Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets
CHAPITRE IV : DE LA TERRE A MARS
« Oui, je comprends, dit Julia Chaldo au visiophone. Je vais aller la voir.
-Je crois qu’il serait temps qu’elle oublie Tony, fit Alex.
-Quand tu dis « oublié », tu ne veux pas dire qu’on lui fasse oublier quand même ?
-S’il le faut.
-Mais que ce passera-t-il quand Tony se réveillera ?
-Parce que tu penses réussir à le sauver ?
-Je ferais tout pour ça, lança Julia avec hargne.
-Je te fais confiance Julia. Mais pour Isabelle, je ne sais pas quoi faire d’autre.
-Dans ce genre de cas, je sais mieux mentir que toi. Concentre-toi sur ta mission et laisse-moi m’occuper du reste. A bientôt. »
Julia Chaldo coupa le visiophone. Elle demeura immobile durant un moment, perdue dans ses pensés. Au bout de quelques secondes, elle sentit une présence avec elle dans la pièce. Elle se retourna et tomba sur Joshua.
« Tu es revenu depuis longtemps ? questionna-t-elle.
-Assez longtemps, répondit-il. Je ne voulais pas te déranger durant ton appel.
-Tu as entendu.
-Oui. Qui est Isabelle ?
-La fiancée de Tony. Elle ignore tout de son travail et on ne lui a rien dit sur son état. On lui a dit qu’il était parti en déplacement et ne pouvait donner de nouvelles. Mais au bout de deux mois, ce mensonge n’a plus l’air de fonctionner. Je me demande ce que je vais lui dire.
-Elle est moldue ou sorcière ?
-Moldue. Elle sait que nous sommes des sorciers et pense que nous travaillons pour la CIMS[1] en faisant le lien avec l’ONS.
-D’une certaine manière, ce n’est pas faux.
-On peut dire ça. Mais elle ne connait pas la vérité concernant le véritable emploi de Tony à l’ONS.
-Nous arriverons à sauver Tony, j’en suis certain. Mais pas aujourd’hui, il commence à se faire tard. Tu devrais rentrer chez toi, surtout que tu dois t’occuper de Sarah.
-Tu as raison. Je vais la prendre et rendre visite à Isabelle. Tu rentres chez toi aussi ?
-Oui, sans toi, je ne pourrais pas avancer, tu en connais bien plus que moi sur la technomagie. Je vais t’accompagner jusqu’à la salle de transplanage. »
Julia alla une dernière fois voir son frère. Le corps d’Anthony Chaldo était dans un caisson de stase. Son corps était en lambeaux, des parties à vif, des membres manquants, le visage déchiqueté. Son corps était détruit à 70%. Et pourtant, il vivait encore. Julia ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il était en vie. Alexandre préférait voir qu’il était entre la vie et la mort. Mais elle, elle le voyait en vie. Julia passa sa main sur la paroi froide du caisson avant de sortir.
Joshua accompagna Julia jusqu’à la cafétéria. Sarah sourit en les voyant arriver. La fillette était toujours entrain de lire.
« Tu viens Sarah, on y va, fit Julia.
-D’accord, acquiesça la fillette. »
Sarah rangea ses livres dans son sac. Julia regarda distraitement les titres qui s’étalaient devant ses yeux : Alice au Pays des Merveilles, Le Magicien d’Oz, Les Contes de Perrault, des frères Grimm et de Beedle le Barde,… Cette petite aimait se plonger dans un monde magique où tout était possible. Elle lisait aussi bien des romans moldus que des histoires sorcières. Les yeux de Julia s’arrêtèrent sur une des couvertures. Elle tendit la main et se saisit du livre. Elle eut comme une illumination.
« Julia, je peux avoir mon livre ? quémanda Sarah.
-Qu’est-ce qui t’arrive ? questionna Joshua alors que Julia rendait son livre à Sarah.
-Je crois que j’ai une idée, répondit Julia.
-Une idée pour quoi ?
-Pour Tony. On a essayé d’activer sa régénération cellulaire mais ça n’a pas marché.
