Les Premiers Chasseurs

Chapitre 32 : XXXI In Paradisum

4254 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/10/2023 06:31

CHAPITRE XXXI : IN PARADISUM


Étienne Courneuf relisait divers documents dans son bureau, à la lumière naissante du matin. Le lendemain pouvait être un grand jour : le jour où le monde se diviserait en deux, séparant Moldus et Sorciers. D’un point de vue strictement politique et diplomatique, c’était une victoire, la conclusion de longues négociations et d’un grand nombre de réunions et rencontres plus ou moins formelles. Il avait réussi à les mener à bien, convaincant les ministres – ou équivalents – récalcitrants à l’idée de changer totalement de mode de vie pour le bien commun.

Mais d’un point de vue sociétal et personnel, il ressentait cette conclusion comme un échec. Ils allaient devoir se cacher comme des pestiférés, vivant en marge de sociétés dont ils faisaient partie depuis toujours et auxquelles ils avaient participé à la construction, à l’évolution et au rayonnement, présents dans tous les évènements majeurs de l’Histoire et au quotidien.

Maintenant, tous ces liens, tout ce qui avait été si durement construit allait être effacé, comme s’ils n’avaient jamais existé. Aidé en cela par l’enchantement massif qui serait lancé.

Étienne Courneuf n’était pas dupe, il savait que dans certains pays, ce Code du Secret Magique ne serait pas autant appliqué que dans l’occident chrétien. En Asie, par exemple, où les Sorciers et les Moldus vivaient en harmonie sans tension. Le Shogun continuera de se servir de ses ninjas shugenja sans se soucier du Code, l’isolement de l’archipel du Japon permettant de conserver le Secret intact. Même dans l’Empire de Chine ou le Royaume de Corée, les Sorciers et autres créatures magiques, étant bien acceptés, continueront de pratiquer ouvertement la magie. Le même constat sera fait en Afrique, dans les tribus du continent américain, en Nouvelle-Hollande[1] et dans la multitude d’îles du Pacifique.

Le temps et les générations finiraient le travail qu’ils avaient entamé, quand la nécessité de se cacher se fera sentir au gré des flux migratoires venus de la vieille Europe.

Ce n’était pas ça qui inquiétait le plus Étienne Courneuf. Certes, le changement serait dur, mais la menace de Taran était un danger bien plus terrible que d’éventuelles ruptures mineures du Secret Magique après sa mise en place. Celui-ci était-il au courant des dernières avancées diplomatiques à ce sujet ? Tentera-t-il quelque chose pour empêcher sa mise en place ? Profitera-t-il de la période fragile suivant l’enchantement massif pour apparaître aux yeux des Sorciers comme leur protecteur, défendant un mode de vie qu’ils doivent abandonner, et à ceux des Moldus comme leur maître, les réduisant en esclavage ?

Tellement de possibilités toutes plus terribles les unes que les autres. Étienne Courneuf n’avait aucun moyen de savoir laquelle serait mise en œuvre. Et il n’avait qu’un seul atout pour contrer les sombres desseins de Taran : l’équipe improvisée que formait Philippe d’Estremer et Mathias Corvus.

 

Le jour se levait à peine quand Philippe, Mathias et Noé se munirent de pelles et allèrent creuser dans le cimetière situé à une centaine de mètres du château. Le comte se souvenait du jour où il avait rencontré Mathias, alors que celui-ci ramenait les corps des siens chez eux :

— Certaines choses doivent être faites sans aide ni facilité.

Il ne se servirait pas de magie, mais il ne pouvait se résoudre à le faire seul. Noé était pour lui un membre de sa famille, au même titre que sa mère qu’il s’apprêtait à enterrer. Et Mathias, il n’avait même pas eu à lui demander, il les avait accompagnés naturellement, sans mot dire.

Par l’intermédiaire de son majordome, Philippe avait signifié leur congé pour la journée à tous ses autres domestiques.

