Les Premiers Chasseurs

Chapitre 34 : XXXIII La confrontation

5488 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/12/2023 11:14

CHAPITRE XXXIII : LA CONFRONTATION


Charlotte apparut sur le parvis du château d’Estremer, elle était un peu chancelante, les voyages magiques n’étaient pas très agréables. Elle était entourée de plusieurs hommes et femmes, sales et amaigris par des mois de captivité. Noé et Désirée se démenaient pour les aider, les emmenant se réchauffer à l’intérieur. Sur le perron, Isabelle leur indiquait où se rendre.

La comtesse s’arrêta lorsqu’elle vit apparaître la jeune femme. Aussitôt, elle descendit les quelques marches et vint l’enlacer.

— Ils t’ont sauvée ! s’exclama-t-elle. Ça va ? Ils ne t’ont pas violenté au moins ?

— Je vais bien, assura Charlotte. Je m’inquiétais plus pour vous tous. Ils ne m’ont pas dit qui est mort le soir de l’attaque.

— Dame Lanéa, le père Mathérius et Flavius… énuméra Isabelle avec tristesse. Tu es revenue, c’est le plus important ! Viens te réchauffer à l’intérieur.

Charlotte se laissa guider dans le château. Elle pensait à Mathias, que voulait-il lui dire ? Elle espérait qu’il revienne vite pour lui dire.

 

Odon Marchas était prêt pour cette nuit qui s’annonçait historique. Le ministre Étienne Courneuf, rapporteur du traité sur le Code du Secret Magique, s’apprêtait à prendre la parole, attendant patiemment que ses illustres confrères venus des quatre coins du monde prennent place.

Durant ces quelques mois à suivre le ministre dans différentes rencontres et réunions, Odon avait pu apprécier les tenues portées par les Sorciers de tout horizon. Des boubous africains aux kimonos japonais, des pagnes aborigènes aux lourds manteaux de peaux des tribus de l’Acadie, sans oublier celles des Européens, aussi différentes les unes des autres qu’ils étaient nombreux, il y en avait tellement, de toutes les couleurs. Et là, pour la première fois, il les voyait toutes réunies au même endroit, dans un mélange de couleurs et de styles.

Il entendait également toutes sortes d’idiomes, ne saisissant que quelques mots, en comprenant encore moins lorsqu’il s’agissait d’une langue qu’il ne connaissait pas. Mis à part les parlers les plus communs en Europe, la grande majorité lui était totalement inconnue, et l’envie d’en apprendre d’autres l’envahit. Le japonais, le mohawk[1], le swahili[2]… diverses sonorités, diverses couleurs et cultures auxquelles il souhaitait ne seraient-ce que s’initier.

Les représentants avaient tous trouvé leurs places, et leurs assistants étaient prêts, plumes ou équivalents à la main. Étienne Courneuf monta les quelques marches le menant à la tribune. Le silence s’imposa immédiatement.

— Mages et Sorciers du monde, je suis satisfait de vous voir tous réunis ici en ce moment qui peut être le plus important de notre Histoire depuis la création de cette institution qu’est la Confédération Internationale des Sorciers. Je ne vais pas vous faire l’offense de vous rappeler ce pour quoi nous sommes réunis, cela fait des mois maintenant que nous en discutons. Le temps est venu maintenant de mettre un point final à ces tractations. D’autant plus que vous n’ignorez pas que la situation est critique, en particulier dans notre vieille Europe. Je sais que vous avez connaissance des derniers évènements survenus en France. Tout comme je sais que certains aimeraient y voir un casus belli pour déclarer la guerre aux Moldus. Les derniers éléments de l’enquête que j’ai diligentée tendent à confirmer que nous avons été victimes d’une manipulation, tant Sorciers que Moldus avons été dupés par une seule et même personne, un sorcier ayant vraisemblablement soif de pouvoir et se servant des tensions entre nos deux communautés pour atteindre son objectif : Taran.

