L'Ankou

Chapitre 23 : IX Escale à Java

3303 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/07/2012 05:41

           CHAPITRE IX : ESCALE A JAVA

 

           L’Ankou continua de voguer sur une mer d’huile durant plusieurs jours. Ils arrivèrent en vu de l’île de Java. Ils suivirent la côte un moment avant d’arriver à porter d’une ville visiblement active où des bateaux de diverses origines asiatiques et européennes se trouvaient au mouillage. Gaël Morbrez avait fait retiré le pavillon noir avant d’être en vu.

« Quelle est cette contrée ? demanda Denys.

-C’est la ville de Jayakarta[1], répondit Gaël. Enfin, c’était ainsi qu’elle s’appelait avant de devenir une colonie hollandaise. Elle a été rebaptisée Batavia il y a une vingtaine d’année. Avec Singapour, c’est un des centres commerciaux les plus actifs de cette région du monde. Et bien sûr, les pirates y sont présents.

-Les hollandais laissent faire les pirates ?

-Du moment que nous n’attaquons pas les navires hollandais et que nous empêchons les anglais et les autres de se déplacer en toute quiétude sur l’océan indien. Mais nous devons éviter de nous afficher.

-Que venons-nous faire ici ? Une escale pour se ravitailler ?

-Il y a de ça, mais pas seulement. J’ai une affaire à régler ici avant de continuer vers l’est. John, je te laisse commander la manœuvre. »

           Une fois le navire à quai, Gaël réunit ceux qui devaient ou souhaitaient descendre à terre. La grande majorité de l’équipage resterait à bord sous les ordres de John. Gaël serait accompagné d’Akiko et Denys qui souhaitait découvrir cette ville. Un second groupe serait commandé par Natalia et se composait de Morgane, quelques autres pirates pour servir de manutentionnaire et de Kathleen.

« Il lui faut des vêtements plus adaptés à la vie à bord, invoqua Natalia pour justifier la présence de la jeune femme. Morgane lui prête des vêtements mais il lui faudrait sa propre garde-robe.

-C’est vrai que la robe n’est pas ce qu’il y a de plus pratique, acquiesça Gaël.

-Moi j’aime bien sa robe, fit remarquer John.

-Je la garderais pour les occasions, sourit Kathleen.

-Ah l’Amour ! rit Morgane. Vivement que je connaisse ça ! On y va ? »

           Gaël regarda le petit groupe s’éloigner, visant plus particulièrement sa nièce. Un sourire malicieux naquit sur ses lèvres.

« Pourquoi Morgane a dit ça ? fit Denys.

-Parce qu’elle croit que personne n’a remarqué le petit manège qu’elle fait avec Igor, dit Gaël. D’ailleurs, seuls quelques uns ont remarqué et gardent le silence. Ils pensent peut-être que nous n’accepterons pas leur relation.

-Je trouve ça ridicule, dit Akiko. Tout le monde apprécie Igor et Morgane à bord, et tous seraient heureux d’apprendre leur histoire d’amour.

-Elle ne pourra rester éternellement caché. Allons-y nous aussi. Denys, soyez sur vos gardes et restez près de nous. Nous nous rendons dans un des lieux les plus dangereux de cette ville.

-Bien compris, assura l’anglais. »

 

           Les rues de Jayakarta étaient des plus animées. Des marchands haranguaient les passants pour qu’ils viennent acheter leurs marchandises. Il était inutile de parler leur langue pour le comprendre. En remarquant qu’ils étaient européens, certains marchands se mirent à les inviter à s’arrêter en hollandais ou en anglais, ce qui surprit plus Denys.

« Vous ne saviez pas que les anglais ont dominé cette ville un moment ? fit Gaël.

-A vrai dire, je ne sais pas grand-chose de ce monde, avoua Denys. Je me suis surtout occupé de l’éducation de Kathleen et de nos terres depuis le départ de notre père. Mais j’aimerais rattraper mon retard. J’ai l’impression d’être ignorant.

-Ce qu’il y a de bien quand on est conscient de son ignorance, c’est qu’on est aussi conscient du plaisir qu’on aura à tout découvrir. Le monde s’ouvre à vous, appréciez-le sans préjugés pour en goûter toute la saveur.

