comprends, monsieur, et je pense que vos précisions concernant les unions et les exceptions répondront aux questions de Mathias.

— Cela fait plusieurs fois que je vous entends appeler monsieur Corvus par son prénom. Dois-je comprendre que vous êtes devenus amis ?

— En effet… Nous avons des divergences sur certains points, mais nous nous rejoignons sur d’autres. Je l’apprécie beaucoup et c’est réciproque, semble-t-il.

— Est-il de confiance ? s’enquit le ministre.

— Il est droit. Son clan respecte un code d’honneur et des valeurs depuis des temps immémoriaux. Et c’est un guerrier infatigable. Oui, il est de confiance. Je lui confierai ma vie sans hésiter.

— Merci, monsieur le comte, conclut Étienne Courneuf. Sans vouloir vous chasser, j’ai encore beaucoup de travail qui m’attend.

— Au revoir, monsieur le ministre, salua Philippe avant de sortir de l’étude.

Étienne Courneuf se laissa aller dans son fauteuil, réfléchissant à cet échange avec le comte d’Estremer. Il avait toujours dans l’idée de lui confier la future garde magique, et les derniers évènements le confortaient dans cette décision. Philippe d’Estremer demanderait sûrement à son nouvel ami de se joindre à lui. Et d’après la description que le comte en faisait, il présentait un profil intéressant.

Mais… il continuait à avoir des doutes le concernant.

Le ministre repoussa ses réflexions pour le moment, il avait décidé de ne mettre sur pied ce corps qu’une fois le Secret Magique mis en place ou, au contraire, enterré. Il devait se concentrer sur ce sujet hautement plus important pour toute la communauté magique.

 

Phéléas Lenier gisait face contre la pierre froide du sol de la cave. De la sueur, du sang et de la poussière maculaient son visage et ses vêtements déchirés par endroit. À quelques pas de lui, debout, Mathias Corvus se désaltérait.

— Ça ira pour aujourd’hui, annonça le baroudeur. On reprendra demain, en espérant que tu deviennes plus loquace.

D’un geste de sa baguette, il le redressa, l’enchaînant contre le mur. Lenier se laissait pendre, totalement vidé de son énergie. Mathias lui reconnut une grande volonté et résistance à la douleur. Où peut-être était-ce lui qui n’y mettait pas assez d’entrain ? Il faut dire que torturer n’avait jamais été parmi ses activités favorites, il n’y avait heureusement peu eu recours au cours de sa vie. À la limite, s’il pouvait classifier le sadisme, il appréciait plus de tuer rapidement que de faire souffrir inutilement.

Pour les interrogatoires, il préférait mettre une pression psychologique sur ceux qu’ils devaient interroger, méthode souvent plus longue, mais plus agréable pour lui. Et c’est pour ça qu’il ne s’était pas contenté de cela avec Lenier, plus le temps passait, moins il avait de chances de pouvoir retrouvé les siens vivants. De plus, il lui fallait cette information vite, avant que Taran ne remarque la disparition de son sbire et n’en déduise qu’il ait été capturé, ou décide de changer d’endroit par simple précaution.

Malgré tout, il savait que continuer toute la nuit ne servirait à rien à part le fatiguer inutilement. Il devait laisser Lenier quelques heures, qu’il intègre bien la douleur pour ne plus la vouloir. Et lui-même avait besoin de changer d’air, de retrouver la présence amicale de Philippe et celle douce et chaleureuse de Charlotte. Pour lui rappeler qu’il n’y avait pas que la violence en ce bas monde. C’est avec ces envies qu’il quitta la cave.

Lenier se relâcha quand il perçut les cliquetis de la porte signaler que celle-ci était verrouillée. Il avait souhaité toute la journée que cela s’arrête, espérant parfois la mort. Il était conscient qu’il ne pourrait plus tenir longtemps. Encore quelques heures de ce traitement et il parlerait. Il espérait juste avoir tenu assez longtemps pour servir son maître comme il se doit.

Sa mission était d’exacerber les tensions entre Moldus et Sorciers. Lorsqu’il lui avait confié, Taran l’avait mis en garde :

— Tu risques de tomber sur l’homme d’Étienne Courneuf : Philippe d’Estremer. De ce que j’ai pu constater, c’est un excellent combattant, maîtrisant le duel magique et la rapière à un niveau rare pour quelqu’un de son âge. De plus, il est intelligent, ne le sous-estime pas si tu viens à le rencontrer, il parviendrait à décrypter tes paroles et mimiques. Sa réputation le décrit comme quelqu’un de droit et juste, traitant les gens quelles que soient leurs origines ou leurs natures de manière égale. Il ne te ferait pas de mal outre mesure.

Lenier avait acquiescé. Son maître, comme toujours, avait raison. Philippe d’Estremer ne lui avait pas fait de mal. À vrai dire, il ne l’avait quasiment pas vu, ayant eu l’infortune de se retrouver entre les griffes de l’autre homme dont Taran lui avait parlé :

— Et si tu rencontres Philippe d’Estremer, tu seras aussi confronté à l’homme qui l’accompagne. Et autant, d’Estremer ne te fera pas de mal plus que nécessaire, comme je l’ai dit, autant l’autre n’hésitera pas s’il n’a pas d’autres solutions. Il s’agit de Mathias Corvus.

— Corvus ! s’était exclamé Lenier. Mais… n’ont-ils pas été tous tués par les nôtres, Maître ?

— Il semble que celui-ci était absent le jour de l’attaque, il serait revenu peu après et aurait trouvé uniquement carnage et désolation chez lui. C’est un guerrier solide et expérimenté, que ça soit à la baguette, à l’épée et aux armes à feu, j’ai pu le constater de moi-même. Tu ne pourras pas gagner ce combat.

— Alors, si par malheur, je tombais sur ces deux traîtres aux Sorciers, que dois-je faire, Maître ?

— Si tu peux, fuis, avait ordonné Taran, et reviens pour m’en rendre compte. S’ils te capturent, je suis désolé de te demander ça, mais il faudra que tu résistes le plus de temps possible, leur donnant le moins de renseignements que tu puisses. Juste ce qu’il faut pour soulager la douleur…

— Pensez-vous qu’ils vont me torturer ? avait blêmi Lenier.

— Mathias Corvus oui, il veut me retrouver. Je vais avoir besoin de temps. Et ce délai, dont j’ignore la longueur, dans le doute, tu devras m’en donner le maximum possible, pas jusqu’à la mort, non, quand tu sentiras que tu ne peux plus tenir : parle. Mais je t’assure d’une chose : tu ne souffriras pas en vain et pas plus que nécessaire.

Lenier avait baissé la tête pour ne pas montrer sa peur à son maître. Il avait frissonné, ce qui n’avait pas échappé à Taran. Il posa sa main pâle et décharnée sur l’épaule de son subordonné en un geste rassurant. Celui-ci releva vers lui un regard à la fois apeuré et empli d’espoir.

— Quand, nous les Sorciers, régnerons sur ce monde comme de juste, tu seras récompensé au-delà de tes rêves, avait promis Taran. Car je n’oublie jamais – et je ferais en sorte que les nôtres n’oublient pas non plus – tous ceux qui ont tant donné pour notre cause. Dans mille ans, je me souviendrai de toi et glorifierai ton nom et ton souvenir.

Touché par ces paroles et ces promesses, Lenier avait juré de tenir. Malgré le souhait de son maître, il ne voulait pas le trahir et préférait mourir que parler. Mais plus le temps et la souffrance passaient, plus il se rendait compte qu’il parlerait bientôt.


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