L'Ankou

Chapitre 5 : V Les Ailes du Dragon

4348 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/05/2012 03:22

           CHAPITRE V : LES AILES DU DRAGON

 

           L’île de la Tortue ne dormait jamais. Le jour, l’activité commerciale demeurait des plus classiques. La nuit, c’était les bars et les maisons closes qui s’illuminaient. Des échoppes à même la rue proposaient de quoi se restaurer avec de la viande et du poisson griller à la braise. Ils croisèrent des hommes chancelant, chantonnant dans diverses langues et visiblement encouragés par l’alcool.

           Victor Blanco les guidait dans les rues du lieu-dit Basse-Terre. Il semblait bien connaître les lieux. A côté de lui, Igor Stradus regardait les passants avec des yeux de prédateur. John se sentait mal à l’aise en sa présence. Il tint plus fermement la main de sa petite sœur. Victor désigna un bar d’un geste de la tête. Igor lui sourit et lui dit qu’il les rejoindrait dans quelques minutes. Le vampire s’éloigna du groupe. John essaya de le suivre des yeux mais il avait comme disparu entre deux passants.

           John gardait Morgane près de lui. Cet endroit ne lui disait rien qui vaille. Tous les visages qu’il découvrait, tous ces pirates attablés, accoudés au comptoir, jouant aux cartes ou aux dés, tous ces visages lui semblaient hostiles. Morgane lui prit la main pour se rassurer. John n’avait pas besoin de voir le visage de Victor Blanco pour savoir que ce dernier devait se sentir comme un poisson dans l’eau. Il fut par contre surpris de voir Natalia parfaitement calme et même souriante. Elle répondait à des saluts de femmes en tenues légères. John jeta une œillade derrière lui, Akiko demeurait le visage neutre, comme à son habitude. Aucune de ses mains ne s’approchaient de ses sabres.

           Victor les guida jusqu’à une table située au fond. Seul hic : elle était occupée. A la vue de Victor et Natalia, les forbans préférèrent partir sans rien dire. John ne comprit pas. Ces forbans n’avaient pas l’air commode et pourtant, John avait vu de la peur dans leurs yeux. John s’était étonné à commencer à apprécier certains des membres de l’équipage de l’Ankou. Il en avait presque oublié qu’ils étaient avant tout de dangereux pirates. Bizarrement, lorsqu’Akiko vint s’asseoir à côté de lui, il oublia cette dernière pensé.

           Une serveuse vint pour prendre leur commande.

« Natalia, Victor, ça faisait longtemps, fit-elle.

-Salut Suzie, fit Victor. Comment vont les affaires ?

-Pas trop mal. Et ces jeunes ? Ils sont aussi de l’Ankou.

-N… commença John.

-Oui, coupa Victor. Voici John et Morgane. Et Akiko.

-Ah ! Voilà donc la fameuse Akiko Ryukawa. J’ai entendu dire que tu étais très forte. Je ne t’imaginais pas si jeune et si belle. »

Akiko ne répondit pas, se contentant de fixer Suzie d’un regard neutre.

« Bien ! reprit Suzie en souriant. Qu’est-ce que je vous sers ?

-Pour moi ce sera comme d’habitude, dit Victor.

-Moi aussi, fit Natalia.

-Et pour vous les enfants ? demanda la serveuse.

-Je voudrais un jus d’orange s’il vous plait, commanda Morgane.

-En voilà une jeune fille polie, sourit Suzie. Ça fait plaisir.

-Pour moi aussi, fit John.

-Juste de l’eau pour moi, dit Akiko. »

           La serveuse revint quelques minutes plus tard avec la commande. Victor sortit quelques pièces pour payer. Elle vérifia la somme et repartit. Victor et Natalia se mirent à discuter de choses et d’autres. Morgane observait les autres clients du bar avec intérêt. John se tourna vers Akiko pour continuer la discussion débutée sur le bateau.

« Alors Akiko, comment es-tu arrivée à bord de l’Ankou ? questionna le jeune homme. »

La japonaise planta ses yeux noirs dans ceux de John. Elle restait toujours neutre.

