Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 14 : Carte de toux

4414 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/03/2022 13:31

14. Carte de toux


- Et ça ? Contrôle du chaos : étude des magies inclassables, par Gabriella Navarro. Tu crois que ça pourrait correspondre à ce qu’on cherche, Naomi ? demanda Kelly.


Kelly, John et Naomi avaient fini par reparler de l’étrange petit tourbillon des catacombes du château. Il y étaient retournés une fois, et étaient arrivés à la conclusion que ce trou lumineux devait être une sorte de passage entre Lettockar et – probablement - un coin du domaine de Poudlard. Mais comment fonctionnait-il ? La magie qui imprégnait les catacombes était extrêmement mystérieuse, et ils n’étaient pas près de l’étudier en cours. Ils s’étaient donc décidés à en apprendre un peu plus par eux-même sur les sous-sols de Lettockar. Naomi, laissant éclater son amour des livres, avait convaincu John et Kelly qu’ils trouveraient peut-être à la bibliothèque un document qui traitait de la magie chaotique. Ce jour-là, ils consultaient les registres très confus à la recherche d’un titre qui l’évoquait d’une manière ou d’une autre.


- Ça pourrait nous êtres utile, en effet... reconnut Naomi. De toute façon, pour le moment, c’est la seule piste qu’on a. Il date de quand, cet ouvrage ?


- 1381... eh mais, c’est indiqué sur quelle étagère il se trouve, en plus ! L’avant-avant dernière… on a vraiment du bol...


- Fais voir la notice ? quémanda Naomi. Ah mince, c’est un ouvrage classé PTb...


- PTb ? répéta John.


- « Pas Touche, blaireau ».


- Mais qu’est-ce que ça veut dire ?


- Qu’on ne peut pas le prendre comme ça, expliqua Naomi. Il faut demander une autorisation au bibliothécaire rien que pour le retirer des étagères.


Pour une fois, le professeur Pourrave était à son poste de bibliothécaire, ou en tout cas faisait-il acte de présence derrière le bureau.


- Et alors, on s’en branle ! répliqua John. Ça ne se verra pas si on le prend sans autorisation, personne ne vérifie jamais rien.


- Mais euh… c’est totalement interdit ! couina Naomi, anxieuse. Et c’est sévèrement puni… Astrid m’a dit que...


- Tu vas quand même pas te dégonfler pour ça, Mimi ? coupa sèchement Kelly.


Naomi finit par se laisser convaincre, sans toutefois manifester aucun enthousiasme. Les trois amis se dirigèrent vers le fin fond de la bibliothèque. Kelly vivait la même scène que lors de sa première excursion à cet endroit : les étagères garnies de livres de plus en plus vieux et usés qui défilaient à côté d’eux, le désordre qui s’amplifiait en même temps que le silence, la lumière qui se faisait de plus en plus faible… la seule nouveauté étant un graffiti sur un mur (« McGonnadie l’enculeur de aye-aye », accompagné d’une illustration animée). Ils étaient presque arrivés à l’antépénultième rayon quand tout à coup, ils virent une lumière percer entre les étagères et l’ombre d’un homme de grande taille s’étendre sur le sol. Ils se figèrent sous la surprise. Le rayon n’était pas désert. Sans dire un mot, Naomi attrapa les bras de Kelly et John et tenta de les faire reculer ; agacée, Kelly lui donna une petite tape sur la main. Discrètement, ils jetèrent un œil dans le magasin : le professeur Doubledose se trouvait là. Debout face à l’étagère, il lisait à la lumière de sa baguette magique un livre, large pour une personne normale, mais qui dans son cas, tenait dans une seule main. John, Kelly et Naomi reculèrent aussitôt et se cachèrent derrière la rangée de livres précédente.


- Il tombe vraiment mal, celui-là… chuchota John.


- S’il nous surprend en train de consulter un livre interdit, on est foutus. Venez, on s’en va… dit précipitamment Naomi.


- On s’en va nulle part, décréta catégoriquement Kelly. On va prendre ce bouquin coûte que coûte, il suffit de...


- Non, non ! insista Naomi d’une voix aiguë. Il faut renoncer ! S’il nous attrape, il nous obligera à le manger !


