L'Ankou

           CHAPITRE VIII : LA FOLIE DE SHIPHUNT

           L’Ankou voguait tout feu éteint. Il ne fallait pas qu’il soit repéré par le Saint. La météo était avec eux, cachant la lune derrière une épaisse couverture de nuages. Denys avait dit à Igor tout ce qu’il avait retenu sur le Saint. Le vampire n’en était pas à son coup d’essai. Il était confiant. Mais il savait qu’il ne pouvait mener cette action seul. Mais l’équipe devait demeurer réduite. Seuls deux autres pirates l’accompagneraient. Il choisit Akiko dont la maîtrise du sabre et les pouvoirs dragoniars seraient plus qu’utile s’ils étaient repérés. Morgane voudrait sûrement venir. Après tout, Kathleen était son amie. Mais il lui préféra John malgré tout.

           Et alors que le vampire se préparait dans la cabine, la jeune fille referma la porte en y entrant. Igor n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que c’était elle, son parfum emplissait déjà la pièce. Comme il savait qu’elle le fusillait du regard. C’est fou ce qu’elle ressemblait à sa mère lorsqu’elle était en colère.

« Il y a une raison simple pour laquelle j’ai préféré prendre ton frère avec moi plutôt que toi, dit-il.

-J’aimerais bien savoir, lança-t-elle. Kate est mon amie. Je veux faire quelque chose pour elle.

-Je sais. Mais je ne veux pas que tu prennes de risques.

-Je suis une pirate. Je sais me battre.

-Je sais. C’est moi qui t’ais appris le maniement de la rapière. Mais cette mission est trop risquée. Je ne prendrais pas ce risque.

-Tu m’as toujours pas dit pourquoi. »

Igor se retourna, caressant Morgane d’un regard doux et amoureux.

« N’est-ce pas évident ? fit-il. Je ne veux pas te perdre. Tu n’as pas à t’en faire, Akiko et John sont forts. Nous arriverons à libérer Kathleen.

-Tu ne veux pas me perdre, reprit-elle en s’approchant de lui. Tu tiens donc tant que ça à moi. Tu m’aimes ?

-Plus que je n’ai jamais aimé en presque six siècles de vie. C’est pourquoi je veux t’éviter ce genre de risque quand je le peux. »

           Si Morgane en voulait un peu à Igor de la tenir à l’écart, tout son ressentiment s’évanouit avec ces quelques mots. Elle entoura son cou de ses bras et l’embrassa. Leur histoire d’amour n’avait commencé que depuis quelques semaines, mais cela faisait des années que le vampire régnait sur son cœur.

           Le Saint, feux de position allumés, ne se trouvait plus très loin, à peine cinq cents mètres. Les canons de l’Ankou pourraient bientôt l’avoir mais ce serait mettre en danger la vie de Kathleen. L’équipe d’Igor était prête à agir. Morgane les observait depuis la passerelle. Igor et John se mirent sur le même balai et se laissèrent glisser le long du bastingage. John redressa le balai à quelques centimètres de la surface de l’eau et fila en rase-motte vers le Saint. Akiko fit de même en se servant de ses ailes reptiliennes. Morgane, Gaël et Denys suivirent leurs silhouettes un moment avant qu’elles ne disparaissent totalement dans la nuit.

« J’espère qu’il ne lui a pas fait de mal, dit Denys.

-Nous autres Morbrez ne sommes pas connus pour laisser faire ce genre de choses sans représailles, expliqua Gaël. S’il a fait du mal à votre sœur, il en paiera le prix. »

           L’équipe de sauvetage atteignit rapidement et silencieusement les abords du Saint. Akiko résorba ses ailes en s’accrochant à la coque. De même, Igor et John abandonnèrent le balai à la mer. Ils grimpèrent jusqu’au pont principal, demeurant cachés de la vue des chasseurs de pirates. Ils avaient bien choisi l’endroit où ils avaient abordé le Saint, pas très loin de la passerelle où se trouvait la porte de la cabine de Kathleen désignée par Denys. En espérant qu’elle s’y trouve toujours. Mais passer par la porte serait trop risqué. Igor resta là avec Akiko histoire de couvrir John. Ce dernier continua latéralement jusqu’à la poupe. Un hublot ou une fenêtre permettrait sûrement d’entrer dans la cabine de Kathleen.

           Effectivement, il trouva. Il jeta un coup d’œil discret à l’intérieur et vit la silhouette floue d’une jeune femme. C’était peut-être déplacé, mais il ouvrit discrètement le hublot et se glissa silencieusement à l’intérieur. Kathleen lui tournait le dos, elle ne l’avait pas entendu entrer. Il ne fallait surtout pas qu’elle se mette à hurler. Il s’approcha un maximum d’elle et plaqua sa main sur sa bouche en l’entourant de son autre bras pour l’empêcher de se débattre. Kathleen tenta de se dégager mais John la tenait fermement.

