L'Ecrin des illusions
Chapitre 31 : "Ne-m'oubliez-pas" (première partie)
2282 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 22/05/2024 16:52
La brume enveloppant Hazel se dispersa, laissant la jeune sorcière les pieds dans un parterre de myosotis. Elle enjamba les rondins de bois protégeant les petites fleurs et s'approcha de la silhouette solitaire s'amusant avec une vieille branche de bois. Elle distingua bientôt les traits d'un garçonnet dégingandé, portant des vêtements trop larges pour lui, faisant mine de se battre contre le noisetier se dressant face à lui ; contre le tronc de l'arbre était posé un vieux cartable en cuir élimé débordant de livres et de feuilles de papier recouvertes d'une calligraphie soignée. Hazel ne put réprimer un sourire en entendant le petit garçon inventer des sorts farfelus afin de vaincre son adversaire imaginaire. Il avait beau mettre du cœur à l'ouvrage, il ne parvenait qu'à faire jaillir quelques volutes de fumée de la pointe de sa baguette improvisée. Hazel tira sa baguette et d'un geste malicieux, oubliant l'ordre donné par Rogue, la pointa vers l'arbre subissant les assauts répétés de l'apprenti sorcier. Quelques noisettes se détachèrent des branches et s'abattirent sans ménagement sur le crâne du garçonnet. Celui-ci poussa un cri oscillant entre surprise et douleur avant de se tourner vers son nouvel ennemi, sa branche de bois tendue devant lui. Le regard de Hazel croisa celui d'un tout jeune Severus Rogue qui avait quasiment le même âge qu'elle.
- Qui est là ? demanda l'enfant d'un ton agressif en relevant sa frange collante de graisse. Montrez-vous !
Il lança quelques insultes bien senties à la cantonade, sans doute destinées aux maudits camarades qui ne cessaient de lui chercher des noises lorsqu'il daignait apparaître dans l'école moldue de son quartier. N'obtenant aucune réponse, il fit quelques pas vers Hazel et se mit à fixer le vide avec une certaine perplexité.
- Seriez-vous un elfe de maison ? Ma' prétend qu'ils peuvent être invisibles.
Il tendit la main vers Hazel, celle-ci se recula quand les doigts du jeune Severus, diffusant une légère odeur de noisette, effleurèrent ses cheveux.
- Qu'êtes-vous donc ? Un fantôme ? J'en ai déjà vu un dans le cimetière...
Hazel se déroba à cette caresse et fit quelques pas en arrière. Le jeune Severus, sa fausse baguette brandie devant lui, était plongé dans d'intenses réflexions. Ses yeux sombres, encore dépourvus de toute aigreur, brillaient d'un éclat innocent qu'Hazel ne leur connaissait pas. Le jeune sorcier murmura quelques mots, faisant la liste de toutes les créatures fantastiques qu'il avait pu découvrir en dévorant les ouvrages de sorcellerie de sa mère. Aucun monstre ne semblait correspondre à la mystérieuse créature invisible. Il décida de se montrer brave et, empli de curiosité, la bombarda de questions :
- Pourquoi vous cacher ? Auriez-vous donc peur de votre propre laideur ? Êtes-vous seulement une créature fantastique ? Ou alors...
Il tendit de nouveau la main vers Hazel, comme s'il désirait lui arracher une cape d'invisibilité. Hazel fit un bond et repoussa le geste du garçonnet. Celui-ci, conscient d'avoir outrepassé les règles de la plus élémentaire bienséance, marmonna quelques excuses peu sincères avant de se redresser de toute sa hauteur. Bien que plus petit que Seren Wilde, il émanait déjà de ce garçon aux portes de l'adolescence, une autorité certaine.
- Très bien, s'écria-t-il, vexé. Restez avec votre petit secret ! Vous ne m'intéressez pas de toute façon ! Vous ne devez être qu'une stupide et moche créature humanoïde, même pas assez courageuse pour vous dévoiler !
Il tourna les talons pour rejoindre son arbre. Bien décidée à punir l'orgueil et les propos désagréables du jeune Severus, Hazel brandit de nouveau sa baguette et lança le sort que lui avait appris Seren quelques mois plus tôt.
- Titillando ! chuchota-t-elle avec malice.
