Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets
CHAPITRE IV : L’INQUISITION
Le Patron vint jusqu’au terminal occupé par Frédéric Forge. Il le faisait régulièrement pour se mettre au courant de l’avancée de la mission. C’était la mission prioritaire de la DE en ce moment. Le Patron préparait un rapport détaillé pour que l’ONS et la CIMS puissent prendre des mesures plus radicales à l’encontre des Daemons et du Serpent Blanc. La dernière fois, les deux détachés de liaison de la DE avec les deux instances internationales de tutelle n’avait mené qu’à l’ouverture d’une relation de découverte avec les Anges. Seul l’état martien de Marineris avait ouvert des relations diplomatiques secrètes avec le peuple ailé. Les Anges y avaient tenu car leur temple se trouvait sur le territoire de Marineris. Mais il était prévu que Marineris mettent les Anges en relation avec les autres états martiens indépendants. L’antenne martienne de la DE observait et assistait le tout.
Hector Guillou avait passé sa vie dans les services de renseignement et d’action secrète. Il y avait développé une sorte d’instinct. Il pressentait que les Daemons n’en resteraient pas là. Malgré une connaissance seulement fragmentaire de ces créatures surtout basée sur les récits des Anges, Guillou sentait qu’elles iraient jusqu’à la guerre. Tout ce qu’elles faisaient jusqu’à maintenant ressemblait à des opérations de renseignement et de sabotage avant une opération militaire de grande envergure. Par contre, Guillou y voyait une faille pouvant s’avérer fatale pour les Daemons : ils s’intéressaient aux peuples magiques et aux connaissances des Anges, mais ils n’effectuaient pas les mêmes actions envers les Moldus. Pensaient-ils qu’ils soient si insignifiants ? Le Patron espérait que ce ne soit qu’une sous-évaluation de leur part, et non pas une analyse réaliste.
« Monsieur Forge, quelle nouvelle du Mexique ? questionna le Patron.
-Ariana et Tony sont toujours dans la jungle et marchent en direction des ruines mayas, renseigna Fred. Mais il y a du nouveau, ils ont croisé quelqu’un en chemin. Christianus Féndès.
-Donc, l’Inquisition s’intéresse à cette affaire. Espérons qu’ils ne mettent pas l’équipe en danger et qu’ils se rendent compte de l’épée de Damoclès qui flotte au dessus du monde en ce moment.
-Avec ces crétins de puritains incapables de se rendre compte qu’ils sont inutiles voir nuisibles, faut pas rêver. L’Inquisition regroupe ce qu’il y a de plus extrême dans les instances catholiques. Du moins, les dirigeants. Les agents de terrain, comme Christianus Féndès, sont manipulés. Je pense que si Féndès se rendait compte réellement pour qui il travaille et quels crimes contraire à leur religion ils ont commis soi-disant au nom de leur dieu, il se retournerait contre eux. Enfin, c’est ce qu’Alex disait parfois. Il y avait une sorte de respect mutuel entre eux.
-Oui, peut-être. Il est dommage que notre agent infiltré au Vatican n’ait pas réussi à intégrer l’Inquisition. Je vais le contacter tout de même pour voir s’il n’aurait pas une bribe d’information. Bien que je me doute qu’avec ce qui se passe en ce moment au Vatican, sa marche de manœuvre doit être réduite. Rendez-moi directement compte des évolutions de la mission.