- Meuh noooon, il fera pas ça, t’inquiète, assura John.


- Tu... tu crois ?


- Non, il va pas nous le faire manger, il va nous l’enfoncer dans le cul !


- Tu es d’un grand secours, John... grinça Kelly, pendant que Naomi se décomposait encore plus.


- Si on peut plus rigoler… bon, qu’est-ce qu’on fait, du coup ? Parce que si ça se trouve, Doubledose va rester là pendant des heures.


- Oui, on peut pas attendre qu’il parte… il faut l’occuper, marmonna Kelly d’une voix songeuse. L’un de nous doit détourner son attention pendant que les deux autres cherchent le bouquin.


- Pas con ! dit John avec enthousiasme. Qui s’en charge ?


Kelly lui adressa un sourire mielleux, que Naomi s’empressa d’imiter. De stupeur, John écarquilla comiquement les yeux. Il ouvrit la bouche pour protester, mais Naomi et Kelly le coupèrent :


- C’est pas moi qui ait eu l’idée, dit la première.


- Doubledose m’a dans le groin depuis l’histoire du tableau, j’ose pas aller lui parler, dit la deuxième.


- Pfff, vous me méritez pas, maugréa John.


Il expira intensément, puis passa de l’autre côté du rayon et s’aventura d’un pas mal assuré à la rencontre du directeur. Par chance, selon la notice, l’ouvrage intitulé Contrôle du chaos : étude des magies inclassables se trouvait à l’autre bout de cette allée. Kelly et Naomi s’avancèrent dans cette direction et passèrent la tête par-delà l’étagère. Loin devant, John s’approchait lentement de Doubledose, pas à pas, les mains dans les poches, l’air innocent. Arrivé juste à côté de lui, il se dressa sur la pointe des pieds pour essayer de voir ce qu’il était en train de lire. Doubledose finit par le remarquer : il fronça ses épais sourcils et referma son livre d’un coup sec sous le nez de John.


- Je peux savoir ce que tu fais, mon garçon ? lança-t-il d’un ton glacial.


- Je… je cherche un livre, monsieur le directeur, balbutia John d’une petite voix.


- M’en doute bien, crétin, sinon tu serais pas dans une bibliothèque, grogna Doubledose. Je te demande ce que tu fais dans mes guibolles au lieu de prendre ce livre ?


- Il est trop haut ! Je peux pas l’attraper. Et comme vous, vous êtes très grand...


- Dis donc, je suis ton directeur, pas ta bonniche ! Prends une échelle, je les ai faites réparer la semaine dernière.


- Euh... oui, mais, euh... j’ai peur de l’altitude, monsieur...


Kelly ressentit une profonde pitié pour son ami qui devait inventer des prétextes aussi misérables. Doubledose regardait John comme un ver de vase. Il soupira bruyamment.


- Heureusement qu’on est pas en guerre ! bougonna-t-il. Mais bon : il ne sera pas dit que Niger Doubledose a laissé un imbécile mariner dans son inculture !


- « Niger »… murmura Kelly à Naomi. Je me ferai jamais à ce blase.


- Je me demande si c’est son vrai prénom ? ajouta Naomi.


Puisque des échelles étaient à présent disponibles, elles s’emparèrent d’une non loin, puis risquèrent un nouveau regard dans le rayon où John occupait Doubledose. Il s’était débrouillé pour que le directeur tourne le dos aux deux filles. Elles s’armèrent de courage, s’approchèrent, érigèrent leur échelle le plus silencieusement possible contre l’étagère. Kelly grimpa tout en haut et commença à chercher le titre Contrôle du chaos sur les tranches des livres. C’était d’autant plus difficile qu’elle ne pouvait pas s’éclairer d’un Lumos de crainte d’être vue. Elle entendit Doubledose parler :


- Alors Ebay, c’est quel bouquin, que tu veux ?


- Je ne sais pas, monsieur le directeur.


- Tu cherches un bouquin, mais tu sais pas lequel ? ricana Doubledose. Tu serais pas un peu con, par hasard ?


- Euh... si, complètement, même ! C’est... un bouquin qu’on m’a conseillé, mais je me rappelle pas le titre, je sais juste qu’il est tout en haut de cette étagère, et que... il fait partie des plus gros, improvisa John.


