Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 13 : Des balles, des boules, débiles

5035 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/03/2022 02:12

13. Des balles, des boules, débiles...


La vie reprit son cours à Lettockar avec la rentrée de janvier. Avec toutefois un petit changement dans le quotidien des première année de Dragondebronze : depuis que tout le monde était au courant qu’elle était excellente violoniste, Martoni avait acquis une certaine notoriété au sein de leur maison, qui lui valait d’être abordée de temps en temps par des élèves de tous âges. Notoriété qui s’était accrue quand les gens avaient découvert une autre particularité chez elle…


- Alors ton père est un sorcier, toi ?


Aujourd’hui, Martoni était entourée d’une bande de curieux, qui, rassemblés nonchalamment dans les canapés de la salle commune, s’intéressaient à ses origines inhabituelles pour une élève de Lettockar. Kelly savait déjà tout cela, mais elle ne voyait pas – en toute mauvaise foi - pourquoi on en faisait un fromage. Cependant, John et elle, qui passaient par là à ce moment précis, s’attardèrent pour l’écouter, un peu en retrait…


- Oui, je suis de sang mêlé, répondit Martoni à la fille de troisième année qui venait de poser la question. Il a toujours été prévu que je fasse mes études à Lettockar, ceci étant, ma mère est moldue, donc elle a tenu à ce que j’aille d’abord à l’école primaire. Mais même avant que mes parents se décident à me révéler que j’étais une sorcière, j’ai toujours senti que j’étais… spéciale. Que j’avais quelque chose de plus que mes copains moldus…


Elle se passa la main dans ses cheveux courts, d’un geste pompeux et cabotin. Bien évidemment, elle était gonflée d’importance d’avoir grandi dans un contexte différent de ses condisciples…


- Et ton daron, il fait quoi ? demanda Maria Talbec, qui participait au petit congrès.


- Vous savez que dans chaque Ministère de la Magie, il y a un sorcier qui est secrètement chargé des affaires de Lettockar ? Et bien en Italie, c’est mon père. Il n’y a que le Ministre de la Magie qui sache quel est son véritable rôle. Mon papa, c’est une sorte d’agent secret, quoi.


Elle se passa encore une fois la mains dans les cheveux, tandis que le petit groupe qui l’entourait affichaient des airs admiratifs. Les yeux ronds, Kelly secoua la tête de dépit. Elle sentait qu’elle en avait déjà marre d’entendre parler du père de Martoni.


- Avant que j’y entre, il m’a briefé sur la plupart des trucs à savoir sur Lettockar… poursuivit Martoni. Vous pensez, il a passé 7 ans au château, il en a exploré tous les recoins, et en plus, il a connu quasiment toute la clique des profs. Il m’a bien expliqué que ce serait difficile de percer à Lettockar… mais comme je le dis toujours, ça ne me fait pas peur, affirma-t-elle en levant le nez.


- Il t’a aussi prévenue que McGonnadie était raciste ? demanda un garçon avec un petit rire.


- Hum, non, il ne l’a jamais connu comme prof. Il m’a juste dit qu’il était exigeant et très rentre-dedans...


Soudain, Martoni se rendit compte que John et Kelly l’observaient. Elle se fendit d’un sourire roublard, puis ajouta à la cantonade avec une légèreté feinte :


- Après, je trouve ça utile de savoir transformer ses ennemis en singe, dans un duel…


Il y eut un silence. Maria Talbec, choquée, se mordit la lèvre inférieure, ce qui fit ressortir ses grandes dents. John et Kelly s’échangèrent un bref coup d’œil. Puis, Kelly croisa les bras et lança calmement à Martoni :


- Toi par contre, ça sert à rien de te transformer en rat des champs.


- Hein ? fit Martoni.


- Bah ouais, t’as déjà la tête qu’il faut ! On verrait pas la différence, acheva John.


