L'Ankou

Chapitre 21 : VII Traque sur l'Océan Indien

3107 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:31

           CHAPITRE VII : TRAQUE SUR L’OCEAN INDIEN

 

           A bord du Saint, Kathleen fut enfin autorisée à sortir de sa cabine. Il faut dire qu’elle ne pouvait pas s’échapper maintenant qu’ils étaient en pleine mer. Le capitaine Shiphunt vint la voir alors qu’elle regardait l’océan.

« C’est beau, n’est-ce pas ? fit-il.

-Je connais, répliqua-t-elle.

-Vous n’avez pas l’air de comprendre, je fais ça pour le bien de tous. Les pouvoirs de l’Ankou ne devraient pas être entre les mains de pirates. Ils doivent servir une cause plus noble que la piraterie.

-Quels pouvoirs ? Je n’ai rien vu d’extraordinaire concernant ce navire en lui-même. C’est l’équipage qui est extraordinaire. Enlevé-le et vous n’aurez qu’un coque de bois comme une autre.

-Je vois que vous n’avez rien vu de l’Ankou. Ce navire est unique.

-D’où tenez-vous cela ? questionna Kathleen.

-Il y a sept ans, j’étais dans les Caraïbes, raconta Shiphunt. Lors d’une escale dans les Bermudes, j’ai appris qu’une bataille navale entre deux navires inconnus avait eu lieu. Et quelques heures après, outre des cadavres, un homme avait été rejeté sur le rivage. Il était blessé et n’avait plus très longtemps à vivre. Mais dans son délire, il parlait de pirates. Je l’ai interrogé. Il s’appelait Bryan Quinnon et avait été le second d’une femme pirate appelée Tatiana Gorluna. Mais avant ça, il avait fait parti de l’équipage de l’Ankou. Il m’a parlé de ce navire, des prodiges qu’il était capable de réaliser. Par la suite, après sa mort, j’ai mené ma petite enquête. J’ai découvert le nom de la famille qui commandait l’Ankou de génération en génération depuis plus de cinq siècles : la famille Morbrez. Plus j’en apprenais sur l’Ankou, plus mon désir de le posséder augmentait. Je dois m’en emparer. C’est mon destin. Et grâce à lui, je règnerais sur les océans. »

           Kathleen regardait le chasseur de pirates avec effroi.

« Vous êtes complètement fou, dit-elle.

-Pensez ce que vous voulez, dit-il. Mais ce fou a votre vie entre ses mains. Personnellement, je préfèrerais vous ramener saine et sauve à votre père et votre frère. Mais si je sens que vous me causerez le moindre problème, je réviserais ma position. Maintenant je vous laisse. »

Kathleen avait moins peur qu’elle ne l’aurait cru. Peut-être parce qu’elle conservait l’espoir de voir la ligne noire et blanche de l’Ankou apparaître sur l’horizon et John venir la sauver. Malgré sa situation, elle sourit en se rendant compte qu’il était la première personne à laquelle elle pensait.

           Elle savait qu’il viendrait…

 

           Denys attendait sur la plage de la crique où l’Ankou les avait déposés trois jours plus tôt. C’était là qu’il avait rendez-vous avec les pirates. Kathleen avait été enlevée depuis plus d’une journée. En temps normal, il la penserait perdue à jamais. Mais il avait passé plusieurs jours à bord de l’Ankou. Il n’était pas marin mais il s’était tout de suite rendu compte qu’ils n’étaient pas comme les autres. Et apprendre qu’ils étaient sorciers confirma certains de ses soupçons.

           L’heure du rendez-vous approchait. Mais l’Ankou ne déniait pas apparaître à l’horizon. Il décida d’attendre. Sait-on jamais avec des sorciers. Et sinon, il pourrait les appeler à l’aide du miroir de Kathleen.

           Denys entendit quelqu’un s’approcher derrière lui. Il se retourna et découvrit son père. Ce dernier le regardait sans comprendre pourquoi son fils avait l’air prêt à partir en voyage. Denys soupira. Il avait espéré que son père ne remarque son absence qu’une fois parti.

« Que fais-tu ici avec tout ça ? questionna le comte.

-Père, vous ne devriez pas être ici, dit Denys.

-Répond-moi.