Grossière erreur : les plus gros volumes se trouvaient pour la plupart dans la partie droite du rayon, là où se trouvaient Kelly et Naomi, qui prirent aussitôt peur. Doubledose faillit tourner la tête dans leur direction. John le stoppa juste à temps en glapissant :


- Non non non ! Pas par là !


- Hein ? Mais pourquoi ?


- Parce que ça me revient : il a une couverture rouge, expliqua John, qui réfléchissait très vite. Or de ce côté là, il n’y a que des livres avec des couvertures brunes !


- Ah ! Bon.


Et Doubledose commença à chercher de l’autre côté. Kelly lâcha un imperceptible soupir de soulagement. Elle parcourut des yeux aussi vite que possible les titres difficilement lisibles des vieux volumes. Elle reconnut au passage le Promptuaire de préparation de chaudeaux cabalistiques. Elle continua sa recherche, avec une nervosité croissante car le temps jouait contre elle... Monstruosités montagnardes : guide des créatures des cimes... Le druidisme expliqué aux personnes âgées... Contrôle du chaos : études des magies inclassables... La divination ostrogothe...


« Eh mais ?! » s’exclama Kelly dans sa tête.


Contrôle du chaos : études des magies inclassables !


- C’est bon, je l’ai trouvé ! mima Kelly du bout des lèvres à Naomi.


Elle s’empara de l’ouvrage et le fourra aussitôt dans sa sacoche. Elle descendit sur la pointe des pieds, et Naomi et elle ôtèrent leur échelle aussi discrètement que possible, puis se cachèrent de nouveau dans la rangée de derrière. A travers les interstices, elles espionnèrent John et Doubledose. Ce dernier venait tout juste de trouver un livre à la couverture rouge.


- C’est ça ? demanda-t-il à John. Les meilleures recettes aux coquillages magiques ?


- Hum... non, c’est pas ça !


- MAIS QUOI ALORS, PUTAIN ? rugit Doubledose, énervé.


John commençait à se liquéfier. Ses yeux se posèrent une fraction de seconde sur Naomi et Kelly, qui lui firent aussitôt signe qu’il n’avait plus besoin de jouer la comédie.


- Euh... eh bien, euh.... oh regardez, il est là ! Ça peut être que lui, c’est le seul autre avec une couverture rouge !


- Ah, exact ! C’est pas trop tôt, j’ai d’autres Matagots à fouetter, moi.


Alors que Doubledose levait la main vers le livre rouge, John regarda Kelly et Naomi. Elles levèrent le pouce, en réponse il s’épongea le front du bout de sa manche. Doubledose se retourna vers John, et lorsqu’il lui tendit le livre, il en lut le titre. Sa bouche s’entrouvrit et ses yeux se plissèrent sous l’effet de la surprise. Puis il marmonna d’un air incrédule :


- Les cent frasques d’Antigone la sorcière cochonne…


John rougit jusqu’aux oreilles. Doubledose posa les yeux sur lui et lui adressa un air profondément méprisant. Puis il lui fourra brutalement le livre dans les pattes.


- Pathétique, commenta-t-il.


- Nan mais en fait c’est pas pour moi, c’est pour un ami ! essaya désespérément John.


Mais Doubledose partit sans un regard en arrière, laissant John bredouiller en serrant misérablement le volume entre ses doigts. Lorsque le directeur fut suffisamment loin, Kelly et Naomi réapparurent. En voyant le regard consterné de John, Naomi eut l’élégance de changer de sujet :


- A votre avis, qu’est-ce qu’il cherchait, lui ? interrogea-t-elle.


- J’ai pas eu le temps de lire son truc, j’ai juste vu une gravure sur la page... expliqua John. C’était une sorte de coupe qui crachait du feu...


Ils haussèrent les épaules. Soudain, Naomi baissa les yeux. John tenait toujours entre ses mains Les cent frasques d’Antigone la sorcière cochonne. Elle se raidit sur place et prit un air pincé.


- Eh bien John, qu’est-ce que tu attends pour reposer ce livre obscène ? dit-elle d’un ton impérieux.