Martoni ouvrit et referma la bouche à plusieurs reprises, à l’image d’un poisson. Les personnes présentes dans la salle commune hurlèrent d’un rire sonore. Verdâtre de colère, Martoni se leva d’un bond et s’en alla avec la démarche d’une princesse outragée. Tout sourire, Kelly et John se tapèrent dans la main, puis sortirent ensemble de la tour de Dragondebronze pour se rendre à leur cours de sortilèges. Celui-ci s’avéra mouvementé. Bien évidemment, Fistwick ne pouvait pas s’être contenté de simplement leur enseigner un maléfice qui collait les jambes...


- Bon, maintenant que vous êtes tous en état, vous allez faire la course ! déclara-t-il à toute la classe, dont chaque élève titubait et agitait les bras pour se maintenir tant bien que mal en équilibre.


- De… de quoi ? Faire la course ? hoqueta Huffö Gray.


- Parfaitement ! Le premier arrivé au bout de la ligne est dispensé de ses devoirs ; et le dernier arrivé devra les faire à sa place !


A ces mots, d’un mouvement de baguette théâtral, il traça une ligne rouge à l’autre bout de la salle de cours. Puis il sortit un fusil à pompes d’un tiroir et tira en l’air, forant un gros trou dans le plafond.


- Partez !


Affolés comme des lapins, les élèves de Dragondebronze se précipitèrent en désordre vers la ligne d’arrivée improvisée, en bondissant comme des kangourous. Stephen Borntobewaïld gagna la course, quoiqu’il se cogna violemment contre le tableau suite à son dernier saut mal calculé. Naomi n’échappa à la dernière place que parce que le malchanceux et maladroit Milosz Wavarum s’était écroulé à deux reprises. Ce fut donc à l’élève de Dragondebronze le plus en difficulté qu’incomba la sentence. Milosz était à deux doigts de fondre en larmes quand Naomi, compatissante, vint à son secours.


- Milosz, je t’aide à les faire, si tu veux, chuchota-t-elle.


- De quoi tu te mêles, Jane ? aboya Fistwick. Tu veux faire les devoirs pour vous trois ?


- Quoi ? Non ! gémit Naomi, apeurée.


- Alors tais-toi et cours plus vite !


En temps normal, Kelly aurait aussitôt poussé une gueulante contre Fistwick… mais elle s’abstint, à l’étonnement de John et Naomi. En fait, ces derniers temps, Kelly avait un peu la langue dans sa poche à l’égard des profs. Du moins était-ce l’impression qu’elle donnait de l’extérieur, car en fait, plutôt que la langue dans sa poche, elle avait l’esprit ailleurs…


Fistwick n’eut de toute manière pas besoin de Kelly pour se faire enguirlander. A la fin du cours, le professeur Doubledose débarqua en furie dans la salle de sortilèges et lui tomba dessus, fou de rage qu’il ait amené une arme à feu dans l’enceinte de Lettockar, ce que le directeur avait formellement interdit. Doubledose le houspilla un long moment, puis Fistwick tenta de se défendre d’une voix aiguë :


- Niger, c’est un malentendu ! Pour moi, ce vieux fusil n’est pas une arme, c’est un objet de collection. Il appartenait à mon con de père, je l’ai retrouvé dans mon grenier cet été. Je t’assure qu’il n’y avait aucun danger, je n’avais nullement l’intention de m’en servir sur un élève. Je n’ai menacé personne avec, ces chers enfants pourront témoigner…


- C’est vrai, monsieur le directeur, intervint prestement Martoni. Mr. Fistwick ne l’a pointé sur aucun d’entre nous...


Mais le directeur lui fit signe de se taire d’un geste de main agacé.


- C’est bon, machine. Et toi Fistule, tu oses te foutre de Niger Doubledose ? grogna-t-il, ses yeux lançant des éclairs. Si c’est pas pour t’en servir, pour quelle raison tu as apporté ce fusil ?


Fistwick hésita.


- C’est juste que j’ai remarqué que quand j’avais ça entre les mains, les gens m’obéissaient plus vite... expliqua-t-il faiblement.


Mais ce n’était pas du tout ce qu’il fallait répondre. Doubledose écarquilla les yeux, et sa colère redoubla.


