Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre

           CHAPITRE VI : L’ELDRYAN

           L’ATEF décolla à l’heure prévue. L’île des Eldars ne pouvait être atteinte par transplanage ou portoloin. Et un voyage en balai ou tapis volant n’était pas vraiment ce qu’il y avait des plus confortables. Les Eldars n’ayant autorisé aucun autre humain à venir en dehors de ceux qu’ils avaient demandés, ce fut Tony qui pilota.

           Durant le voyage, Ariana vint dans le poste de pilotage. Elle s’assit à la place du copilote et sourit à Tony.

« J’ai entendu ce que t’as annoncé ton père et le vieil homme qui l’accompagnait tout à l’heure, dit-elle.

-C’est mon arrière grand-père, le doyen de la famille, renseigna Tony.

-Félicitations pour ta nomination.

-Ouais. Je n’ai jamais vraiment voulu le devenir mais bon, il y a une forme d’émulation positive au sein de la famille pour obtenir ce titre.

-Alex serait d’accord avec ce choix.

-Il dirait merci, avec son sourire cynique habituel.

-Pourquoi ?

-Le Corbeau siège avec les anciens au conseil de famille. D’une certaine manière, il représente ceux qui combattent encore. Il n’aimait pas cette partie là. Il y a un rôle d’exemplarité. Tout comme lui, je n’estime pas être un exemple. Ça reste tout de même un titre gratifiant : être reconnu comme le meilleur dans une famille comme la notre, ce n’est pas rien.

-Et je trouve que tu es quelqu’un sur qui on devrait tous prendre exemple. Tu es droit et tu prends souvent les bonnes décisions.

-Pas toujours, dit tristement Tony. Tu veux piloter ?

-Oui.

-Attrape les commandes. »

Tony expliqua à Ariana les commandes de base. Il la laissa piloter durant une bonne partie du vol. Il ne reprit le contrôle qu’à la fin, argumentant que l’atterrissage, ce serait pour une prochaine leçon.

Le vol dura une heure. Alors qu’ils approchaient de l’île, Tony parla par le micro.

« Mesdemoiselles et messieurs, le commandant de bord vous informe que nous venons de débuter notre descente sur l’Île des Eldars. Je vous prierais de rester assis et attaché jusqu’à l’arrêt de l’appareil. Le commandant de bord et son équipage espèrent que vous avez passé un agréable voyage. »

Ariana, toujours dans le cockpit, regarda de tous les côtés mais ne vit aucune île, seulement les eaux noires de l’océan.

« Je ne vois pas d’île, dit-elle.

-Même nous autres sorciers ne pouvons la voir, expliqua Tony. Les Eldars sont vraiment le peuple le plus méconnu de tout le monde magique. C’est vraiment exceptionnel d’être reçu chez eux. En y réfléchissant, je crois que nous sommes même les premiers humains invités par les Eldars.

-C’est bien beau, mais comment atterrir sur une île qu’on ne voit pas ?

-Ils nous ont envoyés leurs coordonnées avec le message. Et puis, nous ne sommes pas totalement aveugle. Regarde. »

Anthony activa un moniteur du tableau de bord. L’écran ne montrait pas grand-chose à part un fond bleu. Une masse verte entrait dans l’écran par le haut.

« C’est une imagerie par résonnance, expliqua Tony. Ça se base sur les flux d’énergie pour former une image. Tout ce qui est bleu, c’est l’océan. Et le vert, c’est une zone de forte émergence d’ondes magiques. Par déduction, on peut dire que…

-…Que cette émergence est due à la magie en œuvre pour dissimuler l’île et qu’elle se trouve dans cette zone, finit Ariana.

