Les Premiers Chasseurs

Chapitre 31 : XXX Le temps des larmes

3774 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/07/2023 17:34

CHAPITRE XXX : LE TEMPS DES LARMES


Aussitôt apparus dans le cloître abandonné, les deux amis se précipitèrent vers l’entrée du château. Ils arrivèrent dans le vestibule, les armes à la main, prêts à en découdre, mais seul un silence de mort les accueillit en ce lieu. Noé étendait des draps sur deux corps étendus.

Le premier réflexe du majordome fut d’aller se mettre à l’abri derrière une armoire, croyant que les agresseurs revenaient. Philippe et Mathias ne le rappelèrent même pas, leur attention s’était focalisée sur les gisants voilés.

— Monsieur le comte… soupira Noé de soulagement quand il osa regarder qui avait pénétré dans la demeure aussi abruptement. Je suis heureux de voir que vous vous portez bien.

— Qui… ? balbutia Philippe, incapable de former une phrase entière.

Mathias s’approcha doucement des deux cadavres, s’accroupissant près de leurs têtes. Il souleva le drap et soupira de peine.

— Philippe, je suis désolé, c’est votre mère, annonça le spadassin.

Le comte d’Estremer parut chanceler sous la nouvelle, posant sa main sur le guéridon proche pour maintenir son équilibre.

— Et le second ? questionna-t-il avec effroi. Dites-moi vite, s’il vous plaît.

— Mathérius…

Philippe en fut soulagé qu’il ne s’agît pas d’Isabelle, sentiment qu’il eut honte d’avoir ressenti peu après. Lentement, il s’approcha à son tour et dévoila le visage de sa mère. Elle paraissait si paisible, comme juste endormie.

— Où est Isabelle ? demanda Philippe.

— Et Rose et Nathaël ? Et Charlotte ? ajouta Mathias. Y a-t-il d’autres morts ? Que s’est-il passé, Noé ?

— Madame la comtesse va bien, rassura immédiatement le majordome. Elle est allée chercher madame Corvus et son enfant, je les avais mis à l’abri dans la pièce secrète de votre chambre, monsieur le comte. Quant à Charlotte, j’ignore si elle va bien, elle devait fuir par le passage souterrain de la cuisine. J’ai le regret de vous annoncer que nous avons aussi perdu Flavius. Son corps est dehors, avec la nuit, vous n’avez pas dû le voir. Je comptais aller m’en occuper juste après.

— Montrez-moi d’abord le passage par où a fui Charlotte, ordonna Mathias. Autant réunir tout le monde, nous aurons alors toute l’histoire.

— Vous n’avez pas à me sortir ce genre d’excuse, mon ami, dit Philippe qui était toujours à genoux près de sa mère. Je comprends que vous vouliez la retrouver. Noé, montre-lui, s’il te plaît.

— Suivez-moi, monsieur, invita le majordome.

Lorsqu’ils arrivèrent dans la cuisine, ils remarquèrent que le placard derrière lequel l’entrée du souterrain était cachée se trouvait éparpillé en morceaux. L’ennemi avait découvert le passage.

Sans une once d’hésitation, Mathias s’engouffra dans le sombre boyau qui serpentait sous le château pour s’en éloigner, sa baguette dans une main, son épée dans l’autre. Son cœur battait à tout rompre, son sang tambourinant à ses tempes alors qu’il courait au risque de tomber dans quelques fosses ou de percuter le plafond parfois bien bas.

Il finit par sortir du tunnel par une ouverture si petite qu’il dut se mettre à quatre pattes pour la passer. Il déboucha dans une petite chapelle, derrière l’autel. Son sang se glaça quand il remarqua les restes des deux seuls bancs présents, fracassés contre les murs apparemment. Il s’imposa le calme, sachant par expérience qu’il ne devait pas perdre son sang-froid.

La grille qui fermait la chapelle grinçait sur ses gonds au gré du vent, il la passa, débouchant sur un pré relativement entretenu. L’édifice était adossé à une falaise dans laquelle le tunnel était creusé.

