Le Corbeau. Livre 0 : Projet GLADIUS

Chapitre 17 : XVII Frédéric Liro

3228 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 04:20

           CHAPITRE XVII : FREDERIC LIRO

 

           Cela faisait maintenant six ans que Gladius était né. Et malgré la terreur qu’il faisait naître chez les mages noirs, la situation ne s’était pas vraiment améliorée. Au contraire, Malgéus se montrait plus violent encore. Les Chasseurs des Gardiens de l’Epée détournaient certaines informations menant aux planques des mangemorts au profit des actions de Gladius. Pour cela, l’aide de Gilles Chaldo et Françoise Cidal fut précieuse au sein de la section IRIA. Mais ils étaient actuellement en voyage de noces, s’étant uni récemment. Maldieu devait agir autrement mais son manège n’échappa pas à Frédéric Liro, le chef de la section IRIA.

           Maldieu ne faisait que moyennement confiance à Frédéric Liro. Il était déjà chef de section avant qu’il ne prenne directeur des Chasseurs. Liro était un arriviste prêt à tout pour monter dans les échelons et qui n’avait pas caché sa déception de ne pas avoir été nommé à la tête des Chasseurs. Il était l’un des rares Chasseurs à ne pas avoir pris part à la grève des Chasseurs quand le nouveau Ministre Erwan Riliam souhaitait remplacer Maldieu par Yves Dakus. Peut-être pensait-il plus facile d’évincer Dakus par la suite que Maldieu. Jusqu’à maintenant, Maldieu n’avait eu aucune raison valable de le faire remplacer à la tête de la section IRIA.

           Frédéric Liro restait toujours à l’affut de ce qui pouvait mettre Maldieu en mauvaise posture. Lorsqu’il suspecta le détournement d’information, il vint immédiatement en parler à Maldieu.

« Que veux-tu Frédéric ? demanda Maldieu directement.

-J’ai remarqué dernièrement que plusieurs informations concernant la localisation de mangemorts disparaissaient des rapports ou, du moins, ces rapports étaient passablement ralenti dans leur traitement, expliqua-t-il.

-Je vois. L’affaire à l’air sérieuse. As-tu une idée de qui peut faire ça ?

-Peut-être. Mais le plus important serait plutôt de savoir au profit de qui ces infos sont détournées.

-Je ne comprends pas. Cela ne peut être fait que pour les mangemorts.

-Je le penserais aussi si sur la plupart des lieux désignés par ces infos, les mangemorts ont toujours été découverts à l’état de cadavre.

-Le « justicier » dont parle la rumeur serait un chasseur ?

-Mais il doit avoir l’appui d’une haute autorité pour pouvoir faire ça sans que l’on ne l’ait remarqué plus tôt. Un chef de section ou même : le directeur des Chasseurs. »

           Maldieu planta un regard sans faille dans celui de Liro qui semblait s’amuser de la situation.

« Tu m’accuses de ne pas suivre les procédures légales ? questionna Maldieu.

-Tout à fait, fit Liro. J’ai toutes les preuves pour ça.

-Alors que vas-tu faire ?

-Je veux que tu démissionnes en conseillant mon nom comme nouveau directeur auprès du Ministre. Sinon, je vais le voir directement en lui présentant toutes mes preuves contre toi et ce sera le déshonneur. »

Liro jubilait visiblement de se savoir si puissant. Maldieu n’avait plus qu’une solution, il le savait et n’hésiterait pas. Il promit à Liro de rédiger sa démission mais lui demanda de la discrétion en attendant qu’elle soit effective.

           Maldieu se rendit au Département Secret. Il y retrouva Pierrick Corvus et Antoine Faros qu’il avait prévenu par hibou. Il exposa le problème.

« C’est fâcheux, dit Faros. Vous êtes nécessaire au bon déroulement des actions de Gladius. Sans vous, ce sera plus difficile.

-Liro a toujours voulu ce poste, fit Corvus. Il ira jusqu’au bout. Déjà qu’il se montrait gênant en ralentissant le travail normal des Chasseurs pour tenter de vous faire paraître inefficace. Le mieux serait de le renvoyer de son poste de chef de la section IRIA et d’y nommer quelqu’un d’autre comme Gilles.

