Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets
CHAPITRE X : AU CŒUR DU CRISTAL
Trois heures. Depuis trois heures ils arpentaient les boyaux du Labyrinthe d’Olympus. Et rien. Rien à part le même paysage de roches rouges verdit par la vision nocturne. Leur progression était entrecoupée de carrefour où il fallait choisir la voie à suivre. Un marquage fait à la baguette et un enregistrement numérique dans le TOI leur permettraient de refaire le chemin en sens inverse.
Ariana n’avait pas peur du noir ou du sentiment d’oppression que ces tunnels faisaient naître en elle. Par contre, l’absence de communication depuis presque deux heures l’inquiétait. S’ils leur arrivaient quelque chose, ils ne pourraient même pas prévenir les secours. Alex avait essayé à plusieurs reprises de reprendre contact. Sans succès.
« C’est fâcheux. J’attendais les résultats du championnat de France de rugby. »
C’était la seule chose qu’il avait dit en guise de commentaire. Et au lieu de rebrousser chemin, ils avaient continué à s’enfoncer dans les profondeurs de ce dédale. Une fois encore, Alex ne démontrait aucune peur. Connaissait-il seulement la peur ?
« Reste là, ordonna soudainement Alex. »
Perdue dans ses pensés, Ariana ne comprenait pas pourquoi il lui ordonnait ça. Elle regarda plus attentivement devant eux : le tunnel s’ouvrait sur ce qu’il semblait être une large salle. Mais ce qui était vraiment étrange c’était l’éclat que prenait la fausse couleur verte dans les lunettes. Ariana désactiva la fonction vision nocturne et se rendit compte qu’une certaine lueur pâle et bleutée irradiait doucement de la salle.
Alex s’approcha de l’ouverture silencieusement. Il jeta une œillade. Quelques secondes plus tard, il invita Ariana à le rejoindre. Ce qu’elle découvrit la laissa bouche bée. Les parois de la caverne étaient entièrement faîtes d’une matière cristalline. Du sol au plafond ce n’était que ça : du cristal scintillant doucement. Ariana chercha la source de la faible lumière mais elle ne la trouva pas. Elle comprit alors que c’était le cristal lui-même qui diffusait cette luminescence. La salle était vide. Le seul point particulier notable étant une sortie donnant certainement sur un autre tunnel de l’autre côté.
« Tu as déjà vu quelque chose comme ça ? questionna Ariana.
-Non, répondit simplement Alex. Mais cette matière me rappelle quelque chose. On va l’analyser et prendre un échantillon. Couvre-moi.
-All Right. »
Alex plaça son TOI en mode analyse et enregistra les données recueillies. Il avait quelques notions de physique, de chimie et d’arithmancie mais ce n’était tout de même pas vraiment sa spécialité. Dans sa famille, c’était Julia la scientifique. Fred arriverait sûrement à comprendre plus de choses que lui mais pour le moment le contact demeurait rompu. L’analyse ne décela aucune nocivité dans les rayonnements produits par le cristal. Par contre, les fréquences de certaines de ces ondes lui firent comprendre pourquoi les communications ne passaient plus : elles brouillaient sur une si large bande que même le TOI ne pouvait trouver un palier de fréquence libre. A l’aide de sa baguette, Alex découpa un petit cube de cristal qu’il plaça dans une poche scellée. Il interrogea ensuite les données internes de son TOI pour les comparer avec d’autres. Mais comme il s’y attendait, il ne trouva rien. Habituellement, le TOI piochait automatiquement dans la bande de données centrale de la DE. Sur Mars, c’était bien sûr dans celle de l’antenne locale. Mais pour le moment, ils étaient coupés du reste du monde.
Alex donna l’ordre de continuer d’avancer. Ils se dirigèrent vers l’autre sortie de la salle, s’en approchant avec discrétion et s’appuyant mutuellement. Ils n’avaient plus besoin de vision nocturne, à l’instar de la salle, le tunnel était creusé dans la même matière cristalline. C’était magnifique mais rapidement, cela devint rébarbatif et ennuyeux. Le cristal brut donnait une apparence lissée aux parois, comme de l’eau figée en plein mouvement. Et même de cristal, cette grotte demeurait un véritable labyrinthe. Ils durent plusieurs fois faire le choix entre différentes directions. Mais un problème se présenta dés le premier choix : le marquage magique refusait de prendre, de même que l’enregistrement numérique sur le TOI. Ils marchaient en aveugle dans un labyrinthe de cristal.
