Ariana Potter, Premier Cycle : Dans l'Ombre des Secrets
CHAPITRE V : LA CITE EN RUINE
« Je ne sais pas Patron, dit l’homme dont l’image était apparu en image holographique sur le bureau d’Hector Guillou. Il règne une certaine tension au Vatican en ce moment. Ils ont appris pour les Anges qui ouvrent une relation diplomatique actuellement avec la CIMS. Cela les inquiète même s’ils disent qu’il s’agit d’un nouveau mensonge de notre part.
-Ils en savent un peu trop sur nos activités, fit le Patron. Je vois que leur taupe est encore active et a accès à des secrets de haut niveau. Plus haut que ce que nous pensions. L’existence des Anges n’est connue que de quelques membres de la DE et de la CIMS. A moins que la fuite vienne du gouvernement de Marineris mais j’en doute. Carter s’y connait pour tout cloisonner. Il nous faut cette taupe.
-Je cherche constamment à faire la lumière sur son identité mais pour le moment, je ne suis arrivé à rien.
-Vu la situation, il faut la mettre hors d’état de nuire rapidement. Mais pour cela, il nous faut l’identifier.
-Je n’y arriverais pas sans risquer de griller ma couverture. J’ai tenté tout ce qui était possible sans me dévoiler.
-Ne faîtes rien de plus, votre position est stratégique, surtout en ce moment. C’est pourquoi je ne vais vous demander qu’une chose : transmettez-moi tout ce que vous savez sur cette taupe, même le détail le plus insignifiant.
-Je m’en occupe tout de suite Patron. Je vous recontacte si les choses bougent ici. »
Le dossier de l’agent infiltré au Vatican arriva quelques secondes plus tard sur l’ordinateur de Guillou. Le Patron le feuilleta. Effectivement, il n’y avait pas grand-chose. Et pourtant, il fallait agir. Le Patron réfléchit, il devait choisir judicieusement qui il allait lancer à la recherche de la taupe. Mais avant, il activa son visiophone. Aucune image ne se forma.
« Que puis-je pour vous monsieur Guillou ? questionna une voix féminine.
-Le Vatican s’immisce un peu trop dans nos affaires, dit le Patron.
-Le Vatican n’a jamais supporté le fait d’avoir perdu son leadership sur la conscience humaine. Il se considère comme la seule voix apte à être écouté et veut s’octroyer le droit de penser pour les autres. Il ignore sciemment le message premier de la philosophie chrétienne : la tolérance et le respect. Je ne peux malheureusement pas vous aider sur ce point.
-Je m’en doutais.
-Où en est votre équipe au Mexique ?
-Ils sont arrivés aux abords de ruines mayas. Il est possible qu’un ange y ait caché un des crânes de cristal. Mais ils n’y sont pas seul, un agent du Vatican est avec eux.
-L’Inquisition ne sera pas notre ennemi le plus virulent, mais il sera le plus sournois. Je suppose que vous allez agir en conséquence.
-Tout à fait.
-J’espère que vous y arriverez. Au revoir monsieur Guillou. »
Trois agents entrèrent dans le bureau d’Hector Guillou, répondant à son appel. L’équipe était entièrement féminine. La cadette se nommait Zoé Zapajo, une moldue espagnole occupant le poste d’analyste. Elle approchait la trentaine et arborait des cheveux courts, noirs avec des reflets châtains. Le deuxième membre de l’équipe avait des cheveux d’un noir plus profond et ils étaient plus longs, touchant le bas des omoplates. Nayu Hiroji, âgé de trente-deux ans, était une shugenja, une sorcière japonaise. La chef de cette équipe s’appelait Ekarina Pardopoulos, une moldue d’origine grecque ayant servi autrefois dans les services de renseignement européens et allant sur ses trente-cinq ans.
« La mission que je vais vous confier n’a aucun support officiel, sauf en cas de succès pour l’avaliser ou en cas d’échec pour vous couvrir, annonça le Patron. Mais durant tout le temps effectif de la mission, vous serez seul. Vous devrez me rendre compte directement et personnellement. Aucune exception sur ce point. Cette mission est d’une importance vitale et vous ne devrez en parler à personne. Nous serons les quatre seuls personnes au courant. Suis-je assez clair ?
-Totalement limpide Patron, acquiesça Pardopoulos. Ça me rappelle le SRE[1].
-C’est justement le fait que vous soyez une habituée de ce genre d’action souterraine qui m’a guidé dans mon choix. Nous avons une taupe au sein même de la DE. Ce n’est pas nouveau, nous le savions depuis longtemps. Mais avant, elle ne nous gênait pas plus que ça. Avec la situation actuelle, nous ne pouvons nous permettre d’avoir un pseudo ennemi de plus.
-Pour qui travaille cette taupe ?
-Le Vatican. Notre agent infiltré a fait tout ce qui lui était possible de faire pour la découvrir sans se dévoiler. Mais nous ne pouvons risquer qu’il prenne plus de risque. Sa position étant stratégiquement vitale.