-C’est un conseil que je m’engage à suivre capitaine. »

           Le paysage urbain changea progressivement. Les rues animées furent remplacées par des lieux bien moins fréquentés. Les vendeurs se faisaient bien moins expressifs et regardèrent passé les occidentaux avec suspicion devant des échoppes moins colorées. La lumière elle-même semblait se faire plus timide en cet endroit. Denys dut prendre sur lui pour ne pas porter la main à son épée. Il commençait à se demander où le capitaine les emmenait. Il jeta une œillade à Akiko, la japonaise restait fidèle à elle-même : totalement neutre et calme.

           Ils s’arrêtèrent à quelques pas d’une porte gardée par deux hommes en arme. Gaël se tourna de nouveau vers Denys pour lui répéter ses consignes. L’anglais acquiesça, il comprit que le danger était plus grand maintenant. Gaël, suivi des deux autres, s’approcha des gardes. Ils échangèrent quelques mots dans la langue locale. Les gardes toisèrent les trois étrangers d’un air mauvais. Denys pensait qu’ils allaient les éconduire mais un des gardes frappa à la porte. Une lucarne s’ouvrit et après de un nouvel échange de parole entre le garde et le portier, la porte s’ouvrit.

           L’intérieur ne ressemblait pas du tout à la rue crasseuse qu’ils venaient de quitter. Les murs étaient décorés de couleurs chatoyantes, de dorures et de rideaux. Denys remarqua que ces rideaux dissimulaient des portes ouvragées. En passant devant certaines au moment où elle s’ouvraient, il vit des hommes entrain de fumer dans de longues pipes, allongés sur des divans, occupés à jouer à un jeu avec des petites tuiles blanches ou accompagnés de demoiselles plus ou moins dénudées dans des étreintes torrides.

           Denys n’avait jamais mis les pieds dans un tel lieu. Il savait que cela existait même à Londres ou dans certaines grandes villes anglaises mais sa morale le répugnait à s’y rendre. Il se demandait ce que le capitaine pouvait avoir à faire dans un tel endroit.

           Ils furent menés jusqu’à une pièce où se trouvait un magnifique bureau. Plusieurs personnes se trouvaient dans la pièce dont des jeunes femmes en tenues légères mais ce fut visiblement l’homme qui se trouvait derrière le bureau qui intéressait le capitaine de l’Ankou. Denys fut surprit de constater qu’il était assez petit mais un certain charisme effrayant émanait de lui. Son crâne était quasiment dénué de cheveux hormis une longue natte tressée retombant sur son épaule. L’homme leva vers Gaël un regard hautain malgré son sourire.

« Gaël Morbrez, dit l’asiatique. Quelle surprise de te revoir aussi tôt. Je ne t’attendais pas avant des années.

-Tu sais Jawanyal, je vais-je viens, répliqua Gaël.

-Et puis-je savoir ce qui t’amène ici ?

-Ne fais pas l’innocent. Tu le sais très bien.

-Ah, tu es venu pour « ça ». Je me demandais qui de toi ou de ta sœur viendrait. Dois-je en conclure qu’elle n’est plus capitaine de l’Ankou.

-Tu dois en conclure que tu dois nous rendre ce que nous t’avons prêté si gracieusement durant ces dernières décennies.

-Il ne vous a pas manqué durant presque trente ans. J’en étais arrivé à la conclusion que cet objet était inutile pour vous.

-Tu te trompais. Assez parlé. Je ne tiens pas à rester dans cette ville plus longtemps que nécessaire. Rends-le moi immédiatement. »

           Jawanyal ne semblait pas désireux de restituer au capitaine Morbrez ce qu’il lui demandait. Un tic nerveux trahissait son envie de dégainer son arme. Denys fit une rapide évaluation des forces en présence. Ils n’étaient venus qu’à trois. Et même si le capitaine se trouvait être un sorcier et Akiko une dragoniare, lui-même n’était qu’un simple « moldu » comme ils disent. Et autour d’eux se tenaient une dizaine d’hommes en armes. Et Denys avait bien compris que dans le milieu de la piraterie, il ne fallait pas considérer les femmes comme des potiches. Même si leurs corps d’albâtre et le peu de tissu qu’elles portaient ne semblaient pas dissimuler de lames.

Jawanyal avait l’avantage du nombre et du lieu. Mais contre toute attente de la part de Denys, il se leva sans intentions violentes. Il ne fit que porter ses mains à son col pour en sortir un pendentif composé d’une chaînette fine et d’un éclat de cristal brut de couleur vert pâle. Denys remarqua que ce morceau de cristal ressemblait au bloc qui se trouvait dans l’Ankou et dont personne n’avait daigné lui expliquer l’origine et la raison. Encore un des secrets de ce navire au combien étrange. Jawanyal admira le morceau de cristal. On sentait bien qu’il ne souhaitait pas s’en séparer. A contrecœur, il le tendit à Gaël qui s’en saisit sans hésitation et le passa autour de son cou, le cachant sous ses vêtements.