Ils atteignirent une seconde salle. Elle ressemblait tellement à la première qu’ils crurent un moment être revenus sur leur pas. Mais un détail leur indiqua qu’ils s’étaient tout de même approcher du but un minimum : en plein centre de la salle, se dressait un seigneur de l’oubli, encapuchonné, ses yeux rouges pointés sur eux. Immédiatement, Ariana pointa sa baguette sur lui. Alex fit un tour d’horizon de la salle pour vérifier qu’aucun autre ennemi ne s’y trouvait. Ne décelant aucune autre présence, il reporta son attention vers le seigneur. Les deux agents s’avancèrent lentement, s’écartant pour que l’ennemi ne puisse les attaquer tous les deux en un seul coup. Ils s’arrêtèrent à bonne distance, leurs baguettes toujours prêtes à servir.
« Alors c’est bien ce que nous pensions, dit Alex. Ce Labyrinthe est votre planque sur Mars. »
Le seigneur garda le silence. Personne n’aurait pu dire s’il fixait Alex ou s’il continuait à fixer le vide devant lui.
« Dois-je prendre ce silence pour un aveu ? demanda Alex. La dernière fois que j’ai croisé un des vôtres, il ne cessait de bavasser. Rien que des conneries de domination du monde. Mais au moins il parlait.
-J’ai l’impression qu’il ne nous entend pas, dit Ariana. Est-il seulement conscient de notre présence ?
-Je vois ce que tu veux dire. Il faut vérifier ça.
-Comment ?
-Y’a pas trente-six façons. Ne bouge pas et couvre-moi. »
Alex s’approcha du seigneur par le côté. Ce dernier ne bougea pas, il continuait de fixer droit devant lui. Ariana avait peut-être vu juste. Alex passa sa main devant les yeux de la créature, surveillant ses réactions. Mais rien, était-il pétrifié ? Alex fit un Enervatum, sans succès. Il essaya d’autres sortilèges avec toujours le même constat d’échec. Alex alla jusqu’à le toucher de sa main.
« Tu peux t’approcher, dit-il à Ariana. J’ai l’impression qu’il est mort. »
Ariana le rejoignit. Maintenant qu’elle le voyait de près, elle se rendait compte que les yeux du seigneur ne brillaient pas du même éclat violent que ceux qu’elle avait combattus deux mois auparavant. Ils étaient vides. Restait à savoir de quoi était mort ce seigneur et surtout, pourquoi il demeurait ainsi, debout fixant le vide.
Alex s’était tout de suite mis à fouiller le cadavre. Il ne trouva strictement rien. Il continua par l’examen du corps en lui-même. Premier constat, la peau habituellement blafarde des Seigneurs était ici noircie, comme recouverte de goudron et elle était ridée, alors que les Seigneurs rencontrés jusqu’à présent avaient présenté une peau lisse à l’extrême. Alex retira la capuche. La tête ovoïde ressemblait à un vieux ballon de rugby dégonflé et craquelé. Les dents apparentes menaçaient, les chairs ne les recouvraient plus.
« On dirait qu’il est mort sur place, dit Ariana. Je veux dire, que j’ai l’impression qu’il s’est arrêté ici et est mort après.
-Je suis assez d’accord avec toi, acquiesça Alex. J’aurais même une théorie sur les causes de sa mort.
-Laquelle ?
-Inanition ou vieillesse.
-Tu crois ? Juste mort de faim et de soif.
-On ne sait même pas si les Seigneurs de l’Oubli se nourrissent. L’autopsie de ceux interceptés à Diagon Alley n’a pas mis à jour de système digestif. C’est pourquoi je pencherais plutôt pour une mort naturelle. Par contre, pourquoi ne s’est-il pas effondré sur le sol ?
-On n’est même pas sûr qu’ils puissent mourir naturellement.
-Rien n’est immortel. Il y a quatre siècles, Voldemort pensait avoir acquis l’immortalité. Et ce n’est pas à toi que je vais expliquer ce qu’il lui ait arrivé au final. Ta famille est célèbre pour ça.