-Donc, nous devons découvrir cette taupe.
-Exactement, confirma le Patron. En toute discrétion. Dans la mesure du possible, identifié la sans qu’elle ne vous découvre et rendez-moi compte. Mais si vous n’avez pas le choix, mettez-la hors circuit.
-Sans qu’elle n’alerte le Vatican, n’est-ce pas ? demanda Pardopoulos.
-Je vois qu’on se comprend. Voici tout ce qu’a découvert notre agent au Vatican. N’en faîtes pas de copie, les seules existantes sont l’original et celle que j’ai verrouillé sur mon ordinateur. »
Zapajo prit le fichier holographique et l’intégra à son TOI. Elle fit quelques manipulations avant d’annoncer :
« Verrouiller et crypter. Personne ne pourra le lire sans être identifié comme membre de notre équipe.
-Si d’autres infos me parviennent, je vous les transmettrais, dit le Patron. Allez-y, le temps presse. »
Avec une extrême prudence et en se couvrant mutuellement, les deux agents de la DE et celui du Vatican commencèrent leur exploration des ruines. La cité était faîte de pierres grises recouvertes de mousses et de lianes. Des arbres avaient poussé ça et là où on pouvait imaginer aisément des rues animées mille ans auparavant. Ariana s’était documentée sur l’architecture maya avant de partir. Elle n’était pas experte mais elle avait compris que la civilisation Maya avait connu plusieurs périodes. La plus riche au niveau culturel étant la période dite « classique ». Certains historiens n’hésitant d’ailleurs pas à dire que la civilisation Maya a disparu à la fin de cette période et que celle dénommée « post-classique » ne caractérisait pas le peuple Maya mais un autre ayant pris sa place souvent appelé « Toltèque ». Les Mayas avaient donc disparu sans laisser de trace. Mystérieusement. Comme absorbé par la jungle qui les entourait. Les archéologues situaient cette disparition aux alentours de l’an 1200.
Ces ruines dataient de la période classique. Elles n’avaient plus connu d’habitants humains depuis douze siècles. Seule la nature y résidait dorénavant. Malgré tout, l’ambiance y était étrange. Ariana s’attendait à tout moment à voir des mayas sortir naturellement par les portes. Ou de voir surgir des Seigneurs de l’Oubli assoiffés de sang. Ariana avait beau se dire qu’à part des cris d’animaux, seul le silence régnait en maître sur ses lieux, elle sentait comme une présence. Une présence qu’elle ne saurait définir. Elle ne ressentait ni détresse ni pacifisme, c’était plutôt comme une présence neutre ne sachant comment juger ces nouveaux venus.
« Si nous devons découvrir quelque chose ici, je pense qu’il vaut mieux se diriger vers le temple, au centre de la cité, dit Anthony.
-Est-ce que vous recherchez un des crânes de cristal ? questionna Christianus. Comme celui que le Serpent Blanc a dérobé à Londres ?
-C’est ce que nous pensons, confirma Tony sachant bien qu’il serait inutile de nier. Nous n’en sommes pas sûrs. Les Anges non-plus. Avant même de quitter la Terre pour Mars, ils ont perdu la trace d’un des leurs, chargé de dissimuler un crâne. La seule chose dont ils soient sûrs, c’est que les Seigneurs ne l’avaient pas en leur possession. Cet ange fut considéré comme mort en mission.
-Et comment vos « anges » le nommait-il ? Car je suppose qu’il avait un nom.
-Il s’agissait de Lucifel. »
A l’évocation de ce nom, Christianus blêmit. Tony eut un léger sourire, il s’attendait à ce genre de réaction. Il décida de jouer un peu avec l’agent du Vatican.
« Et bien ! Je pensais que tu ne croyais pas qu’il s’agissait véritablement des Anges ?
-Je n’y crois pas. Mais quand on parle de sorciers, on parle aussi forcément de démons et donc de leur maître : Lucifer, appelé aussi Satan.
-Déjà, c’est Lucifel et non pas Lucifer, contredit Ariana. Et puis Satan et lui ne sont pas la même personne. Ils sont frères. Satan est un guerrier honorable que j’aurais plaisir à revoir. Et pour finir, nous sommes sorciers, pas démoniaques ni maléfiques.
-Ainsi, vous avez rencontré quelqu’un qui prétend être Satan.
-Oui. Et nous avons combattu côte à côte sur Mars. Je suis même devenue amie avec une de ses élèves. »
Christianus ne préféra rien répondre, mais Ariana savait qu’il n’en pensait pas moins. Cela énervait un peu Ariana. Elle s’obligea à se clamer en se rappelant que Christianus Féndès avait été élevé dans une certaine tradition. Se défaire de certaines idées préconçues rabâchées depuis l’enfance n’était pas chose aisée. Elle attendait avec impatience le moment où il tomberait nez à nez avec un ange.