« Mon père et le Taishô se connaissaient depuis longtemps, raconta-t-elle. Mon père m’a d’ailleurs parlé aussi de tes parents quand j’étais jeune. Il les respectait beaucoup. Ma famille a toujours eu pour mission de protéger la Famille Impériale. C’était notre destin. Mais une lutte interne entre deux grands daimyo[1] déchira le pays. Il y eut une bataille[2] qui influa sur le Yamato tout entier. Le pouvoir de l’Empereur s’affaiblit. Le daimyo victorieux devint le Shogun, le grand généralissime. Depuis, pour affaiblir encore plus le pouvoir de la Famille Impériale, il a cherché à la couper de tous ses appuis. Le clan Ryukawa devint une de ses cibles. Un complot eut raison de nous. Nous fument tous condamnés. Les uns après les autres, tout mon clan fut décimé. A la fin, il ne restait que mon père et moi. Mon père fit appel au Taishô pour nous permettre de fuir. Mais quand l’Ankou vint nous chercher, les ninjas de l’Oniwabanshu[3] fidèle au Shogun nous avaient suivis et nous attaquèrent. Mon père resta en arrière pour nous protéger, demandant au Taishô de m’emmener et de veiller sur moi. Le Taishô le jura et m’obligea à le suivre. Je n’ai plus jamais revu mon père depuis. Mais je sais qu’il est mort en combattant avec honneur. »

           John resta silencieux. Il n’avait pas imaginé une histoire aussi sanglante et triste. Il était surtout surpris de voir qu’Akiko restait parfaitement neutre en la racontant. Comme si ce passé ne la touchait plus. Plusieurs questions se bousculaient dans la tête du jeune homme. Il voulait comprendre le sens de certains des termes utilisés par la japonaise. Mais la première question qui lui vint à l’esprit fut tout autre et il sut tout de suite qu’il n’aurait pas dû la poser quand les yeux glacials d’Akiko le fusillèrent.

« Pourquoi le capitaine n’a pas sauvé ton père ? demanda-t-il. Il est sorcier pourtant. Et l’équipage de l’Ankou compte plusieurs sorciers.

-Les ninjas aussi ont leurs sorciers, expliqua Akiko après un temps de silence où elle s’obligea visiblement au calme. Au Yamato, on les appelle des Shugenja. Et ils étaient trop nombreux. Le Taishô et les hommes de l’Ankou en ont tués plusieurs avant de partir.

-Ton père s’est retrouvé seul contre ces… shugenja.

-Mon clan n’est pas un clan samouraï comme les autres. Nous sommes des Dragoniars. »

La mère de John lui avait déjà parlé des Dragoniars. C’était un peuple magique exclusivement asiatique et apparenté au Sorciers. La particularité de ce peuple était de ne pas avoir besoin de baguettes pour faire de la magie. Leur sang étant celui de dragons, la magie coulait librement dans leurs veines. Seulement, d’après la description de sa mère, les Dragoniars possédaient des yeux dorés. Or, ceux d’Akiko étaient parfaitement noirs.

           « Qu’est-ce que tu regardes ? questionna Akiko alors que John la fixait intensément.

-Tes yeux, répondit-il, rougissant presque immédiatement. Enfin… bafouilla-t-il. Je veux dire, tes yeux sont noirs et ma mère m’avait dit que les Dragoniars avaient les yeux dorés.

-Nous nous sommes mêlés aux Sorciers et Moldus durant des siècles. Nous conservons nos pouvoirs dragoniars mais nos yeux ne deviennent dorés que quand nous nous en servons.

-Je vois. Et donc, je n’ai pas tout compris de ce que tu m’as dit. C’est quoi un samouraï ? »

 

           Igor Stradus repéra rapidement ses amis et les rejoignit. Il remarqua John et Akiko en grande discussion. Suzie vint tout de suite le voir.

« Igor ! s’exclama-t-elle. Toujours en vie à ce que je vois. Et surtout, tu n’as pas changé d’un pouce.

-Je fais beaucoup d’exercice, sourit Igor.

-C’est tout de même bizarre, je te connais depuis toute petite et tu n’as pas pris une ride. »

Le vampire éluda la question d’un léger sourire. Suzie, sachant qu’il ne commanderait rien, retourna à son travail.