-Reçu Patron. »
A quelques centaines de kilomètres de là, au cœur de la cité du Vatican, dans un lieu tenu secret. Un homme s’identifia par l’interphone menant au bureau de son chef. Samus Denler était le chef incontesté des services secrets du Vatican. D’origine suisse allemande, il avait intégré la traditionnelle Garde Suisse à l’âge de vingt-cinq ans, après des études de gestion. Rapidement, il grimpa les échelons. Mais ce fut surtout sa ferveur religieuse qui fut remarquée. Le cardinal Nova lui demanda de prendre le poste de chef des services secrets. Un poste moins médiatique, discret et non-officiel, mais Denler l’accepta immédiatement, sentant qu’il serait plus utile à son dieu. D’ailleurs, le cardinal Nova le fit entrer dans un groupuscule secret dont personne, même au sein du Vatican, ne connaissait l’existence : l’Inquisition. Alors que les derniers tribunaux de l’Inquisition avaient cessé toutes activités officielles depuis des siècles, une poignée de religieux et de croyants durs continuaient à agir dans l’ombre pour combattre la plus grande insulte faite à leur dieu : la Sorcellerie.
Pour l’Inquisition, l’existence même du monde de la Magie était une aberration. Dieu ne pouvait pas avoir donné des pouvoirs à une portion réduite de la population. Ces hommes ne pouvaient être que les enfants du Malin. D’ailleurs, leur monde était peuplé de créatures démoniaques : vampires, loups-garous, elfes, eldars, gobelins, harpies,… Tous des monstres surgis de l’Enfer. Et pour les combattre, il ne fallait reculer devant rien. Très peu d’agents des services secrets du Vatican étaient de l’Inquisition. Il ne fallait par risquer de tomber sur un chrétien tolérant qui prônerait la communication avec les Sorciers. Voir pire, qui les trahirait.
Pour combattre les Sorciers, l’Inquisition avait choisi l’attente. Ils surveillaient les faits et gestes de la communauté magique. Si quelque chose de suffisamment grave et aux répercussions désastreuses pour le monde moldu arrivaient, ils s’empresseraient de s’en servir pour dénoncer au monde les Sorciers et se porter en protecteur de l’Humanité. Ainsi, le rêve de voir le monde devenir chrétien serait réalisable. L’Inquisition désirant voir ce qu’ils considéraient comme des blasphèmes à leur dieu disparaître : la croyance en une autre divinité et l’athéisme.
« Que se passe-t-il ? questionna Denler.
-Nous avons perdu contact avec l’agent Féndès, informa l’analyste. Même sa position nous est inconnue.
-Depuis combien de temps ?
-Moins d’une heure. Nous avons tenté tout ce qui était en notre pouvoir pour récupérer la liaison.
-Quelles sont les dernières informations qu’il a transmises ?
-Il suivait deux personnes non-identifiées. Il n’a pas pu nous en envoyer de photos. Mais c’est quelques minutes après que son signal fut perdu.
-Je vois. Vous pouvez disposer. »
Denler se doutait de l’identité de ces deux personnes. Ou du moins, pour qui il travaillait. Leur plus terrible ennemi : la division ésotérique de l’ONS. Denler se demandait encore comment les instances internationales de l’époque avaient pu accepter sa création. Tout ça à cause de la maudite séparation de l’Eglise et de l’Etat dans la majorité des pays instigateurs de cette mesure. Denler maudit les hommes qui avaient cru que les Etats peuvent se passer de l’avis des émissaires de dieu. Quelle effronterie ! A l’époque, le Vatican avait demandé l’annulation de cette décision. Mais l’ONU, comme s’appelait alors l’organisation, rejeta la demande pour la raison que le Vatican n’en faisait pas parti.
Denler pianota sur le clavier de son visiophone. Une image holographique apparut.
« Votre Eminence, nous avons perdu le signal de l’agent Féndès, rapporta Denler. Il suivait deux individus non-identifiés. Mais je pense qu’il doit s’agir de deux agents de la DE.
-Ces blasphémateurs se permettent encore d’agir, s’écria le cardinal. Que pouvons-nous faire pour le moment monsieur Denler ?
-Pour l’instant, je suggère d’attendre. Féndès est mon meilleur élément. Il va réussir sa mission.
-C’est bien lui qui était sur la mission à Londres en décembre dernier ?
-Tout à fait votre Eminence.
