L'Ankou

Chapitre 17 : III Kate et Morgane

2949 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:03

           CHAPITRE III : KATE ET MORGANE

 

           Malgré la surveillance insistante de son grand frère, Kathleen parvint plusieurs fois à se soustraire à lui et passaient de longs moments à discuter avec Morgane. Cette dernière, complice, l’aidait à se cacher quand Denys venait jusqu’à la cabine de la jeune pirate où à la cuisine en quête de sa sœur. Morgane s’en amusait.

« Il a l’air de tenir à toi, dit Morgane après avoir une fois de plus envoyé le noble anglais sur une fausse piste.

-C’est vrai, acquiesça Kathleen. Et moi aussi je l’adore mais il est parfois un peu trop envahissant. C’est comme ça depuis la mort de notre mère et le départ de notre père pour les comptoirs de l’Océan Indien.

-Je sais ce que c’est. Quand nos parents sont morts et que nous sommes arrivés à bord de l’Ankou, John a tout tenté pour m’éloigner des pirates. Mais avec le temps, il a commencé à s’ouvrir à eux et à découvrir une nouvelle famille à bord. Quand ils m’ont libérée, j’ai cru un instant que quelqu’un avait échangé mon frère contre un autre.

-Libérée ?

-J’ai été enlevée par les pirates qui avaient assassiné nos parents. Leur capitaine était une ancienne de l’Ankou et voulait s’en emparer.

-Pourquoi ça ? Elle voulait deux bateaux ?

-Non, juste l’Ankou. Je pense qu’elle aurait abandonné le sien.

-Je ne comprends pas.

-Je ne peux pas t’expliquer, malheureusement. C’est un secret.

-D’accord, alors autant changer de sujet. J’ai cru voir un jeune homme te tourner autour durant la petite fête en l’honneur de ton frère, sourit Kathleen.

-Tu parles de Yoann. C’est mon meilleur ami à bord. Mais rien de plus.

-Rien de plus ? Tu es sûre ?

-Il est gentil et plutôt beau je le reconnais. Mais…

-Mais tu ne ressens rien d’autre pour lui que de l’amitié.

-Voilà, confirma Morgane.

-Pourtant, à part lui et ton frère, il n’y a pas vraiment de jeunes hommes à bord. A moins que tu ne sois amoureuse de ton frère.

-Ça va pas la tête ! s’écria Morgane en riant.

-Ou alors tu aimes les hommes plus âgés. Un peu comme l’asiatique. Euh… je ne me souviens jamais de son nom.

-Akiko. Tu sais, ce n’est pas obligatoire d’être amoureuse. Tu l’es toi ? Un beau jeune noble anglais t’attend là-haut ?

-Non, personne. Mon frère les a tous repoussés.

-Ça ne m’étonne pas de lui, finit par rire Morgane.

-Navré de vous déranger les filles mais il va falloir préparer le repas Morgane, lança Natalia en entrant.

-C’est vrai, l’heure approche, accorda Morgane. A plus tard Kate.

-Euh, est-ce que je peux vous aider ? demanda timidement l’anglaise.

-Tu sais cuisiner ? questionna la russe.

-Non mais j’apprends vite. Et je veux me rendre utile.

-Tu t’ennuies à ne rien faire, n’est-ce pas ? Bon, il fallait justement éplucher les patates douces. Ce n’est pas trop difficile. »

           Le soir, au moment du dîner, Denys aborda sa sœur en lui demandant où elle était passée toute l’après-midi. Ce fut la voix de Natalia qui lui donna la réponse.

« Régalez-vous les gars ! lança-t-elle. C’est notre invitée qui a préparé la purée de patates douces. Vous lui direz ce que vous en pensez.

-Alors tu étais bien en cuisine, dit Denys. Je t’ai dit de ne pas approcher de ces pirates.

-On se calme jeune homme, fit Natalia. Votre sœur s’ennuyait et c’est moi qui lui ai demandé de venir nous aider. A bord, tout le monde doit se rendre utile. Votre sœur l’a compris et a tout de suite accepté la tâche que je lui ai confiée.