- Quoi ? hoqueta-t-il. Euh… oui ! Enfin… non ! Comment je fais, maintenant que Doubledose est parti ? C’est trop haut...


Naomi fusilla John du regard pour ce mensonge éhonté. Kelly se mordit la lèvre inférieure pour ne pas rire : pour sortir John de l’impasse, elle utilisa Wingardium Leviosa pour remettre Antigone la sorcière cochonne à sa place. Ensuite, ils quittèrent la bibliothèque : mieux valait lire Contrôle du chaos là où un professeur ne viendrait pas les surprendre. Ils se rendirent donc dans leur salle commune. Kelly sortit alors le livre tant convoité de son sac. Sa couverture en peau d’animal était légèrement craquelée. John et Naomi se resserrèrent près d’elle, le regard avide. Kelly ouvrit lentement et religieusement le volume multi-séculaire….


Alors, dans la seconde, les pages se mirent à gonfler entre ses mains. Par magie, le papier ondula, se gondola, les lignes partirent dans tous les sens. Petit à petit, les boursouflures prirent la forme du visage dur d’une femme qui portait un cache-œil. Les trois amis était paralysés par la stupeur. Le visage ouvrit grand la bouche et se mit... à tousser. Une toux bruyante, éraillée, dont les éructations résonnaient au fond du trou noir que formait la bouche béante de la femme en papier. Le livre soubresautait entre les mains de Kelly. Le vacarme leur attirait le regard intrigué de plusieurs personnes dans la salle commune. Kelly, paniquée, leva la main pour la plaquer contre la bouche… mais alors, celle-ci, au bout de quatre séries de toux, cracha un rouleau de parchemin, qui bondit dans les airs et tomba sur un tapis. Le visage se rétracta et le livre retrouva son apparence normale. Médusée, Kelly manqua de le laisser choir. Naomi alla ramasser le parchemin surgi des entrailles du manuscrit et le déroula. Elle l’examina, et ses yeux s’agrandirent.


- C’est un plan des catacombes, regardez ! souffla-t-elle.


Elle leur tendit le parchemin. John et Kelly y découvrirent effectivement un schéma tracé à la main représentant les catacombes vues du dessus, formant une espèce d’ovale informe. A différents endroits, de petits triangles représentaient les concentrations de stalactites et de stalagmites ; d’autres étaient tracés en couleur et devaient correspondre aux cristaux chatoyants qui parsemaient la zone. Et en plein centre de la carte, était dessinée bien en évidence… une spirale, à l’endroit exact où se trouvait le trou lumineux. Kelly étouffa une exclamation stupéfaite.


- C’est quoi, ces numéros ? murmura John.


Car à différents endroits des catacombes, des chiffres étaient apposés, le plus souvent près des murs, sans autre annotation. Kelly examina le parchemin sous toutes les coutures. Il n’y avait aucune autre écriture que ces énigmatiques numéros. Ce plan ne comportait aucune signature, aucune indication sur sa datation et sa provenance…


- Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, proclama Kelly.


Pouvaient-ils cependant se permettre de se rendre tout de suite dans les catacombes ? Ils avaient peut-être déjà l’air suspect… mais les quelques personnes qui avaient vu leur livre tousser et régurgiter un bout de parchemin n’en avaient apparemment pas fait grand cas : ils avaient tous repris leurs activités. Il n’y avait plus de raison d’hésiter...


Quelques instants plus tard, ils étaient descendus dans les entrailles du castel. Ils étaient moins intimidés, à présent. Tant qu’on ne perturbait pas les phénomènes étranges qui s’y déroulaient, on n’avait rien à craindre. Par pur réflexe, ils s’étaient approché de la spirale, pour voir si elle n’avait pas changé depuis la dernière fois – et c’était bien le cas. Le sol était lisse : les zébrures et les crevasses qui s’y étaient taillées lorsque John y avait plongé un objet s’étaient entièrement résorbés.


Tout à coup, une forme translucide surgit tout près d’eux. Naomi, John et Kelly poussèrent un cri. C’était Joe le Troué, le fantôme amnésique. Les trois adolescents s’immobilisèrent, effrayés, mais le spectre à l’apparence si bizarre passa devant eux sans même tourner la tête. Ils retinrent leur souffle et le suivirent des yeux. Ils crurent que Joe allait partir sans se rendre compte de leur présence, mais brusquement, il fit volte-face, fronça un sourcil et leur demanda d’une voix désincarnée :


- Que faites-vous là ?