Puis, sans que le moindre mot ne soit ajouter entre les deux hommes, Gaël Morbrez tourna les talons et sortit, emmenant Denys et Akiko à sa suite. Ils refirent le chemin en sens inverse dans l’établissement pour retourner dans la rue. Denys ressentit comme une certaine tension dans l’air. Un coup d’œil à Akiko lui confirma que la femme aux yeux en amande scrutait le moindre recoin. Denys se mit à faire de même quand soudain, des portes derrière lesquelles se trouvaient précédemment des clients fumeurs d’opium, joueur de mah-jong ou consommateurs sexuels, surgirent des brigands, armes au clair. Denys porta la main à son épée mais stoppa son geste en voyant que le capitaine et son épouse demeuraient parfaitement calme et n’avaient pas esquissé le moindre mouvement pour le moment.

« Je suis sûr que tu ne t’y attendais pas à celle là, lança Jawanyal.

-A vrai dire, c’est que tu ne tentes rien pour le conserver qui m’aurait surpris, répliqua Gaël. Tu es si prévisible. »

A ces mots, Jawanyal vira au rouge fureur. Il ne semblait pas habitué à ce qu’on lui parle sur ce ton.

« Tu vas me rendre ce pendentif, ordonna Jawanyal. Depuis le temps, il est à moi maintenant.

-Il n’a jamais été à toi, dit Gaël. Tu as aidé l’Ankou une fois, et c’est pour te récompenser que ma sœur t’a prêté ce pendentif. Mais depuis le début, tu savais très bien que ce ne serait que temporaire.

-Ce pendentif est à moi !

-Tu es donc prêt à mourir pour lui.

-Exactement. »

           Jawanyal lança un ordre et les hommes armés se lancèrent à l’assaut. Denys tira son épée pour parer un premier coup de sabre. A côté de lui, il vit l’éclair d’acier de la lame du katana d’Akiko fuser pour trancher sans même chercher à bloquer. Le poitrail ouvert, l’adversaire de la japonaise s’effondra en lâchant un borborygme incompréhensible. Denys repoussa son agresseur d’un coup de pied à l’abdomen et se fendit pour venir le piquer en pleine poitrine. Gaël fit surgir son sabre d’abordage dans sa main droite et sa baguette dans sa main gauche. Il para un coup de sabre et enchaîna directement avec une coupe qui trancha net le bras de son attaquant. Ce dernier se mit à hurler mais se tut en recevant un second coup de sabre dans la gorge. Un autre vint par l’autre côté, le sabre haut. Il l’abattit sur le capitaine de l’Ankou mais fut arrêter par la baguette, devenue aussi dure que l’acier. Gaël maltraita la rate de son ennemi d’un puissant coup de pied et l’envoya ad patres d’un coup de sabre.

           Gaël ne vit pas l’ennemi qui vint silencieusement dans son dos. Mais heureusement pour lui, Denys le désarma d’une passe d’arme sans égal avant de lui ouvrir la gorge de la pointe de son épée. Gaël échangea un regard reconnaissant avec l’anglais avant de repartir au combat. Akiko tranchait les ennemis de manière simple et rapide, dans le plus pur style samouraï. Elle fut tout de même prise de vitesse par une des femmes combattantes. Cette dernière parvint même à faire tomber la japonaise en arrière. L’indonésienne donna un coup de pied dans le poignet d’Akiko pour la désarmer et la menaçait de son épée. Elle allait la mettre à mort quand soudain les yeux de la japonaise prirent une teinte dorée. Akiko ouvrit grand la bouche comme pour hurler mais ce fut un souffle enflammé qui en surgit. L’assaillante hurla de douleur en reculant et en s’agitant, le corps brûlant. Akiko tendit la main vers son katana qui vola jusqu’à elle. Elle mit fin à la souffrance de l’indonésienne en la décapitant.

           Gaël éventra un adversaire, faisant ressurgir la lame de son sabre dans son dos. Il pointa sa baguette vers celui qui s’élançait sur lui.

« Avada Kedavra ! »

Un éclair vert frappa l’ennemi en pleine course et il s’étala au pied du capitaine pirate. Gaël laissa choir l’homme de main épinglé sur son sabre. Il ne restait plus que Jawanyal qui grimaçait au spectacle de ses hommes gisant à même le sol dans leur propre sang. Gaël fit quelques pas vers lui, son sabre perlant du sang de ses victimes.