Un murmure parcourut l’assistance, le ministre français attendit qu’il s’estompe avant de reprendre.

— Le cas de Taran sera prochainement réglé, j’en ai la certitude. J’espère le voir être jugé pour ses crimes envers nous, mais également envers les Moldus. En définitive, les exactions menées par Taran justifient pleinement les raisons d’instaurer le Secret Magique. Nous protéger des Moldus, en particulier de l’Inquisition et de leurs équivalents dans le reste du monde est bien sûr la finalité principale. Certes, certains d’entre vous n’ont pas ce souci, mais il serait idiot de penser que cela ne pourrait pas arriver chez vous. Et bien sûr, le Secret se doit d’être absolu, il deviendrait caduc et surtout ingérable si quelques pays ne s’y soumettaient pas. C’est pour quoi la décision sera prise à l’unanimité. L’autre objectif, que certains d’entre vous ne comprenaient pas, trouve tout son sens avec la menace de Taran : protéger les Moldus. Car si Taran n’hésite pas à s’attaquer aux Sorciers, ce sont bien nos compatriotes moldus qui sont le plus en danger. Juste retour de bâton, diront certains, ce serait oublier que ce qui les touche finira par nous atteindre également. Je vais maintenant vous céder la parole, je vous demande d’écouter les différents avis avec respect, en particulier ceux qui sont encore réfractaires à cette idée. Je vous remercie.

Étienne Courneuf retourna s’asseoir sur son siège. Le premier qui se présenta à la tribune fut le ministre espagnol Miguel de Farlès. Étant le premier demandeur pour la mise en œuvre du Secret Magique, son discours ne fut qu’une succession d’arguments en faveur, reprenant ceux de son homologue français, en ajoutant d’autres. Il évoqua surtout les derniers crimes de l’Inquisition dans son pays, des bûchers dont la fumée obscurcissait le ciel et dont on n’entendait même pas les cris des suppliciés tellement la foule hurlait sa joie de voir des innocents mourir de cette manière barbare.

Bien sûr, certains parvenaient à s’échapper ou à survivre, le sortilège de gèle-flamme était connu de bien des sorciers, malheureusement pas de tous comme le rappela le ministre des États Italiens. Et l’Inquisition avait trouvé des tactiques permettant de prendre les sorciers par surprise, délaissant les rafles pour user de fourberies telles que la dénonciation et la trahison par des moldus que les sorciers connaissaient et en lesquels ils avaient toute confiance. Dans la plupart des cas, ces moldus étaient obligés d’agir ainsi, poussés par divers moyens de pression, tous plus abjects les uns que les autres.

D’autres représentants, sans mettre en doute l’efficacité de ce qu’ils envisageaient de faire, exprimèrent leur peine de devoir en arriver à une telle extrémité. Le japonais, entre autres, mit en avant le fait que les shugenjas faisaient partie intégrante de leur société. À mots couverts, ils firent comprendre qu’ils ne comptaient pas appliquer sévèrement certaines dispositions du Code, comme l’obligation d’effacer la mémoire des moldus en cas d’atteinte au Secret. Par contre, ils s’engageaient à tout faire pour le protéger si cette atteinte impliquait des pays tiers.

Les intervenants s’enchaînèrent, et finalement, il fut décidé de procéder au vote final.

— Levez vos baguettes ou tout autre artéfact dont vous usez, chers confrères, invita Étienne Courneuf. Décidez maintenant, votez, une lueur rouge si vous êtes contre, une blanche si vous êtes pour la mise en place du Secret Magique.

Montrant l’exemple, le ministre français leva sa baguette, générant une lueur blanche. À sa suite, les autres ministres levèrent leurs baguettes, bâtons, shikis, et autres, emplissant la salle de points lumineux. Pas une seule lumière ne vira à l’écarlate. Odon grava cette image dans sa mémoire : un vote unanime, symbolisé par des points de lumière blanche, telles des étoiles.

