Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets
CHAPITRE VI : ROWENA CARTER
Une voiture emmena Alex et son équipe de l’aéroport à l’antenne martienne de l’ONS. Irvine Smith les guida ensuite à travers les couloirs du bâtiment jusqu’à la porte 713. Il les emmena directement au bureau du responsable martien de la DE. Rowena Carter les attendait, assise derrière son bureau. Elle ne se leva même pas quand ils entrèrent. Elle ne regarda ni Frédéric ni Ariana, se contentant de fixer sombrement Alexandre.
« Alexandre Chaldo, fit-elle. J’espérais ne jamais te revoir.
-Salut Rowena, dit froidement Alex. Je suis en mission, alors tu seras gentille de ne pas tout mélanger. Je veux tout savoir sur ce triple meurtre et surtout les dernières évolutions de l’affaire.
-Je te rappelle que c’est moi qui dirige l’antenne martienne.
-Je sais, mais dois-je te rappeler que ni moi ni mon équipe ne sommes sous ton autorité. Tu le sais aussi bien que moi, tu n’as aucune autorité sur nous. Tu es, par contre, dans l’obligation de nous aider dans notre mission.
-C’est vrai. Mais je veux d’abord savoir : qui sont nos ennemis ?
-Si tu veux le savoir, demande au Patron. Je n’ai ni l’autorisation ni l’envie de t’en parler. »
Le silence qui s’installa ensuite fut d’une lourdeur extrême. Ariana ressentait toute la tension entre Alex et Carter. Elle ignorait ce qui s’était passé entre eux mais ce devait être grave pour que les hostilités s’ouvrent à peine arrivé. Rowena les invita finalement à s’asseoir d’un geste énervé de la main.
« L’autopsie a mis la police encore plus dans le flou, expliqua-t-elle. D’après eux, ils ont été attaqués par un animal sauvage inconnu. Mais il n’y a aucune trace d’animal dans le coin. Et surtout, aucun animal aussi dangereux n’est censé exister dans cette région. Cette affaire défraie la chronique. Certains disent qu’ils ont réveillé les monstres du Labyrinthe. Depuis, plus personne ne s’approche des grottes. J’ai un agent qui surveille l’évolution de l’enquête de police. Celui qui a pris les images de la scène de crime.
-Tu vas le mettre à notre disposition pour nous emmener sur les lieux demain, ordonna Alex. Il est trop tard aujourd’hui et le voyage a été long. Nous nous rendrons à Olympus demain. Il faudra un terminal pour Fred ainsi qu’une liaison satellite exclusive.
-J’ai déjà tout préparé concernant le terminal et la liaison. Irvine va vous conduire à votre hôtel. »
Alex, Ariana et Fred se levèrent pour sortir. Mais Rowena interpela le chef de l’équipe :
« J’ai lu le rapport autorisé de l’action de la lamaserie de Ziling Tso. Tu as encore fait du grand art. »
Les yeux de Fred exprimèrent de la lassitude. Il s’écarta d’Alex.
« Plusieurs morts dont un auror qui n’était même pas des nôtres et plusieurs civils, continua Rowena. Je suis aussi au courant pour ton frère. A vrai dire, tout cela ne m’a pas surpris. La prochaine c’est elle ? Ariana Potter, faîtes attention à vous. Personne ne survit près de lui.
-La ferme, dit Alex froidement.
-Je suppose que ça ne te fais plus rien maintenant. Tu as pris l’habitude de faire tuer ou d’abandonner tes coéquipiers. Si ça ne tenait qu’à moi, tu ne ferais plus parti de la DE depuis Huygens.
-La ferme ! s’exclama Alex en se retournant, brandissant sa baguette vers Rowena. »
Ariana n’avait jamais vu Alex perdre son calme. Il gardait tout le temps son sang froid. Mais cette fois-ci, ses yeux exprimaient une fureur extrême. Ariana y vit autre chose : de la peine.
« Alex, tempéra Fred. Partons. »
Alex rangea sa baguette sans lâcher Rowena des yeux.
« Il est inutile d’essayer de me culpabiliser, dit Alex. Je connais les fautes que je dois expier.
-Ne me fais pas rire, lança Rowena. Tu es incapable de ressentir de la culpabilité. Tu seras toujours un danger pour nous tous. Tu aurais dû refuser de revenir sur Mars.
-J’ai des ennemis à combattre. Et tu n’en fais pas parti. Hais-moi si tu le désires. Je n’en ai rien à faire. »
Irvine déposa le trio à un hôtel situé pas très loin de l’antenne martienne de l’ONS. Sitôt arrivé, Alex s’enferma dans sa chambre sans rien dire aux deux autres. Ariana s’installa rapidement et alla frapper à la porte de Fred. Ce dernier ne semblait pas très surpris de la visite d’Ariana.