-Il n’y a pas été très brillant. Nous n’avons pu obtenir aucun moyen de mettre un terme à la vie secrète des sorciers.
-Nous essayons depuis presque huit siècles votre Eminence. Nous y arriverons un jour, avec l’aide de dieu.
-Amen. La situation semble d’ailleurs tourner à notre avantage. Cette affaire que la DE tient à garder secrète concernant les Seigneurs de l’Oubli peut nous offrir l’occasion que nous attendions. Bientôt, le monde se tournera vers dieu.
-Amen, votre Eminence. Ce qui veut dire que nous allons devoir mettre en œuvre l’opération Clé prochainement.
-Ce sera l’objet de notre prochaine réunion. Il faut que nous soyons prêts.
-Mais votre Eminence, il reste un détail troublant : ces créatures rencontrées par la DE sur Mars et qui disent être les Anges.
-Ce n’est encore qu’une manigance de leur part. Les anges sont les créatures les plus proches de dieu. Tout ce que la DE ou ces soi-disant anges diront, n’est que mensonge dans le but de nous détourner du ciel.
-Je suis d’accord avec vous, votre Eminence.
-Que la paix du seigneur soit avec vous, monsieur Denler.
-Et avec vous, votre Eminence. »
L’hologramme disparut. Denler repensa à cette discussion. Il avait dit que Féndès était son meilleur homme. C’était vrai. Mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir des doutes sur lui également. Féndès avait eu plusieurs fois affaire à l’agent Alexandre Chaldo de la DE. Et malgré ces rencontres répétées, il n’avait jamais réussi à l’éliminer. Pire encore, lors de leur dernière rencontre, à Londres, ils avaient collaboré. Denler avait passé un savon à Féndès en l’apprenant. Mais surtout, à ce moment là, Denler avait eu la confirma de ce dont il se doutait depuis longtemps maintenant : Féndès respectait et même appréciait Alexandre Chaldo. Mais maintenant que cet ennemi était mort, Féndès reviendrait sûrement dans le droit chemin. Peut-être même, pourrait-il entrer à l’Inquisition. Il deviendrait un atout non-négligeable.
Christianus se rapprocha d’Ariana durant la marche.
« Ariana, fit-il. Excusez-moi de remuer le couteau dans la plaie, mais je souhaiterais savoir : comment est mort Alex ? »
Ariana baissa les yeux. Ne la laisseront-ils jamais tranquille ? Pourquoi tout le monde s’évertuait à lui rappeler qu’elle avait perdu Alex à jamais ? Mais finalement, elle accepta, ayant remarqué l’ambigüité des liens tissés entre Alex et Christianus : à la fois ennemi et ami, se respectant mutuellement. Le seul problème était que beaucoup d’informations liées à la mort d’Alex étaient confidentielles. Tony qui marchait devant eux se tourna vers elle :
« Raconte-lui, accorda-t-il. J’estime qu’il en a le droit et puis, le Vatican connait sûrement déjà l’essentiel de cette affaire.
-Alex est mort pour nous protéger, raconta-t-elle alors que Tony reprit la route. Il s’est sacrifié pour la réussite de notre mission et notre survie. Nous étions en route pour la base de Phobos. Nous avons été pris en chasse par un vaisseau du Serpent Blanc. Notre escorte a été descendue en vol. Nous avons été touchés et nous allions être arraisonnés. Tout semblait perdu. Les secours arriveraient trop tard. Il ne nous restait plus qu’à vendre chèrement notre peau. Alex a demandé à Tony la position exacte et la vitesse du vaisseau ennemi. Puis il s’est tourné vers moi. Il m’a sourie. Je ne sais pas comment, mais j’ai alors compris ce qu’il avait en tête. Je savais qu’il allait y laisser sa vie. Je ne le voulais pas. J’ai voulu le retenir mais il était trop tard, il a transplané jusqu’au vaisseau ennemi. Il s’est battu comme un diable. Je le sais, je me suis passé un nombre incalculable de fois l’enregistrement transmis par son TOI. Puis le vaisseau a explosé avec lui à bord. Nous sommes parvenus jusqu’à Phobos. Mais nous avions payé lourdement le prix de notre voyage. Voilà. »
Christianus garda le silence quelques instants. Il était conscient qu’Ariana ne lui disait pas tout, surtout sur ce qu’elle avait ressenti à ce moment là. Elle ne lui avouerait pas les sentiments de peine et de colère qui se déversaient en son âme depuis la mort de celui qu’elle aimait. Elle ne s’en était sûrement rendu compte qu’au moment de le perdre. Il préféra ne plus lui parler d’Alex.