— Le Code du Secret Magique est accepté à l’unanimité, annonça Étienne Courneuf solennellement. Je vous remercie du fond du cœur. Sans plus tarder, le charme massif va être lancé. Nous vivons les dernières heures avant un changement de nos vies à tous.

Sans rien ajouter, il revint s’asseoir à sa place, alors que le brouhaha des discussions emplissait l’espace, comme si le silence était un vide qu’il fallait combler. À côté de lui, Odon n’osait pas parler, peut-être avait-il peur que le ministre lui dise qu’il n’avait fait que rêver ce moment historique. Puis d’autres pensées s’imposèrent à son esprit.

Remarquant son changement de physionomie, Étienne Courneuf s’adressa à lui :

— À quoi pensez-vous ?

— Je sais que je devrais ne penser qu’à cet instant, et aux multiples mutations que ce vote va apporter dans nos vies, dit-il, mais je ne peux m’empêcher de penser au comte d’Estremer et à monsieur Corvus. Une fois de plus, ils mettent leurs vies en jeu. J’espère que cette nuit dont on se souviendra pour l’éternité ne sera pas entachée par l’annonce de leur mort, qui elle, sera sûrement oubliée.

— Je comprends votre tourment. Nous ne pouvons malheureusement rien pour eux, à part attendre et espérer. Ils sont encore dans les ténèbres, verront-ils la lumière au bout du tunnel ?

— S’ils ne la voient pas, ils la créeront.

Étienne Courneuf laissa flotter les dernières paroles de l’archiviste. Peut-être était-ce parce qu’ils l’avaient aidé concernant sa fiancée et Quildas Hautfaucon, ou parce qu’il les avait côtoyés au gré de l’avancée de leur enquête, toujours est-il qu’Odon Marchas semblait avoir une foi immense en Philippe d’Estremer et Mathias Corvus. Le ministre repensa à son projet de garde anti-mages noirs. Finalement, qu’ils lui ramènent Taran vivant ou non ne changerait rien, cela n’aboutirait pas sans ces deux hommes.

 

L’exploration du donjon s’annonçait plus ardue, la concentration d’hommes de main était plus grande que dans les réserves et la prison d’après les informations glanées par le sortilège de révélation.

L’étage juste au-dessus des geôles d’où ils avaient libéré Charlotte comportait une salle d’interrogatoire équipée des engins de torture habituels : chevalet, âne espagnol, vierge de fer, manivelle intestinale, cage suspendue, séparateur de genoux et même une chaise de Judas[3]. Des traces de sang plus ou moins fraîches séchaient sur eux et sur les ustensiles légers disposés sur des tables, coulant sur le sol. Une horrible odeur de chair pourrie, d’excréments et de divers fluides corporels imprégnait l’air de façon tellement palpable que Philippe était convaincu qu’il devrait brûler ses vêtements une fois de retour à Estremer.

Le cadavre d’une femme avait été laissé dans une cage suspendue, visiblement, la mort ne remontait qu’à quelques heures. Ils se firent violence pour contrôler les geôles attenantes dont la taille tenait plus de la cage à lapin, mais à part deux cadavres plus anciens, ils n’y trouvèrent personne ne respirant.

Le seul point positif étant que cette atmosphère pesante faisait fuir également les tortionnaires y officiant, ils avaient quitté les lieux, sûrement pour la nuit.

— On se croirait dans une salle d’interrogatoire de l’Inquisition… dit Philippe. Je hais la torture.

— Pourtant, vous m’avez laissé m’en servir, rappela Mathias.

— Ce n’est pas pareil, même si je réprouve toujours son usage. Au moins, vous n’avez pas torturé d’innocents.

— Certes, mais quand bien même, comme vous, j’espère ne plus avoir à utiliser ce genre de méthode à l’avenir, même si je me doute qu’un tel espoir est bercé d’illusions.