Le corps du jeune Severus fut agité par de joyeux tremblements et un rire aussi inattendu qu'empreint d'une certaine timidité jaillit de ses lèvres et éclata à travers le parc vide. Il suppliait son bourreau de mettre fin à ce folâtre calvaire, tout en pleurant de rire et en se tenant les côtes. Après nombre de prières de sa part, Hazel céda à sa supplique et le libéra du sortilège. Severus s'écroula, hilare, sur le sol et mit quelques instants avant de reprendre son souffle. Il se redressa et tapota l'herbe de sa main droite, lançant une invitation à l'intention de la créature invisible. Hazel hésita avant de s'asseoir près de lui, ses genoux repliés contre le menton. Le jeune Severus se mit sur le dos. Il sortit un bonbon de sa poche et se mit à le mâchonner tout en contemplant les nuages pluvieux se dessinant à travers la cime des arbres.
- J'ai hâte d'aller à Poudlard, avoua-t-il en gobant la gourmandise, ma vraie place est là-bas, pas au milieu de ces maudits Moldus qui ne comprennent rien !
Il se tourna vers Hazel.
- Je suis un sorcier et je sais que j'accomplirai de grandes choses ! J'espère bien aller à Serpentard, c'est la seule Maison digne d'intérêt. Serdaigle pourrait aussi me convenir, je suis suffisamment intelligent ! Ma' dit que toutes les brebis galeuses sont à Poufsouffle ou Gryffondor !
Hazel, ne goûtant peu à ces remarques désobligeantes adressées à l'encontre de sa Maison, attrapa de nouveau sa baguette et fit tomber une nouvelle volée de noisettes sur le crâne de l'orgueilleux petit sorcier en devenir.
- Arrête ! cria-t-il avec amusement en lui jetant une noisette.
Hazel évita le projectile de justesse et abaissa sa baguette. Severus en profita pour pointer sa baguette factice vers la silhouette inconnue et lui lança un brouillon de sort, enseigné par sa mère quelques semaines plus tôt.
- Aqua globus !
Une toute petite bulle de salon jaillit du bout de bois et vint frôler le nez de Hazel. Celle-ci parvint à contrer l'attaque sans difficulté et la renvoya à son adversaire. La bulle de savon prit en volume et vint s'écraser contre le visage du garçonnet. Le jeune Severus eut un cri rageur, repoussa sa frange mouillée et jeta un curieux regard à la silhouette qu'il devinait face à lui.
- Serais-tu un sorcier ?
Hazel retint son souffle. Severus se redressa et se pencha vers elle. Le petit garçon, croyant distinguer les traits imprécis d'une toute jeune fille, s'écarta, le cœur palpitant, partagé entre l'incrédulité et la curiosité. Hazel, afin de détourner l'attention du jeune sorcier, pointa à nouveau sa baguette vers son sac et d'un sort murmuré, en fit jaillir un livre ; ses pages racornies se déployèrent et sous les yeux stupéfaits du petit garçon, son livre favori se mit à voler au-dessus de leurs têtes. Severus se leva et se mit à poursuivre le livre voyageur que Hazel prenait grand plaisir à faire virevolter à sa guise. Un nouvel éclat de rire jaillit des lèvres de ce garçonnet habituellement réservé et grave comme la Mort. Elle fit en sorte de ramener le livre-oiseau vers elle et l'immobilisa dans les airs. Elle l'abaissa jusqu'à elle et le recueillit au creux de sa paume. Le jeune Severus se précipita vers elle et avec malice, lui arracha le roman des mains. Il s'apprêtait à faire une remarque quand ses yeux s'écarquillèrent de surprise. La silhouette s'esquissant devant lui gagna en intensité et le doute n'était plus permis : il s'agissait bel et bien d'une jeune demoiselle nimbée d'une lueur argentée. Peut-être s'agissait-il d'un fantôme après tout... Le cimetière n'était pas loin et certains prétendaient que le parc était hanté par quelques esprits errants.
- Tu es un bien drôle de fantôme, marmonna le petit garçon. Je ne savais pas que les spectres pouvaient faire de la magie...
Il se rassit près d'elle et posa le livre entre eux. Hazel tourna la tête vers lui, ne cherchant pas à le détromper sur la nature qu'il croyait être la sienne. Le jeune Severus s'allonge et, tout en ramenant ses mains contre sa poitrine, osa se confier au spectre :
- Peut-être qu'au final, murmura-t-il d'un ton devenu subitement moins confiant, je ferai partie de l'une de ces deux maudites Maisons. Après tout, je suis une brebis galeuse... Le grand Salazar Serpentard détestait les Sangs-Mêlés dans mon genre. J'aurais sans doute été encore plus doué si mon sang avait été pur...
Hazel se pencha vers lui et lui tapota le genou d'une main amicale. Le jeune Severus esquissa un triste sourire : Peut-être existait-il des fantômes chargés de consoler les peines des petits sorciers malheureux ? Il devrait se renseigner au sujet des revenants lorsqu'il franchirait les portes de Poudlard dans moins d'un mois.
