Le langage des fleurs
Le bouquet de roses avait mis Poudlard en ébullition. La brassée de fleurs, énorme et écarlate était l’aveu d’un amour passionnel, crié à la face du monde. Même si l’expéditeur était inconnu, quelqu’un se souciait assez de Drago Malefoy pour affirmer haut et fort qu’il l’aimait et qu’il méritait d’être aimé.
Chaque bouquet reçu avait été l’aveu progressif de cet amour dévorant et exclusif… et cette déclaration unique en son genre avait rappelé à tout le monde que Drago Malefoy n’était pas un criminel, juste l’un de leurs camarades.
Malefoy avait tenté de paraître impassible et de continuer sa journée comme si rien de spécial ne s’était produit après ce bouquet impossible à ignorer, il avait cependant échoué à cacher ses yeux brillants, et un petit sourire ne quittait plus son visage.
Parfois un de ses amis se penchait vers lui pour lui parler et ses joues rosissaient.
Harry devinait sans peine qu’il était la cible de gentilles taquineries. Visiblement, la vie à Poudlard avait repris son cours, identique à autrefois. Il n’y avait plus de camp, plus de guerre. Juste des adolescents grandissant tranquillement, encore loin des préoccupations de la vie d’adulte.
En dehors de ce magnifique bouquet, la journée se passa sans le moindre incident notable, et Dean et Seamus se remirent à parier sur la date du prochain bouquet.
Neville gloussa et fit un clin d’oeil à Harry.
- J’ai dans l’idée que les choses vont accélérer… Je dirais que le bouquet de roses est le signe flagrant que la mystérieuse personne qui drague Malefoy s’impatiente.
Ron avait sermonné sa soeur sur son comportement, et Ginny ne s’approchait plus d’eux, vexée. Harry avait grimacé un sourire de reconnaissance en direction de Ron, désolé d’avoir semé le trouble dans la fratrie. Son ami l’avait rassuré en lui assurant que Ginny pouvait parfois agir en véritable peste, et qu’après avoir fait la tête quelques jours elle s’excuserait et tout irait mieux.
La nuit même, Harry reprit son habitude d’errer dans les couloirs, ne parvenant pas à dormir. Il s’était agité une bonne partie de la soirée, nerveux. Puis il avait été incapable de fermer les yeux plus de dix minutes d’affilée, se réveillant haletant. Parfois les cauchemars étaient trop présents, et il préférait prendre l’air plutôt que de rester confiné dans son lit, à subir des visions d’horreur du passé.
Il monta à la tour d’Astronomie, essayant de ne pas penser à la mort de Dumbledore. La chute interminable du vieil homme était restée marquée au fer rouge dans son esprit. Visiblement, c’était une de ces nuits où quoi qu’il fasse, les pires souvenirs viendraient le hanter.
Une fois au sommet de la tour, il essaya de se calmer, inspirant profondément l’air frais, tentant de ne pas voir dans son esprit les combats sanglants qu’il y avait eu dans le parc quelques mois plus tôt.
Il se focalisa sur le lac noir. Perdre son regard dans l’étendue sombre l’aidait parfois à s’apaiser, lorsqu’il se laissait aller à suivre les mouvements hypnotiques de l’eau.
Il découvrit une petite silhouette au bord du lac, et un rayon de lune lui révéla l’identité de celui qui s’y tenait, grâce à ses cheveux d’une couleur unique : Drago Malefoy.
Lui aussi devait souffrir d’insomnies et Harry hésita à aller le rejoindre. Peut être qu’à deux ils arriveraient à repousser le passé…
Cependant, il abandonna l’idée. Malefoy n’était plus hostile, mais il ne voulait pas lui laisser imaginer qu’il était surveillé. Harry voulait lui laisser le choix, le laisser venir vers lui. Le Serpentard semblait encore persuadé qu’il allait être jeté à Azkaban pour ses péchés, malgré son procès qui l’avait innocenté.
En fixant sa silhouette, il soupira. Il eut soudain le souvenir net du jour de la bataille, dans la salle sur demande. Il voyait Malefoy, perdu, puis Crabbe qui lançait le feudeymon.
Malefoy avait aidé Goyle, refusant d’abandonner le garçon inconscient.
Lorsque Harry était revenu, il avait vu la résignation dans les yeux gris. Il avait vu que Malefoy était prêt à mourir, qu’il avait cessé de lutter.
Il lui avait tendu la main et le blond l’avait saisie, sans hésiter, en toute confiance. Il s’était propulsé sur le balai derrière lui, s’agrippant à sa taille fine tandis que Hermione et Ron se chargeaient de Goyle.
Voler avec Malefoy collé à lui, alors qu’ils tentaient d’échapper à un feudeymon, avait été une expérience étrange. Harry se souvenait s’être brusquement demandé ce qui se serait passé s’il avait accepté l’amitié du blondinet au lieu de suivre l’avis de Ron sur la famille Malefoy…
Harry l’avait fixé un long moment après qu’ils soient sortis de la salle en flammes, et lui avait murmuré de rester en vie. Cette fois, c’était lui qui s’était résigné à mourir, et il avait vu le regard mercure vaciller, incertain. Malefoy lui avait attrapé le poignet, comme pour lui dire quelque chose, mais finalement, il avait hoché la tête et l’avait laissé partir, avec un “sois prudent, Potter” chuchoté.
Harry frissonna brusquement, en revenant au présent. Il n’oublierait jamais la chaleur infernale du feudeymon, et la peur qu’il avait eue. Il cligna des yeux en regardant la silhouette solitaire de Malefoy, et se demanda si lui aussi combattait ses démons.
Finalement, il soupira, et tourna les talons, rejoignant son dortoir à pas lents. S’il ne se reposait pas quelques heures au moins, Hermione risquait de ne pas le laisser en paix…
*
Le lendemain matin, Harry affichait des cernes sombres impressionnants. Hermione lui lança un regard triste, mais elle ne fit pas le moindre commentaire. Elle savait pertinemment la cause de ses insomnies et elle savait que son ami n’aimait pas en parler.
Elle fit juste en sorte de l’entourer au mieux de son amitié.
Dans la Grande Salle, il s’installa à sa place habituelle, avec ses amis, perdu dans ses pensées.
Chez les Serpentard, Drago Malefoy semblait aussi fatigué que lui, et légèrement triste. Cependant, il répondait de bonne grâce aux sollicitations de Pansy, qui semblait attendre avec impatience quelque chose.
Lorsque le courrier arriva, Harry cligna des yeux, et eut un sourire amusé en voyant un magnifique bouquet arriver. C’étaient de grandes fleurs d’un rose soutenu, magnifiques et exotiques.
Neville se mit à rire joyeusement, et secoua la tête.
- Le parfait épilogue. Ce sont des roses de Chine. De l’hibiscus.
Hermione pencha la tête, perplexe.
- En quoi est-ce un épilogue ?
Avec un large sourire, Neville murmura.
- Ça veut dire “Nous avons rendez-vous”.