Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets

           CHAPITRE XII : HUYGENS

           Alex se trouvait sur Mars. Il reconnut tout de suite le lieu : Huygens, la capitale de New-America, l’ancienne colonie américaine sur Mars. Il se souvenait même de la date : ce jour était le 29 août 2420. Un jour qu’il n’avait jamais pu oublier.

           A l’époque, il était déjà chef d’équipe pour le département d’investigation spécial. Son analyste était déjà Fred. Et sa coéquipière s’appelait Jane Carter, une jeune australienne de dix-neuf ans. Elle n’avait pas battu le record de précocité d’Alex et Tony, mais entrer aussi jeune au DIS était déjà extraordinaire. Malgré leur relation hiérarchique et même de mentor à élève, ils n’avaient pas mis longtemps à se plaire. Alex avait été heureux à cette époque. Ce fut même la période la plus heureuse de sa vie.

           Et en cette fin du mois d’août 2420, ils étaient en mission sur Mars. La planète rouge ne possédait aucun gouvernement magique. Il y avait bien eu une tentative de création d’un ministère en New-America mais étant donné que la majorité des sorciers ayant migré sur Mars l’avait fait pour ne plus être contraints par les lois magiques terrestres, il ne survécu pas à la vindicte populaire s’opposant à lui. Ce ministère ne passa pas le stade de gouvernement provisoire. Ce fait eut pour résultat d’annuler la création d’un ministère en Nouvelle-Europe, colonie pourtant toujours sous le contrôle de son état de tutelle terrien. La Division Esotérique des Services Secrets de l’ONS essayait donc de garder un semblant d’ordre dans la population magique martienne en intervenant sur les affaires les plus importantes. Pour la plupart, l’antenne martienne de la DE agissait avec plus ou moins d’efficacité. Mais dans certains cas, le Patron dépêchait une équipe investigation spéciale.

           Un important trafic de reliques et d’ouvrages de Magie Noire avait attiré l’attention de la DE. Beaucoup de points demeuraient obscurs. Pourquoi faire venir des artefacts et des livres depuis la Terre sur Mars ? Certes, cela pouvait simplement être l’ouverture d’un réseau de Magie Noire sur Mars comme il y en avait déjà quelques uns. Mais, contrairement aux autres, ces importateurs ci ne revendaient pas leur marchandise. Et aucun agent martien n’avait pu découvrir la destination finale de ces objets. Et en plus, ces trafiquants avaient des liens évidents avec un groupe terroriste ayant récemment attaqué le gouvernement de New-America. Le groupe n’avait pas encore annoncé les raisons de l’attentat perpétré une semaine plus tôt. La seule chose de sûre : c’était des sorciers. Le Patron avait envoyé l’équipe IS d’Alexandre Chaldo pour démêler cet imbroglio.

           Ils avaient mené l’enquête durant des jours dans les bas-fonds de Huygens. Alex philosophait en disant que quelque soit la planète, les villes étaient semblables : un centre beau, ouvert et accueillant, véritable vitrine de la ville, souvent seule partie connue du profane ; et une banlieue regroupant tous les parias aux yeux des gens « bien-nés », des gens pourtant sans qui cette ville n’existerait pas, sans qui rien ne fonctionnerait convenablement, mais qu’on préfère ignorer. Cette ignorance du reste de la société permettait à divers commerces underground de prospérer. Et le trafic d’objets liés à la Magie Noire en faisait parti.

           Magie Noire. Alex n’aimait pas ce terme. Il lui semblait trop tranché. Trop manichéen. Réduire la somme des connaissances magiques à deux seules catégories était bien de trop simpliste. Surtout qu’en réalité, tout dépendait de l’utilisation de ces connaissances et non de leur nature. Certes, les rituels et les potions nécessitant un sacrifice humain étaient des vecteurs de crime. Mais les sortilèges ou certaines pratiques dépendaient beaucoup de l’usage fait. En substance, un sortilège comme l’Avada Kedavra était considéré comme un sort de Magie Noire. Mais s’il est utilisé pour protéger des innocents, était-il vraiment si maléfique ? De même, un sortilège curatif pouvant sauver une vie, était-il si bénéfique si cette vie est celle d’un criminel traînant derrière lui des dizaines de cadavres ? C’est avec ce genre de conflit philosophique que son père avait présenté et fait réfléchir Alex sur la véritable nature de la Magie. Elle n’était qu’un outil. Et tout comme un tournevis peut servir à construire comme à tuer quelqu’un d’un coup bien placé, cet outil peut servir la communauté comme la saper. C’est pourquoi, Alexandre Chaldo n’hésitait jamais à utiliser ce que les autres qualifiaient de Magie Noire. Car pour lui, la Magie n’était ni Noire ni Blanche. S’il devait lui donner une couleur, ce serait le Gris.