« J’ai lu le rapport disant que vous avez rencontré des créatures mythiques sur Mars, dit-il. Ou du moins, des gens se faisant passer pour ces êtres. »
Ariana n’eut pas le temps de répondre, Tony s’était arrêté et fit face à Christianus.
« Si tu veux parler des Anges, ils existent réellement, sont différents de ce que dit le dogme chrétien et sont nos alliés contre les Seigneurs et le Serpent Blanc, lança-t-il.
-Excuse-moi de douter de la parole de sorciers, dit Christianus. La tromperie fait parti de vos armes dans votre quête de domination du monde.
-Quelle domination ? Nous n’avons jamais souhaité ça.
-Admettons. Mais pour les Anges, ce sont les êtres les plus proches de dieu. Je crois savoir que ceux avec qui vous prétendez être en contact se disent être les anges rebelles de la Kabbale. Ceux qui ont trahi leur créateur.
-Ils nous ont racontés une toute autre histoire, bien plus plausible et réaliste au vu des derniers évènements. Celui qui est devenu dieu, Jéhovah, il n’était qu’un ange parmi les autres, il en était le maître. Rien de plus. Et par peur d’être annihiler par les Seigneurs de l’Oubli, il a choisi de fuir avec son peuple, de quitter le système solaire. Seuls ceux que vous nommez « anges rebelles » sont restés pour continuer le combat et nous sauver de la domination des Seigneurs. Ils vivent toujours et sont prêts à reprendre les armes contre nos ennemis. Tout ce que dit le livre d’Enoch n’est pas tout à fait faux. Ils nous ont appris la sorcellerie, les potions, à faire des armes et ont couché avec des humaines. Leurs descendants sont métisses anges et humains mais portent le nom d’Anges.
-Ce n’est que blasphème !
-Non, ce n’est que la réalité. Mais je suis conscient que tu es du mal à l’accepter. L’être humain n’a jamais apprécié qu’on change son univers. Même quand c’est la vérité, il crie au mensonge, par peur des profonds changements que cela implique dans sa manière de voir le monde. L’Eglise a rejeté l’idée que la Terre est ronde, qu’elle tourne autour du soleil, qu’elle n’était pas le centre du monde car cela signifiait que l’Humain, créature fait à l’image de leur dieu selon eux, n’est pas si important que ça au final, qu’il n’est qu’un point infime dans l’Univers. Souviens-toi également de Charles Darwin, sa théorie de l’évolution fut mise à mal par l’Eglise alors qu’il ne s’appuyait que sur des observations réelles et rigoureuses de la nature. Mais cela réduisait à néant les écritures donnant un âge d’environ cinq milles ans à la Terre et à l’espèce humaine. Passer de cinq milliers d’années à plus de trois millions si on considère l’Australopithèque comme le premier hominidé, je conçois que ça peut chambouler les esprits. Mais voilà, il faut accepter la réalité. S’il existe vraiment un dieu, ce dont je doute, il vous a menti.
-Je ne m’attends pas à ce que tu te convertisses, répliqua Christianus.
-C’est perdu d’avance. Par contre, je m’attends à ce que tu fasses silence. Nous sommes aux abords des ruines. »