Le Corbeau. Livre 0 : Projet GLADIUS

Chapitre 3 : III Surprises

2891 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2012 05:09

           CHAPITRE III : SURPRISES

 

           Julie Denier était à peine réveillée. Le samedi, elle appréciait le fait de ne pas devoir aller au travail. Elle en profitait pour faire une bonne grasse matinée. Elle en avait bien besoin. Elle avait l’impression que ce Pierrick Corvus la prenait réellement pour sa bonne à tout faire quelques fois. Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Il pourrait rester à son bureau et se tenir ainsi loin du danger. Mais il n’hésitait pas à se rendre sur le terrain, estimant que là était sa place. Et elle devait aussi se rendre à l’évidence : la paperasse n’était vraiment pas son truc. Les jours où il déniait rester dans son bureau, elle passait plus de temps à lui expliquer ou réexpliquer comment remplir tel formulaire, comment comprendre telle note de service. En fait, elle avait plus de travail quand il était là que quand elle se chargeait de tout.

           Elle avait encore les yeux collés et pointés vers le fond de son bol de café quand quelqu’un tambourina à sa porte. La première série de coups lui sembla si lointaine qu’elle crut que ce n’était pas chez elle. Mais la seconde lui confirma que c’était bien à sa porte que l’on frappait. Elle se leva, réajustant sa robe de chambre, et se dirigea vers la porte. Elle ne pensa même pas à regarder par le judas et ouvrit directement. Ses yeux se décollèrent d’un coup quand elle reconnut l’homme qui se trouvait sur le pas de sa porte.

« Monsieur Corvus ! s’exclama t-elle.

-Mademoiselle Denier, salua t-il. Excusez-moi de venir si tôt mais j’ai besoin de votre aide.

-On est samedi ! répliqua t-elle. Je ne travaille pas le week-end sauf en cas d’Apocalypse.

-Ce n’est pas pour le travail, c’est plus personnel.

-Je ne vois pas en quoi je pourrais vous aider sur le plan personnel.

-Voilà, ma filleule fête ses dix ans aujourd’hui.

-Je suis contente pour elle.

-Et je ne lui ais pas trouver d’idée de cadeau. J’ai tout de suite pensé à vous pour m’aider.

-Pourquoi ?

-Parce que vous êtes une femme, vous savez sûrement ce qui ferait plaisir à une fille de dix ans.

-Essayez des jours de vacances.

-S’il vous plait. Vous vous rendez compte que je risque de rendre triste une fillette. Rien que d’y penser j’en suis moi-même attristé.

-Et vous ne pensez pas à votre secrétaire en ce moment.

-Hein ?

-Rien. Laissez-moi le temps de m’habiller. Je ne vais pas vous laisser gâcher la vie d’une gamine en plus de la mienne. Entrez. Vous voulez du café ?

-Avec plaisir. »

           Une fois habillée, Mlle Denier suivit Pierrick jusqu’au boulevard Merlin. Elle le guida dans plusieurs boutiques, recherchant ce qui ferait plaisir à la fille de Samuel. Au fur et à mesure de ce qui ressemblait à une promenade, la secrétaire finit par se détendre et parvint même à rire. Finalement, ce week-end ne commençait pas si mal. Ils trouvèrent ce qu’il fallait à Corvus dans une papeterie : un journal intime ne s’ouvrant que par mot de passe, si quelqu’un l’ouvrait sans le mot de passe, les pages apparaîtraient blanches. Mlle Denier dit qu’à son âge, on commence souvent à écrire ses pensées les plus secrètes.

           Pour la remercier, Corvus lui offrit un café. Ils discutèrent encore un peu en buvant le contenu fumant de leurs tasses.

« Bon, je vais pas tarder à rentrer maintenant, dit la secrétaire.

-Déjà, fit Pierrick.

-J’ai passé une bonne matinée, je dois l’avouer. Mais il sera bientôt midi et je vais aller me préparer à manger.

-Je comprends.