-Si nous faisons ça, il rendra public ses preuves, fit remarquer Maldieu. A vrai dire je ne vois qu’une seule solution. Mais elle doit rester entre nous.

-L’éliminer, dit Corvus.

-On peut faire passer sa mort pour un crime des mangemorts. Il suffit de faire apparaître la Marque des Ténèbres.

-Alors le mieux serait de se servir de Gladius, conclut Faros. Corvus, pouvez-vous vous en occuper ?

-Oui. »

 

           Cette mission devait rester secrète vis-à-vis des autres Gardiens de l’Epée. Après tout, ce n’était pas pour ça que Gladius avait été créé au départ. Mais perdre Maldieu signifiait réduire la liberté d’action de Gladius de manière significative. Et si Liro prenait la place de Maldieu, il ne lui faudrait pas longtemps pour faire remplacer Corvus à la tête de la section S, sachant que celui-ci avait été l’élève de Maldieu.

           Frédéric Liro avait une famille : une femme et deux filles. Mais aucune d’elles ne serait victime de Gladius. Lui seul mourra. La tâche s’annonçait alors plus ardue. Corvus et Gladius passèrent la journée à observer la maison de Liro. Pour cela, le fait que Gladius soit, par imitation, devenu un animagus, aidait. Deux corbeaux dans un arbre près d’une maison, quoi de plus normal. La plupart du temps, les passants ne faisaient même pas attention à leur présence. Ils virent arriver la femme de Frédéric Liro tenant par la main une fillette de six ou sept ans. L’ainée était actuellement à Beauxbâtons. La fillette ressortit, profitant de cette belle journée pour aller jouer dans le jardin.

           Corvus attira Gladius à l’abri des regards pour pouvoir reprendre forme humaine et lui parler.

« Voilà l’occasion d’infiltrer la maison, dit-il. Tu vas aller faire connaissance avec cette fille. Elle s’appelle Florence. Tu vas faire en sorte que vous vous amusiez et ainsi, tu pourras approcher son père sans qu’il ne se doute de quelque chose. Tu devras peut-être user de l’Impérium sur la fille et la femme. Mais souviens-toi qu’aucune des deux ne doit mourir sauf cas spécial. Fais en sorte qu’il n’y en ait pas et de pouvoir éliminer le père. Une fois cela fait, tu invoques la Marque des ténèbres.

-J’ai compris, fit Gladius. Comment fait-on pour s’amuser ? »

Corvus n’avait pas pensé à ça. Gladius avait été toujours élevé comme une arme. Et une arme ne s’amuse pas. Il ignorait comment faire pour être un petit garçon comme les autres. Sauf dans certains cas.

« Comme durant les cours d’infiltration passive, finit par dire Corvus. Mais en plus long. Tu vas jouer le rôle durant des heures.

-Bien, acquiesça Gladius.

-Et surtout, pas de magie devant eux sauf pour la mission. »

 

           Corvus se demandait s’il ne devrait pas plutôt s’en charger lui-même. Gladius ignorait tout de l’amusement comme le pratique les autres enfants de son âge. D’ailleurs, il ne l’avait jamais considéré comme un enfant. Seul Gilles mais surtout Françoise Chaldo avaient essayé d’apporter un peu de candeur dans le cœur de Gladius. Toujours en vain. Le poids de ses combats et des morts était trop lourd sur l’esprit du petit garçon.

           Corvus se transforma de nouveau en corbeau pour observer la scène. Gladius s’approcha timidement de la clôture délimitant le jardin familial. Ce n’était qu’un rôle pour lui. Un rôle qu’il avait appris par cœur lors de ses années d’entraînement. Il resta sans bouger à la clôture, attendant que la fillette le remarque. Elle vint vers lui au bout de quelques minutes.

« Bonjour, tu t’appelles comment ? demanda-t-elle.

-Pierre, répondit-il, utilisant le nom prévu pour ce rôle. Je viens d’arriver ici avec mon papa et ma maman.

-Tu es sorcier ?

-Mon papa l’est, pas ma maman.

-Mes deux parents le sont, dit fièrement la fillette. Et mon papa est le chef de ceux qui nous protègent. Enfin, il le sera bientôt mais c’est un secret, il faut pas le dire.