« Pas facile d’avoir cinq cents quatre-vingt sept ans, plaisanta Victor.

-Vous êtes si vieux que ça monsieur Stradus ! s’exclama Morgane qui avait écouté l’échange avec la serveuse.

-Tu peux m’appeler Igor, fit le vampire. Et oui, j’approche les six siècles d’existence. Tu sais, nous autres vampires vivons très très longtemps. En faite, six cents ans ça correspond à peu près à une trentaine d’années pour les Humains. Nous vivons donc environ mille cinq cents ans avant de nous éteindre.

-Wouah ! Ma mère m’avait parlé des Vampires mais je n’imaginais pas que vous viviez si vieux. Et vous êtes sur l’Ankou depuis longtemps ?

-Environ deux cents ans. J’ai été pris à bord par ton arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père.

-Mais pourquoi n’êtes-vous pas devenu capitaine de l’Ankou alors ?

-Parce que je n’aime pas commander. La place de second me va parfaitement. Et puis, seul un Morbrez peut commander l’Ankou.

-Comment ça ?

-Tu le sauras un jour, ne t’en fais pas. Après tout, le sang des Morbrez coule dans tes veines.

-Ça fait toujours bizarre d’entendre un vampire utiliser cette expression, fit Natalia.

-Très drôle, rit Igor. Je vois que John et Akiko font connaissance. Tu crois que John espère quelque chose ?

-Je ne sais pas, répondit Natalia. Mais si c’est le cas, j’espère qu’il ne sera pas trop déçu. Akiko a déjà quelqu’un à qui elle tient.

-Ouais, même si ce dernier ne semble rien remarquer. Ou ne rien vouloir remarquer.

-Et pourtant, malgré qu’Akiko veuille ne rien laisser paraître, tout l’équipage a remarqué, enchérit Victor. Les paris sont ouverts.

-J’ai parié sur « ensemble » avant les vingt ans d’Akiko, dit Igor.

-Moi après ses vingt-cinq ans, précisa Victor.

-Vraiment ! s’exclama Natalia. Pas un pour racheter l’autre. Parier sur ça !

-Au lieu de faire ta choquée, dis-nous plutôt sur quoi tu as parié, sourit Igor.

-Ensemble avant la fin de l’année, avoua la russe.

-Ça me semble un peu court, jugea le vampire.

-Pour un vampire peut-être, mais n’oublie pas que nous autres humains avons moins de temps.

-Et vous encore moins, lança une voix. »

           Le silence se fit à la table des hommes de l’Ankou. Victor, Natalia et Igor levèrent les yeux vers Bryan Quinnon qui se tenait devant eux. Derrière lui se tenait plusieurs pirates toisant ceux de l’Ankou. Akiko se tut immédiatement. Elle fixait les ennemis sans bouger une seule de ses mains vers ses sabres.

« Tiens, Bryan Quinnon, fit Victor. Je n’avais pas entendu dire que le Cauchemar était arrivé.

-Je pensais qu’à force d’être entouré de sorciers, tu comprendrais qu’une falaise n’est pas un problème pour nous, fit Quinnon.

-J’avais compris ne t’en fais pas. Est-ce que tu veux un verre ?

-Pourquoi pas.

-Alors commande-toi en un. Ne le met pas sur ma note, je suis à sec.

-Très drôle Victor. Je ne regretterais vraiment pas ton sens de l’humour quand je te tuerais.

-Je n’en doute pas. Tu veux les enfants je suppose.

-Tatiana les veut. Alors vous feriez bien de nous les donner si vous ne voulez pas que ce « charmant » bar se transforme en fosse à cadavres.

-Où est-elle ? questionna Natalia.

-Elle est occupée ailleurs, répondit Quinnon.

-Ce n’est pas difficile de deviner qu’elle doit essayer de prendre l’Ankou, fit Igor. Elle n’a pas compris que c’était impossible.

-Que tu crois, Igor.

-Je vogue sur l’Ankou depuis deux siècles, je le connais presque aussi bien que les Morbrez. J’ai vu les prodiges dont il est capable. Tu peux me croire quand je dis qu’elle n’arrivera pas à s’en emparer.

