Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 15 : La main secourable de Martoni

6280 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/04/2022 21:22

15. La main secourable de Martoni


Durant les semaines qui suivirent, Kelly et ses amis continuèrent de se rendre dans les catacombes. Ils étaient convaincus qu’il y avait quelque chose de capital écrit sur ses murs. Hélas, leurs tentatives d’y faire apparaître quelque chose étaient toutes plus infructueuses les unes que les autres. Naomi avait courageusement tenté le sortilège Revelio et ses variations, mais n’avait obtenu aucun effet, sans savoir si le sort était trop difficile ou inefficace. Pour tenter d’en savoir plus sur Daniel Glover et le trou magique, ils s’étaient rabattus sur la source la plus bancale du monde : la mémoire de Joe le Troué. Au fur et à mesure, le fantôme avait lâché quelques bribes d’informations sur le mystérieux élève. Lors de sa scolarité à Lettockar, Daniel Glover s’était effectivement mis en tête de quitter son école pour se rendre à une autre, exactement comme eux. Durant ses sept années à Lettockar, il avait cherché un moyen de s’y rendre par un stratagème magique exceptionnel… Joe l’avait observé s’affairer à longueur de nuits sur ce trou lumineux et tournoyant qui devait lui permettre d’accomplir son but. C’était devenu une obsession chez lui, il avait déversé toutes ses forces dans ce projet, à l’excès. Cela avait phagocyté sa vie à l’école. Le spectre se souvenait également que le jeune homme se mettait à griffonner sur les murs des catacombes lorsqu’il était à bout…


- Mais est-ce qu’il y est arrivé, à se rendre à Poudlard ? lui avait un jour demandé Kelly.


- Oh non… cette aventure s’est tragiquement terminée, avait alors répondu Joe d’un ton sinistre.


- P… pourquoi « tragiquement » ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est fait pincer ? Il a… eu un accident ?


- Non, non, pas du tout. Seulement, il a explosé lorsqu’il a réalisé que le jour où il a enfin réussi à créer son passage vers une autre école, c’était son dernier jour à Lettockar.


Kelly en était restée interdite. Le regard de Joe était devenu vide, opaque. Puis il avait murmuré, plus pour lui-même que pour Kelly :


- 7 ans de sa vie pour rien… même pour nous, les fantômes, c’est beaucoup.


Joe était étrange dans ces moments où il faisait preuve d’une lucidité aussi intense que furtive – car dans la seconde qui suivait, il avait déjà oublié de quoi il parlait et tannait John, Kelly ou Naomi avec ses inquiétudes sur les ambitions de Napoléon Bonaparte. A la longue, ils avaient compris qu’il s’en souvenait parce que les expériences de Daniel Glover avaient été incontestablement la chose la plus captivante qui était arrivée aux catacombes de Lettockar.


De son côté, Naomi avait lu attentivement Contrôle du chaos. La page où était apparu le visage de femme borgne qui avait toussé et craché le plan des catacombes traitait précisément de ce qui avait autant intéressé Daniel Glover qu’eux-même : l’influence de la magie chaotique sur l’espace-temps, et la capacité qu’elle avait à faire se communiquer deux endroits différents. Cependant, Naomi avait dit à Kelly et John que c’était davantage un ouvrage de suppositions qu’un véritable manuel ; il n’expliquait absolument pas comment fonctionnait précisément un vortex comme celui du sous-sol de Lettockar. Il ne pourrait pas leur en dire autant que Daniel Glover… mais retrouver la trace de celui-ci n’était pas chose aisée. Le seul indice temporel qu’ils avaient sur lui, c’était qu’il avait étudié à une période où Joe le Troué occupait déjà les catacombes. Le problème, c’est que lorsque Joe était venu hanter Lettockar, sa présence n’avait pas été remarquée tout de suite : donc personne – et surtout pas lui – ne savait depuis quand exactement il se promenait dans les sous-sols. De mémoire d’homme, aucun élève, aucun prof n’aurait pu leur dire qui était Daniel Glover, s’était désolée Naomi. Kelly avait alors eu une idée :


- De mémoire d’homme, non ! Mais de celle d’un mort ? On pourrait demander à un autre fantôme ? Un qui n’aurait pas la mémoire trouée…


- Pas con… mais lequel ? s’était demandé John. Y’en a plein… et entre les tarés, les muets et les scatophiles, ça va être chaud d’en trouver un qui saurait se rendre utile.