Mathias suivit des traces récentes et désordonnées, comme s’il y avait eu lutte. Et puis, là où les empreintes se rejoignaient, elles s’interrompaient. Il comprit immédiatement ce qu’il s’était passé : Charlotte avait suivi le souterrain jusqu’à la chapelle et y était restée, attendant l’arrivée des autres occupants d’Estremer ; elle dut entendre des bruits se rapprochant, mais au lieu des personnes attendues, ce furent des hommes de Taran qui apparurent ; elle tenta de fuir, des sorts lancés à la va-vite frappèrent les bancs, ils la rattrapèrent dehors et transplanèrent avec elle.

Le Corvus était à deux doigts de hurler de rage. Il se retint, préférant garder sa colère pour l’abattre sur ses ennemis.

Bran descendit silencieusement se poser sur son épaule.

— Trouve-la, lui murmura Mathias.

Et sans croasser, le corbeau battit des ailes pour disparaître dans la nuit. Il ne le suivit pas du regard, préférant transplaner pour retourner à la demeure comtale d’Estremer.

Quand il entra dans le vestibule, les corps étaient toujours là, recouverts des draps que Noé avait placés. Le majordome apparu, toujours présentable bien que certains détails de sa tenue s’avérassent négligés, chose qu’on lui pardonnera au vu des évènements. Il indiqua au spadassin que le comte et son épouse se trouvaient au petit salon.

Mathias comprenait qu’ils aient besoin d’intimité en ce moment de deuil, mais le temps pressait. Désolé pour son ami, il entra sans frapper.

Philippe et Isabelle étaient chastement enlacés, assis sur le divan. Ils levèrent les yeux vers lui quand Mathias entra.

— Avez-vous retrouvé mademoiselle Lehel ? demanda immédiatement Philippe.

— Non, et tout porte à croire qu’elle a été enlevée, répondit-il en se servant un godet d’eau à la carafe mise là par les bons soins de Noé.

— Il n’y a pas de temps à perdre ! s’exclama le comte en se levant d’un bond. Nous devons la sauver ! Et sauver les autres Corvus !

— Et éliminer Taran, n’est-ce pas ? interrompit Mathias avec un calme olympien.

Soufflé par la remarque, Philippe resta silencieux et immobile. Sa femme le regardait avec inquiétude. Mathias buvait son eau par petites gorgées, conscient que sa nonchalance irritait son ami, la main de celui-ci tremblait.

— N’est-ce pas votre souhait également ?

— Si, répondit simplement Mathias.

— Alors, que faisons-nous là ? hurla Philippe. Nous devrions parcourir le pays pour le retrouver !

— Et par où suggérez-vous de commencer ?

— Peu importe ! Nous avons perdu trop de temps ! Et voyez le résultat ! continua-t-il en désignant la direction du vestibule.

— Philippe ! intervint Isabelle.

— En fait, je comprends pourquoi vous voyagez seul : le sort des autres vous importe peu. Que ça soit votre famille ou Charlotte, ils peuvent tous…

Le poing de Mathias s’écrasant sur sa joue et l’envoyant au sol mit fin à sa diatribe. Isabelle se jeta auprès de lui. Le comte regardait le spadassin avec étonnement.

— Vous alliez dire quelque chose que vous auriez regretté par la suite, dit Mathias en se servant un nouveau verre d’eau. Car vous savez que c’est faux. Et moi, je ne veux pas vous en vouloir.

— Calme-toi, Philippe, implora Isabelle. Écoute ce qu’il a à dire, mais avant tout, respire et retrouve ton calme.

Le comte repensa aux mots qu’il avait failli dire. Comment en était-il arrivé à penser ça ? Non… il ne le pensait pas, c’étaient la colère et la peine qui avaient parlé. Son père lui avait pourtant dit de ne jamais se laisser aller, toujours rester maître de soi.

Malgré ses efforts, il ne parvint pas à diminuer ses sentiments, il ne put que les maîtriser.

— Mathias, je vous demande de me…

— Inutile, coupa-t-il, je vous comprends, j’ai les mêmes sentiments que vous.

— Merci. Vous avez raison, je dois avoir de l’empire sur moi. Et maintenant, que faisons-nous ?

— Je l’ignore, nous n’avons aucun indice. J’ai demandé à Bran de retrouver Charlotte. Je ne sais pas pourquoi, il m’a semblé que c’était la chose à faire sur le moment.

— Nous devons nous occuper de nos morts, aussi…

— Oui, en l’absence de piste, faisons ça.

— Mathias, vous devriez aller voir Rose, intervint Isabelle. Elle est dans sa chambre en compagnie de Nathaël, naturellement, et de Désirée.