- Le problème, confessa-t-il, ce n'est pas mon manque de connaissances, ce sont les autres. Tu sais, j'étais inscrit dans une foutue école de Moldus et ça ne passait pas très bien... mais...
Pour la première fois, Hazel vit un sourire s'esquisser sur les lèvres gercées et blêmes du garçonnet.
- Mon amie Lily sera avec moi, ça me rassure un peu... Lily ne me laissera jamais tomber...
Le jeune Rogue se redressa alors d'un bond, le regard pétillant de malice :
- Attends, je vais te montrer ce qu'elle m'a offert ! Lily est la personne la plus géniale que je connaisse ! Elle est tellement douée ! Je suis certain qu'elle deviendra la meilleure des sorcières de Poudlard !
Il se saisit de son sac traînant à quelques pas de là et le ramena vers lui. En le voyant fouiner dans son cartable, tel un enfant impatient d'ouvrir ses cadeaux à Noël, Hazel ne put s'empêcher à l'adulte empli d'amertume qu'il deviendrait... Le jeune sorcier se rassit et Hazel s'aperçut qu'il tenait une boule magique entre ses mains. La jeune fille avait déjà eu l'occasion de tester l'un de ces gadgets typiquement moldus et fut surprise d'en voir un en possession du jeune Rogue ! Il agita la boule magique en chuchotant sa question :
- Aurais-je des amis, un jour ?
Il ferma les yeux, posa la boule contre son front et guetta la réponse avec une certaine impatience. Celle-ci ne tarda pas à s'afficher. Hazel vit le garçonnet blêmir et son visage se contracta sous l'effet de la colère. Il poussa un cri furieux et d'un geste rageur, lança la boule magique en direction du parterre de fleurs. La boule cogna contre un rondin qu'elle dégomma avant de se perdre au milieu des myosotis. Pestant contre cette idiotie moldue, il se recroquevilla, sa tête cachée au creux de ses avant-bras, ses cheveux sales formant une nouvelle barrière entre lui et le monde extérieur.
Hazel se leva et alla chercher la boule magique. Elle la ramassa et lut la réponse moqueuse et ô combien cruelle : N'y compte pas. Elle entendit les reniflements que le jeune garçon tentait à grand-peine de retenir. Elle se pencha et cueillit une poignée de fleurs bleues. Elle revint vers le jeune Severus et dut réfréner son désir de s'agenouiller face à lui et de le prendre dans ses bras ; elle se contenta, avec maladresse, de déposer les myosotis et la boule magique à ses pieds. Elle s'écarta. Il releva le menton avec lenteur. Le garçonnet, la morve glissant de son nez, cligna des paupières, regarda les petites fleurs avant de jeter un regard à la silhouette se dessinant face à lui, il avait bien du mal à distinguer ses traits à cause de la lueur aveuglante du soleil mourant à l'horizon. Il crut cependant percevoir une chevelure rousse.
- Lily ? murmura-t-il en se redressant.
Hazel, comprenant que le jeune Severus commençait à la voir, fut saisie de panique. Elle tourna s'apprêtait à tourner les talons pour s'enfuir lorsqu'une main s'abattit sur son épaule. La scène se figea.
Une voix, celle d'un Rogue adulte, se glissa dans son oreille:
- Répétez, Evans, Fractae Fidelitas.
Hazel secoua la tête, refusant d'obéir à l'ordre donné, les yeux rivés au petit garçon sanglotant qui aurait pu, en d'autres temps, devenir un ami.
- Evans ! Si vous ne prononcez pas ce maudit sort, nous ne pourrons pas nous libérer de ce maudit Pacte !
La jeune fille renifla avec force et détourna son regard du jeune garçon. Elle prit une profonde inspiration et prononça le sort libérateur:
- Fractae Fidelitas.
Le souvenir se brisa, devenant des pétales de myosotis tourbillonnant.
Hazel se retrouva allongée sous le dôme lumineux, diminuant en intensité, dans la cave du Léthé. Les images passées et présentes qu'elle partageait avec Rogue s'effacèrent. Quand elle ouvrit les yeux, seuls ses pensées et ses souvenirs occupaient son esprit. Elle se redressa avec lenteur, le cœur battant, ses doigts enserrant sa baguette. Elle jeta un regard au maître des potions qui s'était relevé. Il se contenta de lui lancer un regard indifférent. Sa baguette glissa de ses doigts. Hazel porta les mains à son visage et se mit à pleurer. Elle était redevenue une simple petite sorcière de douze ans, devant à présent vivre avec le triste souvenir de sa mère et le poids de quelques mensonges.