L'Ankou

Chapitre 9 : IX La Porte de Cristal

2689 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/06/2012 04:42

           CHAPITRE IX : LA PORTE DE CRISTAL

 

           La pause de midi ne fut qu’un petit arrêt. Un arrêt durant lequel il demeura assis sur le pont, les jambes bloquées. Dés qu’il eut fini son bol, il reprit sa baguette et continua de penser fortement à la formule de dissipation. Le soleil des Caraïbes était haut dans le ciel et lui chauffait la tête. Il avait la gorge sèche. Il repéra une outre d’eau accrochée au bastingage à quelques mètres de lui. Il tendit la baguette, ouvrant la bouche pour incanter un Accio. Mais aucun son ne parvint à sortir de ses lèvres desséchées. Malgré tout, la magie parcourut l’artefact. L’outre vint jusqu’à lui sans aucune difficulté. Il ne parut même pas s’en rendre compte et se contenta de l’ouvrir pour faire couler le précieux liquide dans sa gorge.

« Et bien, tu as fini par y arriver, fit Gaël derrière lui.

-Quoi ? dit John.

-L’informulation.

-Hein ?

-Tu n’as même pas remarqué. Ton Accio, tu ne l’as pas formulé. Tu as essayé je pense, mais tu n’es pas parvenu à articuler un seul mot.

-Ça veut dire que je n’ai pas formulé !

-C’est ce que je n’arrête pas de te dire. Tu te souviens de tes sensations à ce moment là.

-Soif.

-A part ça ? rit Gaël. »

           John réfléchit quelques secondes. Il regarda sa baguette, l’outre et ses jambes. Il posa l’extrémité de sa baguette sur ses cuisses. Et se releva.

« Je crois que j’ai compris le truc, dit-il fièrement.

-Bien, fit Gaël. Va voir Natalia, elle va te donner quelque chose pour te requinquer. Après, on continue. »

John obéit, content de se mettre à l’ombre.

 

           Victor s’approcha de son capitaine.

« Il est allé plus vite que toi ou Soizic, fit remarquer le second.

-J’ai vu, acquiesça Gaël. Il est doué. Il pourrait devenir très fort.

-Plus que toi ?

-Oui, je pense. Dommage qu’il ne veuille pas devenir pirate. »

           Les heures qui suivirent, John regretta de ne pas avoir plus trainé pour comprendre le principe de l’informulation. Il se rendit rapidement compte que comprendre et maîtriser étaient deux choses très différentes. Gaël le rendit aphone pour le forcer à ne pas formuler. Et immédiatement, le capitaine s’était mis à le canarder de maléfices. John devait les esquiver et les contrer. Mais il avait beau penser de toutes ses forces aux sortilèges qu’il souhaitait envoyer, il ne parvenait que rarement à générer quelques étincelles. Gaël Morbrez n’hésitait pas à venir au contact pour lui asséner des coups. John n’aimait particulièrement pas de recevoir un coup au creux de l’estomac.

           Quand le soleil en vint à frôler l’horizon au ponant, Gaël arrêta l’entrainement. Il laissa, malgré tout, le soin à John de se libérer seul du maléfice de silence. Ce qu’il mit au moins une demi-heure à faire. Il se traina difficilement jusqu’à un sceau d’eau de mer qui se trouvait sur le pont. Il retira son haut et s’aspergea pour se rincer de la sueur et du sang. Ses petites plaies le brûlèrent. Il grimaça.

« Laisse-moi donc regarder, dit Justin en s’approchant. »

Le médecin du bord l’examina, puis il sortit sa baguette et lança des sorts curatifs à divers endroits, refermant les plaies, résorbant les ecchymoses. Quelques instants plus tard, John était de nouveau en parfaite santé.

« Merci, dit-il.

-C’est mon travail, fit Justin. Pas facile, n’est-ce pas ?

-Il le faut. Nous devons sauver Morgane et faire payer cette Gorluna.

-Oui, acquiesça sombrement le médicomage. Tu as sûrement raison.

-Docteur, je sais qu’elle faisait partie de l’équipage de l’Ankou par le passé. Je ne connais pas toute l’histoire, mais elle a choisi une autre voie. Cela ne fait que peu de temps que je suis à bord, mais je pense que ce n’est pas la philosophie des hommes de l’Ankou que de laisser une femme comme elle libre de ses faits et gestes.

-Oui. Mais je n’arrive pas à m’enlever de la tête la petite fille aux grands yeux qu’elle était quand on les a trouvées, Natalia et elle.

-Natalia est quelqu’un de bien. Sa sœur, elle, a choisi la voie du crime. C’est tout.