- Roselyne Bachelefeu, par exemple ? avait proposé Kelly. C’est le fantôme de notre maison, elle devrait pas refuser de répondre à nos questions. Qu’est-ce que vous en dites, on y va ?


- C’est pas moi qui ait eu l’idée, avait aussitôt persiflé John.


- Et moi, je... avait commencé Naomi.


Elle n’avait pas achevé sa phrase. Kelly avait comprit qu’elle avait encore du mal à se tenir seule en présence d’un fantôme. Elle n’avait alors pas insisté, et s’était résolue ce jour-là à solliciter seule une audience à Roselyne Bachelefeu.


Elle savait que le fantôme de Dragondebronze vivait dans une petite caverne dans la crique de la colline du Roc, mais elle n’y était encore jamais allée. Lorsqu’elle se rendit dans cet endroit sombre et humide, elle aperçut en effet un escalier étroit taillé dans la pierre, qui longeait la paroi et montait jusqu’à une porte en bois vermoulu. Elle s’y aventura d’un pas très mal assuré. Elle devait faire attention aux pierres glissantes, de là où elle était, c’était le grand plongeon si jamais elle tombait. Tout en gravissant maladroitement chaque marche, avec une lenteur trahissant sa peur, elle espérait fortement qu’elle ne faisait pas cela pour rien et que le spectre se trouvait bien dans sa caverne en ce moment. Arrivée en haut de l’escalier, elle frappa à la porte à l’aide du gros heurtoir en forme d’ancre. « ‘trez ! » s’exclama une voix caverneuse à l’intérieur. Kelly poussa timidement la porte et découvrit une salle surprenamment lumineuse, surchargée d’objets. Roselyne Bachelefeu était bien là, assise sur un fauteuil, occupée à se curer les ongles avec une dague. La pirate adressa un regard perçant à la nouvelle venue. Son œil mutilé intimidait sérieusement Kelly.


- Tiens, tiens, la p’tite première année ! s’exclama la fantôme, la voix aussi claironnante que résonnante. T’as de jolis yeux, toi… Rafraîchis-moi la mémoire, c’est quoi ton nom ?


- Kelly Powder, madame.


- Allons, allons, t’embarrasse pas de toutes ces formules de politesse, appelle-moi capitaine !


- Beuh, pourquoi je vous appellerais « capitaine » ? Je suis pas un de vos matelots !


Roselyne hocha la tête, étonnée, puis sourit. Certaines de ses dents étaient un peu plus brillantes que d’autres, ce qui suggérait qu’elles étaient en or de son vivant.


- T’en as dans l’nid-de-pie, toi ! rit-elle. Très bien, appelle-moi Roselyne si tu veux. Qu’est-ce que j’peux faire pour toi ?


- J’ai des questions à poser… à quelqu’un qui connaît Lettockar depuis longtemps. Or comme vous êtes là depuis des siècles et que vous êtes mon fantôme de maison...


- Pas d’problème ! Mais avant cela, pose ton céans et admire un peu ma demeure !


Kelly obtempéra et s’assit sur un autre fauteuil, juste en face de la maîtresse des lieux. Elle observa plus attentivement la demeure de Roselyne Bachelefeu. Elle avait aménagé, ou fait aménager son antre pour évoquer son ancienne cabine de bateau. Sur une table étaient posés un globe terrestre, des cartes et des instruments de navigation. Au plafond, un gouvernail bardé de chandelles tenait lieu de lustre. Des coffres remplis d’or et de bijoux flanqués nonchalamment étincelaient dans un coin de la pièce. A côté du siège de Roselyne, un petit canon rongé par la rouille était pointé en direction de la porte. Et tout au fond de l’antre, un pavillon représentant le crâne d’un dragon au dessus de deux lances croisées était accroché au mur. Kelly afficha un air pantois, et le sourire fier de Roselyne s’accentua.


- Clinquant, pas vrai ?


- Oui, je l’avoue. Ça a l’air… chargé de souvenirs...


- Tu l’as dit, ma p’tite Kelly… plus de vingt ans à écumer les océans. A traquer les navires gavés d’or et d’épices, pillés aux Indiens saignés à blanc… pas un n’a échappé à Roselyne Bachelefeu et son équipage. On commençait la chasse sur les flots tout en douceur... un coup de Nebulus pour cacher mon bâtiment dans le brouillard… une cadence tranquille et silencieuse… puis, alors que mes proies naviguaient à tâtons, résonnait le doux chant de mes canons. Boum ! Crac ! La coque de leur rafiot qui volait en éclats sans qu’ils puissent comprendre ce qui leur arrivait. Alors, ils apercevaient un pavillon percer dans la brume... une figure de proue apparaître sous leur nez… et ensuite… venait l’abordage !