-J’ai toujours considéré que ce n’était que mon ancêtre qui devait être honoré pour ça. Nous ne sommes que ses descendants.
-Que veux-tu ? Dans une société traditionnaliste comme celle des Sorciers, les exploits des ancêtres prévalent sur ceux de leurs descendants.
-Est-ce le cas dans ta famille ? Tu as un ancêtre ayant réalisé un exploit ?
-Durant les quatre derniers siècles, la tradition familiale des Chaldo est de devenir chasseur ou assimilé. Ce n’est pas vraiment une obligation mais chaque génération en à compter. C’est comme ça.
-Depuis quatre siècle ! Ça veut dire qu’un de tes ancêtres a participé à la seconde guerre contre Voldemort !
-En faite, il a participé au deux. Il s’appelait Pierrick Chaldo, c’est le premier à avoir été surnommé « le Corbeau ». Depuis, ce surnom est comme un titre qu’on remet aux meilleurs dans la famille.
-Le sorcier blanc qui nous a attaqués l’a dit : c’est toi qui détiens ce titre actuellement.
-Je n’ai jamais considéré que j’étais si bon que ça. Pour moi, le seul et unique Corbeau reste mon ancêtre Pierrick. Nous ne sommes pas là pour parler de nos familles. On aura tout le temps pour ça une fois cette mission terminée. J’ai pris une holographie du corps et enregistré pas mal de donnés. On ne peut rien faire de plus ici. On continue. »
« Toujours rien ? lança Fred.
-Non monsieur, répondit le technicien. Le satellite est OK, notre matériel de transmission également. Le faisceau montant est nickel, il va jusqu’au satellite et en repart sans problème. J’ai fait un test de réception pour voir si on avait un souci de ce côté-là mais tout est normal. Le problème vient du côté des agents sur le terrain. Leurs TOI sont peut-être tombés en rade ou alors ils se trouvent dans une zone empêchant toute communication.
-Les TOI sont calibrés pour éviter ce genre de problème. Ça ne devrait pas arriver.
-Et bien ça arrive.
-Voilà ce qui arrive quand on s’approche de l’inconnu.
-Je ne pense pas que ce soit le moment de philosopher, dit Rowena en arrivant. Une équipe UA est prête à partir à leur recherche.
-Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. On ignore quel chemin ils ont pris dans le Labyrinthe. Envoyer une UA là-dedans serait risqué leur vie. Mieux vaut attendre et faire tout ce qu’il nous sera possible sans y entrer.
-Tu proposes de ne rien faire.
-Je propose de faire confiance à Ariana et Alex.
-Comme tu veux. Après tout, c’est ton équipe qui commande cette mission. »
Rowena s’éloigna. Elle rejoignit Irvine et Pioudescu.
« Le contact est toujours rompu, dit-elle. J’ai mis une UA en état d’alerte. Mais je sais bien que Fred ne l’utilisera pas. Sauf en cas de bouleversement important.
-Vous n’êtes pas inquiète pour Potter et Chaldo ? questionna Irvine.
-Potter mourra peut-être. Mais Alex est un dur à cuire. Il survivra, comme toujours. Je dis que Potter mourra mais j’espère que, pour une fois, Alex arrive à ne pas perdre son équipier. »
Une troisième salle identique. Ce labyrinthe devenait vraiment ennuyeux et répétitif. Et, à vrai dire, ne ressemblait plus vraiment à un labyrinthe. Il n’y avait qu’un seul chemin. Et Ariana s’attendait à se retrouver de nouveau devant une salle identique aux deux précédentes. Ils se retrouvèrent effectivement dans une salle. Mais elle était différente. Pas dans l’aspect des parois, du sol et du plafond, toujours fait dans la même matière cristalline bleue. Mais son volume était beaucoup plus important. Cette salle faisait plusieurs kilomètres carrés de surface. Elle ne comportait pas d’autre sortie que le tunnel par lequel ils étaient arrivés. La salle n’était pas vide. Eparpillés partout, des cadavres de Seigneurs de l’Oubli gisaient à même le sol. Alex se pencha sur un corps tout proche et l’examina. L’état était analogue à celui découvert debout dans la salle précédente.