- Oh, euh... rien, on est venus visiter, répondit évasivement John. On est déjà venu une fois ici, et on a trouvé ça euh... intéressant, donc on revient.


- Je vois... moi je suis venu quérir ici un peu de tranquillité, mais puisque que vous êtes là...


Kelly se souvint que Joe le Troué avait pour habitude d’errer dans les catacombes ; il était d’ailleurs le seul à le faire régulièrement. Actuellement, il affichait une expression de chien battu.


- Le professeur Fistwick s’est encore moqué de vous ? demanda Naomi, compatissante.


- Oui, confirma-t-il en serrant son jabot entre ses doigts, il m’a demandé si je ne portais qu’une seule chaussure parce que je ne me rappelais qu’à moitié que je puais des pieds...


Par respect pour lui, les trois amis se retinrent de rire. Soudain, le visage lunaire du fantôme enchaîna rapidement plusieurs expressions. Il eut d’abord un air surpris, comme s’il venait de redécouvrir la présence de trois adolescents ; puis il parut pris d’une immense peur ; et pour finir, il eut l’air absolument ravi.


- En tout cas, c’est gentil à vous d’être venus me dire bonjour ! se réjouit-il.


- Pardon ? fit Kelly.


- Vous ne m’avez pas dit bonjour ? dit Joe en perdant son sourire.


- Euh... si si ! mentit Naomi. C’est normal, on ne se rend pas dans les catacombes d’autrui sans saluer le propriétaire des lieux.


- Ça fait plaisir de rencontrer des jeunes bien élevés ! clama Joe avec ferveur. Il y a assez peu de personnes qui viennent ici, à part des jeunes qui viennent tirer leur coup ou fumer des joints ailleurs que dans les serres. Généralement ils ne pensent pas à me dire bonjour. J’ai été me plaindre au professeur Ezab, mais il m’a complètement ignoré.


- Le professeur Ezab ? C’est qui celui-là ? demanda John.


Joe pouffa de rire.


- Non mais, vous avez déjà oublié le nom de votre propre directeur ? Vous avez la mémoire courte, jeune homme ! lança-t-il en agitant un index moqueur.


- Joe, Muhammad Ezab est mort en 1942, soupira Naomi (Kelly se souvint que le professeur Jar Jar Binns avait évoqué cet homme durant un cours sur les sacrifices humains par la Loge Secrète des Magiciens Arabes).


- Ah bon ? Ça fait déjà quinze ans ? Ça par exemple !


Kelly réfléchit. Au début, elle avait pensé que la présence de Joe entraverait leur enquête, mais elle se disait à présent que finalement, il ne pourrait pas leur attirer d’ennuis. Dans cinq minutes, il aurait probablement oublié la question qui lui brûlait les lèvres...


- Joe, vous avez sans doute remarqué l’espèce de petit tourbillon lumineux, dans le sol, là-bas ?


- Bien sûr que je l’ai remarqué, je ne suis pas étourdi, quand même.


- Alors qu’est-ce que vous savez à son sujet ? renchérit Kelly, sentant l’espoir la gagner.


- Absolument rien. Par contre, un qui pourrait vous en dire beaucoup, c’est Daniel Glover.


- Daniel Glover ? Qui c’est, celui-là ? Un autre fantôme ?


- Pas du tout, c’est un élève. Je l’ai vu durant des années se rendre toujours à ce même endroit dans les catacombes. Et puis un jour est apparu cette espèce de minuscule puits rempli de lumière dans le sol... je ne m’en souviens pas très bien, mais je crois que c’est lui qui l’a créé.


Kelly faillit en lâcher sa baguette.


- Vous savez où on peut le trouver, ce Glover ? articula lentement Naomi.


- Pas vraiment, il a quitté le collège il y a 900 ans.


- 900 ans ? répéta John.


- Mais, Joe, Lettockar n’existait même pas il y a 900 ans... dit Naomi.