Elle se leva d’un bond. Avant de dégainer son sabre d’abordage, elle en souleva le pommeau d’un coup de pouce, et de la poignée sortit une baguette magique. L’épée dans une main, la baguette dans l’autre, elle moulina joyeusement dans le vide contre des ennemis imaginaires. Par réflexe, Kelly baissa la tête au moment où Roselyne fit mine de la décapiter.


- Les maelstroms, les ouragans, les krakens, tout ça, c’était du guano comparé à la terreur qu’inspirait le Hollandais Volant ! tonitrua-telle.


- Hein ? hoqueta Kelly. C’était vous, le capitaine du Hollandais Volant ?


Quand elle était plus jeune, elle avait entendu parler de la légende du vaisseau fantôme…


- Bah ouais ! Qui voulais-tu qu’ce soit ?


- Et bien… hésita Kelly. C’est une légende Moldue, donc…


- Un Moldu, capitaine du Hollandais ? s’indigna Roselyne. Et pourquoi pas un homme-poulpe, tant qu’on y est ? Pfeuh !


Elle rengaina son sabre et se vautra à nouveau dans son fauteuil. Ce petit spectacle semblait avoir réveillé en elle une profonde nostalgie. Kelly détourna les yeux et réprima un sourire, car elle avait fortement envie de rappeler à Roselyne la façon stupide dont elle était morte. Son regard s’attarda alors sur les coffres remplis d’or.


- Et donc, vous avez piraté pour le compte de Lettockar ? demanda-t-elle.


- En partie, oui ! D’une certaine manière, j’étais corsaire. J’ai collaboré avec l’école parce que j’étais très pote avec Hussein Kebir, le dirlo d’l’époque.


Elle désigna d’un signe de tête un tableau dans un coin de la pièce. Il était vide et ne représentait qu’une toile brune ; son occupant était parti se promener, mais Kelly savait de qui il s’agissait : c’était l’homme dans le tableau au-dessus de l’entrée de la bibliothèque, le maigrichon avec un turban, une djellaba et une longue barbiche. Il ressemblait à Jafar de Aladdin, son Disney préféré. Apparemment, il y avait un double de son portrait dans l’antre de Roselyne.


- Un très grand directeur, poursuivit cette dernière. Avant qu’il devienne le seul maître à bord, c’était mon directeur de maison et mon prof de métamorphose. Exactement comme le professeur McGonnadie, tiens.


- Ne me parlez pas de ce type, grommela Kelly avec amertume.


- Ha ha, il est assez spécial, je l’avoue, concéda la fantôme avec un sourire. J’peux pas causer avec lui plus de cinq minutes sans qu’il se mette à me parler de cuisses de grenouilles…


Elle passa la main dans ses longs cheveux bouclés, l’air pensive.


- L’a changé, le p’tit Poséidon, dit-elle. Quand il a débarqué à Lettockar, c’était vraiment un gentil gars… il me faisait rire, lui et les trois autres mousses, ajouta-t-elle, faisant allusion à Grog, Pourrave et Fistwick. Depuis trois siècles que j’occupe mon poste dans ce château, j’ai pas souvent vu des élèves aussi doués. Ils ont eu beaucoup de cran durant leurs sept années à l’école, crois-moi. Et ils y sont revenus, chacun leur tour… et McGonnadie... n’était plus franchement le même loustic. Il était devenu froid et aigri comme une murène… il faut croire qu’il vieillit pas très bien.


Kelly, qui s’en fichait un peu, haussa les épaules. Elle rappela à Roselyne qu’elle était venue lui poser une question.


- Par ma barbe, c’est vrai ! s’exclama la fantôme. Désolée Kelly, mon vieux père me disait toujours que je parlais trop. Vas-y, j’t’écoute.


- L’autre jour, avec mes amis John et Naomi, Joe le Troué est venu nous parler…


- Y’avait un canonnier dans mon équipage qu’on appelait Joe le Troué, aussi, l’interrompit Roselyne avec un sourire rêveur. Mais c’était parce qu’un jour, il s’était tiré d’ssus avec son propre pistolet alors qu’il voulait le ranger à sa ceinture. Du coup, il s’est fait un trou dans une…


- Stop, stop, c’est bon Roselyne. Bref, Joe s’est mis à nous parler… ça nous a un peu saoulé mais on a pas voulu le vexer, donc on l’a écouté. Il n’a pas arrêté de nous bassiner avec un élève qui s’appelait Daniel Glover… vous qui étiez fantôme au château bien avant lui, vous savez qui c’est ?