— Vous avez raison, j’y vais de ce pas.

Lorsqu’il entra dans la chambre de sa belle-sœur, celle-ci poussa un profond soupir de soulagement en le découvrant en bonne santé. Elle tenait précieusement son enfant contre elle, endormi. Désirée sortit, préférant les laisser en famille.

— Je suis soulagé de voir que vous allez bien tous les deux, dit Mathias en s’asseyant sur le bord du lit.

— Si j’avais un doute, maintenant je sais que Nathaël est un vrai Corvus : toute cette agitation ne l’a pas réveillé ! dit-elle.

— C’est qu’il savait qu’il était en sécurité avec sa mère, sourit-il.

— J’ai appris pour la comtesse et le père Mathérius, continua-t-elle tristement.

Mathias garda le silence, estimant ne pas avoir à partager son ressenti.

— Et Charlotte ? Où est-elle ? Elle aide en bas ?

— Elle a été enlevée, avoua Mathias. Pour le moment, nous ignorons où elle est.

— Mon dieu ! Je suis désolée, j’espère que… non… je sais que tu la retrouveras, avec les enfants. Car elle fait partie des nôtres maintenant, elle est de la famille, n’est-ce pas ?

— Elle le sera.

Mathias se leva, se dirigeant vers la porte.

— Bonne chasse, lui souhaita Rose, doucement, pour ne pas réveiller son fils.

 

Chan ouvrit les yeux, sortant lentement de sa méditation. Déjà, son corps redescendait de quelques centimètres. Elle déplia ses jambes graciles et reposa les pieds sur le sol. Son esprit se raccorda au présent qu’elle avait ignoré durant sa transe. Comme d’habitude, elle eut du mal à se souvenir où elle était. Tout lui reviendrait dans quelques instants.

Elle commençait à de nouveau prendre conscience de son environnement. La pièce dans laquelle elle se trouvait était une grande chambre circulaire, une de celles de ce pavillon de chasse que Hermès avait acquis il y a bien longtemps et où ils logeaient quand ils venaient en France. Celui-ci se trouvait d’ailleurs devant elle, assis sur un siège, attendant patiemment qu’elle soit de retour.

Lorsqu’elle fut prête, elle lui sourit avec tendresse.

— Je suis toujours impressionné, ma chère, de te voir flotter à plus de trois coudées[1] du sol, dit-il.

— Alors que tu as vu tant de choses durant ta longue vie, se moqua-t-elle.

— Voilà que tu m’attaques sur mon âge ! Je pensais que celui-ci t’indifférait.

— Je suis encore très loin de l’âge que tu avais quand on s’est rencontré, souffla-t-elle en venant lui caresser la joue d’un geste tendre. Mais je crois t’avoir déjà prouvé que je ne m’en souciais guère.

Ils échangèrent un léger et court baiser.

— Néféri nous attend en bas, reprit-il. Elle bout d’impatience.

— Voilà une chose que le temps, quelle que soit sa longueur, ne changera jamais ! sourit Chan. Ne la faisons pas attendre. Surtout que nous allons avoir de la visite…

Ils descendirent au salon où Néféri les attendait en aiguisant son khépesh à l’aide d’une pierre et d’un chiffon huilé.

— Ah ! Tout de même ! s’exclama-t-elle. Je me demandais si vous n’étiez pas passés sur une autre activité après ta méditation.

— Voyons, Néféri… soupira Hermès. Je commence à me faire vieux pour ça.

— Tu es dans la force de l’âge, tu as encore le temps avant la fin de ce cycle… Dommage pour elle, je sais que Chan préfère tes débuts de cycle.

Loin de paraître gênée, Chan se contenta de se servir un godet d’eau avant de s’asseoir.

— Un jour, je te ferais rougir… souffla Néféri avec défi. Bon, as-tu vu quelque chose cette fois-ci ?

— Rien concernant Taran, du moins, directement, répondit-elle.

— Ce qui veut dire ?

— Attendons quelques instants, vous aurez votre réponse.

— Je déteste quand tu fais ça… grommela la guerrière en reprenant sa besogne.

— Je te rassure, je n’en sais pas plus que toi, confia Hermès.

Ils patientèrent sans rien dire, le silence uniquement troublé par le chuintement de la pierre contre la lame de Néféri. Puis des coups contre une fenêtre se firent entendre.