— Continuons, je ne veux pas rester ici plus que nécessaire.

La lourde porte bardée d’acier qui fermait cet antre de la souffrance était verrouillée. En y plaquant son oreille, Mathias perçut le murmure d’une discussion, il identifia deux voix différentes, mais ils pouvaient être plus. Ils devaient la jouer en finesse et se désillusionnèrent de nouveau.

Philippe déverrouilla l’huis et actionna la clenche. La porte grinça, faisant immédiatement taire les voix. Un bruit de tabouret raclant le sol indiqua qu’ils se levaient.

— Je croyais qu’il n’y avait plus personne ! s’exclama un des gardes.

— À part ceux surveillant la prison en bas… fit remarquer un autre. Eh ! Alfus ! C’est toi ?

— Bordel ! Ils nous font une blague ou quoi ? Va voir !

— Eh ! Pourquoi moi ? T’as cas y aller toi ! Je ne rentre pas là-dedans, cette odeur me file la gerbe !

Un soupir de lassitude se fit entendre.

— Fillette…

Prudemment, un garde s’avança dans l’embrasure, sa baguette à la main, son regard balayant l’espace. Il fit quelques pas à l’intérieur, fronçant le nez sous l’agression de l’odeur fétide régnant en ce lieu.

— Personne… C’est bizarre… souffla-t-il.

Il perçut un bruit derrière lui, une sorte de gargarisme suivi du son d’un corps s’affalant. Il se retourna pour découvrir son collègue gisant, un couteau planté dans la gorge. Il n’eut pas le temps de crier qu’il fut stupéfixé par le comte d’Estremer.

Sans perdre de temps, ils cachèrent les corps dans les petites cellules, verrouillant celle du garde stupéfixé. Aucun des deux ne fit de commentaire sur la méthode choisie par l’autre pour mettre les sentinelles hors d’état de nuire.

L’étage au-dessus s’avéra être le rez-de-chaussée. Ils purent le passer sans encombre, ne comportant que deux hommes présents, somnolant dans un coin. Lorsqu’ils montèrent l’escalier faisant face à l’entrée principale, ils perçurent des éclats de rire, des discussions et divers autres bruits par la porte sur leur gauche. Naturellement, ils choisirent de passer par celle de droite, n’entendant aucun son derrière elle.

C’était l’accès aux dortoirs, où une quinzaine d’hommes se reposaient. Ne trouvant pas de voie permettant de continuer vers le haut du donjon, ils retournèrent dans l’escalier et s’approchèrent de la porte derrière laquelle du bruit se faisait entendre.

Mais ce fut des voix venant de l’entrée principale du donjon qui attirèrent leur attention. Ils reconnurent celle d’Hector Tiergill :

— En es-tu sûr ?

— Oui, monsieur, c’était il y a quelques minutes à peine, répondit l’individu qui l’accompagnait. Je suis venu aussitôt vous l’annoncer pour que le Maître soit au courant au plus vite.

— Alors, c’est fait, ils ont voté et vont bientôt procéder à l’enchantement massif.

— Cette nuit même.

— Bien, je vais en informer le Maître.

— Inutile, lança Taran en entrant, sa silhouette se découpant dans le rayon de lune qui pénétrait par l’entrée. J’ai tout entendu.

— Quand voulez-vous que nous attaquions le Ministère, Maître ? questionna Tiergill.

— Pas tout de suite, nous avons le temps maintenant. Et puis, comme je te l’ai dit : j’attends de la visite. À vrai dire, je pensais sottement qu’ils viendraient eux-mêmes, mais il faut croire qu’à force de rester dans l’ombre à observer, ils n’osent plus en sortir et préfèrent envoyer d’autres au combat. N’est-ce pas ?

Seul le silence lui répondit, Tiergill ne sachant pas s’il s’adressait à lui ou pas.

— Pardonnez-moi, Maître, est-ce à moi que vous parlez ? osa-t-il demander.