- Hmmm, Daniel Glover… ça me dit un truc…


- Ah oui ? dit Kelly avec espoir.


- Laisse-moi réfléchir… j’crois bien que… ouais, c’était un Dragondebronze, lui aussi ; un gallois, pas très causant, assez solitaire, en tout cas c’est comme ça que je me souviens de lui. Je l’ai pas tellement connu, il traînait pas souvent dans le château ou la salle commune.


Bien sûr… Daniel Glover passait le plus clair de son temps libre en bas, à l’abri des regards. Kelly prit un air songeur et questionna prudemment :


- Et… vous vous souvenez de quand ça date, tout ça ? Parce que Joe essayait absolument de s’en rappeler, et il n’y arrivait vraiment pas… ça avait l’air de le tracasser. Je me dis que ça pourrait lui faire du bien de l’aider à retrouver un peu la mémoire.


- Bien sympa de ta part, Kelly ! commenta Roselyne avec enthousiasme. Quand est-ce que ce Glover était élève à Lettockar ? J’en ai plus la moindre idée, hélas. Faut m’comprendre, ajouta-t-elle en voyant l’air déçu de Kelly, depuis 300 ans que je joue au fantôme de Dragondebronze, j’en ai vu des bordées entières, de mioches bizarres. Mais en fouillant un peu, tu d’vrais trouver son nom dans les archives de Lettockar !


- Les archives ? On en a ? s’étonna Kelly.


- Bien sûr ! T’es pas au courant qu’il y a des archives du château ? M’enfin, qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ?


- A changer des hochets en masses d’armes et à préparer des potions qui sentent la bouse, pourquoi ? répondit sombrement Kelly.


- Ha ha, bien dit moussaillonne ! Bon, les archives, c’est au deuxième étage, à deux portes à droite de la salle de sortilèges. Tu situes ? Oui ? Et bah, on se retrouve là-bas !


Kelly acquiesça. Alors, la pirate s’extirpa de son fauteuil d’un mouvement énergique.


- On fait la course ? lança-t-elle d’un air chafouin. La dernière arrivée est une p’tite pucelle !


Sans laisser à Kelly le temps de répondre, Roselyne s’envola d’un coup et traversa le plafond en riant aux éclats. Kelly pesta et sortit en courant de l’antre du capitaine fantôme. D’ailleurs elle ne courut pas longtemps, vu que redescendre les marches glissantes de la crique lui prit un temps fou. Elle fut bien contente de retrouver le sol plat et sec du couloir pourtant inquiétant qui conduisait vers le hall d’entrée. Elle gravit les marches quatre à quatre jusqu’au second étage, à l’endroit que lui avait indiqué Roselyne. Effectivement, elle n’avait jamais remarqué le petit écriteau où était marqué « Sale des archves » (un L et un I étaient tombés) au-dessus de la porte qui était aujourd’hui affublée du numéro 28 (la veille, c’était le numéro 40). Roselyne l’attendait devant en faisant le poirier. Son visage à l’envers lui sourit.


- Hé hé, j’ai gagné ! lui lança-t-elle.


- Tricheuse ! rétorqua Kelly.


- Non, pirate, répliqua Roselyne en se remettant debout d’une cabriole. Allez, après toi. On va le trouver, ton Vert gallois !


Elles entrèrent. La salle des archives était une pièce longiligne, terne et austère, assez semblable à la bibliothèque au vu du désordre de ses étagères remplies de dossiers usés par les âges. Roselyne flotta à quelques centimètres au-dessus du sol et fit signe à Kelly de la suivre au sein des allées poussiéreuses. Il y avait quelques personnes qui faisaient des recherches, dont le professeur Jar Jar Binns, mais celui-ci ne prêta aucune attention à Roselyne et Kelly. Cette dernière sentit l’excitation la gagner au fur et à mesure qu’elles approchaient des anciennes listes d’élèves. Mais hélas, leurs recherches s’achevèrent prématurément : les étagères datant du XVIIe au XIXe siècle étaient vides. Il y avait des traces noirâtres sur le bois et certaines planches étaient à moitié consumées. Kelly se tourna, stupéfaite, vers Roselyne, et celle-ci se frappa le front du plat de la main.


- Par les tétons d’Amphitrite, j’avais oublié ! Y’a eu un incendie dans les archives, il y a quelque chose comme trente ans… toute cette partie des registres a fini en poudre à canon.