-A lundi. »

Elle se leva et allait transplaner quand elle sentit la main de Pierrick lui saisir le poignet. Elle n’eut pas le temps de dire le moindre mot, la sensation d’écrasement du transplanage se fit sentir. Ils apparurent devant une maison située apparemment en rase campagne. D’un geste sec, elle se dégagea de la main de Corvus.

« Qu’est-ce qui vous prend ? questionna t-elle furibonde.

-Je vous avais promis de me faire pardonner, dit-il.

-Et alors ?

-Qu’est-ce qui se passe ici ? lança Samuel en ouvrant la porte, attiré par les éclats de voix. Pierrick, tu as failli être en retard.

-Désolé, sourit Corvus.

-Mlle Denier ! s’exclama surpris Samuel. Que faîtes-vous ici ?

-Je me posais la même question, répliqua la secrétaire en fusillant Pierrick du regard.

-Je l’ai invité à se joindre à nous, expliqua Pierrick. Je lui devais bien ça.

-Quoi ? fit-elle.

-Je comprends, sourit Samuel. Il faut dire qu’avec les journées qu’il vous fait faire, il vous doit bien ça. C’est l’anniversaire de ma fille. Venez.

-Je… je ne sais pas si je peux m’imposer, balbutia Mlle Denier désarçonnée.

-Vous m’avez aidé à lui trouver un cadeau, rappela Pierrick.

-Oui mais…

-Et bien raison de plus, conclut Samuel. Entrez. »

Julie Denier parut sur le point de dire encore quelque chose mais elle se ravisa et entra.

           Julie Denier pensait qu’elle allait être mise à l’écart. Mais au contraire, tout le monde l’accueillit chaleureusement. Elle parla un long moment avec Léa Marus, la femme de Samuel. Les deux femmes s’entendirent tout de suite. Tellement qu’elles se tutoyaient à peine une heure après s’être rencontrées. Elle répondit au sourire que lui adressa Pierrick quand il offrit son cadeau à la jeune Sonia et surtout quand celle-ci éclata de joie en découvrant ce que c’était. Elle devint même une fervente supportrice dans le petit match de bavboules qui s’improvisa dans le jardin. Match que l’équipe Pierrick/Sonia remportât face à Samuel/Jonas.

           « Pierrick a bien fait de t’emmener, dit Léa alors que le match se finissait.

-Il paye une dette envers moi, répliqua Julie. Avec le boulot qu’il me laisse il peut. Je te raconte pas la surprise ce matin au réveil quand il a frappé à ma porte.

-J’imagine. Je pourrais t’en raconter bien d’autres. Avec Samuel, ils ont passé toute notre scolarité à me faire rire. Durant les premières années, je restais à l’écart. Puis un jour, Pierrick est venu me parler, juste pour faire connaissance. Et depuis, nous sommes inséparables. Pierrick et Samuel sont comme des frères l’un pour l’autre. Et Pierrick reste comme un frère pour moi.

-Et tu as choisi Samuel.

-Oui. Et je ne le regrette pas. Il m’a fait deux beaux enfants et tous les jours les rires éclatent dans cette maison. Mais la famille n’est au complet que quand Pierrick se joint à nous. D’ailleurs, quand il a fallut choisir un parrain pour Sonia, nous n’avons pas hésité une seule seconde. Pourquoi est-il venu te chercher ce matin d’ailleurs ?

-Pour choisir un cadeau à Sonia. Il disait avoir besoin d’un avis féminin.

-Je vois.

-Pourquoi il n’est pas plutôt aller demander à une de ses cousines, sa sœur ou même sa mère ? Non pas que je le regrette, loin de là. Mais ça aurait été plus logique.

-Il n’a jamais eu de sœur ni de cousins. Et ses parents sont morts quand il était enfant.

-Oh, fit Julie dont le moral en prit un coup.

-Il n’en parle jamais. Il n’aime pas que les autres le prennent en pitié. Tu verras quand tu le connaîtras mieux, c’est un homme bien.

-Je n’en doute pas. Mais vu son sens de l’organisation déplorable, je ne voudrais pas voir son appartement.