- MAIS QUI M’A INFLIGÉ UN CON PAREIL ? hurla-t-il. SE FAIRE OBÉIR EN BRANDISSANT UN CALIBRE ! C’est aussi dégueulasse, aussi naze, aussi méprisable que d’utiliser le sortilège de l’Imperium !


- Oh, l’Imperium, n’exagérons r…


- AUSSI MÉPRISABLE, TU M’ENTENDS ? le coupa Doubledose. Est-ce que c’est ça que je t’ai appris, Fistule ? Hein ?? Est-ce que c’est ça que je t’ai appris ?


Fistwick réagit à cette question par une expression penaude, semblable à celle d’un enfant ayant terriblement déçu ses parents. Kelly ne comprit pas ce qui lui prit de tenter d’argumenter une dernière fois :


- Certes non, mais tu m’as aussi appris à développer mon propre style d’enseignement…


Au vu de l’expression faciale que cette réponse causa à Doubledose, les Dragondebronze eurent la présence d’esprit de quitter les lieux au plus vite. Bien leur en prit. Car plus tard dans la journée, Fistwick fut aperçu dans les couloirs, avec les yeux humides et le canon de son fusil tordu et enroulé comme une écharpe métallique autour de son cou.


Au déjeuner, Kelly, John et Naomi allèrent s’asseoir près de Peter Shengen, à la table de Dragondebronze. Astrid Lisberg, sa copine, était assise sur ses genoux. Kelly avait l’impression de ne l’avoir jamais vue en dehors de la bibliothèque. Depuis, elle s’était refaite une teinture, à présent elle n’avait plus les cheveux violets, mais bleus. Naomi, encore marquée par le cours de sortilèges, posa soudainement une question à Peter et Astrid.


- Dites, les grands, c’est quoi, le sortilège de l’Imperium ?


La question était judicieuse : John et Kelly y pensaient également. Peter et Astrid baissèrent les yeux vers elle. Le préfet de Dragondebronze eut soudain le regard perçant, inquisiteur, et l’air grave.


- Comment tu as entendu parler de ce sortilège ? questionna-t-il à mi-voix.


- On a entendu Doubledose en parler quand il engueulait Fistwick au sujet de son fusil à pompes. Il avait l’air d’en parler comme le pire sortilège existant, expliqua Kelly.


- Je vois… et bien… il existe trois sortilèges qu’on appelle les Sortilèges Impardonnables. Tellement horribles que l’utilisation de l’un d’eux sur un être humain est passible d’une peine de prison. D’abord, il y a le sortilège Doloris, qui provoque une douleur extrême, pire que tout ce qu’on peut imaginer. Ensuite, le sortilège de l’Imperium, qui exerce un contrôle total sur celui qui le subit : on est forcé d’obéir à la volonté de son lanceur. Et pour finir... Avada Kedavra, le sortilège de la Mort.


Kelly sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Rien que l’évocation de ces Sortilèges Impardonnable l’intimidait. Naomi parut presque en regretter sa question. Peter remarqua leur air troublé, et marmonna en hochant la tête :


- C’est de la magie noire, très très noire…


- Présent ! intervint John en levant la main.


- Idiot, va, dit Peter avec un sourire. Normalement, vous auriez dû étudier ça en troisième ou quatrième année, mais puisque vous avez posé la question…


- Et pourquoi le professeur Doubledose déteste l’Imperium en particulier ? demanda Naomi. Je veux dire, les deux autres sont tout aussi horribles, donc pourquoi il a l’air de le rejeter encore plus ?


- Doubledose considère qu’il n’y a rien de plus indigne que de prendre le contrôle de l’esprit de quelqu’un, répondit Astrid d’un ton académique. Pour lui, violer le libre-arbitre, « la chose la plus sacrée que la nature nous ait donné », c’est pire que de tuer ou de torturer. Chacun doit être libre de choisir ses actes et son destin, quels qu’ils soient, et personne n’a le droit de se mettre en travers.


- Comment vous savez tout ça ? demanda John, passionné.