« Je ne te dérange pas au moins ? questionna-t-elle après être entrée.
-Non, je m’attendais à ce que tu viennes, répondit-il. Je suppose que tu veux savoir le pourquoi de la scène de tout à l’heure. Comme tu l’auras comprise, Rowena et Alex ont un lourd passé commun.
-Ils ont été ensemble ou quoi ?
-Non, et je suis désolé mais je ne peux rien te dire de plus. C’est à Alex de t’en parler s’il le désire.
-Je me doutais que tu me dirais ça. Je suppose qu’on a tous quelque chose dont on n’est pas fier dans son passé. »
Ariana pensait au fait d’avoir tué par erreur le père de Sarah. Si seulement elle avait mieux réagi, la fillette ne serait peut-être pas orpheline maintenant. Ariana se demandait si ce qui hantait Alexandre était pire ou non.
Quelqu’un frappa à la porte. Fred alla ouvrir, c’était Alex. Son visage était toujours fermé mais un léger sourire parvint à se dessiner. Il s’adressa à Ariana :
« Je vais aller faire un tour en ville. Tu veux venir ? Ça te permettra de visiter un peu.
-Euh… on part tôt demain, fit remarquer Ariana.
-On n’en a pas pour longtemps. On ne va pas faire une visite complète. Je pensais juste aller manger dans un coin que je connais et revenir.
-Alors d’accord. Tu ne veux pas venir Fred ?
-Non merci, je vais juste me commandé une pizza, rejeta-t-il. Bonne soirée. »
Ariana pensa qu’Alex devait connaître la réponse de Fred à l’avance et que c’était pour ça qu’il ne lui avait pas proposé.
Ariana et Alex prirent un taxi pour se rendre dans un autre quartier d’Ascraeus. La ville n’impressionna pas Ariana. Elle fut même un peu déçue. Elle s’attendait à un dépaysement total, ou plutôt un déplanètisement. Mais mis à part le paysage et le ciel où brillaient timidement les deux satellites naturels de Mars, Phobos et Deimos, elle se serait crue sur Terre. Alex devina son trouble.
« On se croirait sur Terre, n’est-ce pas ? fit-il. C’est comme ça sur toute cette planète. Ce n’est pas par le paysage urbain que Mars brille aux yeux des touristes.
-Je m’en rends compte, acquiesça-t-elle. »
Alex emmena Ariana dans un quartier populaire. Les devantures des échoppes et magasins portaient des enseignes en alphabet cyrillique. Un petit coin de Russie sur Mars.
« Tu l’auras deviné, nous sommes dans le quartier russe d’Ascraeus, annonça Alex. J’ai un vieil ami ici qui fait le meilleur bortch de tout le système solaire. Par contre, je ne te conseille pas sa vodka : elle devrait plus servir pour décaper des moteurs. »
Ariana fut contente de l’entendre user de son cynisme habituel. Même si là, c’était plus amical que critique. Le taxi les arrêta devant un petit restaurant d’allure modeste. Ariana suivit Alex à l’intérieur. La salle accueillait pas mal de clients, il ne restait plus que quelques tables de libre. C’était plus une sorte de brasserie qu’un restaurant, un bar s’imposait sur une large partie du fond de la salle. En reconnaissant un homme au crâne dégarni riant avec un des clients, Alex sourit et lança :
« Youri ! Tu n’as pas encore été empoisonné par ta propre vodka ! »
Ledit Youri leva vers Alex un regard sombre. Mais en le reconnaissant, ses yeux s’illuminèrent et un large sourire s’ouvrit sur son visage. Il se mit à rire franchement.
« Tu sais bien que je réserve toujours la vodka empoisonnée pour les mauvais payeurs, fit Youri avec un fort accent russe. »
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre.
« Comment vas-tu mon vieil ami ? fit Youri. Ça faisait si longtemps.
-Quatre ans, confirma Alex. Désolé mais le travail m’a retenu loin de Mars.
-Bah ! C’est quoi ton travail qui t’oblige à rester loin de tes amis. Tu devrais en changer.
-J’y ais pensé, je voulais te piquer ta recette du bortch et te voler tes clients.
-Ma recette est classée secret défense, elle ne se transmet que dans ma famille, jamais tu ne l’auras.
-Tant pis, il vaut mieux que je continue mon boulot actuel alors.
-Et qui est cette charmante demoiselle avec toi ?
-Je te présente Ariana. Ariana, voici Youri.
-Enchantée, sourit Ariana.