-Je vais chercher Kathleen. Vu que vous ne voulez pas agir, moi je vais le faire.

-Et comment comptes-tu t’y prendre ? Tu comptes partir à la nage avec toutes tes affaires et rattraper le Saint ? Le gouverneur nous a assurés que Kathleen ne risquait rien. Elle va servir une noble cause.

-Je n’aurais jamais dû parler de l’Ankou à Shiphunt. Kathleen avait raison, je suis un homme sans honneur. L’équipage de l’Ankou nous a sauvés et nous a bien traités. J’ai appris beaucoup au contact de ces hommes et femmes. Mais je m’en suis rendu compte trop tard. Ils sont la seule chance de sauver Kathleen.

-Tu veux dire que c’est eux que tu attends ici ! Tu vas t’associer à des pirates. Est-ce que tu te souviens de ton nom et de ton rang ?

-Oui père je m’en souviens ! s’écria-t-il. Mais vous ? Est-ce que vous vous en souvenez ? Vous avez laissé votre fille être enlevée sans réagir pour qu’elle serve une soi-disant « noble cause ». Vous laissez votre honneur de gentilhomme dans votre pantalon et vous chiez dessus.

-Tu ne parlais pas comme ça avant.

-Qu’est-ce que vous en savez ? Cela fait dix ans que vous êtes parti. Vous ne savez rien de moi. Tout comme vous ne savez rien de l’honneur. Les pirates de l’Ankou ont plus d’honneur que vous.

-C’est gentil de dire ça, lança une voix. »

           John et Morgane se tenaient à quelques mètres des deux anglais. Les deux pirates souriaient d’un air détendu et complice.

« Lieutenant Morbrez ! s’exclama Denys. Mais où est l’Ankou ?

-Pas loin ne vous en faîtes pas, rassura John. Nous y allons ? Morgane n’en a pas l’air comme ça mais elle est pressée de retrouver Kate.

-Heureux de vous revoir mademoiselle MacHingson.

-Vous n’allez pas me sortir du mademoiselle MacHingson à chaque fois, dit Morgane. Appelez-moi Morgane.

-Avec plaisir. Je suis prêt.

-Denys, interrompit Edward Tucson. N’y vas pas, je t’en prie.

-Père, il faut bien que quelqu’un ait un minimum d’honneur et de fierté dans notre famille. »

Denys s’approcha des deux pirates. John posa une main sur l’épaule de l’anglais en lui disant de ne pas bouger. Ils disparurent dans un claquement de fouet. Edward poussa un cri d’effroi et de stupeur. Morgane s’en amusa.

« Vous avez de la chance que mes parents m’ont bien élevée, dit-elle. Parce que sinon, je vous ferais regretter de ne pas avoir protéger votre fille. Je vais retrouver Kate et la libérer. Puis je ferais tout pour la convaincre de rester avec nous. Kenavo[1], finit-elle avant de transplaner à son tour. »

           Morgane se matérialisa sur le pont de l’Ankou qui passait au large de l’île. Son frère se tourna vers elle :

« T’en as mis un temps.

-J’ai dit au revoir à monsieur le comte, sourit-elle. Il a bien supporté son premier transplanage ? fit-elle en voyant Denys la tête entre ses genoux.

-Ça va.

-Transplanage, souffla-t-il. C’est comme ça que vous appelez ça ?

-Oui. C’est pratique, n’est-ce pas ? »

           Gaël Morbrez s’approcha de l’anglais. Denys se força à se redresser et le fixa dans les yeux.

« Capitaine, fit-il d’un ton solennel. Denys Tucson, demande permission de monter à bord.

-Accordé, fit Gaël. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas entendu celle-là. Venez, allons sur la passerelle. »

En allant vers la passerelle, Denys tomba sur Helmut. Le vieux gabier lui sourit pour le saluer.

« Content de te revoir, dit-il.

-Je n’aurais pas cru que je sois si heureux de vous revoir également, fit Denys. Au fait, merci pour tout. Pour vos paroles. Ça m’a aidé à prendre ma décision. »

           Une fois sur la passerelle, Gaël réunit autour de lui les chefs de l’Ankou. Seul Igor manquait à l’appel, le soleil étant encore haut dans le ciel.

« Je ferais un topo à Igor ce soir, dit Gaël. Je pense qu’il est en train de dormir.