Les traits de Kelly fondirent sous l’effet de la déception. Roselyne le remarqua. Elle voulut lui tapoter gentiment l’épaule, mais sa main ne fit que traverser le corps de Kelly, lui causant l’impression particulièrement désagréable d’être traversée par de l’eau glacée.


- J’suis désolée, petite… dit la pirate. J’aurais aimé te filer un meilleur coup de main… Si j’peux faire quelque chose…


- C’est bon Roselyne, merci beaucoup. Et puis bon, c’est pas non plus hyper important, hein ! mentit Kelly d’un air détaché. C’était juste au cas où j’aurais pu aider Joe… mais de toute façons, il l’aurait sans doute oublié trois jours plus tard, donc bon.


- Comme on dit dans ma branche : à Léviathan offert, on y regarde pas les nageoires ! Ouais je sais, ça n’a aucun rapport, mais je savais pas quoi ajouter. Sur ce, je file. Bonne journée quand même, ma crevette !


Elle fit un salto sur place et s’enfonça dans le sol comme un poisson replongeant dans l’eau. Bien que Roselyne ait disparu, Kelly fit un signe d’au revoir ironique. Puis elle sortit des archives d’un pas lourd, la mort dans l’âme.


Perdue dans ses pensées, elle erra en longeant les murs du château. Elle venait d’arriver à un carrefour lorsque soudain, elle se cogna contre quelqu’un qui surgissait du couloir adjacent. Le bruit d’un liquide qui giclait suivi de celui d’une bouteille métallique qui tombait par terre retentirent.


- Oh ! Excuse-m... entama Kelly.


Elle s’interrompit en découvrant que c’était Martoni qu’elle venait de bousculer. Elle tenait dans sa main droite une lettre qu’elle était probablement en train de lire tout en marchant il y a un instant. Elle avait délaissé son uniforme pour un joli pull rouge, mais celui-ci était à présent maculé d’orangeade. Un silence tendu s’abattit alors que les deux filles se dévisageaient avec des yeux exorbités. Mutique, Martoni rangea sa lettre dans sa poche et, sans quitter Kelly du regard, se baissa lentement pour ramasser sa bouteille à moitié vide. Elle saisit ensuite un pan de son pull entre son pouce et son index et dit d’une voix sifflante à Kelly :


- C’est du pashmina.


Elle avait un ton menaçant qu’elle ne cherchait pas à dissimuler. Kelly ne fléchit pas et maugréa :


- Ouais bon, t’as qu’à regarder devant toi, aussi ! Tu peux pas faire gaffe où tu marches ?


- Ah oui ?


Martoni sortit sa baguette si vite que Kelly n’eut pas le temps de réagir et la pointa devant ses yeux.


- Sucus Auream !


Un liquide transparent jaillit de la baguette et aspergea le visage de Kelly. Elle sentit aussitôt ses yeux la brûler atrocement et elle cria de douleur. C’était du jus de citron.


- Fais gaffe où tu marches, Powder ! lança Martoni.


Hagarde et aveuglée, Kelly l’entendit ricaner sournoisement avant de détaler. Furieuse, elle lui hurla après :


- Salope ! Grosse conne ! Pourriture !


Elle entendit alors un bruit sec frapper les dalles tout en s’approchant d’elle.


Clac ! Clac ! Clac !


Juste après, elle entendit la voix du professeur Fistwick lui dire d’un ton réprobateur :


- Non mais Powder, qu’est-ce que c’est que ces grossièretés ?


- Mais bord… je veux dire... bon sang, professeur Fistwick, Martoni m’a jeté un sort ! Arrrh… gémit-elle.


- Bah oui, mais tu pourrais faire preuve d’un peu d’imagination pour l’insulter ! Ce que tu sors est d’une banalité à pleurer ! Comment on peut avoir si peu de répartie ? 10 points de moins pour Dragondebronze !


Clac ! Clac ! Clac ! Sans écouter les protestations de Kelly, Fistwick était déjà reparti. Elle ne put se retenir de mugir, autant de rage que de douleur (plusieurs personnes aux alentours déguerpirent comme une nuée de moineaux effrayés). La vision toujours trouble, elle se traîna péniblement aux toilettes à proximité. Elle ouvrit un robinet à fond et se mit à se laver les yeux à l’eau. Rien que frotter lui faisait mal. Ils devaient être rouge sang à présent… soudain, elle sentit quelqu’un s’approcher dans les toilettes. Une main se posa sur son épaule, et la voix de Naomi lui demanda :


- Hey, Kelly ! Alors, ça s’est passé comment avec Bachelefeu ?


