L'Ankou

Chapitre 18 : IV Dernière Soirée

2878 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/07/2012 16:53

           CHAPITRE IV : DERNIERE SOIREE

 

           Dés le lendemain, Denys fut réveillé sans aucun ménagement par Helmut. Le bruit réveilla également Kathleen.

« Bonjour mademoiselle, fit Helmut en souriant. C’est une belle journée qui s’annonce. D’ailleurs, c’est une journée parfaite pour gratter le pont, monsieur Tucson.

-Je ne suis pas un serviteur ! s’écria Denys.

-Baisse d’un ton jeune homme, les gars qui ont veillé cette nuit essayent de dormir. Et Igor a la dent facile quand on le réveille durant la journée. »

Helmut parvint à tirer Denys hors de sa cabine. Il lui mit une brosse dure dans la main droite et un seau dans la main gauche.

           Kathleen avait suivi son frère d’un air à la fois amusée et contrite. Elle se demandait si elle ne devait pas rejoindre Morgane et Natalia qui devaient déjà s’affairer en cuisine. Mais une voix attira son attention.

« J’espère que ça lui mettra du plomb dans la cervelle. »

La voix était celle de John Morbrez qui se trouvait à son poste sur la passerelle. Il lança un sourire à Kathleen.

« Bonjour mademoiselle Tucson, salua-t-il. Montez donc, la mer est superbe ce matin. »

Kathleen ne se fit pas prier pour le rejoindre. Et, effectivement, il n’avait pas menti. L’océan d’un bleu profond s’étendait à perte de vu, seulement troublé par quelques rides. Le soleil levant se reflétait en un million d’éclats sur sa surface miroitante.

« Je ne me lasserais jamais de ce spectacle, dit John. Helmut, je trouve que ça manque de nerf sur le pont !

-A vos ordres lieutenant, sourit Helmut. Allez du nerf ! cria-t-il à Denys. Frotte-moi ce pont ! Le lieutenant vérifiera et il faut qu’il se voit dedans. »

John rit de bon cœur. Kathleen sourit malgré tout.

« Je suis désolé pour votre frère, continua à rire John. Mais il l’a un peu cherché quand même.

-Je sais, acquiesça Kathleen. Mais il n’est pas vraiment habitué à se salir les mains. Et puis, il ne voulait que me protéger.

-Quand ma sœur et moi sommes arrivés à bord de l’Ankou, j’avais des préjugés sur les pirates. J’ai voulu la protéger mais en fait, c’était elle qui avait raison sur toute la ligne. J’ai commencé à m’en rendre compte en frottant ce pont. J’en ai encore les bras endoloris rien que d’y penser. »

Kathleen aimait bien discuter avec le jeune lieutenant. Elle le trouvait gentil et ouvert.

« Alors on profite de la fraîcheur matinale ! lança Natalia depuis le pont.

-Salut Natalia, fit John.

-Tu n’aurais pas vu ta sœur ?

-Pas encore ce matin. Yoann, appela John. T’as vu Morgane ?

-Non, répondit le jeune pirate.

-Où est-elle passée ? Depuis quelques temps elle disparait souvent le matin.

-J’ai remarqué aussi, confirma Yoann. Mais je n’ai pas d’explication.

-Vous avez besoin d’aide en cuisine ? demanda Kathleen.

-Oui, si tu veux bien venir.

-Avec plaisir. A plus tard, dit-elle à John en descendant. »

           Natalia et Kathleen préparèrent le petit-déjeuner. Morgane arriva, les joues rouges et essoufflées d’avoir couru.

« Désolé, s’excusa-t-elle. Je me suis rendormie.

-Profondément alors parce que j’ai frappé à ta porte durant au moins cinq bonnes minutes comme un sourd, dit Natalia. Tu es sûre que ça va car ça t’arrive assez souvent depuis quelques temps ?

-Euh… oui tout va bien, assura Morgane. Peut-être un peu de fatigue accumulée.