-Il lui manque juste une chose dans sa vie.

-Le sens des responsabilités, ironisa Julie.

-Non, sourit Léa. Une femme. »

           Les participants au match de Bavboules allèrent se débarbouiller dans la salle de bain. Les enfants furent les plus rapides, pressés de retourner s’amuser.

« Je savais bien qu’elle te plaisait ta petite secrétaire, dit Samuel.

-Qu’est-ce que tu racontes ? fit Pierrick. Je te l’ai dit, c’est juste pour me faire pardonner de lui avoir abandonnée tout le travail.

-Bien sûr. On ne me la fait pas. Je te connais comme-ci je t’avais fait.

-Et bien tu te trompes.

-On se connait depuis combien de temps ?

-Je ne vois pas le rapport. Maintenant, excuse-moi mais c’est l’heure du gâteau.

-Vas-y, fuis. »

           Le soir tombait quand la fête touchait à sa fin. Les invités partaient les uns après les autres. Pierrick et sa secrétaire furent les derniers à partir. Sonia ne se priva pas de faire la bise à Julie en lui demandant si elle reviendrait bientôt. Pierrick raccompagna Julie jusqu’à chez elle.

« J’ai passé une très agréable journée, dit-elle une fois qu’ils furent sur le pas de sa porte. Merci Mr Corvus.

-Appelez-moi Pierrick, dit-il. Je n’ai jamais vraiment aimé qu’on m’appelle par mon nom.

-Alors appelez-moi Julie.

-Alors à lundi Julie. Profitez bien de votre dimanche.

-En espérant que je puisse faire une bonne grasse matinée, sourit-elle. »

 

           Maldieu se rendit chez son ami François Garde. Il devait lui parler au plus vite du projet du professeur Faros. Il avait réfléchit tout le samedi à la façon de présenter la chose à son ami. Il le savait assez moraliste sur certains points et surtout : incorruptible. C’est d’ailleurs ce qui faisait de lui un bon chasseur. Mais il savait aussi que la fin justifiait les moyens.

           Il frappa à la porte sans se soucier de ne pas avoir prévenu de sa visite. François Garde était un vieux célibataire endurci. Il ne s’était jamais marié. La seule femme avec laquelle il aurait pu faire sa vie n’a pas supporté la peur quotidienne de le voir partir sans être sûre de la voir revenir. Elle le quitta au bout d’un an de vie commune. Il avait eu des nouvelles d’elle une fois. Une seule fois en plus de trente ans. Elle s’était marié et avait eu des enfants. Il avait alors appris que son premier fils se prénommait François.

           François ouvrit et le fit entrer. Il lui offrit une tasse de café avant de lui demander l’objet de sa visite.

« Vendredi soir j’ai eu la visite du professeur Faros, raconta Charles Maldieu. Il m’a parlé d’un projet secret qu’il voudrait mener à terme. Un projet qui nous doterait d’une arme susceptible de terrasser Tu-sais-qui.

-Où est le mais ?

-Son projet devra être caché à tous, y-compris au Ministre.

-Je peux le comprendre. On ne sait pas jusqu’où monte la corruption du Seigneur des Ténèbres. Tu vas devoir choisir des gens dont tu es entièrement sûr. Ce n’est pas ça qui te dérange, n’est-ce pas ?

-Ce projet nous forcera à user de la Magie Noire et à faire des choses que nous n’aurions jamais faites en temps normal. Faros propose de créer une arme humaine. Plus précisément de faire une copie biologique de quelqu’un et de la renforcer par des enchantements, des rituels et des potions alors qu’elle est dans le ventre d’une porteuse. Il faudra ensuite des années pour que cette arme soit utilisable. Mais un jour, nous pourrons nous servir d’elle pour vaincre Tu-sais-qui. »

François laissa son ami finir. Mais à mesure qu’il lui racontait ce que Faros projetait, il ne put s’empêcher de penser qu’ils étaient tombés sur la tête.