-Non, je l’ai vu tout à l’heure, intervint Morgane. Et il m’a demandée de venir le voir dés la fin de cette réunion pour lui raconter.

-Très bien. Nous faisions route vers l’est quand nous avons reçu votre appel Denys. Nous ne les avons pas croisés mais l’océan est vaste et donc, nous ne savons pas vraiment par où ils sont partis. Pouvez-vous me donner le tonnage du Saint ?

-Je ne suis pas marin, s’excusa Denys. Je dirais qu’il est moitié plus grand que l’Ankou avec deux rangées de sabords à chaque bordée.

-Je vois. Qu’est-ce que t’en penses John ?

-Nous devrions pouvoir le rattraper aisément, dit le lieutenant. Les chasseurs de pirates se servent de navire possédant plus de puissance de feu que les navires pirates tout en restant très manœuvrables. Leur tactique habituel étant d’attirer à eux leur proie et de les empêcher de s’enfuir. Pour en revenir au Saint, si on fait une approximation de sa taille et de sa vitesse à partir des renseignements donnés par Denys, il doit être à une demi-journée de voyage. Je pense qu’on peut le repérer en utilisant les balais.

-Heureusement que nous n’étions pas encore très loin, dit Gaël. Très bien, on forme des équipes de deux qui partiront chacune dans une direction.

-Ils savent que vous veniez du sud-ouest, compléta Denys. Donc Shiphunt a dû penser que vous alliez vers l’est. Ce qui était le cas.

-A moi qu’il est pensé que nous étions des pirates comme les autres et que nous sommes retournés vers le sud en quête de navires à rançonner.

-Il sait très bien que vous n’êtes pas des pirates comme les autres. En discutant avec lui, j’ai déceler un véritable intérêt pour vous dans ses paroles. Quand je lui ais posé la question de la raison, il m’a juste dit qu’il y a sept ans, dans les Caraïbes, il a recueilli la dernière confession d’un homme qui lui a parlé longuement de l’Ankou. Et depuis, il voulait constater de lui-même les délires de ce mourant.

-Vous a-t-il dit comment s’appelait ce mourant ? questionna Gaël.

-Quinnon, Bryan Quinnon. »

           Gaël eut un petit sourire en se tournant vers les autres membres de son équipage. Ces derniers s’échangèrent des œillades.

« Vous le connaissiez, remarqua Denys.

-Il a été des nôtres, répondit simplement Gaël. John, occupe-toi des équipes de recherche.

-Est-ce que je peux m’y joindre ? demanda le lieutenant.

-Si je te l’interdisais, tu irais quand même. Denys, restez avec moi, vous ne pouvez les accompagner. »

           Denys observa John qui avait réuni une grande partie de l’équipage autour de lui. Le lieutenant expliqua ce qu’il fallait faire. Denys fut surpris de voir ces marins s’équiper de balais. A quoi leurs serviraient-ils ? Morgane surgit de l’entrepont pour rejoindre le groupe. Elle devait avoir tout raconté à Igor comme elle l’avait dit.

           Denys observa les pirates se mettre à cheval sur leurs balais. Il comprenait de moins en moins. Et soudain, les pirates s’élevèrent dans le ciel et foncèrent par équipe de deux dans une direction. Seule restait Morgane qui n’était pas là au moment de la formation des équipes et enrageait. Gaël se tourna vers Akiko.

« Itoshii, dit-il. Ikimashô[2].

-Yuokai[3], répondit-elle. »

Elle déposa un léger baiser sur les lèvres de son mari et rejoignit Morgane. Cette dernière retrouva le sourire. Elle sortit sa baguette et ouvrit deux fentes dans le dos de la veste de kimono de la japonaise. Denys ne comprenait toujours pas. Mais soudain, deux ailes reptiliennes surgirent du dos de la jeune femme aux yeux en amande. Elle lança un dernier sourire à Gaël avant de s’envoler en suivant Morgane.

           Denys n’en croyait pas ses yeux. Il continuait de fixer le ciel azuré dans la direction prise par Morgane et Akiko.

« Capitaine, ce que je viens de voir est totalement inexplicable pour moi, dit Denys.

