Le journal de Neville Londubat
8 avril 1996
Un mois.
Un mois depuis que l’AD a été dissoute. Depuis que Dumbledore est parti. Depuis que la Salle sur Demande a cessé d’exister pour nous.
J’ai voulu y retourner, seul, pour m’entraîner. Juste une fois, pour voir si elle m’attendait encore. Mais le couloir du septième étage est désormais sous surveillance. Ombrage y a posté ses sbires, qui rôdent jour et nuit. Même la tapisserie de Barnabas le Follet semble différente, comme si elle savait, elle aussi, que tout est terminé.
J’ai l’impression qu’on a perdu bien plus qu’un simple club d’entraînement.
C’était un endroit où je me sentais… à ma place.
Un endroit où je n’étais pas le garçon maladroit, ni le fils de héros déchus. Juste Neville.
Un élève comme les autres, capable d’apprendre, de progresser, de surprendre.
On avait un véritable esprit de camaraderie. Pour la première fois depuis mes cinq années à Poudlard, j’avais l’impression de faire partie d’une famille, celle dont Dumbledore parle toujours dans ses discours.
J’ai toujours été proche de Harry et Ron, mais surtout comme des camarades de dortoir. À l’AD, j’ai appris à les connaître autrement. À voir leur courage de près, leur fragilité aussi.
Et même si personne à l’école ne sait vraiment tout ce qu’ils ont vécu, ni les histoires qu’ils portent à trois avec Hermione, je sais, moi, qu’ils ont vu et affronté des choses que la plupart d’entre nous ne peuvent même pas imaginer.
Aujourd’hui, tout cela me paraît loin.
Ombrage a installé son règne, comme si le château lui appartenait.
Des règlements partout, accrochés aux murs comme des chaînes. Des affiches, des surveillances, des murmures étouffés. Même les rires paraissent suspects, maintenant.
Les couloirs sont devenus silencieux, lourds, comme si Poudlard lui-même retenait son souffle, fatigué d’obéir. On dirait que les pierres nous écoutent avant de nous laisser parler.
Seuls les jumeaux Weasley osent encore défier l’ordre imposé. Leur petite rébellion, déguisée en commerce, met un peu de couleur dans tout ce gris. Leur boutique improvisée fait fureur : potions, gadgets, farces en tout genre.
J’ai même testé l’une de leurs plumes miroir : un vrai bijou de magie. Parfaite pour mes dessins de botanique. Les schémas sont nets, précis, sans la moindre bavure.
Ils disent qu’ils préparent “quelque chose de grand”. Je ne sais pas ce que c’est, mais j’espère que ce sera bruyant. Très bruyant.
Depuis un mois, je passe la plupart de mon temps à la bibliothèque, ou dans un coin tranquille de la serre, à réviser pour les BUSE. Parfois Hermione ou Luna me tiennent compagnie.
Le professeur Chourave dit souvent que j’ai du talent, mais j’ai encore du mal à la croire. Peut-être qu’elle le dit pour m’encourager… ou peut-être qu’elle le pense vraiment.
La botanique, c’est la seule matière où je me sens à ma place, où tout fait sens. Les plantes ne jugent pas. Elles demandent juste du soin, de la patience, un peu de respect.
Les autres matières… disons que j’espère simplement ne pas tout rater.
Souvent, je croise les anciens de l’AD dans les couloirs. Pas besoin de mots.
Un simple regard, un signe de tête, et tout est dit.
C’est étrange, comme on peut se sentir à la fois proche et infiniment seul.
Je m’entraîne encore, en cachette, dans la serre abandonnée derrière les serres principales. Personne n’y va plus car les vitres sont couvertes de mousse, l’air y sent la terre et le silence. C’est devenu mon refuge.
J’y lance quelques sorts, toujours les mêmes : des boucliers, des désarmements, parfois un Stupefix quand je suis sûr de ne pas être entendu.
Rien de dangereux. Juste assez pour ne pas oublier.
Parce que c’est bien ça, ma plus grande peur : oublier.
Oublier ce qu’on a appris, ce qu’on a construit, ce qu’on a été. Comme si l’AD n’avait jamais existé.
Je me surprends souvent à parler tout seul. À relire mes notes dans le petit carnet que j’avais réservé à l’AD, comme si Harry allait apparaître derrière mon épaule pour me corriger, ou Hermione pour rectifier une incantation.
Mais il n’y a que le silence, maintenant.
Un silence lourd, presque vivant, qui semble me rappeler à chaque page tournée que tout cela appartient déjà au passé.
Grand-mère dit souvent qu’on reconnaît la valeur d’un courage quand il n’y a plus personne pour le voir.
Je ne sais pas si j’en ai, du courage. Pas celui qu’on chante dans les récits héroïques, en tout cas. Mais j’essaie de continuer. D’apprendre. De me préparer.
Parce que quelque chose me dit que ce n’est qu’une accalmie.
Un calme fragile, trompeur, avant la tempête.
Il se passe des choses dehors, loin de Poudlard. La Gazette du Sorcier n’en parle pas, ou fait semblant de ne rien savoir. Mais Grand-mère me l’écrit dans ses lettres : des disparitions. Des rumeurs de familles entières qu’on ne revoit plus. Des noms qu’on efface des registres comme s’ils n’avaient jamais existé.
Ça recommence. Comme lors de la première guerre. Et je sais, au fond de moi, qu’un jour, dans un avenir plus proche qu’on ne le croit, il faudra se battre.
Pour de vrai.