-Vous avez un sourire vraiment lumineux, complimenta Youri. Ça ne m’étonne pas de Sacha, il a toujours su s’entourer de belles femmes. Au fait, j’ai appris pour Jane, je suis désolé. »
Alex acquiesça sombrement d’un hochement de tête. Ariana ignorait qui était cette Jane mais il n’était sûrement pas le moment de remuer une période visiblement douloureuse du passé d’Alex. Elle préféra tiquer sur autre chose :
« Qui est Sacha ? questionna-t-elle.
-C’est moi, répondit Alex. En russe, Alexandre se dit Aleksander et son diminutif est Sacha.
-Et comment vont Tony et Julia ? demanda Youri en les guidant vers une table libre.
-Ils vont bien, mentit Alex. Ils sont restés sur Terre.
-Et Fred ?
-Il est là mais tu le connais, il n’aime pas vraiment cette planète. »
Le bortch de Youri était vraiment délicieux. Ariana parvint à refuser le moindre verre de vodka jusqu’à la fin du repas. Mais elle fut obligée d’accepter lorsque le russe évoqua une tradition de son pays d’origine. Alexandre fit de même en grimaçant d’avance. L’alcool brûla la gorge de la jeune femme. Elle mit plusieurs minutes avant de retrouver son timbre de voix habituel.
Le lendemain matin, le trio fut rejoint par Viktor Pioudescu et Irvine Smith. Pioudescu donna les derniers éléments découverts par la police. C’est-à-dire pas grand-chose. Le laboratoire de la police scientifique n’arrivait pas à déterminer la nature de l’arme du crime. Le capitaine de police chargé de l’enquête essayait de déterminer le mobile du meurtre mais rien dans le passé des victimes ne l’aiguillait.
« Vous allez nous emmener sur les lieux, dit Alex.
-Pourquoi ? questionna Pioudescu.
-Parce que je ne veux pas perdre de temps à rechercher l’entrée de ce labyrinthe. Il y a beaucoup de grottes dans les flancs de ce volcan. Je n’ai pas envi d’aller de grotte en grotte. Mais ne vous en faîtes pas : vous n’y entrerez pas.
-Je vois. Alors si vous êtes prêts, nous pouvons partir tout de suite.
-Irvine, vous amenez Fred à son terminal. Rien de ce qu’il demandera ne doit lui être refusé.
-Je sais, assura Irvine en restant neutre. »
Avant de suivre Irvine, Fred s’approcha d’Alex et Ariana.
« Soyez prudent tous les deux, demanda-t-il. J’ai un mauvais pressentiment.
-T’inquiète pas, on reviendra, assura Alex.
-Au fait Alex, j’ai reçu un mail de ta sœur. Elle dit avoir peut-être trouvé une solution pour Tony. Elle ne m’a pas donné plus de détail.
-Ça me fait une raison de plus de revenir, sourit Alex. Fred, ne fais confiance en personne, et surtout pas en Rowena.
-Tu crois qu’elle oserait faire capoter cette mission ?
-Je ne sais pas, mais soyons prudents. »
Alex et Ariana montèrent dans le véhicule de Pioudescu. Ils quittèrent Ascraeus et prirent la route en direction de la cité d’Olympus située au pied de l’imposant volcan. Une heure plus tard, ils atteignirent une ville qui sembla entièrement faite de magasins de souvenirs, de restaurants et d’hôtels. Et alors qu’elle pensait ne voir qu’un seul volcan, elle en vit plusieurs centaines, voir des milliers. Des répliques, des photos, des peintures et plein d’autres cadeaux souvenirs représentaient le volcan sous toutes ses coutures.
« Je vois que certaines choses ne changeront jamais, dit Alex. A l’origine, cette ville était une station scientifique placée ici pour étudier la géologie martienne. Mais voilà ce qu’elle est devenue plus de trois siècles après : une attraction touristique. L’Histoire n’est qu’un éternel recommencement.
-Pourquoi ? fit Ariana sans prêter attention au ton cynique d’Alex.
-Au 20ème siècle, la conquête spatiale a débuté, c’était la plus grande aventure scientifique de l’Homme. Et il a suffit d’une cinquantaine d’années pour faire de ça un show pour touristes.
-Qu’est-ce que tu crains ? Qu’un jour le département scientifique de la DE devienne un parc d’attraction ?
-Ce serait marrant, imagine Julia avec des oreilles de Mickey, et Fred en Pluto.
-J’ai entendu, fit la voix de Fred.
-Tu es en place ? questionna mentalement Alex.
-A 100%.
-Fais un ratissage satellite de la région.