« J’ai l’impression qu’ils sont morts de la même chose que l’autre, dit Alex. A vu de nez, je dirai qu’il y a au moins trois ou quatre cents corps. Mais il manque quelque chose. Tu devines quoi ?
-Aucune odeur de décomposition, répondit Ariana.
-Exact. Mais il faut dire qu’on ignore encore beaucoup de choses sur l’anatomie et le métabolisme des Seigneurs. Je n’ai pas l’impression que ces corps soient en décomposition. Ils sont juste desséchés.
-C’est quoi cet endroit ?
-Je ne sais pas, répondit Alex. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse du repère martien des Seigneurs. Ce n’est pas assez fonctionnel pour un quartier général.
-Il y a quelque chose au fond, indiqua Ariana. »
Sur le mur du fond, en face de l’entrée du tunnel par lequel ils étaient arrivés, se trouvait gravé une sorte de symbole à même le cristal. Les traits qui le composaient étaient juste un peu contrastés par rapport au bleu des parois, ce qui expliquait qu’ils ne l’aient pas repéré en entrant. Les deux agents s’approchèrent. Le dessin était si grand qu’il pouvait l’apprécier dans son ensemble alors qu’ils se tenaient à au moins trois cents mètres de la paroi. La gravure était composée de plusieurs cercles disposés de manière géométrique et relié par des traits droits. Des écritures suivaient ses lignes et s’inscrivaient dans les cercles de même que divers symboles aux formes diverses. Ariana n’avait jamais rien vu de tel. Elle allait en faire part à Alex quand se dernier parla :
« L’Arbre des Sephiroth.
-Quoi ? fit-elle sans comprendre.
-Ce dessin, c’est l’Arbre des Sephiroth. Il s’agit d’une représentation kabbalistique des forces célestes. C’est la dessus que se base les kabbalistes pour étudier l’angéologie. C’est un des symboles forts de la religion juive. Je n’en suis pas vraiment un expert.
-C’est un symbole humain. Comment peut-il se trouver ici ? Sur Mars ? Et avec des Seigneurs de l’Oubli ?
-Je n’en sais rien. Je n’y comprends plus rien. Les touristes sud-africains et leur guide ont été tués par un ou plusieurs Seigneurs de l’Oubli bien vivant. Mais les seuls qu’on a trouvé jusqu’à maintenant sont tous morts. Ceux responsables de ce meurtre ont dû mettre les voiles il y a un moment. Ça, par contre, je m’y attendais. Mais retrouver précisément l’assassin n’est pas notre mission.
-C’est vrai mais ça aurait été bien, acquiesça Ariana. Donc, je résume : on se retrouve avec une grotte dont la première partie est un vrai labyrinthe, d’où son nom, et une deuxième partie creusée dans du cristal luminescent et où on n’a rien trouvé si ce n’est des cadavres de Seigneurs de l’Oubli et une gravure représentant un symbole terrien.
-Un résumé comme je les aime : concis et précis.
-Mais qu’est-ce que ça nous apprend ? »
Alex prit quelques secondes avant de répondre. Il fit un tour d’horizon autour de lui.
« Peut-être sommes-nous passés à côté de quelque chose, dit-il. Cherchons. Si tu trouves la moindre chose, tu n’y touches pas, tu m’appelles avant.
-Bien, finit Ariana. »
Ils se séparèrent et cherchèrent chacun de leur côté. Mais à part des cadavres et l’Arbre des Sephiroth, il n’y avait rien dans cette grande salle. Au bout de deux heures, ils se retrouvèrent devant la gravure géante.
« On ne va pas rester ici cent-sept ans, décréta Alex. J’ai pris des holographies et des données physiques et magiques des lieus. On s’en va.
-Bonne idée, apprécia Ariana. Cet endroit me plait de moins en moins. »
Ils commençaient à peine à s’approcher de la sortie de la salle quand quelque chose se produisit. Une lumière blanche et pure attira leur attention derrière eux. L’Arbre des Sephiroth s’était mis à briller d’un éclat immaculé. Alex et Ariana restèrent subjugués par ce spectacle inattendu. Mais ce n’était pas le fait qu’il ne s’y attendait pas qui les maintenait immobile. C’était autre chose. La lumière parut s’étendre comme une vague dans la salle. A croire qu’elle était liquide. Les deux agents de la DE demeurèrent sur place alors que la vague les submergeait.