-Parce que de l’énergie des Seigneurs de l’Oubli stagne dans ses tissus nécrosés.
-Oui, et pour la même raison, nous n’avons pas pu lui greffer de tissus de culture. Les greffons ne tenaient pas sur les tissus morts. Ils étaient toujours rejetés.
-Où veux-tu en venir ? »
Rowena Carter venait de finir de visionner le message d’Hector Guillou. Ce qu’il lui avait dit ne lui faisait pas plaisir. Pourquoi lui ? Elle aurait préféré n’importe qui d’autre. Comment osait-il revenir sur Mars ? Et surtout, comment osait-il revenir alors qu’elle était là ?
Irvine Smith entra avec deux tasses de café fumantes. Il en tendit une à Rowena qui l’accepta sans sourire. Irvine n’eut pas besoin de légilimancie pour comprendre que quelque chose la contrariait.
« Que se passe-t-il ? questionna Irvine.
-Je viens de recevoir un message du Patron, expliqua Rowena. Il envoi une équipe pour enquêter sur le meurtre d’Olympus.
-Vu comment vous êtes contrariée, je pense savoir qui il envoi. Alexandre Chaldo, n’est-ce pas ?
-Oui. Je ne pensais pas le revoir un jour. Et surtout, je ne pensais pas qu’il ait le courage de venir se présenter devant moi. Mais il est vrai qu’il n’a jamais brillé par son intelligence, et les idiots comme lui ne peuvent pas connaître la peur.
-Je ne suis d’aucun côté entre vous deux. Mais je sais que vous dîtes tout ça uniquement à cause de Huygens. Vous lui en voulez et c’est normal. Mais au fond de vous, vous savez qu’il n’est pas un idiot et qu’il vient parce qu’il a une mission. Il n’est pas du genre à reculer par peur. Je pense même qu’il est plutôt du genre à avancer.
-Peuh !
-Vous ne comptez pas l’attaquer sur ce sujet quand il sera là ?
-Le Patron veut que je ne déborde pas du sujet de sa visite. Je verrais le moment venu. »
Irvine comprit ce que cela signifiait, surtout connaissant les caractères bien trempés de Rowena et d’Alexandre. Il sortit du bureau de sa chef en espérant que la confrontation en resterait aux paroles.
Frédéric avait expliqué à Ariana pourquoi ils devaient prendre un vol pour la Lune avant de se rendre sur Mars. En fait, il n’existait aucun vol direct entre la Terre et Mars. La quantité d’énergie nécessaire pour atteindre la planète rouge étant déjà énorme, et la quantité requise pour quitter l’influence de l’attraction terrestre en demandant aussi beaucoup, les économies en énergie et en usure des pièces des vaisseaux requéraient de coupé le voyage en trois. Des vaisseaux puissants permettaient de s’arracher de l’attraction terrestre pour se rendre sur la Lune. De là, il fallait embarquer dans un autre vaisseau pour effectuer le long vol vers Mars. Ou plutôt vers la station-port orbitale. Car pour les mêmes raisons justifiant le vol entre la Terre et la Lune, il y avait une étape intermédiaire avant d’entrer dans l’atmosphère martienne.
Ariana avait compris la raison de l’économie d’énergie mais pas celle de l’usure. Frédéric lui expliqua alors que l’entrée et la sortie de l’atmosphère généraient des frottements et des vibrations qui usaient la carlingue et les différentes parties des vaisseaux. Pour cela, les vaisseaux assurant les entrées et sorties des atmosphères planétaires étaient renforcés. Mais cela les rendait plus cher et c’est pourquoi ils n’étaient utilisés que pour des petits trajets vers les orbites. En clair, les vaisseaux faisant le plus long du chemin entre la Terre et Mars n’avaient jamais connu l’atmosphère. Même leur construction s’était faite dans le vide spatial.
Ariana eut l’impression d’avoir pris plusieurs centaines de kilos au moment de l’accélération initiale permettant au vaisseau de quitter le sol. A côté d’elle, Fred, pourtant habitué, ne semblait pas plus rassuré. Alex le remarqua aussi et s’en amusa.