           Alex se tourna sur sa droite. Il savait très bien qui s’y trouvait. Jane Carter observait la porte de l’entrepôt de l’autre côté de la rue. La belle brune avait le visage fermé par l’attention. Pourtant, en cet instant, Alex dut prendre sur lui pour ne pas la détourner de l’entrepôt et l’embrasser. Cela faisait cinq ans. Il se demandait ce qu’il faisait là. Il remonta le courant de ses souvenirs mais le dernier évènement qu’il se souvenait était l’Arbre des Sephiroth se mettant à briller et une vague de lumière les envelopper lui et Ariana. Il regarda autour de lui, mais la jeune anglaise n’était visiblement pas avec lui. Avait-il voyagé dans le temps ou voyageait-il dans sa mémoire ?

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Jane. »

Alex fut surpris. C’était assez rare chez lui. Il se souvenait de ce soir-là dans les moindres détails. Jane n’avait pas dit ça à ce moment là. Ce qu’il croyait n’être qu’un souvenir réagissait à ses actions. Une pensé folle s’empara de son esprit : pourrait-il changer les évènements de la soirée ? S’il avait voyagé dans le temps, tout était possible. Il décida de tenter sa chance et sourit.

« Rien, fit-il. Je me demande juste quand ils vont arriver.

-On n’est même pas sûr que ce tuyau soit bon, fit remarquer Jane. Ce n’es peut-être pas le bon soir, ou même le bon endroit.

-Ne t’en fais pas, c’est bien ici et ce soir.

-Comment peux-tu en être si sûr ?

-Regarde. »

Un véhicule venait d’arriver. La porte de l’entrepôt s’ouvrit pour lui permettre d’entrer.

           « Fred, appela Alex.

-Je suis sur le coup, répondit la voix de Fred. Laisse-moi quelques secondes.

-Arrête de penser à ma sœur et concentre-toi.

-Très drôle. Je ne pensais pas à Julia jusqu’à ce que tu m’en parles je te ferai dire.

-Comment ça tu ne pensais pas à elle ? plaisanta Alex. Je vais lui rapporter. Prépare-toi à redevenir célibataire.

-Et si on bossait plutôt, rappela à l’ordre Jane.

-Pourquoi pas, fit Alex. On entre par les entrées prévues. Fred, mets-moi en relation directe avec l’UA.

-Tigre à l’écoute, fit une voix.

-Ici Corbeau, préparez-vous à intervenir sur mon ordre. Nos clients sont arrivés.

-Nous sommes prêts. »

           Alex et Jane se rapprochèrent de l’entrepôt en ambiance discrétion, baguette à la main. Alors qu’il assurait le périmètre, Alex fit signe à Jane de monter par l’échelle permettant l’accès au toit. Dés qu’elle lui signala que la voie était libre, il la rejoignit. Ils marchèrent silencieusement sur le toit jusqu’à une trappe permettant l’accès à l’intérieur. D’un Alohomora, Jane déverrouilla la serrure.

« Contact constant à l’intérieur et surtout, pas d’imprudence, rappela Alex.

-Ne t’en fais pas, sourit Jane. Je ne m’appelle pas Alexandre Chaldo moi. Je ne suis pas folle. »

Alex déposa un baiser sur les lèvres de la jeune femme. Il ne l’avait pas fait cinq ans auparavant. Jane lui sourit, se désillusionna et disparut rapidement par la trappe.

           Alex se dirigea jusqu’à une autre trappe placée à l’autre extrémité de l’entrepôt et s’y engouffra de la même façon que Jane. La trappe donnait sur une passerelle métallique faisant le tour de l’entrepôt à une quinzaine de mètres du sol. Elle offrait plusieurs travées parallèles et perpendiculaires sur les côtés et le milieu de la surface. Des caisses de diverses tailles étaient stockées en piles distinctes.