À trois, et en silence, la tâche fut vite terminée. Isabelle d’Estremer les rejoignit, Désirée et Rose Corvus, tenant le petit Nathaël, dans ses bras la suivaient.

La première à être mise en terre fut Lanéa d’Estremer. Puis vint le tour du père Mathérius et de Flavius. Devant les trois fosses où avaient été déposés les cercueils, ils se tenaient dans un silence religieux. Isabelle incita son époux à dire quelques mots.

Philippe demeura encore quelques minutes muet, cherchant ce qu’il pourrait dire en ce moment solennel.

— D’habitude, je sais toujours quoi dire, commença-t-il. Mon père m’a appris que la voix d’un seigneur terrien devait toujours se faire entendre, que ça soit pour rendre Justice ou protéger ses gens. J’ai vu mon père parler à plusieurs enterrements. Ses mots étaient toujours forts et justes. J’aimerais faire comme lui en cet instant, mais les mots me manquent, car ces morts que nous honorons aujourd’hui, ces trois êtres à qui nous devons dire adieu, me sont proches à divers degrés. Certes, je ne connaissais pas le père Mathérius depuis longtemps, mais sa façon de voir la vie et sa foi m’ont profondément touché. Du peu que je sache sur lui, il s’en voulait pour une partie de son passé et cherchait depuis à faire amende honorable. J’espère que dieu – s’il existe vraiment comme il le pensait – sera juste et clément, et qu’il l’accueillera comme un de ces hommes bons qui manquent terriblement en cette époque ici-bas. Il mériterait qu’on lui cite une prière en latin, malheureusement, mon manque de foi me l’interdit, ce serait hypocrite envers la mémoire de ce saint homme. Je laisse donc ce soin à d’autres.

— In Paradisum deducant te Angeli ; in tuo adventu suscipiant te Martyres, et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem, récita Noé.

Chorus Angelorum te suscipiat, et cum Lazaro quondam paupere, æternam habeas requiem[2].

 Philippe remercia son majordome d’un signe de tête. Puis il se tourna vers la seconde tombe, celle où reposait maintenant son fidèle palefrenier Flavius.

— Flavius fut toujours mon ami, aussi loin que je me souvienne. Son père était le palefrenier de mon père et à sa mort, il reprit tout naturellement sa charge. Mais au-delà de son rôle sur ce domaine, qu’il remplissait avec soin, je me souviendrai toujours du frère qu’il fut pour l’enfant unique que je fus. Compagnons de jeu et de bêtise, nous partagions les fruits et les punitions. Il me donnait du « mon seigneur » en public, mais je préférais quand il m’appelait Philippe ou « Philou » comme il le faisait parfois. Mon frère, tu laisses un grand vide dans ma vie, que rien ne pourra jamais combler vraiment.

Enfin, le comte d’Estremer se pencha vers la tombe de sa mère. Il resta une nouvelle fois silencieux un moment sans que personne ne brise cette quiétude.

— Mère, j’espère que là où tu es, tu as retrouvé Père. Tu fus une grande dame, et une mère aimante. Bien des nobles devraient prendre exemple sur la prestance et l’humanité dont tu as fait preuve tout au long de ta vie. J’aurais tant d’autres choses à dire, mais je préfère les dire en mon âme, c’est trop personnel. Je sais que ceux rassemblés autour de moi n’en prendront pas ombrage. Au revoir Mère, nous nous retrouverons un jour j’espère, mais dans longtemps.

Un moment de silence salua les défunts une dernière fois. Puis, la petite assemblée s’en retourna au château, un par un, ou presque. La première à prendre le chemin du retour fut Rose, dont le fils demandait à grands cris qu’on le nourrisse. Elle fut accompagnée de Désirée, les joues marquées par les larmes. Noé fut le suivant, la mine sombre.

Puis ce fut au tour de Mathias de quitter le cimetière.

— Mathias, interpella Philippe. J’espère que ce seront les derniers morts que nous aurons à pleurer dans cette affaire.