-Si seulement c’était si simple, conclut Justin en retournant à sa cabine. »

 

           John se joignit à l’équipage pour le dîner. Les blagues et les rires concernant sa première journée d’entraînement allaient bon train. John souriait en retour. Il se sentait bien parmi ces pirates. Alors que quelques jours plus tôt à peine, il faisait tout pour s’en tenir éloigner, il commençait à se dire qu’au moment de les quitter, il ressentirait de la tristesse. Mais c’était ainsi, sa vie était à Sainte-Emmanuelle. Une petite vie paisible dans la ferme familiale avec Morgane. Peut-être épousera-t-il Oriane dans quelques années ?

           Mais pour le moment, il devait se concentrer sur un tout autre objectif : sauver sa sœur. Encore six jours avant la confrontation contre Tatiana Gorluna.

« Que cette semaine s’écoule vite ! espéra-t-il. »

 

           Le lendemain fut l’exacte réplique de l’après-midi de la veille. John sous Silencio tentait de contenir les assauts de Gaël. Il avait dormi comme une souche et force était de constater qu’il se sentait plus à l’aise, même s’il prenait toujours autant de coups et de mauvais sorts. Ereinté par cette nouvelle journée, il alla se coucher tout de suite après dîner, souriant malgré tout en se disant qu’une journée de moins le séparait de sa sœur.

           Le troisième jour, John attendait Gaël sur le pont, prêt à continuer l’entraînement. Mais quand le capitaine sortit de sa cabine, John oublia immédiatement pourquoi il s’était levé ce matin. Au côté de Gaël, encore chancelante et s’agrippant à son bras, Akiko souriait de revoir la lumière du soleil et les autres membres de l’équipage. Tous vinrent vers elle, souriant, heureux de la revoir en meilleure forme. John n’hésita pas à se joindre à la liesse.

« Heureux de te revoir debout, fit-il.

-Arigato, souffla la jeune japonaise. Je me sens encore un peu faible mais je ne voulais pas rester enfermé une journée de plus.

-Tu as bien raison, lança Justin. L’air frais et le soleil ne peuvent que te faire du bien. Par contre, évite les efforts trop importants.

-Yûokai Sensei. Je vais m’asseoir dans un coin et regarder Gaël et John s’entrainer. »

           Gaël accompagna Akiko jusqu’à la passerelle. Il l’installa sur un fauteuil qu’un homme avait apporté. Elle pourrait regarder la mer juste en tournant la tête et voir tout de l’entrainement sans risque de se prendre un maléfice perdu.

« Si tu as besoin de quelque chose, n’hésite pas à demander à Victor, dit Gaël.

-Ne t’en fais pas, ça ira, assura-t-elle. Je ne suis pas en sucre tu sais.

-Je sais.

-John t’attend.

-A tout à l’heure, fit-il avec un baiser. »

 

           Une chose était sûre : John avait envi de progresser. Il s’améliorait de jour en jour. Il parvenait maintenant à éviter les coups plus souvent et à les contrer. Même s’il mangea la poussière à plusieurs reprises, il se relevait toujours.

           Le quatrième jour, ils ne s’entraînèrent au combat que le matin. Gaël avait donné un sabre d’abordage à John. Et comme s’en doutait Gaël, William le coutelier lui avait enseigné quelques unes de ses passes d’arme. John était à l’aise une lame à la main.

           Après la pause déjeunée, Gaël vint à John.

« On ne s’entraine pas cet après-midi, annonça le capitaine.

-Pourquoi ? questionna John, faisant sourire Gaël.

-Parce qu’il faut bien se reposer déjà. Mais surtout, j’ai des choses à t’expliquer. Des choses importantes pour le plan visant à libérer Morgane. Mais aussi, sur ton héritage, même si tu veux retourner à Sainte-Emmanuelle. Je vous y amènerais, n’ais crainte. Dés que toute menace sera écartée. Je vais te dévoiler une partie du secret de l’Ankou. Tu as dû déjà remarqué que ce navire est différent des autres. Tu es intelligent. »

John savait de quoi voulait parler le capitaine. La chambre froide pour les denrées, les canons et leurs munitions même s’il ne les avait pas encore vu tirer,… Et d’autres petites choses.

« Oui, j’ai remarqué pas mal de choses qui n’existe pas ailleurs, dit John.

-Les origines de l’Ankou se perdent dans les siècles, raconta Gaël. On ignore quand exactement il a été mis à l’eau. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il était différent. Il n’a cessé d’évolué avec le temps. Chaque Morbrez qui s’est succédé à sa barre a amené sa pierre à l’édifice.

-Dans quel but ?

-Qu’entends-tu par but ?

-Et bien, je ne pense pas que quelqu’un ait créé un navire comme l’Ankou sans avoir un but plus ou moins précis.