-C’est déjà parti, dit Fred. Pour l’instant, aucune trace des Seigneurs de l’Oubli. Je te préviens si je trouve quelque chose. Pardon : je vous préviens. »
Ariana tiqua sur la dernière phrase de Fred. Elle se dit qu’elle était bête de ne pas y avoir pensé : c’était sa première mission pour la DE, elle faisait maintenant parti de l’équipe d’Alex, au même titre que Fred. Elle jeta une œillade en direction d’Alex mais ce dernier n’avait pas réagi aux paroles de Fred. Ou du moins, n’avait démontré aucune réaction. Elle avait appris rapidement à ne jamais se fier à ses réactions.
« Vous voulez commencer par quoi ? demanda Pioudescu. Directement sur le lieu du crime ?
-Votre connaissance de l’avancée de l’enquête de la police date de quand ? questionna Alex.
-Hier soir. Je ne pense pas qu’ils aient trouvé quelque chose depuis la reprise du travail de ce matin.
-Je veux voir les corps. Ils n’ont pas été rendus aux familles, n’est-ce pas ? »
Aux locaux de la police scientifique d’Olympus, Pioudescu leur fit passer les contrôles sans aucun problème. Ils entrèrent dans la morgue. Un légiste en blouse blanche les accueillit avec un sourire qui parut déplacé à Ariana dans un tel lieu.
« Pioudescu, tu viens encore pour l’affaire des sud-africains ? demanda le légiste.
-Oui, voici le capitaine Chaldo et le lieutenant Potter d’Interpol, présenta Pioudescu. Ils voudraient voir les corps.
-Ils n’ont pas lu le rapport ?
-Si nous l’avons lu, dit Alex. Mais nous voulons voir les corps. Avez-vous un problème avec ça ?
-Aucun, assura le légiste en perdant son sourire. Il me faut une autorisation par contre. »
Alex appuya sur un bouton de sa montre et une carte holographique apparut dans sa paume, confirmant son appartenance à Interpol. Cela avait valeur d’autorisation dans tous les services de police du système solaire. Les agents de la DE possédaient des fausses identités dans la plupart des instances et organisations officielles mondiales. Et pour les rares où ce ne seraient pas le cas, l’analyste pouvait généralement créer une identité temporaire en moins d’une heure.
Le légiste enregistra l’identité d’Alex dans l’ordinateur et lui demanda de toucher l’écran pour vérifier son empreinte digitale. Une fois cela fait, il les guida vers les armoires chromées où étaient gardés les corps. Le légiste ouvrit les trois alvéoles et sortit les corps. Ariana eut un haut le cœur en découvrant les cadavres. Le guide était en deux morceaux, corps et tête. Quand aux deux sud-africains, ils n’avaient chacun qu’un trou au niveau du cœur. Les chairs étaient brûlées sur le pourtour.
« Comme vous le savez sûrement, nous n’avons pas réussi à identifier l’arme du crime ou même le type d’arme pour le cas des deux touristes, expliqua le légiste. En faite, on pense à une arme de type électrique. Un de ces pistolets à arcs qui étaient courant il y a deux siècles peut-être. Les marques ressemblent mais il y a trop de différences aussi. Quand au guide, on pense à une arme blanche de type sabre mono-moléculaire[1], les cervicales ont été parfaitement tranchées. On pourrait les recoller sans devoir combler d’espace.
-Laissez-nous, ordonna Alex. »
Le légiste lança un regard mauvais à Alex et quitta la pièce.
« Tu pourrais être plus agréable, fit Ariana.
-On n’a pas le temps pour ça, répliqua Alex en sortant sa baguette. Fred, la caméra.
-Brouillé, indiqua l’analyste. Tu peux y aller. »
Alex activa son ordinateur holographique et ses lunettes. Il approcha l’extrémité de sa baguette de la poitrine de l’adolescent. Une lumière bleuâtre diffuse jaillit et enveloppa le trou.
« Fred, fit Alex.
-J’analyse les données, dit-il. Quelques secondes encore. Ok, ça y est. Je confirme c’est bien les Seigneurs de l’Oubli. »
Alex rangea sa baguette.
« Vous êtes satisfait ? questionna Pioudescu. »
Il n’appréciait pas vraiment d’être mis à l’écart des conversations mentales entre l’analyste et les deux agents de terrain. Mais bon, il n’y pouvait rien et il savait que Rowena Carter non plus. C’était un des prérogatives des équipes du département spécial d’investigation, ils ne rendent compte qu’au Patron.
Alex se tourna vers lui.
« En route pour le volcan. »
[1] Arme blanche dont la lame possède un fil formé d’une seule molécule, ces lames sont réputées pour être les plus tranchantes existantes.