-Tout à fait, sourit Tony. Mais pour un atterrissage, ce ne sont pas des données suffisantes. Une vue directe est importante. Heureusement, d’après les indications qu’ils nous ont données via leur message, il semble que dés que nous aurons traversé le champ d’illusion, l’île nous apparaîtra. Pour le moment, nous suivons le cap en descendant et tout devrait aller comme sur des roulettes. »

           L’ATEF continua d’avancer vers apparemment rien. Ariana voyait l’onde noire de l’océan se rapprocher à mesure que l’aéronef descendait. L’imagerie par résonnance démontrait qu’ils s’approchaient de la zone chargée en magie. Ils allaient y pénétrer d’ici quelques secondes. L’espace parut se déformer, l’air ondula en se plissant autour du nez de l’ATEF. Ariana eut l’impression qu’ils pénétraient dans une bulle de savon qui refusait d’éclater. La barrière magique se troua et les laissa entrer puis se referma derrière eux. A mesure qu’ils la passaient, la silhouette d’une île verdoyante se forma sur l’horizon.

           L’île avait une forme de cône renversé très évasé sur les bords. La montagne qui marquait son milieu montait haut dans les nuages et on devinait de la neige éternelle sur ses versants. Autour de ce centre montagneux, se trouvaient de vastes plaines et des étendues de forêts luxuriantes. L’océan n’y était pas noir, l’eau avait pris une belle couleur bleue. Ariana vit des bateaux à la ligne effilée et élégante filer sur l’onde claire. Elle ne pouvait que deviner les silhouettes présentes sur leurs ponts à cette hauteur.

           A mesure qu’ils s’approchaient de l’île, ils virent plus distinctement les bâtiments et les rues d’une cité aux couleurs sobres et pâles se dessiner au bord de l’océan.

« Ah ! fit Tony. Je me demandais quand on allait enfin nous guider. »

Ariana détacha son regard de la cité et vit de chaque côté de l’ATEF, des sortes de scooters volants cristallins montés par des pilotes habillés de combinaisons intégrales et de casques. L’un des deux fit signe à Tony de les suivre. Tony répondit par l’affirmative et il plongea vers la cité à la suite du scooter qui prit la tête de la formation.

           Le scooter volant les mena jusqu’à une zone aménagée pour accueillir un aéronef située sur le port. Anthony amorça l’atterrissage. Les réacteurs de l’ATEF passèrent en position verticale et il se posa sans heurt. Anthony coupa les réacteurs et les systèmes de navigations. Il se rendit ensuite dans la soute et ouvrit la tranche arrière. La chaleur du vent marin surprit Ariana un instant.

           Anthony fit signe à Lucifel de passer devant. Le vieil ange, suivit d’Irael, accepta l’invitation. Ariana, Joshua et Anthony suivirent. Une délégation eldar les attendait, alignée de manière parfaite. Ariana fut frappée par la beauté et le charisme qui émanait des Eldars. Ils étaient tous grands, aucun ne faisant moins de un mètre quatre-vingt, même les femmes. Ils avaient tous les cheveux longs, magnifiquement coiffés. Leurs peaux étaient d’une pureté dorée par le soleil. Leurs yeux étincelaient d’intelligence et de sagesse. Ils étaient tous habillés de manière sobre mais avec un goût assuré. Certains portaient des armes à leurs côtés, sabres, arcs et lances, tous ouvragé finement mais sans fioritures. Leurs visages fins étaient encadrés par deux oreilles en pointe.

           Lucifel s’avança vers le comité d’accueil. Il s’inclina respectueusement devant un eldar apparemment plus ancien que les autres, même si leurs âges n’étaient pas clairement identifiables. L’eldar lui rendit son salut et s’exprima d’une voix chatoyante et harmonieuse dans une langue aux sonorités coulantes comme l’eau.

« Nalaryä Lucifel. Enirayi sétouni sono.

-Médossano Eldryan, répondit Lucifel. Jéssina lo Valinorya séda.

-Nous devrions nous exprimer dans l’idiome que les Humains nomment « anglais », par politesse envers eux, suggéra l’eldar dans un anglais parfait. »

L’eldar, qui devait être une sorte de dirigeant, se tourna vers les agents de la DE.

« Soyez les bienvenus à Valinorya, le pays du peuple Eldar, dit-il. Je suis Kalyos, l’Eldryan. L’équivalent chez vous serait, le Ministre.