— Voilà notre visiteur, annonça Chan en souriant.

Elle sortit sa baguette et fit un mouvement vers la fenêtre pour l’ouvrir et laisser entrer le corbeau qui vint se poser sur le dossier d’un siège inoccupé. Néféri le regarda avec circonspection, Hermès d’un air intrigué.

— Bran… souffla-t-il. Cela faisait longtemps… Tu savais donc que nous étions dans les parages.

Le corbeau croassa pour toute réponse.

— Je n’ai jamais compris ce qu’était cet oiseau… soupira Néféri. Un jour, il faudra que tu m’expliques, Hermès.

— Je le ferai, si moi-même je le savais, sourit-il. J’ai appris très tôt qu’il y a des mystères que des milliers d’années de vie ne permettront jamais de percer. Cela étant, si tu es là, Bran, c’est qu’il s’est passé quelque chose et que tu as besoin de notre assistance.

Bran poussa une série de croassements stridents, Hermès parut l’écouter avec attention.

— Je vois… finit-il par dire quand l’oiseau eut fini.

— Et peux-tu expliciter pour ceux qui ne connaissent pas le langage des corbeaux ? demanda Néféri.

— Taran a attaqué Estremer, annonça Hermès. Il y a eu plusieurs morts parmi l’entourage du comte, et une jeune femme prénommée Charlotte a été enlevée.

— Que peut-on y faire ? Tant que Chan ne parvient pas à « voir » où se trouve Taran, nous ne pouvons agir. Et si je me souviens bien, tu préfères que nous les laissions faire, n’agissant qu’en dernier recours.

— Je pense que nous sommes à un point où il va falloir agir un minimum.

— C’est vrai, dit Chan, mais comme a dit Néféri, je ne parviens pas à repérer Taran. Comment faire alors ?

Bran croassa et battit des ailes pour venir passer au-dessus de Chan avant de revenir à sa place, il avait au passage laissé tomber quelque chose de léger et de fin sur elle. Elle l’attrapa au vol et l’examina.

— Qu’est-ce que c’est ? questionna Néféri.

— Des cheveux… roux, répondit Chan. À qui appartiennent-ils ?

— À cette dénommée Charlotte, traduisit Hermès après un nouveau croassement du volatile. Oh ! Je comprends ce qu’il a en tête. Au lieu de « voir » Taran, tu vas essayer de te connecter à cette jeune personne. C’est une bonne idée !

— Mais dangereuse… compléta Néféri. Taran pourrait repérer Chan, aussi bien spirituellement que physiquement.

— Je me charge de protéger son esprit, à toi la garde de son corps. Bien sûr, si tu décides de le faire, ma chère, conclut-il en se tournant vers sa compagne.

— Taran doit être mis hors d’état de nuire, dit Chan. On doit tous prendre notre part de risque.

— Et après ? Que ferons-nous ? demanda Néféri. Nous l’attaquons enfin ?

Avant que Hermès ne puisse lui répondre, Bran croassa en fixant la guerrière.

— Il dit qu’il faudra transmettre l’information à Mathias Brandrez – pardon, Mathias Corvus – et au comte d’Estremer. Et je pense qu’il a raison.

— Ouais… je ferais bien une entorse à notre code pourtant… grogna Néféri.

— Fais attention à ce que tu souhaites, mon amie, parfois ça se réalise ! Même si je pense de plus en plus que la confrontation sera inévitable.

Chan se leva en disant :

— Je vais m’y mettre tout de suite. Il me faudra quelques heures pour me préparer.

— Je me demande quand même comment ce tas de plumes sait pour les capacités de Chan, émit Néféri une fois que la Chinoise eut quitté la pièce. Il ne l’a jamais rencontré avant aujourd’hui. Encore un mystère qu’on ne parvient pas à résoudre après presque cinq mille ans à étudier et parcourir ce monde, n’est-ce pas ?

— Peut-être un jour, dit Hermès. Peut-être me faudra-t-il cinq mille ans de plus ? Je n’en sais rien.

— Ouais… eh bien si tu trouves, éclaire ma lanterne, s’il te plaît.

Bran croassa une nouvelle fois. Hermès agita sa baguette pour lui ouvrir la fenêtre et le laisser sortir dans l’air glacé.

— Je pensais qu’il attendrait le résultat, reprit Néféri.