Les traits de Peter se tendirent ostensiblement. Astrid grimaça, elle aussi. Apparemment, ils partageaient tous les deux une pensée, ou un souvenir très désagréable. Kelly sentit une pointe de malaise en elle. Après un silence, Peter soupira et répondit :


- Il nous l’a enseigné à la suite d’une affaire glauque, totalement sordide, qui a eu lieu à l’école. Tu te souviens, chérie ?


- Comment l’oublier ? dit Astrid d’un ton lugubre. C’était quand on était en troisième année, ajouta-t-elle à l’intention de Kelly, John et Naomi. Durant facilement deux trimestres, il y a eu toute une série de délits à l’école. Des vols d’objets précieux surtout, mais aussi des actes de vandalisme, des maléfices lancés sur les élèves… les coupables se faisaient pincer, parfois. Ce qui était étrange, c’est que c’étaient toujours des élèves très jeunes. Et à chaque fois, ils répondaient tous la même chose à leur interrogatoire : ils ne se rappelaient absolument pas avoir commis ces méfaits, ils n’avaient jamais projeté quoi que ce soit avant que ça n’arrive… et quelques instants après que l’incident se soit produit, ils avaient tous l’impression de se réveiller d’un sommeil profond.


- Au bout d’un moment, les profs ont fini par se dire que ça ne pouvait pas être un hasard, raconta Peter. Les récits étaient trop ressemblants pour que ça soit systématiquement des mensonges. Une enquête a été menée, et alors, on a découvert que Vido Blaus, un élève de sixième année, avait soumis tous ces gens au sortilège de l’Imperium pour se constituer tout un petit gang et commettre ces forfaits à sa place.


Kelly, John et Naomi eurent simultanément la même expression horrifiée. Ils eurent la vision d’un adolescent au visage hideux, ricanant devant une équipe de sorciers débutants au regard vide se dispersant dans le château pour y accomplir larcins et nuisances. Ils en avaient le cœur soulevé. Les mains d’Astrid, qui tenaient celles de Peter, se resserrèrent au point que celui-ci fit une grimace de douleur.


- Je me souviens de lui, il était à Ornithoryx et c’était un vrai connard… marmonna-t-elle. Bref, il a été arrêté. J’ai vu Doubledose le traîner dans son bureau en le faisant léviter la tête en bas. Ils y sont restés une journée entière, et quand Blaus en est sorti, il avait l’air d’un lobotomisé. Doubledose n’avait jamais été aussi furieux. A côté, tous les beuglements que vous avez entendu sont des politesses. Blaus avait commis le pire… envoyer des petits jeunes au casse-pipe à l’aide de l’Imperium... bien sûr, il a aussitôt été renvoyé de l’école. Les mains liées et les morceaux de sa baguette magique noués autour de son cou avec une ficelle, comme un collier de nouilles. Doubledose n’a même pas rappelé le Tragicobus pour le déposer chez lui : il l’a fait sortir du domaine de Lettockar à coups de pieds au cul et l’a lâché dans la nature. Il méritait de se démerder tout seul pour rentrer.


- Et pour bien faire passer le message à tout le monde, Doubledose a réuni l’ensemble de l’école dans la Cantina Grande, poursuivit Peter. Et il nous a fait faire à tous une dissert’ sur le sujet : « Pourquoi le sortilège de l’Imperium est-il fait pour les ordures et les lâches, et qu’un véritable grand sorcier convainc les gens de le suivre et de faire ce qu’il dit par son charisme et sa puissance, et non par des maléfices qui piétinent le libre-arbitre de l’être humain ? »


Kelly resta muette une seconde, puis lâcha un rire incrédule. Un rire qui lui fit du bien après une histoire aussi sombre.


- Il voulait pas rajouter « et quelle est la racine carrée de l’âge du capitaine », aussi ? commenta John avec un sourire nonchalant.


Naomi, en revanche, s’était attardée sur tout autre chose.


- Mais… la réponse est entièrement contenue dans la question ! s’exclama-t-elle, presque scandalisée.


- Ouais, donc tu imagines devoir argumenter pendant deux rouleaux de parchemins là-dessus ? soupira Astrid.