-Je ne suis pas là pour débattre de ça. Donnez-nous les petits Morbrez ou il y aura des morts. »

           John remarqua que le silence s’était fait dans le bar. Tout le monde observait les pirates de l’Ankou et du Cauchemar avec effroi. John ne se demanda pas longtemps pourquoi personne ne fuyait, les hommes du Cauchemar les menaçaient de leurs pistolets. Certains tenaient également une baguette dans leur autre main. La tension était montée en quelques secondes. John et Morgane n’osaient même plus respirer trop fort.

« Car tu espères vraiment que nous allons te les livrer comme ça, dit Igor en arborant un sourire tranchant.

-A vrai dire, j’espérais plutôt que vous refuseriez, fit Quinnon. Comme ça j’aurais le plaisir de vous voir vous faire tuer. »

La table autour de laquelle ils étaient installés vola en éclat dans une explosion. Igor sauta au dessus des débris pour se jeter sur Quinnon avec rage. Il le repoussa en arrière. Quinnon entraina dans sa chute plusieurs de ses hommes. Victor tira son sabre et son pistolet de sa ceinture. Il tira, éliminant un des pirates du Cauchemar et para un coup de sabre dans la foulée. Natalia, qui était responsable de l’explosion de la table, tira plusieurs éclairs de stupéfixion en poussant Morgane et John derrière une autre table, la renversant pour s’en faire une protection. Akiko avait déjà éliminé deux ennemis à l’aide de son katana. Elle rejoignit Natalia quand celle-ci l’appela.

« Il faut que tu ailles prévenir Gaël, ordonna Natalia. Fais attention, Tatiana doit être dans le coin. Et rappelle tous l’équipage.

-Ai[4], acquiesça la japonaise. »

           Akiko sauta au dessus de la table renversée et accourut vers la sortie du bar, tuant un autre pirate au passage. Aussitôt dehors, elle tendit une main vers le ciel. Ses yeux devinrent dorés et une masse lumineuse s’éleva à la verticale. Arrivée à une certaine hauteur, la masse explosa en une vague lumineuse. Sur toute l’île, il était impossible de la manquer. Les pirates de l’Ankou comprirent le signal et tous abandonnèrent ce qu’ils étaient entrain de faire pour se diriger vers le bateau.

           Akiko interpela quelques pirates passant près d’elle pour leur sommer d’aller prêter main forte à Victor, Igor et Natalia. La japonaise se mit à courir aussi vite que le vent pour rejoindre l’Ankou. Elle enrageait de ne pouvoir aller encore plus vite.

 

           Gaël avait vu le signal lumineux. Il ordonna tout de suite aux hommes de garde d’intensifier la surveillance et de se tenir prêts. Mais à peine avait-il donné ses ordres qu’un de ses hommes s’effondra, le poitrail ouvert lâchant des flots de sang sur le pont. Gaël sortit sa baguette et son sabre d’abordage. Devant lui se tenait Tatiana Gorluna et plusieurs de ses hommes d’équipage.

« Salut Gaël, fit-elle. Tu as l’air d’aller bien.

-Toi aussi, fit de même Gaël. Je ne te demande pas ce que me vaut ta visite.

-Et oui, tu sais aussi bien que moi ce que je veux. Je veux l’Ankou. Je veux connaître son secret et acquérir son pouvoir.

-Tu sais bien que c’est impossible. Seul un…

-…Un Morbrez peut contrôler l’Ankou. Oui je sais. Je l’ai assez entendu celle-là. Mais, vois-tu, je n’y crois pas. Il me faudra du sang des Morbrez, mais quelques gouttes devraient suffire. Tu ne voudrais pas saigner pour moi ? En souvenir du bon vieux temps.

-Tu es toujours la même.

-Envoûtante et charmante ?

-Folle à lier. »

L’apparente bonne humeur de Tatiana s’envola en une seconde. Son visage se déforma en une expression de fureur.

« Comment oses-tu ? hurla-t-elle. Je ne suis pas folle !