— En vérité, je le souhaite aussi, dit Mathias, mais j’en doute…

— Il faut en finir avec Taran.

— Ce sera un dur combat, mon ami, et je ne compte pas m’économiser. Pour le moment, nous avons bien quelques heures pour nous recueillir avant.

Sans se retourner, le spadassin rentra au château.

Isabelle fut la dernière à partir. Elle ne dit pas un mot, elle se contenta de déposer un tendre baiser sur la joue de son époux avant de le laisser seul avec ses pensées et sa peine.

 

Chan n’était plus restée aussi longtemps en transe depuis des siècles, cela inquiétait son amant qui se trouvait à quelques mètres d’elle. Il avait tracé sur le sol un cercle de protection composé de glyphes qu’une grande majorité des sorciers ne pourrait comprendre, cette connaissance s’étant perdue avec les siècles et n’ayant jamais été consignée par écrit. À l’extérieur, il percevait à peine les mouvements félins de Néféri. Elle veillait à ce qu’aucun ennemi ne s’approche si Taran parvenait à repérer Chan, autant que lui la protégeait des assauts psychiques dont le druide était capable.

La femme aux yeux en amande tenait entre ses doigts les quelques cheveux roux que Bran lui avaient remis. Le lien était faible, mais elle parvint à remonter jusqu’à l’esprit de leur propriétaire. Ce qui ne lui avait pris que quelques instants pour elle, durait depuis des heures pour ses amis, elle le savait. Et plus elle restait dans cet état, vraisemblablement proche de Taran de surcroît, plus elle risquait qu’il ne la repère. Elle savait celui-ci redoutable et impitoyable.

Elle commença par regarder les alentours par les yeux de Charlotte, mais comme elle s’y attendait, celle-ci était enfermée dans une pièce dont la seule ouverture sur l’extérieur était une lucarne située bien trop haut pour que la jeune moldue puisse l’atteindre. Elle s’extirpa de son esprit, cherchant à demeurer la plus petite possible, espérant que cela suffise pour ne pas être repérée.

S’élevant au-dessus de la jeune femme, elle prit le temps de la regarder. Elle était belle. Son regard exprimait de la peur, évidemment, mais aussi de la confiance. Et pour avoir vu quelques-unes de ses pensées au passage, elle savait qui lui donnait ce sentiment. Elle ne pouvait que sourire de constater que même dans une telle situation, l’amour demeurait plus fort que tout.

Elle se recentra sur sa mission et traversa la pierre du plafond sans encombre. Elle devait découvrir un indice permettant de localiser la base de Taran. Elle traversa plusieurs étages, espionnant furtivement quelques scènes : des prisonniers violentés, des hommes de Taran buvant de la gnôle, d’autres s’entraînant à la magie ou à l’épée… Elle fut surprise de voir que ceux-ci étaient jeunes, encore des enfants pour certains.

Apparemment, Taran cherchait à embrigader les plus jeunes et se préparait à une guerre. Un conflit entre Sorciers et Moldus…

Elle parvint finalement à la toiture et put ainsi voir quelle bâtisse il se servait pour mener ses desseins. Il avait pris possession d’un fort se dressant en haut d’une colline et entouré de vastes prairies. Des forêts noircissaient les vallons à une ou deux lieues de là et un cours d’eau coulait à l’ouest. Apparemment, les habitants vivant aux alentours – des villages et hameaux se dressaient encore non loin – avaient fui la zone. Était-ce à cause de Taran ou pour une autre raison ? Elle ne pouvait pas le savoir et finalement, qu’importe, cela fera surtout moins de victimes potentielles en cas d’affrontement. Elle espérait que ces indications permettraient de le localiser si elle ne trouvait aucune mention sur un écriteau.

Plus le temps passait, plus elle risquait de se faire repérer par Taran. Elle ne trouvait pas d’indication. Elle mémorisa un maximum de détails, espérant que Hermès ou Néféri puisse identifier l’endroit, ceux-ci connaissant l’Europe bien mieux qu’elle.