La semaine suivante, la neige était revenue à Lettockar, encore plus abondante. Toutes les entrées du château étaient bloquées et les chemins de la cour impraticables. Le paysage immaculé aurait pu enthousiasmer les première année, si Viagrid et le professeur McGonnadie n’étaient pas venus leur annoncer qu’ils avaient ordre de pelleter la neige.


- Allez, dépêchez-vous de vous équiper ! aboya Viagrid à la cohorte des première année qui s’indignaient à voix haute. On a tout un stock de pelles dans la réserve au premier sous-sol, ajouta-t-il en brandissant la sienne, qui avait la taille d’un réverbère.


- De pelles ? s’écria Kelly. Parce qu’on va le faire à la main ?


- Mais… y’a pas de sortilège qui permet de pelleter la neige ? demanda quelqu’un.


- Bien sûr qu’il y en a un, mais c’est bien que vous vous débrouilliez sans magie de temps à autres, ça vous permet de vous rappeler à quel point c’est difficile pour les Moldus, répondit McGonnadie. Il ne faut jamais perdre de vue d’où on vient !


Les grimaces et les exclamations aussi réticentes qu’exaspérées redoublèrent, ce qui eut pour don d’énerver profondément McGonnadie.


- Arrêtez de faire cette tête, grinça-t-il, on vous envoie pas dans les champs de canne à sucre non plus, demandez à John !


- Mais vous vivez à quelle époque, vous ? s’écria le concerné. Vous êtes au courant que les esclaves dans les champs, ça existe plus depuis longtemps ?


- C’est bon, je blague ! répliqua McGonnadie. Et puis, « depuis longtemps », rappelle-moi, c’est quand que les sud-africains ont ENFIN renversé l’Apartheid ? Il était grand temps, quand même ! renchérit-il en levant les yeux au ciel.


- Eh, c’est pas les Écossais qui sont pas foutus d’avoir leur indépendance au bout de j’sais pas combien de siècles ? mugit John. C’est bien joli d’avoir les couilles à l’air sous un kilt si c’est pour jamais s’en servir !


Une chape de silence parut s’abattre sur tout le château de Lettockar. Tandis que McGonnadie rabaissait lentement ses yeux en direction de John, tous les écoliers présents se pétrifièrent, les yeux également rivés sur lui, et les traits distendus par des expressions stupéfaites voire terrifiées. Viagrid, quant à lui, regardait alternativement John et sa flasque de whisky avec les sourcils foncés. Le garçon se passa nerveusement la langue sur les lèvres, et une goutte de sueur perla sur son front. Tout comme Kelly, Naomi, et tout le monde d’ailleurs, il se trouvait dans l’attente fébrile de l’inéluctable explosion de courroux du professeur.


Mais alors, McGonnadie éclata de rire. L’ambiance passa alors en une fraction de seconde de la mortification à la perplexité. Sous la surprise, John eut même un mouvement de recul. Puis, McGonnadie cessa de rire et s’essuya les yeux.


- Pas mal, j’aime bien, commenta-t-il en souriant. 5 points pour toi. Allez, au travail, les mouflets !


Et, dans une grande virevolte de son manteau, il pivota sur ses talons et partit en sifflant un air qui ressemblait à Johnny I hardly knew ya. Viagrid le suivit des yeux, puis haussa les épaules et but une rasade de whisky. Le silence régnait toujours sur la foule abasourdie. Alors, John se tourna vers Kelly et lui dit avec flegme :


- Sans vouloir t’offenser, Kelly.


- Pas de problème… répondit-elle d’une voix absente, encore médusée.


- Bon, vous avez entendu le professeur McGonnadie ? brailla Viagrid. Allez chercher des pelles et au turbin, bande de gnomes glaireux !