Ils continuèrent d’avancer prudemment, les sens à l’affût, prêt à réagir à la moindre alerte. Ils finirent par atteindre le temple qui marquait le centre de la cité. Il devait faire dans les trente mètres de haut et présentait une forme pyramidale à degré. En son sommet, se dressait une bâtisse formée d’un toit et de colonnes. Ariana avait été surprise par la ressemblance entre les temples mayas ou aztèques avec les pyramides égyptienne d’une part et les temples grecs et romains d’autre part. Il devait forcément y avoir une filiation, un lien entre ces anciennes civilisations.
« Ce temple est un vrai mystère à lui seul, expliqua Fred.
-Que veux-tu dire ? questionna Tony. Je croyais que les archéologues se désintéressaient de cette cité car elle n’apportait pas grand-chose de nouveau sur la culture et l’Histoire des Mayas.
-C’est exact, et pourtant, les archéologues ont fait une constatation étrange lors des premières analyses des échantillons prélevés ici. Les datations des réfections les plus récentes du temple se situaient aux alentours de l’an 1200. Jusqu’ici rien d’anormal car c’est l’époque de la disparition des Mayas de la période classique. Mais en effectuant ces mêmes analyses sur des fondations plus profondes et plus anciennes, dans le but de découvrir la date de construction du temple, ils ont obtenu des résultats assez déroutants. Mais assez intéressant pour nous.
-Laisse-moi deviner : la datation donnait douze millénaires.
-Tout à fait. Cela a fait un tollé à l’époque car ça remettait en question l’âge de la civilisation Maya, l’invention de l’écriture, le peuplement de l’Amérique, et cetera. Les archéologues ont préféré penser à une erreur au début. Mais quand les analyses suivantes donnèrent le même résultat, ils furent à cours d’explication. Ils laissèrent la question de côté. Cela nourrit l’imagination des fans d’ésotérisme.
-Ce n’est pas vraiment logique, intervint Ariana. Pourquoi un ange ferait construire un temple alors qu’il devrait jouer la discrétion pour cacher le crâne ?
-C’est une bonne question. Peut-être aurons-nous la réponse à l’intérieur. On monte. »
L’escalier était raide. Ariana perdit plusieurs fois l’équilibre, se rattrapant in extremis. Du sommet, la vue sur la cité était impressionnante. Elle était faite d’un patchwork de bois et de pierre. Le vert et le marron de la jungle bataillait avec le gris foncé des pierres de taille ayant servi à la construction de la cité. Les trois agents restèrent un moment silencieux devant cette aquarelle.
Anthony fut le premier à revenir à un sujet professionnel.
« Il est trop tard pour explorer la cité, dit-il. On sécurise la pyramide et après on monte le bivouac. Ariana, en pointe. »
Ariana acquiesça et, baguette à la main, elle passa entre les colonnes du temple. Il était vide de présence vivante. D’ailleurs, cela n’échappa pas à la jeune femme. Elle regarda de tous les côtés. L’endroit était propre, aucune liane, ni aucune trace de passage d’animaux ne jonchait le sol et les murs.
« Tony, je pense que quelqu’un vit ici, dit-elle.
-Tout le laisse penser c’est vrai, acquiesça-t-il. Quoique, c’est trop vide. Propre, mais vide. Quelqu’un est passé et a nettoyé récemment. C’est tout ce qu’on peut dire. Peut-être les touristes qui ont disparu.
-En tout cas, l’endroit est clair. Qu’est-ce que tu en penses ?
-On reste ici pour la nuit. »
La nuit tomba rapidement sur la cité abandonnée. Ariana resta subjuguée par le spectacle de cette ville de pierre et d’arbre sous la lumière argentée de l’astre lunaire. Elle ne put malgré tout réprimer un frisson. Elle sentait comme une présence ici. Quelque chose ou quelqu’un les observait. Elle en fit part mentalement à Anthony.
« Je ne perçois rien, dit-il. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien. Si ça se trouve, ce sont les Seigneurs de l’Oubli dont tu sens la présence. Je ne serais pas étonné qu’ils nous observent en ce moment même. Je prends le premier tour de garde. Essaye de dormir. Demain, nous fouillons la cité. »
Anthony mit tous ses sens en éveil. Lui aussi avait ressenti une présence. Il était impressionné que, malgré son manque d’expérience, Ariana l’ait ressentie. Mais contrairement à d’habitude, il ne parvint pas à en définir la nature ou la direction. Il avait l’impression que cette présence était partout autour de lui. Dans le moindre arbre, la moindre pierre, le moindre souffle de vent. Sans l’inquiéter, cette sensation ne le rassurait pas.
Une silhouette sombre se cachait derrière un arbre. Ses yeux ternes reflétaient à peine la lumière de la lune. Il observait les trois individus depuis leur entrée dans la cité. Comme toujours, il se demandait qui ils étaient et pourquoi étaient-ils venus jusqu’ici ? Avant de décider d’agir, il allait attendre. Il fallait qu’il soit sûr.
[1] Services de Renseignement Européen