« Ne tente plus rien, dit Gaël. Si je te revois, je te tue. »

Gaël rejoignit ses deux acolytes et sortit.

Akiko attendit d’être dans la rue pour nettoyer le sang de sa lame et rengainer. Elle tendit le chiffon ensanglanté à Denys pour qu’il fasse de même avec son épée.

« Vous aviez prévu ça ? demanda-t-il au capitaine.

-En fait, j’espérais que la peur l’empêcherait d’agir, avoua le capitaine. J’ai sous-estimé l’attrait de Jawanyal pour cet objet.

-Quel valeur a ce pendentif pour que vous preniez de tels risques pour lui ?

-Il va bientôt nous servir. Oui, bientôt. »

Le capitaine n’ajouta rien de plus. Denys ne posa pas plus de question. Encore une secret de l’Ankou et des Morbrez. L’anglais comprenait de mieux en mieux l’attrait de Shiphunt pour ce navire. Même en ignorant la teneur de ce secret, on pouvait aisément imaginé qu’il devait être extraordinaire. Surtout en voyant les capacités de l’Ankou.

 

           « J’espère que la balade a été plus calme pour les autres, dit Denys en remontant sur l’Ankou.

-Ils n’allaient pas du tout dans la même zone que nous, rassura Gaël. Et puis ils étaient plus nombreux. Je suis sûr que Kathleen va bien.

-Elle avait l’air de bien s’amuser quand je les ais quittés, lança Justin Lefranc.

-Tu n’es pas resté avec eux ? questionna Gaël.

-Tu sais moi les boutiques de vêtements. J’ai acheté ce dont j’avais besoin et quand j’ai compris que les filles allaient en avoir pour un moment, je suis revenu. Par sécurité, Helmut et deux hommes sont allés les rejoindre. Tu as récupéré le pendentif ?

-Oui, ça n’a pas été aussi tranquille que je l’avais espéré. Mais nous l’avons.

-Denys, venez me voir, ordonna le médecin de bord.

-Pourquoi ? questionna l’anglais.

-A cause du sang qui coule le long de votre bras gauche. »

           Denys regarda sa main et effectivement, des gouttes de sang perlaient au bout de ses doigts. La manche de sa tunique était maculée d’écarlate. Le médecin releva la manche pour constater la présence d’une entaille sur l’avant-bras.

« Je ne l’ais même pas remarqué, dit Denys.

-L’excitation du combat, expliqua Justin. C’est courant.

-Maintenant je ressens la douleur.

-La tension a baissé, c’est pour ça. C’est une blessure sans gravité. Juste une cicatrice de plus. »

Le médecin sortit sa baguette et incanta au dessus de la blessure. L’entaille se referma en quelques secondes.

« Vous allez vous sentir légèrement affaibli, c’est normal avec le sang que vous avez perdu, prévint le médecin.

-Merci docteur, remercia Denys.

-Voilà les acheteuses, lança John depuis la passerelle. »

           Effectivement, les trois femmes en tête, suivi de plusieurs hommes chargés de sacs et colis divers. Gaël sourit à ce spectacle.

« Tu as tout de même pensé aux victuailles j’espère ? lança-t-il à sa vieille amie.

-Très drôle, rit Natalia. Il n’y a que les paquets que tiennent Morgane et Kathleen qui contiennent ses vêtements. Le reste ce sont les vivres.

-Ça demande vérification. Qu’est-ce que t’en penses John ? John ? »

Le jeune homme était en admiration devant Kathleen. Cette dernière portait un pantalon de cuir cintré qui soulignait sa silhouette. Elle avait conserver sa natte épaisse mais avait rajouté un foulard vert à sa coiffure.

« Je crois qu’il ne t’écoute pas, ironisa Natalia.

-Toujours pareil avec les amoureux, soupira Gaël. Je crois que je vais devoir assuré moi-même la manœuvre de départ. On a tout ce qu’il faut ?

-Oui. Je vais aller tout ranger d’ailleurs. Morgane, on y va. »

           Morgane lança un regard légèrement jaloux mais souriant à son amie Kathleen. La jeune anglaise et John étaient dans leur petit monde. Morgane était impatiente de pouvoir se retrouver seule avec son vampire. Mais pour le moment, elle avait du travail.


[1] Actuelle Jakarta.

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