-D’accord. Tu joues toute seule ?

-Ma copine Anna n’est pas là aujourd’hui. Tu veux jouer avec moi ?

-Oui.

-Viens, invita-t-elle. »

 

           Corvus avait observé l’échange. Il ne put s’empêcher de se sentir triste pour cette fillette qui bientôt perdrait son père. Un sacrifice nécessaire pour que d’autres petites filles ne perdent pas leurs parents par les actions criminelles des mangemorts. Etait-ce si simple ? Non, cela restait un meurtre. Mais il n’y avait pas d’autres choix. Malheureusement.

           Et alors que le Corbeau pensait à ça, la fillette ouvrait le portail de son jardin à un démon déguisé en enfant…

 

           Gladius et Florence jouèrent toute l’après-midi. Même en sachant qu’il était formé pour ça, Corvus était sidéré de voir à quel point il jouait bien son rôle. S’il n’avait pas su qui il était en réalité, il ne l’aurait pris que pour un enfant comme les autres jouant avec un autre enfant.

           La mère de Florence avait invité le petit garçon pour le goûté, contente que sa fille se soit fait un nouvel ami. Il devait être dix-huit heure quand Frédéric Liro arriva du Ministère. Il embrassa sa femme et sa fille et demanda qui était ce petit garçon.

« Il s’appelle Pierre, répondit Florence. Il vient d’arriver et on a joué toute l’après-midi.

-Très bien, fit Frédéric Liro. Je vais dans mon bureau, j’ai des documents à examiner. »

           Frédéric Liro quitta la cuisine. Gladius le suivit des yeux. Il demanda à la mère de Florence où étaient les toilettes. Elle lui indiqua. Gladius put ainsi quitter la cuisine. Il repéra une porte venant de se fermer. Connaissant le plan de la maison, il savait qu’il s’agissait du bureau de Frédéric Liro. Sa cible.

           Gladius frappa à la porte, sa baguette cachée dans son dos, prête à servir. Frédéric Liro ouvrit la porte et fut surpris de tomber sur le garçon.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il. Tu cherches les toilettes peut-être ? C’est par… »

Il ne put finir sa phrase. Un éclair vert illumina un instant le couloir et son corps sans vie s’effondra lourdement sur le parquet. Gladius n’avait plus qu’à effacer la mémoire de la femme et de la fille pour que personne ne découvre son existence, et à faire apparaître la Marque des Ténèbres.

           « Papa. »

La voix timide de Florence résonna aux oreilles de Gladius, bizarrement, ce son l’attrista. Il tourna les yeux vers elle. Elle s’élança sur le corps de son père, le secouant pour tenter vainement de le réveiller du sommeil éternel. Elle ne comprenait pas. Pourquoi son père ne bougeait plus, pourquoi il ne respirait plus, pourquoi il devenait froid. Et ses larmes coulèrent. Des larmes qui touchèrent l’âme trempée de sang de Gladius.

           Il n’avait eu à se forcer à jouer un rôle qu’au début. En quelques minutes, cette petite fille rieuse, lui avait appris à s’amuser et à rire. Il en avait même oublié sa mission. Mais quand Frédéric Liro était apparu, ses automatismes d’arme de guerre étaient revenus. Il avait une mission. Et il l’avait rempli. Il pensait juste devoir effacer la mémoire de Florence pour qu’elle l’oublie. Mais cela n’effacera jamais la peine d’avoir perdu son père. Une peine qu’elle traînerait toute sa vie. Gladius ne voulait pas qu’elle vive avec cette tristesse. Il leva de nouveau sa baguette.

           Par réflexe, il esquiva le maléfice que venait de lancer la mère de Florence depuis le bout du couloir. Il contre-attaqua aussi sec d’un sortilège de découpage qui trancha le corps de la femme en deux de l’aine au cou. Le sang gicla sur les murs, recouvrant Gladius qui ne broncha pas. Il se tourna de nouveau vers la fillette. Celle-ci le regardait avec tristesse et peur.

           Un dernier flash vert éclaira les murs recouvert d’ocre…

 

           Corvus avait attendu durant un long moment. Il ne descendit de son perchoir que quand Gladius était ressorti dans le jardin recouvert de sang. Et là, il avait découvert l’horrible scène.