— Non, mon fidèle Hector, je parle à ceux qui se sont infiltrés dans notre forteresse, qui se pensent encore cachés et qui nous écoutent en ce moment même. Je parle du comte d’Estremer et de Mathias Corvus.

Aussitôt, surgissant de nulle part, un éclair vert rugit, fonçant vers Taran. Ce dernier leva sa baguette, générant sans effort un bouclier. Lorsque le maléfice s’estompa, dévoilant aux yeux de tous Mathias, Taran tendit sa baguette dans sa direction, le saisissant magiquement, et le projeta à l’extérieur du donjon. Il fit de même avec Philippe, alors que celui-ci était encore désillusionné.

Les deux hommes se relevèrent, dégainant leurs épées. À l’entrée du donjon, Taran se dressait, Tiergill à ses côtés. Ses hommes de main, alertés par le fracas, sortirent et vinrent les encercler. Ils allaient se jeter sur eux pour une mise à mort quand d’un geste de la main, leur chef leur intima d’attendre.

— Que le dernier des Corvus soit là ne me surprend pas, dit-il, mais vous, Philippe d’Estremer, je pensais que mon message était clair.

— Quel honneur me serait-il resté si j’avais décidé de rester en retrait ? fit Philippe. De plus, vous avez tué ma mère et un ami cher, je ne peux passer outre.

— Et quel honneur y a-t-il à se terrer comme des lapins ? Car c’est ça qui attend les nôtres avec le Secret Magique. Alors que nous devrions être des dieux pour ce monde ! Je nous mettrais à notre juste place !

— Toujours la même rengaine… bâilla Mathias. Combien de fois vais-je l’entendre ? Inutile de débattre, nous sommes là pour nous battre.

— Ne voulez-vous pas sauver vos neveux ?

— Ce sera plus simple de les chercher une fois ce combat terminé.

— Oh ! Encore faut-il que vous gagniez. Et surtout, il faudrait qu’ils acceptent que vous les « sauviez ».

— Ils n’attendent sûrement que ça ! s’écria Philippe.

— Et si nous leur demandions… conclut Taran.

Le druide appuya sa dernière parole en se retournant pour inviter des personnes restées derrière lui à venir. Plusieurs silhouettes de différentes tailles se détachèrent dans la pénombre, trois garçons et deux filles, de huit à quinze ans. Mathias les reconnut aussitôt comme ses neveux et nièces. Il remarqua immédiatement qu’ils avaient leurs baguettes à la main.

— Oscar ! appela-t-il, s’adressant au plus âgé. Oscar ! Vous allez bien, tous ?

L’adolescent ne répondit pas tout de suite, tournant son visage vers Taran comme pour lui demander la permission de répondre, mouvement auquel le druide répondit par un hochement de tête affirmatif.

— Nous allons bien, mon oncle, répondit Oscar, Maître Taran s’occupe bien de nous.

— Comment l’as-tu appelé ? fit Mathias, interloqué. Il n’est pas ton maître, tu es un Corvus.

— Le Maître nous a montré la vérité, nous devons embrasser sa cause pour le bien des nôtres, des Sorciers et de la Magie. Et s’il faut vous combattre pour atteindre ce but, je n’hésiterais pas. Nous sommes prêts à donner nos vies pour lui.

Mathias n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, et pourtant, il ne pouvait que constater : Taran leur avait lavé le cerveau.

— Êtes-vous conscients que cet homme a tué vos parents ?

— Notre famille se fourvoie depuis des siècles, répondit Oscar. Nous avons voulu traiter les Moldus comme nos égaux, alors qu’ils nous sont inférieurs sur tous les points. Nous avons la Magie, nous avons le pouvoir, il est juste de nous en servir.

Mathias était abasourdi, ce que disait son neveu était le contraire de la philosophie de son clan. Il ne pouvait y croire.

— Mathias, ne l’écoutez pas, pria Philippe, je suis sûr qu’ils sont sous Imperium.