- PLUS TARD !! rugit Kelly.


Il y eut un long silence, si long que, bien qu’elle ait les yeux fermés, Kelly sentit que Naomi était choquée par son ton. Gênée, elle se racla la gorge et dit :


- Excuse-moi, Mimi… c’est juste que je viens de me fritter avec Martoni…


- Y’avait longtemps… marmonna Naomi.


- Cette enflure m’a lancé un sort ! s’écria Kelly d’une voix stridente. Elle m’a envoyé du jus de citron dans les yeux ! Ça pique, putain !


- Du jus de citron ? répéta Naomi.


Kelly confirma d’un hochement de tête maussade. Elle s’aspergea encore une fois les yeux à l’eau. Ça picotait encore, mais elle allait mieux ; petit à petit, elle recouvra entièrement la vue. Elle s’aperçut alors qu’à côté d’elle, Naomi avait prit une pause songeuse, et passait distraitement son index sur ses lèvres. Elle resta silencieuse, perdue dans ses pensées. Stupéfaite, Kelly fit claquer ses doigts devant les yeux de Naomi.


- Hé, à quoi tu penses, comme ça ? lança-t-elle.


- Je pense… qu’on est sacrément bêtes ! s’exclama Naomi.


- Je confirme. Je sais pas pourquoi, mais je confirme, dit la voix moqueuse d’un garçon.


Kelly et Naomi tournèrent la tête. John se tenait dans l’embrasure de la porte, les mains dans les poches, tout sourire. Kelly leva les sourcils.


- Dis donc Johnny-boy, c’est les toilettes des filles, là, dit-elle.


- Oui, mais ta douce voix de sirène qui gueule m’a attiré, Kelly, alors j’ai pas pu m’empêcher d’entrer, gazouilla John. Bon, raconte : elle t’a dit quoi, le capitaine Cocotte-Bel-Oeil ?


- Pas grand-chose hélas. Elle se souvenait vaguement d’un gars appelé Daniel Glover, mais elle a rien pu dire à son sujet. On a voulu consulter les archives de Lettockar, mais celles qui nous intéressent ont cramé il y a longtemps. Bref, j’ai aucune nouvelle piste.


- Et toi, Naomi ? Qu’est-ce qui nous vaut l’honneur d’être qualifiés de sacrément bêtes ?


Naomi ne répondit pas. Elle avait l’esprit à nouveau ailleurs. Kelly en fut agacée.


- Allez Mimi, accouche, qu’est-ce que t’as dans la tête ? grinça-t-elle.


- Tu repenses au mystère du Chaperon Rouge ? Pour moi c’est le chasseur qui a fait le coup, dit John en prenant un air faussement songeur.


Kelly et lui s’échangèrent un rire moqueur. Naomi leva les yeux au ciel et s’exclama avec autorité :


- Suivez-moi, béotiens !


A ces mots, elle sortit d’un pas vif des toilettes des filles. Après un court instant d’immobilité, John et Kelly lui emboîtèrent le pas. Ils comprirent sans trop de peine où elle voulait les emmener. Durant leur trajet, elle attrapa d’un geste presque désinvolte une chandelle qui traînait sur un meuble du couloir. Elle avait l’air décidée. Kelly adorait ces moments où Naomi gagnait de l’assurance, dont elle manquait cruellement dans sa vie de tous les jours. Comme à chaque fois qu’ils prenaient la direction du sous-sol, ils devaient redoubler de prudence et faire attention à ce que personne ne les observe. Au premier étage, ils aperçurent McGonnadie, mais il était en train de crier après la Kagoule qui lui avait volé ses lunettes et se balançait au bout d’un lustre.


Peu après, ils étaient descendus dans les catacombes. Celles-ci étaient légèrement agitées, aujourd’hui : les éclairs furtifs apparaissaient plus nombreux que d’habitude, et l’eau gouttait plus abondamment au bout des stalactites. Joe le Troué n’était pas dans les parages, aujourd’hui. A peine étaient-ils arrivés au bout de l’escalier que Naomi fit signe à leur petit groupe de s’arrêter. Elle dit alors d’un ton solennel à John :


- Mr. Ebay, le plan, s’il vous plaît.


Ils portaient le plan des catacombes sur eux en permanence à tour de rôle ; actuellement, c’était John qui l’avait. Il sortit de sa poche intérieure un morceau de parchemin, prit un drôle d’air évasif et le donna à Naomi. Celle-ci le déroula, et se figea soudainement, les yeux ronds. Les commissures des lèvres de John frétillaient.