— Nous savons comment transmettre l’information, par Nicolas Flamel, rappela Hermès. Bran préfère chercher de lui-même en sus. Qui sait ? Il pourrait avoir de la chance.

 

— Est-ce que tout le monde est rentré, Hector ? demanda Taran.

— Non, Maître, les hommes qui m’accompagnaient au château de Malchauzen sont tous morts, lui apprit Tiergill. Corvus et d’Estremer sont de redoutables combattants.

— Ça, nous le savions. Au moins, tu t’en es sorti.

— Car j’ai fui, avoua-t-il avec honte.

— J’aurais été meurtri de te savoir mort, bientôt Corvus viendra à nous, et alors, tu auras ta revanche.

— C’est tout ce que je souhaite, Maître. Oh ! Certains de ceux qui vous ont accompagné à Estremer sont revenus avec un otage, une jeune fille, une Moldue, finit-il avec un dégoût visible.

— Je veux la voir.

Hector Tiergill guida son maître jusqu’à la cellule où était retenue Charlotte. La jeune fille prit peur en voyant le druide blafard aux yeux bleu pâle entrer, elle savait qui il était, Mathias le lui ayant décrit. Son mouvement de recul n’échappa pas à Taran.

— Je pense que vous savez qui je suis, mademoiselle, dit-il.

Elle ne put que hocher la tête pour confirmer.

— Vous n’avez rien à craindre de moi, mon enfant, je ne vous veux aucun mal.

— J’étais dans vos geôles il y a quelques semaines encore, dans un monastère, attendant d’être tuée et débitée comme une vulgaire truie, osa-t-elle dire.

— Oh ! Vous faites partie de ceux que Corvus et le comte d’Estremer ont libérés. Ne vous en faites pas, je ne vous tuerais pas, je n’en ai aucun intérêt. Alors que vivante, vous valez certainement plus. J’ai appris que tous ceux que Corvus et d’Estremer avaient sauvés ont été relogés, vous êtes vraisemblablement la seule qui ne l’ait pas été. Je suppose qu’il y a une raison à cela. Peut-être êtes-vous entrée au service du comte… La raison peut être également plus intime et personnelle…

Au tressaillement qui agita la jeune fille, il comprit qu’il avait touché juste. Il ne put réprimer un sourire satisfait et avide.

— C’est donc ça… reprit-il. Et comme je ne vois pas un gentilhomme comme le comte d’Estremer tromper sa femme ou s’adonner au libertinage, je suppose que votre affection va à Mathias Corvus. Est-ce réciproque ?

Charlotte garda le silence, essayant de ne rien démontrer. Cela fit d’autant plus sourire Taran.

— Peu importe, que vous soyez ou non son amante, il viendra vous chercher. De ce que j’ai pu voir, les Corvus ont conservé ce trait de caractère de leurs ancêtres : ils ont l’honneur et leur code chevillés au corps. Et pour ce qu’ils croient juste, ils n’hésitent pas à trahir leurs alliés si ceux-ci s’écartent du chemin qu’ils jugent droit.

— Vous avez déjà eu affaire à eux, dirait-on, dit Charlotte.

— Ce combat que je mène aujourd’hui, il aurait pu – et aurait dû – se finir bien plus tôt, il y a des siècles de cela. Les Brandrez étaient à mes côtés au début, aussi terribles guerriers que maintenant. Ils voulaient protéger les nôtres, moi aussi… Mais je savais que pour cela, les Moldus devaient être mis au pas.

— Devenir vos esclaves vous voulez dire !

— À leur place, en effet. Tout comme vous le serez bientôt. Et quant à vous, personnellement, vous me servirez, après que j’aurais tué votre cher Mathias sous vos yeux.

— Je préférerais mourir ! cria-t-elle.

— Faîtes attention à ce que vous souhaitez, mademoiselle… Comment vous nommez-vous d’ailleurs ?

Elle garda le silence, amusant Taran une fois de plus.

— Ne pensez-vous pas que ce serait plus agréable pour vous comme pour moi de connaître votre nom ?

— Charlotte Lehel, céda-t-elle.

— Bien, mademoiselle Lehel, je vous dis à plus tard.


[1] Ancienne unité de mesure dont la longueur diffère selon son origine. La coudée royale égyptienne mesurait entre 52 et 54 cm, la coudée attique (ou grecque) mesurait 44 cm, entre autres.


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