— Non, contredit Taran, ce n’est pas mon genre d’user de cette méthode, ils sont de mon côté maintenant.

— Il a raison, confirma Mathias. Je sais que vous le sentez aussi, ils ne sont sous le joug d’aucun sort. Du moins, actuellement… Qui sait ce qu’il leur a fait subir avant ?

— Tu as mis du temps à venir les chercher, trop occuper à séduire la jeune femme qui occupait une de mes geôles jusqu’à cette nuit.

— Une fois que je t’aurais tué, je les ramènerais au Bois aux Corbeaux.

À ces mots, Oscar et les autres enfants Corvus vinrent se mettre entre leur oncle et leur maître. Le cercle des sbires de Taran se resserra.

— Oseras-tu combattre et blesser les tiens ? interrogea le druide.

— S’il le faut…

— Eh bien moi, je ne te laisserai pas leur faire de mal. Phéléas, rends-lui les souffrances qu’il t’a fait subir.

— Plutôt deux fois qu’une, Maître ! lança avec hargne Phéléas Lenier depuis le cercle des hommes de main.

Encore une fois, le cercle se réduisit, les épées et les baguettes se rapprochaient. Philippe et Mathias se mirent dos à dos, prêts à en découdre.

— C’est l’heure de vérité, mon ami, dit le comte.

— Puissions-nous voir l’aube se lever, nos lames écarlates et nos ennemis tombés, répondit le spadassin. Si je ne devais pas survivre, prends soin des miens.

— Alors, fais-moi la même promesse. Et survivons ensemble.

Phéléas Lenier fut le premier à lever sa baguette, imité par d’autres.

— Avada Kedavra ! incanta-t-il, accompagné par ses camarades.

— Protego ! répliqua Mathias en s’agenouillant, plantant sa baguette dans le sol.

Un dôme entoura les deux hommes, encaissant les multiples éclairs sous les yeux ébahis des mercenaires. Arrêter un maléfice de mort était déjà un exploit rare que peu de sorciers pouvaient se vanter de pouvoir réaliser, alors en arrêter plusieurs démontrait la puissance tapie au fond de leur adversaire ! Aussitôt la pluie de sorts terminée, Mathias se redressa, son pistolet à la main. Il fit feu sans attendre, touchant Phéléas à l’œil gauche, emportant la moitié de son crâne derrière lui.

La détonation eut pour effet de ressaisir les autres adversaires. Déjà, la rapière de Philippe s’entrechoqua avec plusieurs épées. La pointe du comte voltigea, lacérant une gorge et transperçant un cœur. D’un Repulso, il repoussa nombre d’ennemis venant de sa gauche et en stupéfixa un autre se jetant sur lui à sa droite. Puis, se fendant, il piqua un dernier à l’aine dont le sang gicla à gros bouillon.

Derrière lui, la broadsword de Mathias faisait des ravages. Le guerrier semblait posséder par un démon, n’attendant pas que ses adversaires viennent à lui, il avançait sur eux, fauchant avec sa lame les plus proches, lançant divers sorts sur ceux qui s’éloignaient ou restaient à distance.

En quelques secondes, il avait avancé de dix mètres, le chemin parcouru jonché de plusieurs cadavres et blessés gémissants.

— Ne lui laissez pas d’espace ! hurla Tiergill depuis le parvis du donjon. Servez-vous de votre nombre !

Les ennemis redoublèrent de pression, forçant le spadassin à reculer malgré l’intensité qu’il mettait dans chacun de ses gestes et la puissance de ses sorts. Il se retrouva bientôt de nouveau adossé à son compagnon.

À eux deux, ils avaient mis hors de combat une douzaine d’ennemis.

— J’ai besoin d’air… Prépare-toi à te baisser à mon signal, prévint Mathias.

Il ferma les yeux un instant pour concentrer ses forces.