« Fred, aucune raison d’avoir peur, dit Alex. Tu vois bien que ce n’est pas moi qui pilote.
-Encore heureux ! s’écria Fred.
-Pourquoi ? Il ne sait pas piloter ? questionna Ariana.
-Si mais c’est un vrai dingue. Je ne lui fais pas confiance en matière de pilotage. Contrairement à Tony. Lui, il est bien plus doué. Il fait des trucs encore plus fous mais bizarrement, on se sent en confiance avec lui. C’était comme ça dans l’équipe : Alex était le meilleur combattant et Tony le meilleur pilote.
-Et toi l’analyste. Je vois. »
Le vol jusqu’à la Lune ne dura que trois heures. Ariana fut surprise de se sentir extrêmement légère quand elle passa sur la passerelle reliant la navette au terminal de l’astroport. Fred lui en expliqua une fois de plus la raison.
« Sur la Lune, la gravité est six fois moindre que sur Terre. Donc tu as l’impression de peser six fois moins. Comme c’est plus gênant qu’autre chose pour la plupart des activités humaines, le sol des cités lunaires est équipé d’attracteurs gravifiques pour donner la même gravité que sur Terre. Tu verras sur Mars, la gravité est de l’ordre d’un peu plus d’un tiers de celle de la Terre.
-Il y a aussi des attracteurs gravifiques là-bas ? questionna Ariana.
-Dans la plupart des villes oui. Mais certaines petites cités ou villages en sont dépourvus. C’est pourquoi il est apparu un syndrome gravitationnel martien. Certains habitants sont des martiens de quatrième voir cinquième génération. Avec la faiblesse de la gravité, ils subissent une décalcification osseuse et une atrophie musculaire. Ces gens ne peuvent pas vivre normalement dans les villes où se trouvent des attracteurs et encore moins sur Terre. Au vu de leur maigreur générale, on les a surnommés les Squelettes Martiens. »
L’escale sur la Lune devait durer deux heures. Ariana fut émerveillé par le fait de voir la Terre d’aussi haut. Elle la trouvait si belle. Le bleu des océans et le blanc des nuages lui donnaient l’allure d’une boule nacrée en perpétuelle mouvement.
« Elle est vraiment magnifique, dit-elle.
-C’est ce que tout le monde dit la première fois, lança Alex. Enfin, les petits moldus disent qu’elle est plus belle qu’en photo. C’est vrai que même les images holographiques ne donnent pas le même rendu.
-Tu as vraiment le don de tout gâcher.
-Quoi ?
-Tu n’aurais pas pu te contenter de dire « c’est vrai » ou quelque chose du genre. Il faut toujours que tu casses l’ambiance.
-Si tu le dis.
-Tu n’es même pas émerveillé de voir la Terre d’aussi loin ?
-Au bout de la vingtième fois, on finit par se lasser, conclut Alex en s’éloignant.
-Il m’énerve ! s’exclama Ariana.
-Ne lui en veux pas, dit Fred. Il a toujours été comme ça. Je ne l’ai jamais vu surpris de quelque chose. Je me suis même demandé plusieurs fois si c’était possible de le surprendre. C’est quelque chose qu’il a en commun avec Tony et Julia. Les Chaldo sont vraiment spéciaux de ce côté.
-Tu n’as jamais réussi à surprendre Julia ? fit Ariana.
-Si, une fois.
-Quand ?
-Quand je lui ais demandée sa main. Elle ne s’y attendait pas du tout. Je n’oublierais jamais sa tête ce jour-là. »
Le voyage entre la Lune et l’astroport orbital martien devait durer trois jours. Heureusement, des activités comme des projections cinématographiques étaient prévues. Le vaisseau comportait même une piscine. Un hall panoramique permettait de ne rien rater du vol. Ariana s’y rendait souvent et y passait des heures à regarder les étoiles défilées, la Terre et la Lune s’éloignées, et Mars se rapproché. Elle ne vit que très peu Alex durant ce vol. Il ne venait la voir que pour lui faire faire des exercices avec sa seconde baguette. Ce que lui avait dit Mr Ollivander se vérifia. Elle avait beaucoup de mal à effectuer des sortilèges simples avec cette baguette. Même un sortilège de lévitation lui donnait beaucoup de mal.