-Votre capitaine m’a assuré que nous étions des invités à bord. Nous n’avons pas à travailler.

-L’un n’empêche pas l’autre, fit John en se servant une louchée de purée.

-Je ne vous ai rien demandé lieutenant !

-Comme vous venez de le dire, je suis lieutenant à bord. Donc si vous avez une réclamation, vous pouvez me la faire. Et je n’ai nullement besoin de votre autorisation pour me mêler des affaires à bord de ce navire. Elle est excellente cette purée ! Différente de celle qu’on a l’habitude. J’adore !

-Dis tout de suite que la mienne n’est pas bonne ! s’écria Morgane en lui prenant la tête entre ses bras et en souriant.

-Non je n’ai pas dis ça Morgane, s’excusa rapidement John. La tienne est très bonne également. J’ai dis que c’était différent.

-Ça ira pour cette fois.

-Comme je le disais avant d’être interrompu par les saveurs de ce plat, ça me regarde. Natalia a eu raison de prendre votre sœur pour aider.

-Elle est de noble lignage, avança Denys.

-Ici, ni dieu ni noble. Ceux qui commandent n’ont d’autres titres que ceux qu’ils ont gagné par le mérite. Votre comté n’existe pas ici. Vous n’êtes qu’un homme à ce bord. »

           Un silence pesant s’installa alors que les deux jeunes lions se fusillaient du regard. Si ce John avait eu la moindre goutte de sang noble, Denys lui aurait jeté le gant pour lui rabattre son caquet. Mais c’était un pirate pour qui ce genre de convenance ne signifiait rien. Kathleen ne savait plus où se mettre. Les autres pirates avaient cessé de manger et observaient la scène attentivement.

           Natalia se décida à briser le silence :

« John, je vais prendre Kathleen avec moi le temps qu’ils sont à bord. Elle s’est même amusée à faire la cuisine.

-Je n’y vois aucun inconvénient, dit John sans lâcher Denys des yeux. Au contraire.

-Je proteste ! s’exclama le noble.

-J’ai décidé.

-Je vais aller voir le capitaine.

-Faîtes-vous plaisir, conclut John en se tournant de nouveau vers son bol. J’ai de la purée à manger. Arh, elle est froide maintenant. »

John sortit sa baguette et la pointa sur le bol. Un jet d’air chaud s’échappa de son extrémité et réchauffa le bol. John en fit profiter ses voisins de table avant de se remettre à manger.

           Denys avait observé la scène sans comprendre. Il avait déjà remarqué plusieurs pirates avec des morceaux de bois semblables faire des choses sans explication. Il avait bien son idée sur la question mais ce n’était pas le moment. Denys tourna les talons et s’éloigna.

           Kathleen resta un bon moment les yeux rivés sur le bol de purée où John donnait des coups de cuillère.

« Morgane, appela-t-elle. Je peux te poser une question ?

-John est un sorcier, devança Morgane. D’ailleurs, je suis aussi une sorcière. Comme plusieurs membres d’équipage. C’est généralement de famille.

-Sorcier ! Vous êtes des adorateurs du diable !

-De qui ? sourit Morgane. Pas du tout. Ça c’est une invention de moldus.

-Moldus ?

-C’est comme ça qu’on appelle ceux qui n’ont pas de pouvoirs magiques. Les sorciers sont présents dans le monde entier. Mais depuis quelques siècles, on a choisi de se cacher des moldus. A cause de votre tendance à nous accuser d’adorer le voisin du dessous et de vouloir nous brûler pour ça. Ou bien de se servir de nos pouvoirs à des fins personnelles.

-Vous êtes tous sorciers à bord ?

-Non, mais une majorité disons. Et comme tu l’as vu le premier jour, on peut se servir de nos capacités pour soigner. Et là, tu vois que nous pouvons même réchauffer la nourriture. On ne fait pas de rituels démoniaques ni de Magie Noire. Il arrive qu’on doit se battre en se servant de la magie. Mais ce n’est pas plus condamnable que se servir d’un sabre ou d’un mousquet.