-Si, totalement. Si tu veux l’Ankou, il faudra te battre pour l’obtenir.

-Cette idée ne me dérange pas, fit-elle de nouveau calme. Je me doutais que tu ne me laisserais pas ce navire. Personnellement, ça ne me pose aucun problème. Après tout, tu m’as laissée tomber. Mais toi, oseras-tu me tuer ? Après ce qu’on a vécu ?

-Sans aucune hésitation. Tu as tué ma sœur, William et mes parents je te rappelle. Est-ce que tu crois que j’ai la mémoire courte ?

-Non, mais je m’étais dit que tu m’avais pardonné.

-Tu auras mon pardon. En Enfer. Viens te battre.

-Avec plaisir, cracha-t-elle. »

           Tatiana se précipita vers Gaël en brandissant sa baguette. Un éclair vert illumina le pont de l’Ankou. Par réflexe, Gaël dressa un bouclier. Il laissa Tatiana s’approcher et frappa de son sabre quand elle fut assez près. La capitaine du Cauchemar avait également sorti son sabre. Les lames s’entrechoquèrent violement. Gaël enchaîna directement de plusieurs autres coups de sabres tous parés par Tatiana. Il finit son enchaînement en réussissant à placer l’extrémité de sa baguette sur la poitrine de Tatiana et la repoussa violement jusqu’au bastingage.

           Contre toute attente, la capitaine du Cauchemar sourit.

« Je t’ai connu plus doux dans nos corps-à-corps, fit-elle.

-J’essaye d’oublier cette époque, dit-il.

-Tu as trouvé quelqu’un d’autre ? Tu peux me le dire, je te promets de ne pas la faire souffrir quand je la tuerai.

-Je n’ai personne.

-Tes yeux disent tout autre chose. J’ai vu une brève fureur les envahir quand j’ai parlé de la tuer. Je te connais par cœur Gaël. Dis-moi juste le nom de celle qui m’a remplacé dans ton cœur.

-Il te faudra me tuer pour l’atteindre.

-Avec plaisir, je vais te faire regretter de m’avoir remplacée. »

           Tatiana allait se jeter de nouveau sur le capitaine de l’Ankou quand une silhouette gracile surgit du quai et atterrit sur le pont entre Gaël et Tatiana. Les yeux dorés flamboyants d’Akiko toisaient la borgne durement. Elle se tenait prête à dégainer ses sabres. Tatiana resta un moment surprise par cette arrivée impromptue.

« A qui ais-je l’honneur ? demanda Tatiana.

-Je ne me présente pas au gens sans honneur, dit Akiko.

-Je suppose que tu es Akiko Ryukawa. J’ai connu tes parents. Je ne les ais jamais aimés. Surtout ton père, toujours à mettre l’honneur au dessus de tout. Enfin bref. Tu peux te pousser jeune fille, je dois tuer ton capitaine.

-Personne ne s’attaque au Taishô.

-Oh ! Je vois. Elle n’est pas un peu jeune pour toi Gaël ?

-Akiko, écarte-toi, ordonna Gaël.

-Taishô.

-C’est un ordre.

-Yuokai[5]. »

           La japonaise s’écarta sans lâcher Tatiana de ses yeux redevenus noirs. La capitaine borgne s’en amusa.

« Elle tient à toi cette petite, reprit Tatiana. Comme c’est touchant.

-Tu veux parler ou te battre ? lança Gaël.

-Me battre me plairait, mais ça prendrait trop de temps. Et ça fait vingt ans que j’attends maintenant. Il est temps que l’Ankou change de main. »

Tatiana leva sa baguette en l’air, des gerbes d’étincelles rouges s’élevèrent. Des lumières s’illuminèrent sur l’eau à quelques dizaines de mètres de l’Ankou. La ligne noir du Cauchemar barrait la route du large et menaçait de ses canons.

« Ta famille a toujours été peu encline aux sacrifices, dit Tatiana. Si tu ne me livres pas l’Ankou, mon navire va tirer sur le village. Que d’innocents qui vont mourir ! finit-elle faussement.

-Je te le redis : tu ne pourras jamais commander l’Ankou, ni connaître son secret, rappela Gaël.