— Maintenant ! Circum Repulso ! s’écria-t-il en levant sa baguette au-dessus de sa tête.

Une vague magique repoussa les assaillants à plusieurs mètres, la plupart trébuchant sur leurs céans. Mathias, profitant de l’occasion, en tua plusieurs à coup de sortilèges de mort, imité par Philippe de son côté.

Après cette démonstration, la vingtaine d’ennemis restants eut un mouvement de recul. Ils étaient les plus nombreux, mais ces deux hommes étaient impitoyables.

— Qu’un membre du clan Corvus ne démontre aucune pitié ne me surprend pas, surtout quand on connaît la nature de sa baguette, déclama Taran, mais je suis surpris, connaissant aussi votre réputation, que vous soyez si prompt à donner la mort, comte d’Estremer. Où sont donc la modération et le sens de la justice dont vous vous targuez ?

— Je les ai exilés hors de mon esprit le temps d’en finir avec vous, répliqua Philippe. Vous avez tué ma mère et mon ami d’enfance !

— Et cela ne vous a pas servi de leçon ? Combien d’êtres chers faudra-t-il que vous perdiez pour comprendre qu’il est inutile de vous mettre en travers de mon chemin ?

— M’écarter serait un déshonneur et une injure à leur mémoire !

— Soit… Vous avez donc choisi une voie qui vous mènera à votre mort et à celle de tous vos proches. Soyez assuré que votre épouse vous rejoindra dans la tombe.

À ces mots, la colère de Philippe explosa, il lança un Avada Kedavra sur le druide. Ce dernier le bloqua presque nonchalamment, levant simplement sa baguette. Le comte courut en direction du parvis, bousculant plusieurs hommes au passage.

Il montait les quelques marches quatre à quatre. Tiergill se mit sur son chemin, le sort qu’il lança n’atteignit pas le comte, dévié par un bouclier dressé par réflexe sans qu’il ne s’arrête. Ils n’étaient plus qu’à un mètre l’un de l’autre quand le lieutenant de Taran tenta d’envoyer un nouveau maléfice. Mais la pointe de la baguette de Philippe vint se poser sur son torse, il fut parcouru d’éclairs violets, provoquant des convulsions terribles. Lorsque Tiergill s’effondra, sa peau marquée de sillons noirs et fumants, les yeux flamboyants de haine de son tortionnaire ne lui accordèrent pas une seconde, ne lâchant pas Taran.

Philippe reprit sa montée, sans courir. Les enfants Corvus, Oscar en tête, s’interposèrent. Il ne s’arrêta pas et monta encore deux marches. Taran vint poser sa main sur l’épaule d’Oscar.

— Reculez, ordonna-t-il sur un ton paternel, je ne voudrais pas qu’il vous blesse.

— Mais Maître… balbutia le jeune garçon.

— Ça ira, Oscar, reculez.

Les enfants s’écartèrent et se mirent à l’écart. Taran ne se mit pas en garde, il demeura les bras ballants, attendant l’assaut de Philippe. Celui-ci ne se fit pas attendre.

— Diffindo ! hurla-t-il.

Le sort n’atteignit pas sa cible, le druide le dévia sans effort, puis pointa sa baguette sur le comte, le figeant sur place.

— Ne voyez-vous pas la différence entre nous ? fit Taran.

Il dut relâcher son étreinte et produire son épée pour bloquer au dernier moment une attaque surgissant de nulle part. Mathias avait frappé de tout son poids avec sa broadsword, le forçant à reculer.

— C’est moi ton adversaire ! rugit Mathias.

— Oh… Rassure-toi, je m’occuperai de vous deux. Mais si tu tiens à être le premier à mourir…

— Mathias… dit Philippe, tombé à genoux, le souffle court.

— Récupère, Philippe, je m’occupe de lui.

— Je crois qu’il n’aura pas le temps pour ça, ajouta Taran.

En effet, les hommes de main de Taran se rapprochaient, ils avaient déjà pris pied sur les premières marches.