-C’est un immense honneur Eldryan, fit Tony en s’inclinant respectueusement. Je suis Anthony Chaldo, chef d’équipe Investigation Spéciale de la Division Esotérique.

-Chaldo. Je me souviens d’une de vos ancêtres, Su Chaldo.

-Le troisième Corbeau, fille de Pierrick Chaldo.

-Elle avait un sacré caractère. Elle ne comprenait pas qu’on refuse de se joindre à la DE. Je sens la même force en vous.

-Laissez-moi vous présenter nos autres compagnons, proposa Lucifel. Voici Irael, descendante du peuple Atlante. Joshua Ollivander, membre de la DE au département scientifique. Et l’agent Ariana Potter, la coéquipière d’Anthony. »

           Ariana eut l’étrange impression que l’Eldryan la regardait avec plus d’insistance que les autres. Mais cette impression ne dura qu’un instant. L’Eldryan les invita à le suivre. Ils montèrent dans un véhicule aux lignes tout aussi harmonieuses et effilées que les bateaux qu’Ariana avait aperçu durant l’approche. Sitôt qu’ils furent installés, le véhicule glissa sur le sol, se déplaçant sans à-coup et silencieusement. La cité n’avait rien à voir avec les villes humaines tentaculaires et sales. La cité Eldar mêlait dans une étreinte intime la nature à la vie quotidienne. Les maisons et les arbres étaient intimement entremêlés à tel point qu’on ignorait où commençait l’un et où finissait l’autre. Des animaux se promenaient en toute liberté dans la cité.

           Ariana vit plusieurs Eldars s’entrainer à l’arc ou au maniement du sabre et de la lance, et également au combat à mains nues. Elle apprécia le niveau, ils étaient d’excellents guerriers. Mais il leur manquait quelque chose. Ariana n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. C’était peut-être juste une impression.

           L’Eldryan et le reste du comité d’accueil Eldar les menèrent jusqu’à un arbre centenaire. Un palais de bois, d’albâtre et d’or s’emmêlait dans ses branches. Ce devait être le cœur du gouvernement Eldar, se dit Ariana. Ils furent menés dans une grande salle où se trouvait une table circulaire autour de laquelle étaient disposés des sièges dont un magnifiquement ouvragé au fond. La pièce en elle-même était lumineuse, de multiples ouvertures dans les murs et le plafond permettant au soleil d’y pénétrer quelque soit l’heure.

           Une vingtaine d’Eldars les attendaient dans cette pièce. Tous se tenaient droits. Certains regardaient les Humains avec une certaine hauteur. Ariana décida de les ignorer. L’Eldryan se plaça au centre de l’assistance et fit face aux visiteurs.

« Vous êtes ici dans la salle du Haut Conseil Eldar, dit-il. Et devant tous ses membres, je vous renouvelle nos vœux de bienvenu. »

Les Eldars s’inclinèrent respectueusement. Ariana remarqua que certains mirent quelques secondes à se décider à imiter leur Eldryan. Lucifel fit de même et les autres visiteurs l’imitèrent.

           L’Eldryan et les autres Eldars s’assirent. Un eldar invita les visiteurs à prendre place sur des sièges qui avaient été prévu pour eux.

« Je pense qu’il n’est pas utile de vous préciser la raison de votre présence ici, débuta l’Eldryan. Comme vous le savez pour vous être battus contre eux à plusieurs reprises, les Dæmons sont de retour. Nos anciens alliés, les Atlantes, sont sortis de leur isolement sur la lointaine Tartares. Et nous, les Eldars, le peuple sylvestre, devons maintenant reprendre les armes après douze millénaires de paix. Seigneur Lucifel, représentant du peuple céleste, dîtes-nous quel plan prévoient les Anges. »

Lucifel se leva.