-Prends donc un godet de café avant de te mettre au travail, ça te réveillera. »

           Morgane suivit le conseil de la russe. En passant son regard sur elle par hasard, Kathleen remarqua un petit sourire de contentement et le rouge aux joues. Elle devait penser à quelque chose d’agréable.

 

           Les jours suivants, Denys conserva sa mauvaise humeur malgré les rires des pirates. Il était la cible de ces rires et de ces quelques railleries sans méchanceté, et il estimait que par respect envers son rang, il était déshonorant de se mêler à ces forbans et d’effectuer de telles tâches. Il voyait régulièrement sa sœur en compagnie de Natalia mais le plus souvent avec Morgane. Les deux jeunes femmes semblaient s’entendre à merveille. Et ça ne lui plaisait pas. Cette fille, sous ses airs innocents, était tout de même une pirate. Et quand elle n’était pas avec Morgane, elle se trouvait avec son frère sur la passerelle. Et ça lui plaisait encire moins.

           Le soir, après une nouvelle harassante journée de travail, Denys s’effondra. Kathleen sourit et vint s’asseoir sur le rebord de sa couchette. Denys était sur le ventre. Elle apposa ses mains sur ses épaules et commença à lui prodiguer un massage.

« Tu devrais cesser d’essayer de tenir tête à Helmut, dit-elle. Il te donnerait des tâches moins fatigantes.

-Je ne me rabaisserais jamais devant un roturier, dit Denys. Il n’a aucun rang et surtout aucun honneur. Si nous étions chez nous, je le ferais fouetter jusqu’au sang.

-Mais nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes sur l’Ankou. Ce navire est leur foyer. Nous n’y sommes que des invités et donc, nous devons nous plier à leurs règles.

-Et s’en faire des amis tant qu’on y est ?

-Pourquoi pas ?

-Je voulais t’en parler. Je ne trouve pas que ça soit correct que tu sympathises avec cette pirate, dit-il en crachant le dernier mot.

-Cette pirate s’appelle Morgane et elle est très gentille, gronda Kathleen. Elle m’aide et m’apprend à cuisiner.

-Pourquoi veux-tu apprendre à cuisiner ? Nous avons des serviteurs pour ça.

-Je le fais parce que je veux me rendre utile. Et puis, ça me plait. J’adore cuisiner.

-Je pourrais t’interdire de parler à cette Morgane, mais tu n’as pas l’air de vouloir entendre la raison. Et je suis trop fatigué pour batailler. J’espère juste que nous serons bientôt arrivé. »

 

           Le capitaine Gaël Morbrez demanda à voir les deux anglais dans sa cabine. Gaël remarqua tout de suite que l’allure des deux nobles avait bien changé en quelques jours. Il avait été le témoin des travaux effectuer par Denys et avait apprécié les plats préparés par Kathleen. Pour la jeune fille, elle avait l’air totalement épanouie malgré les tâches de sauces et de brûlures qui constellaient sa robe. Pour le jeune homme, c’était totalement différent. Il avait l’air fatigué et ses habits en avaient pris un sacré coup. Mais son regard était toujours alerte. Le capitaine pensa que malgré ses grands airs, il ne pouvait être quelqu’un de mauvais.

« Nous arriverons bientôt en vu des Seychelles, annonça le capitaine. Comme promis, nous allons vous y déposer. Vous comprendrez que nous ne pouvons pas nous rendre dans un port. Nous vous laisserons dans une crique située non-loin avec de l’eau. Si vous ne vous perdez pas, vous devriez rejoindre assez vite la ville la plus proche.

-Capitaine, le problème est que nous ne connaissons pas ses îles, dit Denys. Nous n’avons toujours vécu qu’en Angleterre.

-Je vois. C’est un réel problème. Si vous vous perdez, vous pourriez errer durant des jours et mourir. Deux de mes hommes vont vous accompagner jusqu’à l’entrée de la ville.

-Ce serait risqué pour eux, intervint Kathleen. Vous êtes des pirates. Si vos hommes sont reconnus ils risquent d’être capturés.