-Toujours cette rengaine. Ce qui est sûr, c’est que je n’aurais pas besoin de toi. Et en plus, je rêve de te tuer depuis si longtemps. Adieu, mon chéri. »

           Tatiana pointa sa baguette sur Gaël, prête à lancer un maléfice mortel. Gaël était prêt à la contrer.

« Avada Kedavra, incanta Tatiana. »

Mais au moment où l’éclair vert jaillit, Akiko s’interposa.

« Akiko non ! hurla le capitaine de l’Ankou. »

L’éclair vert ricocha sur le plat de la lame du sabre de la japonaise. Les yeux d’Akiko devinrent dorés, elle tendit la main de laquelle jaillit un flash aveuglant. Tatiana ferma les yeux par réflexe. Elle ne put que deviner la jeune fille se tourner vers Gaël, des ailes lui pousser dans le dos et s’envoler en l’emportant. Lorsqu’elle recouvra toute sa vision, Akiko et Gaël avaient disparu.

« Tant pis, fit-elle en rangeant sa baguette. Je les tuerai plus tard. Nous avons l’Ankou. Et Bryan a intérêt de revenir avec les enfants de Soizic, sinon, il va souffrir. »

 

           Akiko se posa sur le sommet de la Tortue. Aussitôt au sol, elle lâcha Gaël qu’elle tenait dans ces bras. Elle s’était placée dans son dos pour le soulever avec elle et fuir de l’Ankou. Et maintenant, elle se retourna et s’éloigna de lui. Elle avait usé d’un pouvoir dragoniar, mais elle se sentait laide en l’utilisant. Elle avait été élevé en samouraï, malgré tout, elle ne voulait pas que celui qu’elle aimait la voit ainsi. En cela, elle demeurait une jeune fille comme les autres.

           Gaël se retourna. Akiko lui tournait le dos. Sa veste de kimono était déchirée et les lambeaux pendaient sur ses hanches. Deux ailes reptiliennes se dressaient dans son dos.

« Akiko, dit-il.

-Je sais, fit-elle. Je t’ai désobéi. Je n’aurais pas dû.

-Non, tu as bien fait. Maintenant, nous allons nous regrouper et reprendre l’Ankou. »

Akiko sentait le regard de Gaël peser sur elle. Elle aurait voulu que jamais il ne la voit ainsi.

« Ne me regarde pas, supplia-t-elle.

-Pourquoi ? fit-il. Pourquoi je ne te regarderais pas ?

-Je suis laide.

-Pourquoi dis-tu ça ? »

Gaël avait juste murmuré cette phrase, faisant frissonner Akiko. Il se tenait juste derrière elle. Les ailes d’Akiko se résorbèrent dans sa chair. Gaël déposa sa veste sur les épaules dénudées de la japonaise.

« Tu es très belle Akiko. »

           La jeune samouraï ne résista pas à la tentation. Elle se retourna et vint se blottir contre Gaël. Le capitaine resta d’abord les bras le long du corps. Il ne savait pas s’il avait le droit de se laisser aller aux sentiments qui grandissaient en lui pour la jeune fille. Pourrait-il la rendre heureuse ? La seule femme qu’il avait aimée était devenue une folle furieuse. Et il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était sa faute. Il ne pouvait nier non plus, qu’en voyant Akiko s’interposer au moment où Tatiana avait lancé l’Avada Kedavra, il avait senti un terrible effroi s’emparer de lui. Tout ça mit bout à bout, il devait concéder que Natalia devait avoir raison. Il leva les bras pour en entourer la jeune fille.

 




[1]Seigneur du moyen-âge japonais.

[2]Akiko parle de la bataille de Sekigahara qui eut lieu en 1592 et opposa Tokugawa Ieyasu et Tomotomi. La victoire du clan Tokugawa marqua le début de l’Ere Edo durant laquelle le Japon se referma sur lui-même durant presque trois siècles.

[3]Sorte de service secret composé de ninjas et fidèle au Bakufu, le gouvernement militaire du Shogun.

[4]Au faite, ça veut dire « oui » et ça se prononce « aye ».

[5]Compris.

 

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