« Pour le moment, nous essayons de nouer des alliances avec les gouvernements humains, de la Terre, de Mars et de l’espace, magiques et non-magiques. Les Dæmons sont de retour, comme vous l’avez dit, Eldryan. La dernière fois, nous avons réussi à les repousser de justesse. Aujourd’hui, l’aide des Hommes nous aient nécessaire pour vaincre. »

Un murmure de désapprobation parcourut l’assistance. Ariana eut une impression de déjà-vu, ça lui rappelait la rencontre avec les Anges sur Mars. Un eldar se leva et se tourna vers l’Eldryan, il dit quelques mots en eldar. L’Eldryan lui répondit et l’eldar se tourna de sorte que tous l’entendent.

« Les Hommes sont faibles, dit-il. Même ceux à qui vous avez donné le pouvoir de contrôler la Rivière de Lumière ne peuvent rivaliser avec les pouvoirs terrifiants des Dæmons. La dernière fois, leur présence ont surpris les Dæmons. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci. Des petits cailloux ne peuvent servir à construire un barrage pour canaliser les eaux d’un torrent.

-Vous avez vécu isolés durant douze millénaires, continua Lucifel. Nous aussi. Et moi d’autant plus car je pensais être le dernier de mon peuple. Mais nous avons rencontré les Humains, les descendants de ceux à qui nous avions donné le Don. Je les ai vus de mes yeux se battre. En particulier ceux qui se trouvent en votre présence. Les prendre pour des faibles serait une erreur. La guerre qui ne manquera pas d’éclater prochainement contre les Dæmons et leurs alliés ne pourra se faire sans eux.

-Parlons-en des alliés des Dæmons. Même isolés, nous observons, veillant en pleine lumière. Nous savons que ces alliés sont des humains également.

-Les Humains ne sont pas comme les Eldars ou les Anges, ils ne sont pas tous unis sous une seule bannière. Nous devons faire avec.

-Ce détail nous importe peu, reprit l’Eldryan, obligeant l’eldar à se rasseoir. Nous avons prêté serment de protéger ce monde. Maintenant que les Dæmons sont là, nous devons le tenir. Et déjà, nous allons rendre aux Atlantes ce qu’ils nous ont laissés en garde il y a si longtemps. »

           L’Eldryan fit signe à un garde de s’approcher. Il tenait dans ses mains un objet recouvert d’une étoffe sombre. Le garde posa l’objet devant Lucifel et le découvrit. Il s’agissait d’un Crâne de Cristal. Ainsi, les Anges avaient confié un de leurs treize Crânes aux Eldars.

« Shemhazai a eu une bonne idée en vous confiant un Crâne, dit Lucifel. Il est temps pour nous de les récupérer. Mais nos ennemis en possèdent un nombre indéterminé. Nous ne pourrons compter sur eux pour vaincre les Dæmons.

-Nous en sommes conscients, fit Eldryan. Mais nous avons d’autres avantages.

-Lesquels ?

-Il n’est pas encore temps d’en parler. Mais ce temps viendra inexorablement. Pour le moment, je vous propose de vous reposer de votre voyage. Et comme nous allons nous allier aux Humains, dés demain, nous leur ferons visiter notre cité et notre façon d’être. Notre isolement n’a que trop durer. »

           Les visiteurs furent menés dans une aile du Palais Sylvestre et logé dans des appartements agréables. Après avoir fait sa toilette, Ariana rejoignit ses amis qui discutaient déjà. Anthony lui demanda d’emblée ce qu’elle avait pensé des Eldars.

« Je ne sais pas vraiment, répondit-elle. Certains n’ont pas l’air de croire en nous. Je ne sais pas s’ils ont tort ou non. Mais ils devront faire avec. L’eldar qui a parlé était énervant. Il n’avait pas l’air de vouloir comprendre notre façon d’être.

-Et sur ce qu’a dit l’Eldryan à la fin ?

-Il n’a pas voulu tout dire.

-Oui, les Eldars nous cachent des choses.

-Je vous avais prévenus, dit Lucifel. C’est toujours comme ça avec eux. Montrons-nous patient. Je vais contacter Abbadona pour lui dire que j’ai récupérer le Crâne. Et pour lui dire que les Eldars n’ont pas changé en douze millénaires. »