Soudain, alors qu’elle revenait vers le fort, elle sentit une présence sanguinaire. Elle s’arrêta immédiatement et regarda autour d’elle. La présence semblait venir de toutes les directions, comme une multitude avec un seul esprit. Elle ne voyait rien, elle ressentait juste la volonté meurtrière s’intensifier.

Et alors, elle les vit, prenant forme dans les ombres, s’extirpant des recoins sombres, des silhouettes vaguement humanoïdes pourvues de griffes et de crocs, noires comme composées d’encre, leurs orbites et leurs bouches vides et transparentes : des sentinelles astrales. Elles s’arrachèrent des ombres et foncèrent sur Chan.

Elle esquiva les plus rapides avec souplesse avant de sentir des griffes lui lacérer le dos. Générant une épée spirituelle, elle pourfendit plusieurs créatures, les faisant simplement disparaître sans bruit, comme si elle frappait le vent. Elle fut rapidement dépassée et repoussée. Comprenant qu’elle ne pourrait prendre le dessus, elle choisit la fuite, remontant le lien qui la reliait à son corps malgré le risque que Taran la repère physiquement.

Elle revint tellement vite qu’elle tomba lourdement sur le sol. Hermès, comprenant que quelque chose s’était passé, resta concentré, faisant fi de la tache de sang qu’il voyait s’étendre sur le dos de sa compagne. Il sentit les sentinelles astrales arriver et les foudroya avant qu’elles ne l’atteignent.

Alertée par le bruit, Néféri surgit dans la pièce au moment où Hermès se portait près de Chan.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle, son khépesh à la main, prêt à servir.

— Des sentinelles astrales, renseigna Hermès tout en examinant la blessure de Chan.

— Je… je n’ai pas été repérée tout de suite, raconta la Chinoise, j’ai pu voir le repère de Taran et ses alentours avant. J’ai dû rester trop longtemps.

— En es-tu sûre ?

— Que veux-tu dire ? Taran m’aurait laissé repérer les lieux volontairement ? Pourquoi ?

— Les raisons peuvent être multiples… soupira Hermès. Te forcer à revenir vite pour nous trouver, nous attirer à lui pour combattre sur son terrain, possiblement dans un piège…

— Eh bien allons-y ! s’exclama Néféri. Si c’est un combat qu’il veut, je vais lui offrir avec plaisir !

— Ce n’est pas à nous de combattre, pas cette fois.

— À Seth notre voie ! Nous sommes les seuls à pouvoir le vaincre ! C’est à nous de le faire ! C’est à cause de nous ! Si nous ne l’avions pas rencontré et fait de lui un des nôtres… Jamais il n’aurait acquis autant de connaissance et de puissance.

— Je sais… Mais non, ce n’est pas à nous, répéta Hermès.

— Tu penses à Mathias Corvus et Philippe d’Estremer, n’est-ce pas ? Je reconnais que les Brandrez étaient de puissants guerriers et mages, mais rien ne nous dit que leur descendant soit au niveau. Les autres Corvus ont tous été tués ou enlevés, je te rappelle.

— Hermès a raison, Néféri, intervint Chan alors que son amant avait fini de la soigner. C’est à eux d’y aller.

— Pourquoi ? Qu’as-tu vu ? interrogea-t-elle.

— Rien de précis, c’était fugace. Ils doivent mener ce combat… Quelque chose de plus lointain en dépend.

Néféri poussa un soupir rauque et rengaina son khépesh d’un geste nerveux.

— Très bien, accepta-t-elle. Mais je serais prête à intervenir si besoin.

— Et nous serons avec toi, confirma Hermès. Maintenant, montre-moi où se trouve Taran.

Hermès était conscient de demander un nouvel effort à sa compagne. Celle-ci ne se déroba pas, prenant ses mains et fermant les yeux. Elle lui transmit tout ce qu’elle avait vu, n’omettant aucun détail. Lorsqu’elle rompit le lien, elle fut prise d’un vertige et se laissa porter jusqu’au siège proche.