-Merci de votre inquiétude mademoiselle Tucson. Mais comme vous le savez, nous ne sommes pas des pirates ordinaires. Beaucoup d’entre nous sont sorciers.

-J’avais oublié. Excusez-moi.

-Vous n’avez rien à vous faire excuser. Nous arriverons ce soir. Mais partir de nuit ne serait pas vraiment sécurisant. Vous quitterez le bord demain matin. Cela vous convient-il ?

-Oui capitaine, acquiesça Denys.

-Monsieur Tucson, je sais que votre séjour à bord est loin d’avoir été agréable, continua le capitaine. Mais j’espère que la leçon d’humilité et de respect que vous avez prise vous sera utile dans l’avenir.

-Ce que j’ai compris c’est vous n’aviez aucun respect pour mon rang.

-J’ai connu des gens comme vous qui estimaient mériter le respect par le rang, raconta Gaël. D’autres l’exigeaient par leur âge. Il y avait un point commun entre ces deux types de personnes : ils exigeaient le respect sans vouloir en démontrer en retour. Ici, sur l’Ankou, mais comme ailleurs, il faut toujours se souvenir que le respect est un échange. Il faut savoir respecter si on veut être respecté. Et le respect ne se gagne que d’une seule façon : les actes. Mes hommes me respectent, je suis leur capitaine. Mais je les respecte tout autant. »

           Denys ne rajouta rien. Il se contenta de tourner les talons et de sortir. Kathleen allait le suivre mais le capitaine lui demanda de rester.

« Je tiens à vous remercier et vous féliciter mademoiselle, dit le capitaine.

-Pourquoi ça ? questionna Kathleen. Je n’ai rien fait d’extraordinaire.

-Vous n’avez pas hésité à proposer votre aide alors que l’on ne vous demandait rien et vous ne vous êtes pas arrêtée aux préjugés concernant les pirates. Je sais que ma nièce sera triste de vous voir partir. Pour tout cela, vous méritez remerciements et félicitations.

-Moi aussi je vais être triste. J’aime beaucoup Morgane.

-Malheureusement, vos chemins vont se séparer. C’est ainsi. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. »

Kathleen fit une petite révérence et sortit.

           Akiko, qui était restée debout derrière son mari durant l’entrevue, s’approcha et posa une main sur son épaule.

« Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Gaël.

-Elle aimerait rester, répondit la japonaise. Mais elle a peur aussi. Et cette peur l’empêche de changer de vie. »

 

           Le soir, tout feu éteint, l’Ankou entra dans une crique nous loin d’un port dont les lumières se reflétaient sur l’océan. Il n’y eut pas de fête pour le départ des deux anglais. Il fallait que l’Ankou reste discret.

           Kathleen se rendit sur le pont pour profiter de la vue. L’air marin se mêlait aux senteurs du rivage. Morgane la rejoignit rapidement.

« Alors, ça y est, c’est fini, dit la pirate.

-Oui, fit timidement Kathleen. Nos chemins se séparent.

-Seulement demain, j’ai été demandée à mon oncle l’autorisation de t’accompagner demain. Il a tout de suite accepté.

-Génial ! Mais ce n’est que repousser l’inévitable.

-Je sais. Je suis sûre qu’avec le temps, on serait devenues amis.

-Mais nous le sommes, sourit Kathleen. »

Morgane ne résista pas et sauta dans les bras de l’anglaise. Kathleen lui rendit son étreinte. L’énergie et le sourire de la pirate allaient lui manquer.

           Morgane emmena Kathleen jusqu’à l’entrepont. Presque tout l’équipage s’y trouvait. Même Denys était présent.

« Nous ne pouvons pas faire de fête sur le pont où faire trop de bruit, dit le capitaine. Mais nous pouvons quand même vous souhaiter bonne chance à tous les deux autour d’un godet de rhum ou d’autre chose. Je lève mon godet à Kathleen et Denys Tucson. »

Les noms furent repris par les pirates qui burent leurs godets.