-Nous autres sorciers, nous nous déplaçons parfois à l’aide de balais volants, expliqua Gaël. Les origines de ce moyen de transport se perdent au début du moyen-âge. Mais c’est un moyen rapide et souple de se déplacer. En Europe, les sorciers jouent à un jeu s’appelant le Querdditch[4] en se servant de balais volants.

-Et pour votre femme ?

-Akiko est une dragoniare. C’est un peuple magique ne vivant qu’en Asie. Nous, les Sorciers, avons besoin de nous servir d’artefacts pour canaliser notre pouvoir, comme les balais ou les baguettes. Mais les Dragoniars n’en ont pas besoin car du sang de dragon coule dans leurs veines. Les purs Dragoniars, ont des yeux dorés à fente reptilienne. Akiko appartient à un ancien clan de guerriers s’étant mêlés aux humains. C’est pourquoi ses yeux dorés n’apparaissent que quand elle utilise ses pouvoirs. »

Denys resta silencieux, assimilant tout ce que venait de lui dire le capitaine Morbrez.

« Le monde est plus vaste que je ne le pensais, dit-il en souriant légèrement. »

 

           Akiko et Morgane volait à bonne altitude en direction de l’est. Morgane usait d’un sortilège pour pouvoir regarder le plus loin possible. Elle cherchait désespérément les mâts du Saint. Elles avaient déjà croisé plusieurs navires mais aucun n’était le bon. Il serait bientôt temps de rentrer. Morgane espérait que les autres aient eu plus de chance qu’elles.

« Akiko, il va falloir rentrer, dit-elle tristement.

-Pas encore, interdit la japonaise.

-Mais ce sont les ordres. Le Saint ne peut pas être parti plus loin d’après John.

-Et il avait presque raison. Regarde. »

Morgane suivit des yeux la direction montrée par Akiko. Son cœur manqua un battement, trois mâts se dessinaient sur l’horizon. La sorcière posa l’extrémité de sa baguette sur sa tempe et zooma sur le navire. Elle put déchiffrer le nom inscrit sur sa poupe : SAINT. C’était bien lui. Elles l’avaient trouvé. Morgane nota sa position et son cap et elles firent demi-tour pour rejoindre au plus vite l’Ankou.

           Les premières équipes revenues n’avaient rien vu. John était revenu visiblement en colère contre l’absence de résultat. Quand Akiko et Morgane se posèrent sur le pont, la plus jeune ne résista pas à crier :

« On l’a trouvé !

-Donne-moi vite les coordonnées et le cap, ordonna immédiatement son frère. »

John se saisit du papier et monta à la passerelle. Il regarda sur la carte, nota la position et indiqua le cap à suivre au timonier. Il lança ensuite des ordres pour adapter les voiles au vent et avancer avec le maximum de vitesse.

           Gaël l’avait observé d’un œil expert et appréciateur. John deviendrait un grand capitaine. Il avait su exploiter les données rapporter par sa sœur et donner les ordres qu’il fallait.

« A cette vitesse, nous devrions les rattraper dans la nuit, dit John.

-Ce sera parfait pour récupérer Kathleen sans trop de casse, acquiesça Gaël. Va te reposer et manger un morceau. Je reste ici. Emmène Denys avec toi. »

John s’exécuta, lançant juste un vague « bonsoir » à Igor qui montait à la passerelle. Le vampire salua Gaël.

« Morgane vient de me raconter, dit Igor.

-On va les rattraper cette nuit, fit Gaël. Nous allons avoir besoin de toi pour la sortir de là en toute discrétion.

-Pas de problème.

-Je viens de me rendre compte qu’on a vraiment fait le meilleur choix.

-Concernant quoi ?

-John, répondit le capitaine. Tu l’aurais vu tout à l’heure. Un vrai capitaine. Je me demande si je ne vais pas prendre ma retraite et faire comme voulait faire Victor : m’installer sur une île tranquille et finir ma vie avec Akiko.

-Ça ressemblait à Victor. Mais ça ne ressemble ni à toi ni à Akiko.

-Tu n’as pas tort. Au moins, je suis rassuré pour l’avenir de l’Ankou. Il est en de bonnes mains. »


[1] « Au revoir » en breton.

[2] « Vas-y » en japonais.

[3] « Compris »

[4] En référence au Marais de Querdditch où est né l’ancêtre du Quidditch actuel.

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