Après un grand soupir, les première année se résignèrent à se rendre dans une salle malodorante du premier sous-sol et à y prendre chacun une pelle rouillée. Ils remontèrent dans le hall rejoindre Viagrid, lequel eut un sourire aussi satisfait que narquois, et ouvrit la grande porte d’entrée d’un coup de pied. L’air froid et sec du dehors vint aussitôt emplir le hall. Les première année sortirent bien en rang, pelle à l’épaule, comme un petit régiment. Tout à coup, Augustus Sombresuif, un élève de toute petite taille à Becdeperroquet, se mit à chantonner d’un ton sardonique :


- Hey ho, hey ho, on s’en va au boulot !


Il y eut une vague de rires, rapidement dissipée au moment où Viagrid fendit l’air de sa pelle et essaya de donner un grand revers à Augustus, qui ne l’esquiva que de justesse.


- Mais ça va pas, vous êtes dingue ? s’écria Augustus.


- Je déteste cette chanson ! maugréa le garde-chasse. Ouvrez les écoutilles, j’vais vous en apprendre une bien mieux.


Il se racla la gorge, inspira avec force et entonna à gorge déployée lorsqu’il reprit sa marche lourdaude :


Les filles de Pré-au-Lard se disent toutes vierges,

Mais quand elle viennent à Poudlard,

Elles préfèrent toucher des dards,

Qu’un cierge, qu’un cierge, qu’un cie-e-erge !


Au bout de quelques mètres à peine, les première année eurent une intuition spectaculairement unanime : ils se stoppèrent tous en même temps, et Viagrid continua de marcher tout seul tout en chantant, sans s’apercevoir que plus personne ne le suivait.


Le Ministre de la Magie vient d’s’acheter un Sombral,

Un Sombral d’la Côte d’Azur,

Pour baiser toutes les Sang-Purs

De Galles, de Galles, de Ga-a-lleuh !


Les élèves se dispersèrent. Naomi s’en alla avec d’autres déneiger la grande statue au centre de la cour, qui représentait Yao Tien-Mû, la directrice qui détenait le record de longévité à la tête de Lettockar (74 ans, de 1444 à 1518). Kelly et John, quant à eux, se rendirent sur le flanc gauche du château, juste en-dessous de la tour d’astronomie, en compagnie notamment – pour leur plus grand déplaisir – de Martoni. A proximité, Grog était occupé à dessiner des phallus animés dans la neige avec sa baguette magique ; et au loin, on entendait toujours la voix éraillée de Viagrid. Au bout d’un certain temps, Kelly incita John à s’éloigner du reste des élèves (sous prétexte de couvrir plus de terrain pour le pelletage), pour lui parler.


- Dis, John… chuchota-t-elle. J’arrête pas de penser au Vif d’or…


- Encore ? Kelly, faut passer à autre chose, maintenant… je sais, c’est dur qu’on ait échoué, mais vu que c’est acté…


- C’est pas ça. Ce sont les catacombes du château qui m’intriguent… la magique chaotique dont Mimi nous a parlé… et cette espèce de trou bizarre sur le sol… j’ai vraiment l’impression que c’est par là que le Vif d’or est arrivé à Lettockar.


- Oui, c’est sûrement le cas, mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? On pourra jamais le récupérer, ça m’étonnerait franchement qu’il revienne ici un jour.


- Lui, non, c’est sûr… mais peut-être que…


Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase ; car à ce moment, elle fut frappée à la tempe par une grosse boule de neige. Elle poussa un cri. Quelques secondes plus tard, John en reçut une en plein sur le nez. Ils se retournèrent en même temps, outrés. Un peu plus loin, Martoni leur tournait beaucoup trop ostensiblement le dos pour que ça soit naturel. De plus, Kelly aperçut que dans la main qui tenait sa pelle, elle tenait aussi sa baguette magique qu’elle tentait vaguement de dissimuler.


- Tu crois qu’on t’a pas calculée, Martoni ? lui cria-t-elle d’une voix grondante.


Martoni se retourna très lentement, écarquilla les yeux et posa une main sur son cœur d’un geste ampoulé, faisant comme si elle était choquée de cette accusation. Son manège ne dura que quelques secondes, car à ses pieds, une autre boule se dessina dans la poudreuse. Elle s’envola, et après un unique tournoiement autour de Martoni – dont le visage se tordait d’un rictus – se propulsa vers Kelly avec la force d’une balle de tennis frappée à pleine puissance. Kelly la dévia de justesse avec sa propre pelle ; furibonde, elle voulut se ruer sur Martoni, mais John la retint par l’épaule. Il lui dit du coin des lèvres :


- Laisse-moi faire.