« Êtes-vous devenus fous ? questionna t-il. Tu te rends compte de ce qu’implique ce projet. Nous pourrons tout simplement jeter aux ordures tout ce pourquoi nous nous sommes battus durant tant d’années. Et nous devrons commettre les crimes que nous avons juré de combattre. Ce n’est pas ainsi que je veux combattre Tu-sais-qui. Nous avons nos méthodes.

-Tu sais aussi bien que moi que nous ne gagnerons jamais cette guerre en usant de méthodes classiques, coupa Charles. Il est bien de trop puissant et intelligent. Ses fidèles sont plus nombreux chaque jour. La situation n’a jamais été aussi désastreuse. Tous les jours nous devons déplorer des morts et des crimes d’une noirceur sans borne. Parti comme c’est, il nous faudra soit un miracle, soit ne plus se soucier de la morale pour vaincre. Tu es bien d’accord avec le fait qu’il faut faire quelque chose ?

-Oui mais…

-Et bien le professeur Faros propose quelque chose. Je te l’accorde, il est possible qu’un jour nous devions répondre de nos actes devant la Justice. Mais au moins nous aurons tenté quelque chose. Le pire crime serait de rester les bras croisé sans rien faire.

-La seule chose qui permet au Mal de triompher est l’inaction des hommes de Bien.

-Edmund Burke si je me souviens bien.

-Oui. Qui d’autre est sur ce projet ?

-Le professeur Faros m’a juste parlé de son fils qui travaille au Département Secret et de son assistante. »

           François Garde n’aimait pas avoir à faire avec le Département Secret. Officiellement, ce département n’existait pas. Personne ne savait réellement qu’elle était le travail qu’ils faisaient. Parfois, le résultat de leurs recherches paraissait au grand jour. Mais toujours pour une potion ou un sortilège d’utilité publique. Certains n’hésitaient pas à dire, dans la presse ou dans les légendes urbaines, que ces découvertes n’étaient que dus au hasard de recherches sur d’autres sujets. Mais lesquels ? Personne ne pouvait répondre. Les chercheurs de ce Département étaient surnommés les langues-de-plomb.

           « Pour les Chasseurs, Faros me fait confiance pour les choisir, continua Charles. Tu es le premier à qui j’ai pensé. Il m’a aussi dit qu’il savait qui prendre comme original pour la copie.

-Qui ?

-Pierrick Corvus. A cause de sa puissance magique hors norme. Je pense qu’en plus il pourra être utile pour l’entraînement de Gladius.

-Gladius ?

-Le nom de ce projet est GLADIUS.

-Qui d’autres tu vois pour ça ? Georges ?

-Non. Je ne pense prendre personne de la section AI. Et pour la section S, mis à part toi et Pierrick, personne d’autre. Par contre, je pense que Françoise Cidal et Gilles Chaldo pourraient nous être utile. Il ne faudra pas former la copie qu’au combat. C’est d’une arme intelligente dont nous avons besoin. Ils pourront lui apprendre à évaluer une situation sous un autre regard.

-Tu ne leur en as pas parlé ?

-Tu es le premier à qui j’en parle. Je pensais que tu pourrais m’aider pour convaincre Pierrick. Sans lui, le projet GLADIUS ne se fera pas. Si nous n’avons pas son concours, ça ne servira à rien d’en parler aux autres.

-Ce ne sera pas facile de le convaincre.

-Je sais. Mais l’avenir de notre monde et sûrement aussi de ce lui des Moldus est en jeu. Es-tu avec nous ? »

           François Garde parut réfléchir encore. Ce projet GLADIUS les enfoncerait si loin dans les ténèbres qu’il n’était pas sûr de pouvoir en revenir. Et pourtant, Charles n’avait pas tort. La situation n’avait jamais été aussi grave. Ce projet s’inscrivait sur le long terme, mais il ne pouvait espérer trouver de solution immédiate pour le moment. Il fallait agir.

« Je suis avec toi, dit-il. Comme toujours. »

Laisser un commentaire ?