Joe se gratta la tête. Cela fit un bruit semblable à celui d’un chiffon frottant un tableau noir.


- Alors ça devait être il y a moins longtemps, admit-il. Dites-moi, qu’est-ce que vous faites ici ?


- On vous l’a déjà dit, on se promène, répondit John avec agacement.


- Joe, parlez-nous de ce Daniel Glover, s’il vous plaît, reprit Naomi. Vous le connaissiez personnellement ? Qu’est-ce que vous savez sur lui ?


- Pas grand-chose, à part qu’il passait son temps à creuser des trous dans le sol et à taguer des murs.


- Taguer les m... commença Kelly.


Elle s’interrompit et lança un regard à John et Naomi. Celle-ci arrondit les yeux et ressortit le plan régurgité par le grimoire. Ils avaient pensé tous les trois à la même chose : les numéros inscrits le long de la paroi des catacombes. Ils se précipitèrent à l’endroit indiqué le numéro 1, un pan de mur à droite de l’escalier tortueux. Joe les suivit, intrigué. Mais il ne découvrirent rien sur le mur. Il était nu, sans la moindre inscription, gravure, ou quelconque intervention humaine. Naomi retournait la carte dans tous les sens, dans l’espoir d’y trouver une information. Kelly tâtait compulsivement les pierres sombres et humides. A priori, il n’y avait rien de spécial à cet endroit ; mais ce que disait Joe au sujet des « tags » sur les murs ne pouvait pas être une coïncidence…


- Ce Daniel Glover est probablement le créateur de cette carte, murmura-t-elle. A mon avis, il avait écrit des choses sur les murs au sujet de cette espèce de vortex, vu comment il l’a mis en évidence sur le parchemin…


- Et les numéros sur la carte correspondent aux endroit où il a écrit, ajouta John.


- Mais y’a plus rien…


- Il a sans doute rendu ses écrits invisibles, à l’aide d’un sortilège, devina Naomi.


Kelly entendit un bruit feutré derrière eux. Joe le Troué regardait par-dessus leurs épaules en lévitant. Elle lui demanda :


- Dites, Joe, le Daniel Glover, il vous a pas montré comment il avait dissimulé ce qu’il avait écrit ?


- Daniel qui ? s’étonna-t-il.


- Mais enfin, c’est vous qui... oh, et puis laissez tomber, maugréa Kelly.


- Naomi, toi qui sais tout sur tout, t’aurais pas un sort qui révèle l’écriture invisible ? demanda John.


- Il y a peut-être le sortilège Revelio... mais c’est un sort de trop haut niveau, on y arrivera pas.


- Allez-vous enfin me dire ce que vous êtes venus faire ici ?? s’écria Joe.


- Tirer notre coup ! répliqua John, exaspéré.


Joe le Troué referma brusquement la bouche et écarquilla ses yeux d’ordinaire constamment à demi-clos. Kelly et Naomi s’échangèrent brièvement un regard. Alors Kelly feignit un sourire coquin et Naomi défit un bouton de sa chemise. Joe, profondément bouleversé, tritura nerveusement sa moitié de barbe et commença à s’élever dans les airs.


- Je crois qu’il vaut mieux que je vous laisse, lâcha-t-il laconiquement.


- C’est ça, va finir de te raser, marmonna John entre ses dents.


Joe s’envola et quitta les catacombes à travers la roche. John, Kelly et Naomi passèrent une heure à essayer tant bien que mal de dénicher quelque chose sur la paroi des catacombes. Ils grattèrent le mur, mais il n’y avait rien sous la couche de poussière ; ils allèrent en voir un autre, celui qui, sur le plan, comportait le numéro 2, mais il était tout aussi vide que le n°1. Aucun de leurs sortilèges ne fit effet. En cet instant, leur statut de première année encore très inexpérimentés en magie se faisait criant….


Ils n’arrivèrent à rien. Ils se résolurent à remonter au château : l’heure tournait, et ils prenaient le risque que quelqu’un d’autre débarque au sous-sol. Bien que déçus de leur manque de résultats, ils étaient repartis avec une information capitale : il y a des années, quelqu’un d’autre à Lettockar avait essayé de contacter le collège Poudlard.


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