« Kate, souffla-t-il. Chut, c’est moi, c’est John. »

A ces mots, elle cessa de bouger. John relâcha son étreinte. Kathleen se retourna pour le regarder. C’était bien lui. Elle n’hésita pas et lui sauta au cou, l’embrassant fougueusement, surprenant le jeune lieutenant. Elle parut se rendre-compte de son acte et se recula, rouge de honte.

« Excuse-moi, fit-elle. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. »

John sourit devant la gêne de la jeune noble anglaise. Il la prit doucement dans ses bras et l’embrassa à son tour. Kathleen, d’abord figé de stupeur, entoura le pirate de ses bras pour approfondir le baiser.

           Ils se séparèrent à regret quelques instants plus tard. Kathleen souriait. Mais john retrouva son visage sérieux.

« Il faut partir, dit-il. L’Ankou n’est pas très loin. Nous allons y transplaner tout de suite.

-Qu’est-ce que je dois faire ? questionna-t-elle.

-Reste accrochée à moi.

-Ce n’est pas difficile, sourit-elle. »

John allait transplaner avec Kathleen quand la porte s’ouvrit. Le capitaine Vince Shiphunt ne resta pas figé de surprise plus d’une demi-seconde. Il sortit son pistolet et le pointa sur le visage de John Morbrez.

« Je ne sais pas comment vous êtes monté à mon bord mais je pense savoir qui vous êtes, dit-il. Bienvenu, John Morbrez. J’ai appris que vous aviez été nommé lieutenant. Félicitations.

-Vince Shiphunt je suppose, lança John. Quel gentilhomme utiliserait une jeune femme innocente pour atteindre ses fins ?

-L’Ankou vaut bien le sacrifice de son honneur.

-Qu’est-ce que vous a raconté Quinnon avant de mourir ?

-Tout. Je sais tout de l’Ankou. Du moins, tout ce que se souviens la mémoire des Hommes. Je sais qu’il vogue depuis des siècles, on ignore depuis combien de temps mais sûrement plus de cinq cents ans. Je sais qu’il possède une puissance de feu unique et que personne ne peut l’arraisonner. Cette puissance sera bientôt mienne.

-Que voulez vu en faire ?

-Dans un premier temps, débarrasser le monde de ce chienlit que sont les pirates. Et puis, je régnerais sur les Océans en tant qu’Empereur.

-Vous êtes totalement fou. Et puis vous oubliez une chose, vous qui dîtes tout savoir sur l’Ankou.

-Vous parlez de cette légende disant que seul un Morbrez peut commander l’Ankou ? Ce n’est qu’un mensonge pour que votre famille garde les commandes de ce navire.

-Pourquoi personne ne croit jamais en ça ! s’exclama John. Quoi qu’il en soit, vous n’aurez jamais l’Ankou.

-Maintenant que je vous ais, je suis sûr de l’avoir.

-Parce que vous pensez que vous m’avez en votre pouvoir ! Repulso ! »

John tendit sa baguette, le capitaine Shiphunt fut violement repoussé en arrière sur le pont principal.

           John et Kathleen sortirent sur le pont. John menaçait les membres d’équipage du Saint de sa baguette et de son sabre. Plusieurs allaient se jeter sur lui quand deux d’entre eux s’effondrèrent en poussant des râles de douleur. Akiko se tenait sur le pont, le sabre à la main. Un autre cri de douleur de l’autre côté attira l’attention des marins sur les yeux rouges d’Igor.

« Nous n’avons plus rien à faire ici, dit Igor. John, retourne sur l’Ankou avec elle, on te couvre.

-Très bien, acquiesça John. »

Le jeune homme se tourna vers Kathleen et l’entoura de ses bras. Il y eut comme un claquement de fouet au moment où ils disparurent.

« Ainsi, vous êtes bien de maudits sorciers, dit Shiphunt en s’avançant.

-Non, pas tous, contredit Igor.

-Igor Stradus, je présume. Le vampire. Quand à cette demoiselle, ses yeux en amande et son sabre étrange me disent qu’elle est sûrement Akiko Ryukawa.

-C’est Morbrez maintenant, rectifia Akiko.

-Oh, vous êtes mariée à John ! Dommage pour cette chère Kathleen. Elle s’est éprise de lui.

-Pas du tout, Akiko est mariée à Gaël, expliqua Igor. Mais on est pas là pour parler bouquet. Nous voulions simplement libérer Kathleen. J’ai entendu ta conversation avec John. Je vais te donner un conseil : cesse tout de suite, la quête que tu entreprends ne peut que mener à ta mort. L’Ankou ne peut être commandé que par un Morbrez.

-Et vous y croyez ?

-Cela fait plus de deux siècles que je fais parti de son équipage. J’en connais autant sur lui que les Morbrez. Quinnon ne savait quasiment rien de l’Ankou.

-L’avenir nous montrera notre destin.

-Le destin n’existe pas. Akiko. »

           La japonaise bondit en direction d’Igor. Une fois près de lui, le vampire posa une main sur son épaule et ils transplanèrent. Shiphunt semblait furieux qu’ils aient pu s’enfuir aussi facilement. Il avait sous-estimé ces sorciers.