— Tu vas devoir choisir : me combattre et laisser ton ami contre vingt de mes fidèles, ou l’aider.

— Tue-le, Mathias, dit le comte en se relevant, faisant face aux mercenaires.

Philippe fit face aux mercenaires, tenant fermement sa rapière et sa baguette.

— Incendio ! lança-t-il, générant une langue de feu qui vint lécher les marches juste devant les hommes les plus proches.

Les ennemis reculèrent par réflexe, deux s’effondrèrent quand l’épée du comte les toucha à la gorge dans un même mouvement, passant à travers le mur de flammes. Il sauta le brasier, piquant un autre adversaire en plein cœur.

— Repulso ! cria-t-il, repoussant plusieurs hommes à sa gauche. Avada Kedavra ! enchaîna-t-il, en tuant un à sa droite.

Un maléfice cuisant le força à lâcher son épée en le brûlant, il contre-attaqua avec un sort de découpe qui trancha le bras de son agresseur.

La sueur lui coulait dans le dos, mais le combat était loin d’être fini…

 

Au sommet des marches, Mathias faisait toujours face à Taran. À quelques mètres d’eux, Bran se posa sur le garde-corps, il croassa et le combat s’engagea.

Les chocs métal contre métal résonnaient, les éclairs volaient, verts, violets et rouges. Le visage du spadassin était fermé, celui du druide plus détendu.

— Je reconnais que tu es un guerrier valeureux, dit Taran entre deux assauts, mais comme ton ami : la différence entre nous est trop grande.

Mathias ne répondit pas, il lança un éclair aux pieds de son adversaire, produisant un nuage, et frappa au travers de sa broadsword. Celle-ci était tachée de sang quand il la ramena à lui. Lorsque la poussière retomba, il découvrit le visage furibond de son ennemi, la joue profondément entaillée.

Cela faisait des siècles qu’il n’avait pas été blessé. Comment un jeune combattant pouvait-il y être parvenu ? Lui qui jouissait d’une si longue expérience.

Mathias voulut tout de suite enchaîner, mais il se figea en plein mouvement. Apparu d’un coup devant sa lame, Oscar le regardait apeurer, ne comprenant pas comment il était arrivé là. Taran en profita pour lui planter son épée dans l’abdomen en frôlant le corps du jeune garçon. Il repoussa Oscar de l’épaule pour s’approcher de Mathias.

— Au moins, certains Corvus me sont utiles, dit-il. Croyais-tu que cette estafilade soit un signe que tu pouvais gagner ?

— Non… soupira Mathias. Tout comme toi tu savais que je n’aurais jamais fait de mal à un innocent. C’est pour ça que tu t’es servi d’Oscar comme bouclier.

— En effet.

— Et si je n’avais pas arrêté mon bras ? L’aurais-tu regretté ?

— Un Corvus en moins à mon service, quand on connaît la force latente de votre clan, forcément qu’il m’aurait manqué : j’ai une guerre à mener bientôt. Mais peu t’importe, tu ne la verras pas.

— Ils ne sont donc que des pions pour toi…

D’un geste de sa baguette, Taran envoya valdinguer son adversaire dans la cour où il resta au sol. La dernière chose que vit Mathias avant de perdre conscience fut quelques mercenaires s’approchant de lui, menaçants.


[1] Peuple appartenant aux Six-Nations iroquoises, mis en scène, entre autres, dans le jeu Assassin’s Creed 3 ou le chef d’œuvre du cinéma « Le dernier des Mohicans ».

[2] Langue de l’Afrique subsaharienne. Pour l’entendre, je vous conseille l’excellent film « Hatari ».

[3] Je n’invente rien, ces engins de torture ont réellement existé. On en trouve des photos (venant de musée, sans gens suppliciés dessus, heureusement) et des descriptions de leurs fonctionnements sur internet (avec des gravures d’époque), si vous voulez vous documenter…


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