-Je vois que je ne connais vraiment rien de ce monde. »

Morgane resta bouche-bée. Puis elle se mit à sourire en regardant la jeune anglaise. Celle-ci le remarqua.

« Quoi ? fit-elle.

-Au moins toi tu le prends bien, dit Morgane. On a eu plusieurs fois des réfugiés qui nous insultaient de tous les noms en le découvrant. Le dernier m’a traitée de succube[1].

-Il était peut-être tenté de succomber à ton charme, rit Kathleen.

-Eurk ! Tu aurais vu sa tronche ! Un vrai tue l’amour ! »

Les deux jeunes filles partirent dans un fou-rire qui n’échappa pas au reste de l’équipage.

« Et bien ça rigole, fit une voix derrière elles. »

           Kathleen et Morgane se tournèrent vers Igor qui leur souriait avec tendresse. Morgane y répondit franchement. Kathleen se montra plus réservée. Elle avait déjà croisé le lieutenant aux cheveux blancs plusieurs fois. Sa beauté irréelle la subjuguait mais il avait également quelque chose d’inquiétant dans l’éclat rougeoyant de ses yeux. Et puis, sa façon de se déplacer donnait l’impression de pouvoir tuer au moindre instant.

« Je vois que vous vous entendez bien, continua-t-il.

-C’est vrai, confirma Morgane. Elle nous a aidées à préparer le repas.

-Oh, je vois.

-Voulez-vous manger ? demanda timidement Kathleen.

-Désolé, mais j’ai un régime très précis et spécial, s’excusa Igor.

-Tiens, je te l’ai préparé moi-même, dit Morgane en lui tendant un bol de liquide rouge et épais. »

Igor y trempa ses lèvres pour en boire une première gorgée. Il sourit à Morgane pour lui confirmer que c’était parfait. Il ne dit rien de plus et alla s’asseoir à table avec les autres.

« Et dire qu’avant il ne jurait que par ma façon de lui préparer son repas, dit Natalia. Maintenant, ça se voit qu’il préfère quand c’est toi qui t’en occupes.

-J’suis contente que ça lui plaise, fit Morgane. Je ne pensais pas que j’arriverais à bien préparer le sang.

-Le sang ! s’exclama Kathleen.

-Igor est un vampire, expliqua Morgane. C’est pour ça qu’il ne sort pas le jour et ne boit que du sang.

-Tu veux dire que c’est du sang humain ?

-Non. Quand on est à bord, il est obligé de boire du sang d’animaux qu’on a acheté lors des escales aux bouchers. Mais on le prépare d’une certaine façon pour qu’il ne sente pas trop le goût animal.

-Et à terre ?

-Il s’autorise un peu de sang humain. Mais ne t’en fais pas, il n’a jamais tué quelqu’un pour se nourrir. C’est interdit par les Lois Vampires, comme l’obligation qu’il a d’effacer la mémoire de ses victimes après. Igor est quelqu’un de spécial mais de très gentil quand on le connait bien.

-Et il aime ta façon de préparer le sang, n’est-ce pas ? sourit malicieusement Kathleen.

-Qu’est-ce que tu es en train de t’imaginer Kate ?

-Rien. Mais tu le regardes différemment des autres.

-C’est juste parce qu’il a toujours été gentil avec moi. Rien de plus.

-Sûre ? insista Kathleen.

-Il est trop vieux pour moi.

-Il n’en a pas l’air.

-Igor, appela Morgane. Tu as quel âge déjà ?

-Cinq cents quatre-vingts quatorze ans, répondit le vampire. »

           Kathleen resta bouche-bée pour la seconde fois de la soirée, faisant rire Morgane, Natalia et plusieurs autres pirates. Morgane lui sourit en lui tendant un bol de purée de patates douces qu’elle réchauffa d’un coup de baguette.

           Kathleen en était sûre : l’Ankou n’était pas un navire comme les autres.