-Hum… Bien raisonné. Mais ça, ce n’est pas à moi de te l’expliquer. Et ce n’est pas le moment non-plus. Et vu que tu comptes quitter le bord, peut-être ne le sauras-tu jamais. Et je vois avec plaisir que tu penses que ces évolutions sont possibles grâce à l’Ankou et non pas seulement des sorciers qui voguent avec lui. Et pourtant, les deux sont nécessaires pour transformer l’Ankou au gré des envies de son capitaine.

-Pourquoi m’en parler ? Je ne suis pas le capitaine.

-En fait, il n’est pas nécessaire d’être le capitaine pour se faire obéir de l’Ankou. Tout comme je n’ais cessé de le répéter à Tatiana : il faut le sang des Morbrez. Sang qui coule dans tes veines. Et au moment de sauver ta sœur, j’aurais besoin que tu prennes le contrôle de l’Ankou un moment.

-Je vois, acquiesça John. Expliquez-moi ce que je dois faire et comment le faire.

-Viens avec moi, ordonna le capitaine. »

           Gaël guida John jusqu’à la réserve de munitions. Jusqu’à l’étrange bloc de cristal semblant fermer une porte qui avait piqué la curiosité de John. Bizarrement, John se rendit compte qu’il n’y avait quasiment plus pensé par la suite. Il faut dire qu’il s’était passé tant de choses.

« Je ne te révèlerais pas les origines de ce cristal, continua Gaël. Disons simplement, que lui et ce qui se trouve derrière sont les seuls éléments qui n’ont jamais changé à bord. Ce cristal est une porte.

-Il m’y a fait penser la première fois que je l’ai vu, avoua John. Une porte sans poignée.

-C’est vrai. Il n’y a pas de poignée. Juste une clé. Notre sang. »

Gaël sortit un couteau de sa ceinture et s’entailla la paume. Il posa sa main ensanglantée sur le cristal. Ce dernier se mit à luire d’une lueur froide.

« Fais de même et suis-moi, fit Gaël. »

Le capitaine s’enfonça dans le cristal comme s’il s’était changé en vapeur. Lorsqu’il eut disparu de l’autre côté, le cristal cessa d’irradier. John posa sa main dessus mais il avait repris une consistance solide. Il sortit son propre couteau et effectua les mêmes gestes que Gaël. Le cristal sembla le reconnaître comme un Morbrez car le même phénomène se produisit. Et il passa de l’autre côté.

           Ce qui se présenta sous ses yeux était simplement incroyable. De partout, la même lumière bleutée que celle de la porte l’irradiait. La pièce était entièrement faite de cristal. Les cloisons n’étaient pas lisses mais recouvertes de symboles courbes sans motif régulier. John les examina un moment. Pour lui, ce ne pouvait être qu’une seule chose : des écritures. Mais il ne connaissait pas cet alphabet et cette langue.

« En quelle langue est-ce écrit ? demanda-t-il.

-Tu n’as pas à le savoir pour le moment, répondit Gaël. »

En temps normal, John aurait sûrement été à bout de ne pouvoir tout savoir tout de suite. Mais là, étrangement, il comprenait, ou plutôt, il sentait que cela devait être ainsi.

           Gaël se tenait près d’une espèce d’autel circulaire occupant le centre de la pièce. A l’instar du reste, l’autel était fait de cristal. On aurait dit une table haute. Mais il n’était pas plat. Il était de forme incurvée et contenait un liquide semblable à de l’eau.

« Cette eau est là depuis le début, raconta Gaël.

-Mais comment ? questionna John. Ne s’est-elle jamais renversée à cause du tangage ?

-Sois plus attentif à tes sens. »

John remarqua alors qu’ici, il ne ressentait aucun des mouvements du bateau. A croire qu’il s’était arrêté. John leva un regard interrogatif vers le capitaine.

« Ne pose pas de question, sourit Gaël. Parce que celle là, de toute façon, je n’en ai pas la réponse.

-Quelle est cette pièce ? demanda John.

-Elle s’appelle l’Araryou Nëmarialey. Ne me demande pas ce que cela signifie. Je serais incapable de t’expliquer la signification des mots ensuite. Et cet autel, c’est la Faiyalan Saoya. Ça signifie… point de contrôle. Un truc de ce genre, je ne me souviens plus exactement. Ce n’est pas cette langue qui me pose problème, mais ces termes là. Je ne sais même pas si c’est du français une fois traduit. Enfin, tu n’as pas besoin de les connaître pour ce que tu dois savoir.

-Pour sauver Morgane ?

-Oui. Je vais t’expliquer mon plan et ce que tu devras faire. Et pour cela, tu vas devoir te servir de cette pièce. Ecoute attentivement. »

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