- Andouille, grogna Naomi.


Kelly regarda par-dessus l’épaule de Naomi : John lui avait donné un tout autre parchemin sur lequel il avait écrit « T’es moche ! ». Pour sa part, elle le gratifia d’un regard fatigué. Lorsque John daigna lui donner le véritable plan, Naomi le relut rapidement, et se dirigea exactement à l’endroit du mur indiqué par Daniel Glover comme étant le numéro 1. John et Kelly étaient complètement perdus : à leur connaissance, récemment Naomi n’avait pas découvert un moyen de briser les vraisemblables sortilèges de dissimulation que Glover avait jeté à ses écritures. Arrivée devant le mur désespérément nu, Naomi redonna le plan à John, mit un genou à terre, apposa l’extrémité de sa baguette magique sur la bougie et murmura :


- Incendio.


Une petite flamme naquit et alluma la chandelle. Puis Naomi l’approcha à un centimètre de la paroi. Alors, des inscriptions pâles, presque translucides apparurent sur la pierre sombre à la lumière de la bougie. John et Kelly en restèrent bouche bée. Naomi eut un sourire triomphal et expliqua :


- Daniel Glover a été malin : pour cacher ce qu’il a écrit, au lieu d’utiliser un sortilège qu’un sorcier habile pourrait briser, il a utilisé une encre invisible comme le font les Moldus ! Il suffit d’écrire avec une plume trempée dans du jus de citron et de le laisser sécher un instant. Et pour le faire réapparaître, il faut approcher une source de chaleur. C’est tellement simple qu’un magicien ne s’y attendra pas…


- Oh la vache ! J’aurais jamais pensé à faire ça ! lâcha Kelly.


- Ça, c’est parce que tu lis pas assez de romans policiers.


Kelly savoura ce moment. Après tout ce temps, ils allaient enfin avoir des réponses à leurs questions. Et dire que c’était grâce à cette débile de Martoni qu’ils avaient trouvé la solution ! Les trois amis entreprirent de déchiffrer ce qu’ils avaient sous les yeux. L’écriture de Daniel Glover était brouillonne, désordonnée, et ondulait sur les pierres irrégulières de la paroi. Ils parvinrent néanmoins à lire un texte fébrile, nébuleux, qui confirmait ce qu’ils avaient supposé au sujet de cet élève du passé :


J’y arriverai. Bientôt je m’enfuirai à Poudlard. La magie, je la sens, elle est partout ! Le chaos, c’est comme le vent. On ne le voit pas, mais on le sent.


Kelly entendit John émettre un petit rire derrière elle.


- Le chaos, c’est comme le vent, on ne le voit pas mais on le sent ? pouffa-t-il, incrédule. S’il vous plaît, c’est quoi cette merde ?


- Oui, bon… continuons, trancha Naomi tandis que Kelly riait avec John.


Il y a quelque chose à faire avec cette magie dont aucun professeur ne m’a parlé, j’en suis sûr. Car tous ont oublié ce qui grouille sous leurs pieds… mais les livres, eux, s’en souviennent.


J’y arriverai.


Intrigués par cette introduction, ils se décalèrent sur quelques mètres, au morceau de mur n°2. Le second texte de Daniel Glover était beaucoup plus intéressant, car il confirmait la fonction de la spirale lumineuse dans le sol :


Après tout ce temps, j’ai enfin réussi à canaliser l’énergie de cet endroit : j’ai pu invoquer un passage qui mène au domaine de Poudlard. Je le sais car j’ai vu des images du parc au milieu de la lumière. Pour le moment, il n’apparaît que quelques minutes : c’est déjà beaucoup plus que le mois dernier. Prochain objectif : qu’il soit permanent.


Naomi, Kelly et John se déplacèrent ainsi à plusieurs endroits sur les murs indiqués par le plan. Daniel Glover y avait apparemment écrit tout un journal, qui apparaissait sous les yeux électrisés des trois adolescents à la lumière de leur chandelle. Certains paragraphes s’étaient partiellement effacés avec le temps : ils comportaient de gros trous en plein milieu, rendant la compréhension parfois difficile. Aucun d’entre eux ne comportait de date. Ils étaient assez hétéroclites : les uns parlaient des recherches et des progrès qu’effectuaient Glover dans la construction de son vortex, les autres parlaient de ses humeurs, de ce qu’il ressentait, le tout à grand renforts de phrase d’un lyrisme profondément niais et médiocre. Le texte n°5 se terminait ainsi : J’aime marcher sous la pluie, car personne ne voit que je pleure…


Les trois amis se regardèrent, et éclatèrent de rire en même temps, même Naomi. Alors, l’un des derniers textes leur apporta une révélation cruciale.