 

           Denys tambourina à la porte de la cabine du capitaine. Ce fut Akiko qui ouvrit. Elle était habillée de son kimono léger du soir, ses cheveux toujours retenus par un chignon serré.

« Que voulez-vous ? demanda-t-elle.

-Je veux m’entretenir avec le capitaine, répondit Denys.

-Fais-le entrer, ordonna la voix de Gaël. Monsieur Tucson, que me vaut votre visite ?

-Je ne veux pas que ma sœur travaille en cuisine.

-Ah. Je vois le problème. Akiko, tu peux aller me chercher Natalia s’il te plait. »

La japonaise sortit immédiatement.

« Vous dîtes « s’il te plait » quand vous donner un ordre ? fit Denys.

-Un peu de politesse n’a jamais tué personne, répliqua Gaël. Et puis, il n’y avait aucune urgence vitale. Et j’ajouterais qu’Akiko étant ma femme, je ne vais pas lui manquer de respect. Elle en mérite tellement.

-J’avais entendu dire que les femmes asiatiques étaient soumises.

-Essayez de soumettre Akiko et c’est vous qui vous retrouverez soumis. Les femmes ne sont pas des objets ni des individus sans âme. Je sais que c’est une notion peu répandue en Europe, mais la femme a droit de parler et de s’imposer. C’est comme ça à bord de l’Ankou.

-Et de devenir capitaine tant qu’on y est !

-Ça a déjà été le cas. J’étais le lieutenant de ma sœur il y a de cela des années. Demandez à Igor qui est le plus ancien membre d’équipage de l’Ankou et il vous dira qu’elle était l’un des meilleurs capitaine qu’il n’ait jamais eu. Je ne vous conseille pas de vous mettre les femmes à dos à mon bord. »

           Akiko et Natalia entrèrent dans la cabine. La russe lança un léger sourire à Denys avant de se tourner vers son vieil ami.

« Tu m’as appelée, fit-elle.

-Monsieur Tucson se plaint que tu es fait travaillé sa sœur, dit Gaël.

-C’est exact. Elle s’ennuyait, je me suis dit qu’elle pouvait nous donner un coup de main. Elle a beaucoup apprécié de le faire.

-Je vois. Je n’y vois donc aucun inconvénient. Elle peut continuer à travailler en cuisine si ça lui plait.

-Ma sœur n’est pas une servante ! s’écria Denys. Elle est fille de comte !

-Cela suffit ! rugit Gaël. Monsieur Tucson ! Vous gâchez la soirée que j’avais prévu de passer avec ma femme pour des histoires à deux sous de rangs ou de lignage. Ici, ce genre de concept n’existe pas. Je ne vous ai rien imposé jusqu’à maintenant mais ça va changer. Car il existe une règle sur n’importe quel navire : aucune charge doit être inutile. Votre sœur a trouvé une place où être utile, c’est tout à son honneur. Vous aussi vous allez vous rendre utile. A partir de demain, Helmut vous apprendra le métier de marin. Et je vous interdis de vous plaindre. Ici, c’est moi qui commande. Sortez maintenant. »

           Denys chercha ses mots un moment mais ne trouvant rien, il sortit. Natalia lança un sourire à son ami.

« Il ne t’a même pas énervé, fit-elle. Mais il s’en est approché.

-Le travail lui donnera une leçon d’humilité, dit Gaël. Peux-tu le dire à Helmut s’il te plait ?

-Pas de problème. Passez une bonne soirée tous les deux. »

           Natalia sortit à son tour. Akiko s’approcha de son mari, lui prenant la main en souriant. Ils ne se dirent rien. Ils n’en avaient plus besoin. Gaël l’attira à lui pour l’installer sur ses genoux et l’enlacer amoureusement.

« Après avoir réglé les problèmes, je ne connais rien de mieux que la douceur des ta peau contre la mienne et la chaleur de tes bras autour de mon cou, dit-il. »

Akiko rougit et ne sachant quoi dire, se contenta de l’embrasser.


[1] Démon féminin tentateur.

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