Frédéric vint la rejoindre au hall panoramique. Il s’assit sur le siège à côté d’elle.
« Comment s’est passée la séance d’entraînement ? demanda-t-il.
-Horrible, répondit-elle. Comment tu peux être ami avec ce… type ?
-Qu’est-ce qu’il t’a encore dit ?
-Il m’a dit que peut-être qu’un jour j’arriverais à servir le café avec ma baguette.
-C’est tout lui, pouffa Fred. Ne lui en veux pas, il a toujours eu un humour spécial. Mais quand il veut, il peut se montrer très sympathique et même charmant.
-Je ne le crois pas.
-C’est normal. Tu verras quand tu le connaîtras mieux.
-Je comprends pourquoi il est toujours célibataire. Personne n’a envi de fréquenter un mec comme lui. »
Fred ne releva pas la dernière remarque d’Ariana. Il n’était pas encore temps pour elle de savoir. Et puis, ce n’était pas à lui de lui révéler le passé d’Alex. Il se contenta de regarder les étoiles en silence.
« Tu savais qu’il existait une légende dans l’espace ? dit-il.
-Non, fit-elle. Raconte.
-Ça date des premiers temps de la colonisation spatiale, à l’époque où la première colonie lunaire a été construite. Des pilotes faisant la navette entre la Terre et la Lune pour transporter des matériaux de construction et du ravitaillement on dit avoir vu un vaisseau passer près d’eux. Leur description ne rappelait aucun vaisseau connu. Il ressemblait à un navire de guerre tout noir. Seulement, aucun radar ni aucun observatoire n’a pu confirmer leurs dires. Depuis, ce vaisseau a été revu plusieurs fois au cours des trois derniers siècles, croisant près de la Lune, de Mars, Vénus et même de Jupiter et Saturne. La description faite en est souvent la même : un vaisseau ressemblant à un navire de guerre du 21ème siècle tout noir. Mais à chaque fois, aucune preuve tangible de son existence. Pas une photo, pas une signature radar, rien.
-Wouah ! Alors qu’est-ce que c’est ?
-Personne ne le sait. Ce vaisseau est devenu une légende spatiale. Certains le comparent au Hollandais Volant, une version spatiale du vaisseau fantôme.
-J’espère qu’on va le voir.
-Qui sait ? »
Une fois arrivés à l’astroport orbital, ils changèrent une fois de plus de vaisseau pour descendre dans l’atmosphère de la planète rouge. La descente devait durer quatre heures. Durant l’heure que dura l’escale à l’astroport, Ariana en profita pour observer cette planète qu’elle n’avait vu que de loin au travers une lunette astronomique ou sur une carte du ciel. Et dire que beaucoup de sorciers ignoraient encore qu’elle était habitée. Ariana la trouvait magnifique. Elle connaissait son éclat rouge caractéristique, mais elle découvrait maintenant le bleu de son océan. L’océan martien recouvrait un peu moins de la moitié de la planète. Il faisait de l’hémisphère sud une vaste surface aquatique parsemée d’îles de différentes tailles. Dans l’hémisphère nord se trouvait une mer plus petite. Ariana repéra sans mal le volcan éteint Olympus. Sa taille gigantesque lui faisait allégrement transpercer les nuages.
Les trois agents de la Division Esotérique mirent le pied sur Mars à l’aéroport d’Ascraeus. Avant les postes de contrôle, deux hommes vinrent vers eux.
« Alexandre Chaldo, dit le plus jeune des deux.
-Irvine Smith, ça faisait longtemps, fit Alex en souriant ironiquement.
-Oui, quatre ans. Forge.
-Smith, fit Fred de même.
-Et je suppose que voici Ariana Potter.
-Exact, confirma Ariana.
-Bienvenu sur Mars. »
[1] Acronyme pour : Confédération Internationale des Mages et Sorciers.