— Taran se trouve à Wiechenzen, dit-il. J’ai reconnu les collines, les formations rocheuses et la rivière. Il a investi le fort.

— Si mes souvenirs sont bons, il était en construction la dernière fois que nous sommes passés dans la région, fit Néféri. Il devrait être en ruine maintenant.

— En effet, il a dû être entretenu ou Taran l’a rénové, qu’importe…

— Et maintenant ?

— Je vais appeler Bran, il transmettra le message. Ensuite, nous observerons.

— Tu es conscient que c’est certainement un piège, continua l’Égyptienne, comptes-tu les prévenir aussi de ça ?

— Je pense que c’est inutile, répondit-il.

— Si tu le dis… conclut Néféri.

 

Le soleil se couchait sur Estremer quand Philippe revint au château. Sa femme vint immédiatement près de lui, il lui sourit d’un air triste, mais rassurant puis chercha Mathias des yeux, il le trouva assis sur un siège du petit salon.

— Nous avons enterré nos morts et nous sommes recueillis, dit-il. Je n’ai plus de larmes à verser aujourd’hui. Et maintenant…

— Maintenant, nous attendons, compléta Mathias. Et à défaut de larmes, c’est du sang qui coulera.

Ils entendirent le heurtoir de l’entrée retentir, suivi de deux voix, dont une qui parut s’énerver :

— J’exige de voir le comte sur le champ !

— Mon père ! Attendez au moins que je demande à monsieur le comte s’il veut vous recevoir ! répliqua la voix de Noé qui s’approchait.

— Je ne suis pas du petit peuple !

Le prêtre, courant presque, pénétra dans le petit salon, suivi de près par le majordome.

— J’ai essayé de l’arrêter, monsieur le comte, se défendit Noé.

— Tais-toi ! ordonna le père Victurnien. Tu mériterais d’être battu ! Monsieur le comte, j’ai à vous parler séance tenante.

— Cette journée a déjà été assez dure, mon père, soupira Philippe avec lassitude. Cette entrevue ne peut-elle être remise à un autre jour ?

— C’est justement à propos de cette journée que je viens vous voir. Que vous est-il passé par la tête ? Seul un ecclésiastique peut officier pour des funérailles ! Voulez-vous que l’âme de votre mère soit condamnée à l’enfer ?

— Je doute qu’elle aille en enfer…

— Sans un prêtre pour la bénir, pour lui donner les derniers sacrements, Dieu ne l’acceptera pas, martela-t-il.

— Vous parlez de ma mère, mais je vous rappelle qu’elle n’est pas seule à avoir perdu la vie.

— Oui, j’ai cru comprendre que vous hébergiez un autre prêtre.

— Et Flavius…

— Oui… Bon, on ne va pas s’appesantir sur chacun, il est malheureusement trop tard. Je peux peut-être encore faire quelque chose pour la comtesse. Quant à vous, monsieur le comte, vous allez devoir expier ce crime vis-à-vis de Dieu.

Un couteau vint se planter devant les pieds du curé qui sursauta en arrière. Il tourna les yeux en direction de Mathias, le spadassin se levait de son siège et marchait sur lui, le regard noir de colère.

— Si vous le permettez, Philippe, je peux jeter ce fâcheux hors d’ici, proposa-t-il. Ses cris contre ce brave Noé m’avaient déjà échauffé les oreilles, la suite de sa diatribe a achevé de m’énerver.

— Merci mon ami, je vais m’en charger moi-même, dit Philippe.

Mathias recula d’un pas, récupérant son couteau au passage.

— Maintenant, vous allez m’écouter, père Victurnien : je ne vous ai jamais apprécié, vous et votre vision étriquée du monde où seuls les croyants – nobles et riches de surcroît – trouvent grâce à vos yeux. Vos appels à la dénonciation et à la persécution des Sorciers m’inspirent le plus grand mépris, et je ne souhaite plus les entendre, tout comme je ne tolérerai plus votre manque de respect envers les gens de ma maison tels que Noé. Ma mère était une personne honorable, tout comme l’était le père Mathérius et Flavius. Elle aurait vu comme une insulte votre ministère officier à ses funérailles. Alors maintenant, vous allez vous taire et quitter mes terres. Ce comté se passera de vous.