« Pourquoi as-tu fait ça ? demanda-t-il. Tu avais des instructions.

-La mère m’a surpris et je l’ai tuée par réflexe, expliqua Gladius avec froideur. »

Corvus savait que trop bien que Gladius était plus habitué à tuer au combat qu’à simplement neutraliser.

« Et je ne voulais pas savoir Florence triste en ayant perdu son père puis sa mère, finit-il. »

           Corvus prit peur. Gladius avait donc développé des sentiments. Mais il les ressentait de manière totalement déformés et violentes. Qu’espérer de plus d’un être dont la seule vie a été la Guerre et la Mort depuis sa naissance ? Qui a même été créé dans ce but ? Mais ce qui fit le plus peur à Corvus, c’était qu’il se rendait compte que le contrôle que les Gardiens de l’Epée pensaient avoir sur Gladius n’était pas total.

           Ils avaient créé une arme pour combattre l’incarnation des Ténèbres. Mais cette arme n’allait-elle pas les détruire un jour ?

 

           L’assassinat du chef de la section IRIA et de presque toute sa famille fit un véritable tollé dans la communauté magique. Gilles Chaldo et sa femme Françoise revinrent en urgence. Maldieu avait rappelé le jeune marié pour lui confier la direction de la section IRIA. Une promotion comme celle-là ne se refuse pas. Gilles Chaldo devint donc le nouveau chef de la section IRIA.

           François Garde vint voir son ami Maldieu dans son bureau. Il affichait sa tête des mauvais jours. Maldieu connaissait assez le vieux chasseur pour savoir qu’il se doutait de quelque chose. Autant qu’il savait qu’il ne pourrait rien lui cacher.

« C’est bizarre tout de même, dit François.

-Quoi donc ? demanda Charles.

-Les mangemorts ne s’en sont jamais pris à quelqu’un d’aussi important dans la hiérarchie du Ministère jusqu’à maintenant.

-Si, ça s’est vu en Grande-Bretagne.

-Mais c’est la première fois de notre côté de la Manche.

-Malgéus a sûrement décidé de durcir ses actions.

-Tu comptes continuer ce petit jeu avec moi encore longtemps ?

-Aussi longtemps que tu le voudras.

-Qu’a-t-il fait pour mériter la mort ?

-Il a mis en danger notre opération. Il a découvert que nous faisions disparaître des infos et m’a fait chanter en me menaçant de tout révéler si je ne lui laissais pas ma place.

-Et ça justifiait l’assassinat de toute sa famille ?

-Non. Lui seul devait mourir. Mais Gladius les a tous tués. D’après ce qu’il nous a dits, pour la femme de Frédéric, c’était par réflexe de défense, elle l’a attaqué. Pour la fille, par charité.

-Par charité ?

-Pour ne pas qu’elle soit triste et orpheline.

-Alors peut-être devrions-nous aussi l’envoyer finir le travail et tuer l’aîné qui était à Beauxbâtons à ce moment là ! s’emporta François. Parce qu’elle est triste et orpheline !

-Je n’ai pas dit que j’étais d’accord avec les actions de Gladius, répliqua François. Je te dis juste ce qu’il a avancé comme explication.

-Cela démontre une chose, dit François après un temps de silence. Nous n’avons aucun contrôle sur cette arme.

-Ce n’était qu’un accident. Ça ne se reproduira plus.

-Et si ça reproduit ? Combien « d’accident » se produiront avant que tu ne te rendes compte que nous avons commis une grave erreur en créant Gladius ?

-Pour l’instant, tout ce que je vois, c’est que les mangemorts sont acculés et que nous avons une chance d’éliminer la menace de notre côté. Et après, Tu-sais-qui sera la cible principale de Gladius.

-Ce n’est qu’un rêve. Un rêve teinté de cauchemar. »

           François se leva et se dirigea vers la porte pour sortir. La main sur la poignée, il adressa un dernier mot à son vieil ami :

« Tu dis que les mangemorts de Malgéus sont acculés. Tu as raison. C’est pourquoi nous devons nous méfier. Rien n’est plus dangereux qu’un animal acculé. »

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