« Cherchez tout autour de nous ! ordonna-t-il. L’Ankou ne doit pas être loin ! »

           Kathleen et John venait de se matérialiser sur le pont de l’Ankou. Immédiatement, la jeune anglaise fut retirée des bras de son sauveur par Morgane qui l’étreignit affectueusement. Quand Kathleen reconnut enfin Morgane, elle la serra contre elle à son tour.

« Tu vas bien ? demanda Morgane. Ils ne t’ont pas fait de mal ?

-Tout va bien Morgane, répondit Kathleen. Je vais bien.

-Je suis rassuré, fit une voix que Kathleen reconnut aussitôt. »

L’anglaise se tourna vers son frère qui n’osait même pas la regarder. Elle quitta les bras de Morgane pour s’avancer vers lui.

« Tu as appelé Morgane avec mon miroir ? demanda Kathleen.

-Ce serait plutôt l’inverse, répondit Denys. J’ignore comment m’en servir. Mais j’ai pu leur dire ce qu’il s’était passé. Et le capitaine Morbrez a immédiatement fait demi-tour pour te sauver. Il a même accepté de faire un détour pour venir me chercher.

-Tu as demandé à venir.

-Oui, je voulais réparer mes erreurs. Je suis désolé Kathleen. »

La jeune fille vint étreindre son frère.

           Quelques instants plus tard, Akiko et Igor apparurent dans un claquement de fouet.

« Ce Shiphunt est totalement dingue, dit Igor. Il me rappelle Tatiana.

-Laisse-moi deviner, il veut l’Ankou, fit Gaël.

-Ouais.

-On n’arrêtera jamais de dire que seul un Morbrez peut commander l’Ankou, personne ne le croira. Tant pis. Ils doivent sûrement nous chercher autour d’eux. Donnons un coup de canon pour les empêcher de nous suivre et partons. Canon de proue, appela Gaël par un tube.

-Capitaine, répondit une voix.

-Feu sur le gouvernail. »

La déflagration résonna aussitôt. L’impact produisit une gerbe de flamme. Le Saint n’avait plus de gouvernail.

« Igor, dit Gaël.

-Tout le monde à son poste de manœuvre, cap à l’ouest ! s’écria le vampire. Direction : les Seychelles.

-Vous nous ramenez chez nous ? demanda Kathleen.

-Votre père doit être inquiet, dit Gaël.

-Il le mérite, cracha Denys. Il n’a rien fait si ce n’est plié l’échine quand le gouverneur à avouer avoir donné son accord pour ton enlèvement. Mais il est vrai que notre place est là-bas.

-La tienne sûrement, dit Kathleen. La mienne, je n’en suis pas sûre.

-Que veux-tu dire ?

-Je… je voudrais. »

           Kathleen s’était rapprochée de John. Elle lui prit la main en souriant.

« Je crois que ma place est ici, dit-elle finalement. Je me sens bien sur ce navire. J’y ais des amis, et John. Si le capitaine ne voit aucun inconvénient à ce que je reste bien sûr.

-Aucun, sourit Gaël. Ce serait une joie de vous avoir parmi mon équipage.

-Kathleen, dit Denys. Avant je t’aurais dit d’arrêter tes bêtises. Mais je crois que tu as raison.

-Tu devrais rester aussi, fit Kathleen.

-Non, je me dois à nos gens. Il faut bien qu’un Tucson montre qu’il a de l’honneur après ce qu’a démontré notre père. Mais je n’aimerais pas rentrer tout de suite. Je voudrais m’assurer que je laisse ma sœur en de bonnes mains avant. Puis-je me joindre à vous un temps ? »

Le capitaine parut le jauger du regard.

« Igor, fit-il de nouveau.

-Changement de cap ! s’écria le vampire. Au nord-est !

-Réunis l’équipage.

-Rassemblement sur le pont. ! »

En quelques minutes, tous les pirates de l’Ankou se retrouvèrent devant la passerelle.

« Les gars, j’ai quelques nouvelles à vous annoncer, lança Gaël. Déjà, Kathleen Tucson va bien. »

Des premiers hourras accueillirent cette nouvelle.

« Ensuite, elle a décidé de devenir l’une des nôtres ! »

De nouveaux hourras explosèrent.

« Et son frère, souhaite nous accompagner un temps. Faîtes-le bosser. »

Cette fois-ci, ce furent des rires qui éclatèrent.

« Bienvenu à bord de l’Ankou Kathleen, fit Gaël. Et une dernière chose ! J’ai l’impression que c’est commencer entre Kathleen et John ! Igor, qui a gagné ?

-C’est toi qui a gagné le pari, répondit le vampire. Pour une fois.

-Un pari ! s’exclama John. Sur quoi ?

-Sur quand votre histoire d’amour commencerait, expliqua Igor.

-Ça me rappelle quelque chose ça, sourit Morgane.

-Mais cette fois, c’est moi qui gagne, conclut Gaël.

-Techniquement, la dernière fois tu ne pouvais pas participer, finit Natalia. »