Mon passage est encore dangereux, je le sais. Si je l’empruntais maintenant


Encore un trou dans le texte….


trouvé un moyen de le stabiliser. Le Grand livre des pentacles m’aide beaucoup, je travaille sur un dessin qui me permettra de rendre le passage empruntable. Quelque chose que moi seul pourrait


- Pourrait quoi ? murmura Kelly devant cette nouvelle partie manquante.


- Le Grand livre des pentacles ? Il se servait d’un grimoire ? On devrait aller le chercher nous aussi ! dit Naomi avec enthousiasme.


- Encore un livre ? soupira John. Comme si c’était pas suffisamment chiant de trouver un seul grimoire dans ce foutoir qui nous sert de bibliothèque.


- John, il faut ce qu’il faut pour réaliser ses rêves, affirma Kelly.


- On voit que c’est pas toi qui es obligée de passer pour un con et un pervers devant Doubledose pour les choper, ces bouquins, répliqua John.


C’est néanmoins sans tergiverser qu’ils retournèrent une fois encore à la bibliothèque. Arrivés à l’entrée, ils découvrirent avec surprise le professeur Pourrave à quatre pattes juste devant la porte. Il tâtonnait le sol et regardait tout autour de lui, manifestement à la recherche de quelque chose. Au-dessus de la porte, le portrait du fameux Hussein Kebir observait la scène en secouant la tête.


- Professeur Pourrave, qu’est-ce que vous faites par terre ? lui demanda Naomi.


- Vous cherchez des pâquerettes ? renchérit John avec un sourire en coin.


- Non, ça pousse au troisième étage, répondit Pourrave d’un air absent.


- Quoi, alors ?


- Je retrouve pas mon j… ma cigarette ! dit le professeur avec une once d’inquiétude dans la voix. Je l’avais y’a un instant… et voilà que j’ai à peine le temps d’aller chercher un livre qu’elle a disparu ! C’est pas débile, ça ?


Aussi débile que toi, pensa Kelly. Soudain, elle sentit une odeur de cheveu brûlé. Puis elle aperçut de la fumée qui s’échappait depuis derrière l’oreille de Pourrave. Ses yeux s’arrondirent.


- Profess… commença-t-elle.


- OUAAAAAÏLLE !!! s’écria Pourrave en sursautant.


Il se releva d’un bond et fit valdinguer d’une volée son mégot qui venait de lui brûler la peau. Il atterrit dans un vase proche qui, pris de panique, bougea tout seul et se jeta de son piédestal pour se briser en mille morceaux par terre. Kelly, John et Naomi observèrent un silence consterné.


- Bon, ben, problème résolu ! claironna Pourrave avec une grimace de douleur en effleurant le coin brûlé de son oreille. Allez, bonne journée.


A ces mots, il s’en alla et emprunta un escalier descendant, un livre sous le bras. Sans faire de commentaire, les trois jeunes gens entrèrent dans la bibliothèque. Près de la commode contenant les notices, Astrid Lisberg, la copine de Peter, était une fois encore assise à une table, toujours avec ses vieux parchemins. Elle s’était à nouveau teint les cheveux en violet. Naomi prit le temps de la saluer et de discuter une petite minute avec elle. Puis, le trio se mit à fouiller les notices, à la recherche du livre fétiche de Daniel Glover, en espérant que ce n’était pas un autre ouvrage interdit d’emprunt. Et avec un peu de chance, son emplacement serait précisé, comme le précédent. Au bout d’une heure, ce fut John qui trouva la notice concernant Le Grand livre des pentacles.


- Alors, c’est un ouvrage classé PD truc ? s’enquit Kelly.


- PTb, rectifia timidement Naomi.


- Non ! répondit John d’un ton triomphal. C’est gén...


Mais alors, il se coupa. Son sourire s’effaça en un clin d’œil. Kelly et Naomi lui lancèrent un regard inquiet et interrogateur. John soupira profondément et annonça :


- Oh purée… il a déjà été emprunté.


- Ah bon ? Par qui ?


John leur tendit la notice. Tout au bout était indiqué la date et le nom de son dernier emprunteur. 26/02/1995 - Pepino Pourrave.


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