« Je suis entré, annonça-t-il par la pensé. Rien de mon côté. Jane, et pour toi ? »

Il avait posé la question sans prendre le temps de s’arrêter. Il savait qu’il n’y avait rien ni personne dans cette partie de l’entrepôt. L’action se déroulerait de l’autre côté, près de l’endroit par où s’était infiltré Jane. Il le savait. Comme il savait ce qu’allait lui dire l’australienne.

« Je les ais en visuel, dit-elle. Les trafiquants discutent avec ceux qui sont arrivés en véhicule. Ils ne sont que quatre visiteurs. Ils sont habillés de façon moldue normale. »

Cette information n’avait rien d’extraordinaire sur Mars. Les sorciers avaient appris rapidement à se fondre dans la masse sur cette planète. Alors que sur Terre, des ratés dans ce domaine demeuraient, comme une tradition du mauvais goût vestimentaire ayant traversé les siècles.

« Ils aiment le blanc j’ai l’impression, ajouta Jane. »

           Alex arriva à vu des personnels. Jane avait raison. Alors que les trafiquants arboraient des couleurs diverses dans leurs ensembles vestimentaires, les visiteurs étaient habillés essentiellement de blanc. Trois d’entre eux avaient la tête découverte. Le quatrième dissimulait son chef sous une capuche blanche.

« J’ai pris des photos de tout le monde, continua Jane.

-Je les ais reçues, annonça Fred. Je commence les recherches dans la base de données. Pour l’instant rien. »

Alex savait que la recherche ne donnerait rien concernant ces étranges visiteurs. Il préféra accélérer les choses.

« Jane, tu enregistres leur conversation ? fit-il.

-Bien sûr. Ils parlent de divers ouvrages. Les sujets abordés sont assez vastes : potions, arithmancie, sortilèges, enchantements, rituels, et cetera. Beaucoup sur la nature de la Magie et les dernières découvertes en la matière. Je me demande ce qu’ils veulent. Ce ne sont peut-être pas des terroristes mais simplement des collectionneurs.

-Non, je peux te l’assurer, ce ne sont pas de simples collectionneurs. On va agir. Tigre ici Corbeau.

-Tigre, fit la voix du chef de l’UA.

-Faîtes mouvement pour vous mettre en base d’assaut et attendez mon signal.

-Reçu. Tigre en mouvement.

-Jane, reprit Alex. Tu vas faire exactement ce que je vais te dire. Tu restes sur la passerelle et tu me couvres.

-Je peux t’aider depuis en bas. On pourrait les prendre en tenaille avec l’UA. »

En temps normal, c’est ce qu’Alex aurait fait. D’ailleurs, c’est ce qu’il avait fait à l’époque. Mais il voulait changer ce passé. Même si ce n’était peut-être qu’une illusion.

« Fais ce que je te dis, objecta Alex. Je descends. Pas un bruit.

-OK, fit Jane visiblement déçu. Je me déplace pour avoir une meilleure vue. »

           Alex descendit doucement par une échelle proche. Il s’approcha en se cachant derrière une pile de caisses. Il était désillusionné mais ne voulait prendre aucun risque. Personne n’arrivait à devenir parfaitement invisible sans cape. De là où il se trouvait maintenant, il ne pouvait rater sa cible.

« Tigre en position, informa l’UA.

-Préparez-vous, fit Alex. Jane, depuis ta position, tu neutralises les trafiquants avant qu’ils ne puissent sortir. Je me charge des blancs.

-Ce serait plus simple si je descendais, fit remarquer Jane.

-Fais comme je te le dis. Tigre, assaut dans soixante secondes à partir de mon top. Top.

-Reçu, acquiesça Tigre. »

           Alex s’approcha encore en restant à couvert. Il restait trente secondes avant l’assaut de l’UA quand il s’avança en annulant son enchantement de désillusion. Il stupéfixa dans la foulée un des blancs et s’élança à l’attaque des autres. Les deux autres sorciers blancs se placèrent en protection de l’encapuchonné. Les trafiquants ne comprenaient pas ce qui se passait. Ils tentèrent de se diriger vers la sortie mais un sortilège stupéfixant l’un d’eux leur interdit. Alex esquiva plusieurs éclairs et entra dans la garde du plus proche sorcier blanc, le piquant d’un coup de coude à l’estomac. Il lui tordit le bras armé dans le dos et se servit de lui comme d’un bouclier humain. A couvert derrière lui, il tendit la baguette vers le second, le désarmant d’un Experlliarmus. Il projeta le premier et le mit KO d’un coup de pied dans la tête. Il bondit d’un coup, enserrant le cou du second entre ses jambes pour le projeter au sol et l’assomma d’un coup de poing.