— Mais, monsieur le comte, vous ne pouvez me chasser, je suis sous l’autorité de monseigneur l’évêque…

— Silencio ! lança Philippe faisant taire le prêtre. Vous voyez, je suis sorcier, et je n’ai cure de vos histoires de clocher.

Victurnien se recula d’un pas, l’effroi marquant ses traits. Il chercha à tâtons son crucifix et le tendit vers le comte, ses lèvres articulant des imprécations.

— Quelle piètre défense… pensa Philippe.

Des coups secs contre la fenêtre attirèrent l’attention, Bran était revenu. D’un mouvement de baguette, Mathias lui ouvrit, l’oiseau vint se poser sur son épaule et laissa tomber un bout de parchemin dans sa main.

Sentant que plus personne ne faisait attention à lui, le père Victurnien en profita pour prendre ses jambes à son cou.

— Nous le laissons fuir, monsieur ? questionna Noé.

— Le Secret Magique sera en œuvre d’ici peu. Le temps qu’il prévienne l’Inquisition, notre existence sera effacée.

Un silence s’installa.

— Noé… souffla Philippe. Nous n’avons jamais pris le temps de parler du Secret Magique et de ses conséquences sur nous. J’aimerais qu’il soit possible que Désirée et toi soyez épargnés, malheureusement…

— Monsieur, permettez-moi un peu de familiarité, s’il vous plaît.

— Tu m’as vu naître et grandir, tu n’as pas à demander la permission.

— Philippe, comme tu viens de le dire : nous t’avons vu naître et grandir. Tu es comme un neveu pour moi, et je sais que Désirée ressent la même chose. Tout ce que nous souhaitons, c’est que ta vie soit la plus belle, qu’Isabelle et toi soyez en sécurité, ainsi que les enfants que vous aurez un jour prochain. Si pour cela nous devons sacrifier nos souvenirs, nous le ferons avec joie. Et avec un peu de tristesse quand même, il est vrai. Nous ne nous souviendrons pas que vous êtes sorciers, mais nous n’oublierons ni nos sentiments pour vous deux ni à quel point tu es un grand seigneur, comme l’était ton père.

Visiblement touché, Philippe ne trouva rien à dire et se contenta d’un merci. Noé posa paternellement sa main sur son épaule.

— Ne pleure pas, tu as un devoir à accomplir.

— Tu as raison, je te laisse veiller sur ma maison, acquiesça le comte.

— Oui, monsieur le comte.

Un sourire un peu triste aux lèvres, le majordome sortit. Isabelle le suivit, disant vouloir s’assurer que Rose et Nathaël allaient bien.

Philippe se tourna vers Mathias qui patientait en silence.

— Alors ? questionna-t-il.

— Nous avons un objectif, dit Mathias en tendant le parchemin.

— Wiechenzen ! Savez-vous où est-ce ?

— Non, nous demanderons à maître Marchas. Une autre question me turlupine…

— De qui est ce message ?

— Tout à fait, et si c’était tout autre oiseau que Bran qui nous l’avait amené, je penserai fortement à un piège.

— Et là ?

— Je m’attends à un piège, mais j’ai confiance en notre force.

— Alors, ne perdons pas de temps, décréta Philippe.

Et après s’être équipés en vue d’un âpre combat, les deux hommes transplanèrent au Ministère de la Magie.


[1] Nom donné à l’Australie au 17e siècle.

[2] « Que les Anges te conduisent au Paradis ; que les Martyrs t’accueillent à ton arrivée, et t’introduisent dans la Jérusalem du ciel. Que les Anges, en chœur, te reçoivent, et avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare, que tu jouisses du repos éternel. » Absoute dite « In Paradisum ».



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