           Les discussions allaient bon train. Tout le monde voulait parler avec Kathleen qui avait su se faire apprécier des pirates. Denys voyait ça d’un mauvais œil mais il n’allait tout de même pas faire un esclandre avec tous ces pirates autour de lui. Helmut vint s’asseoir sur un tonneau à côté de lui.

« J’espère que tu ne m’en veux pas trop, dit le gabier. J’ai fait ça pour ton bien.

-Pour mon bien ? fit Denys incrédule.

-Tu ne le remarqueras pas tout de suite mais tu vas voir que cette expérience te sera bénéfique dans l’avenir. J’espère que tu verras les gens du peuple d’un autre œil. Et pas comme de simples serviteurs.

-Et que voudriez-vous que je fasse ? Que je les traite comme mes égaux ?

-Quand quelqu’un nait, il ne choisit pas où il nait. Il ne choisit pas son milieu, ni sa famille, ni son pays. Tout ça c’est le hasard.

-Ou Dieu.

-Je ne crois pas en dieu. J’ai vu trop de choses horribles pour croire qu’un dieu omnipotent, omniscient et pétri de bonté puisse laisser faire de telles choses. Et si ce dieu existe, il s’en fout de nous. Et en tout état de cause, il n’a jamais rien fait pour mériter le respect et la dévotion que certains lui vouent. Non, c’est le hasard qui fait que l’on nait noble ou roturier. Mais ensuite, le temps nous donne quelque chose d’unique.

-Quoi ?

-Le choix. Nous avons tous le pouvoir de faire nos propres choix, de décider comment mener notre vie.

-Je suppose que vous ne croyez pas au destin alors.

-Les Morbrez ont une bonne phrase pour ça. Ils disent : le destin n’existe pas, ce n’est que l’excuse des faibles pour expliquer leurs erreurs. Nous faisons nos choix. Certains sont des erreurs mais ce sont nos choix et nous devons les assumer. C’est pourquoi j’espère que tu choisiras de te montrer plus humain. »

           Kathleen cherchait Morgane du regard mais elle ne la trouva pas.

« Elle est allée amener son repas à Igor, indiqua John qui avait compris ses pensés. Puis-je te tenir compagnie le temps qu’elle revienne ?

-Avec plaisir, sourit Kathleen. J’ai beaucoup apprécié nos discussions. Elles vont me manquer.

-A moi aussi. Mais je ne sais pas pourquoi, je suis sûr qu’on se reverra un jour. »

Kathleen ignorait si c’était les paroles du jeune lieutenant où son regard, mais elle sentit la chaleur lui monter aux joues. Elle s’éventa avec sa main.

« Il fait chaud ici ! s’exclama-t-elle. J’aurais besoin d’un peu d’air. »

John lui prit délicatement la main et la guida jusqu’à l’escalier menant au pont supérieur. Il jeta un coup d’œil vers Denys mais ce dernier était caché par Helmut.

           John emmena Kathleen jusqu’au gaillard avant. La jeune femme sentait la chaleur de la main du jeune lieutenant autour de ses doigts graciles.

« Ça va mieux ? demanda-t-il en souriant.

-Oui, merci, dit-elle timidement. Les étoiles sont magnifiques ce soir. »

Ils restèrent main dans la main à regarder le ciel en silence. Kathleen vit une étoile filante. Elle fit le vœu que jamais cette soirée ne s’arrête.

           Sur la passerelle, deux silhouettes les observaient. L’une d’elle souriait avec les yeux pétillants.

« J’aimerais qu’elle reste, dit Morgane. Et j’ai l’impression que je ne suis pas la seule.

-Elle a été vite adoptée par l’équipage, dit Igor en entourant ses épaules de son bras. Elle me rappelle quelqu’un il y a quelques années. Une jeune demoiselle devenue une belle jeune femme entre temps.

-Vil flagorneur, finit-elle en se retournant pour se blottir contre lui. »

Laisser un commentaire ?