Kelly entendit alors un petit bruit mélodieux. Elle baissa les yeux : la baguette magique de John était pointée vers le sol, et scintillait à son extrémité. Son ami murmura une parole inaudible, et dans la seconde qui suivit, le tas de neige à ses pieds projeta une grosse boule qui fila pulvériser le ventre de Martoni, qui se plia en deux. John éclata de rire et railla leur exécrable condisciple.


- Et ouais, moi aussi je le connais, ce sort ! C’est Peter qui me l’a appris !


Ne laissant surtout pas le temps à Martoni d’assimiler l’information, il remua sa baguette magique et lui envoya deux autres balles glacées, qu’elle se prit en pleine face. Elle rugit entre ses dents, le teint aussi rouge que Kelly dans ses plus effroyables instants de colère. Laissant tomber sa pelle, elle fouetta l’air de sa baguette, et un duel de boules de neige aussi féroce qu’incongru s’engagea. Kelly s’abrita derrière John et scruta le déroutant spectacle. Cet enchantement, qui était une sorte de variation du Wingardium Leviosa, n’affectait que les boules de neige. A présent, les sphères immaculées voletaient en permanence en vrombissant autour des jeunes sorciers qui se bombardaient mutuellement. Kelly était un peu jalouse que Peter l’ait appris à John et pas à elle, mais voir Martoni encaisser un retour de bâton la faisait jubiler. Mais au bout d’une vingtaine de projectiles échangés, une des boules de neige de John rata une oreille proéminente de Martoni, poursuivit sa course... et s’écrasa contre la tête de Grog. Le professeur de potions poussa un cri, secoua sa crinière noire et darda des yeux fous de rage sur les trois Dragondebronze ruisselants et couverts de givre.


- Oh merde, en plus y’avait un gros glaçon à l’intérieur de celle-là... glapit John d’une voix tremblante.


Kelly lâcha un gémissement lorsque Grog déboula toute griffes dehors. D’un coup de baguette magique, il fit exploser toutes les boules de neige flottantes et interrogea d’un ton impérieux :


- Qui a fait ça ? Qui m’a jeté une burne de neige sur la gueule ?


- C’est Ebay ! caqueta Martoni d’une voix faussement scandalisée.


- C’est vrai, ça, Ebay ? grogna Grog.


- Ben, euh… oui, mais...


- Pourriture, va ! s’écria Kelly à l’adresse de Martoni.


- Ta gueule Powder, 10 points de moins pour la vulgarité ! cracha Grog. Et 10 autres points pour avoir insulté ton honnête camarade ! Quant à toi, Ebay...


Grog leva la tête en direction de la tour d’astronomie, mit ses mains en porte-voix et cria à pleins poumons :


- Nosfylna !


Le professeur Morgana apparut à la fenêtre, vêtue d’un épais manteau de fourrure blanche et d’une chapka pelucheuse.


- Bonjour mes lapins ! claironna-t-elle. Suppurus, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?


- Nosfylna, soleil de mes jours, est-ce que tu peux m’envoyer du bois ? Pour me remercier d’avoir réparé ta moto, roucoula Grog.


Morgana le dévisagea un bref instant d’un regard circonspect, secoua la tête, puis pivota sur ses talons et disparut à l’intérieur du bâtiment. John regarda tour à tour avec méfiance la fenêtre de la tour et le maître des potions.


- C’est qui Dubois ? Un préfet ? Votre chien ? Votre ex ? demanda-t-il fielleusement à Grog.


- Ah non, j’vais juste te donner un coup de bâton.


A cet instant, le professeur Morgana reparut et lui lança un long morceau de bois à travers la fenêtre ; Grog l’attrapa au vol et donna un gros coup sur la tête de John.


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