           Alex se releva rapidement en pointant sa baguette sur l’encapuchonné qui faisait de même. La porte explosa, laissant entrer des hommes armés de fusils d’assaut et de baguettes pour certains en tenues d’intervention noires. Les hommes de l’UA encerclèrent immédiatement les trafiquants désappointés. Un binôme se plaça de sorte de maintenir en respect l’encapuchonné sans risque de tirer sur Chaldo.

« Rendez-vous, ordonna Alex. Vous ne pouvez plus vous échapper.

-Vous gagnez cette fois-ci, dit l’encapuchonné. Mais la victoire finale sera notre.

-Quelle victoire ? »

L’encapuchonné fut pris d’une courte convulsion et s’effondra. Les trois autres sorciers blancs tremblèrent également un instant. Alex savait qu’il n’y avait plus rien à faire. Le binôme de l’UA s’approcha pour constater que les quatre sorciers blancs étaient morts.

           Alex s’approcha de l’encapuchonné et le découvrit. Le même tatouage qu’il avait vu à Olympus était dessiné sur son crâne.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Jane qui l’avait rejoint.

-Je ne sais pas, répondit Alex. Mais je compte bien le découvrir. Malheureusement, tout ceci n’est qu’une illusion. En réalité, ils se sont enfuis sans laisser de trace. Et tu es morte ce soir-là.

-Que dis-tu ? questionna Jane visiblement déboussolée. Tu as pris un coup sur la tête ?

-Tu n’es pas là devant moi. Et moi, je ne suis pas ici. Je sais que tout n’est qu’illusion. Je ne sais pas pourquoi ni comment. Mais je sais que le passé est le passé. Ceux qui ont créé le Labyrinthe d’Olympus, quelque soit la raison, n’aurait jamais permis qu’on puisse modifier le passé à la légère. Je ne peux imaginer qu’ils prennent ce genre de risque quand on sait quelles conséquences cela peut avoir. Même en imaginant les Seigneurs de l’Oubli au summum du maléfique, ils ne prendraient pas un tel risque. Cela pourrait entrainer leur destruction. Non. Cet endroit avait un autre but.

-Quel endroit ?

-Le Labyrinthe.

-Je ne comprends rien. »

           Alex s’approcha de Jane et la prit dans ses bras. Ils restèrent ainsi enlacés et silencieux durant un moment.

« Tu ne peux pas savoir combien de fois j’ai espéré pouvoir revenir ce soir-là, continua Alex. Ce soir où je t’ai perdu parce que j’ai manqué de prudence. Après, je n’ai plus eu envi de faire équipe avec qui que ce soit. Je n’ai accepté que Tony. Et maintenant, même lui n’est plus là. Je sais maintenant que j’aurais pu te garder en vie ce soir-là. Ce n’est pas une pensé agréable. Mais je devrais m’en contenter et vivre avec.

-Alex, tu me fais peur, fit Jane. »

Alex embrassa la jeune femme et s’éloigna d’elle, marchant sans se retourner.

« Où vas-tu ? demanda-t-elle.

-Là où je dois être, répondit-il. »

Alex continua de marcher malgré l’appel suppliant de Jane. Il n’avait plus le droit d’espérer. Ce bonheur n’était pas le sien. Il ne pleurait pas. Cela faisait des années qu’il ne pleurait plus. A mesure qu’il marchait, la voix de Jane se fit de plus en plus lointaine. Quelque chose tomba doucement du plafond. C’était léger, descendant avec un mouvement pendulaire comme une feuille morte. Alex suivit l’objet des yeux. Il atterrit juste devant lui. Une plume d’un blanc immaculé mais marbrée de sang écarlate. Alex leva les yeux. Il devina une silhouette ailée se détachant de l’ombre du plafond.

           Et le monde s’estompa autour de lui. Seules les ténèbres demeurèrent…