Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE VII : LES ELDARS
Le manoir Chaldo se trouvait dans le village montagneux de Tal-les-Cimes. Il s’agissait d’un village entièrement sorcier. Quatre siècles plus tôt, cette demeure n’était qu’une grande maison. Mais avec le temps, les Chaldo en firent un véritable manoir. Le parc, entouré de murs et de haies, possédait même un petit bois privé. Vu de l’extérieur, le manoir était sobre mais magnifique. Si quelqu’un se hissait en haut du mur pour regarder, même en y passant des heures, il ne verrait pas âme qui vive passer dans le parc. Et pour cause, la propriété des Chaldo était protégée par plusieurs enchantements empêchant d’être épier ou d’y pénétrer. Ces mesures de sécurité rivalisant avec celles des écoles de magie ou des infrastructures ministérielles furent mises en place par toute une génération de Chaldo en même temps, sous la houlette de Su Chaldo. Seuls les membres de la famille et les invités pouvaient y entrer.
Le manoir était plus que la demeure traditionnelle des Chaldo, c’était aussi là que s’entrainait une bonne partie de la famille, ceux présents en France et en Europe pouvant venir facilement. Les descendants directs n’ayant pas encore d’enfants, le parc était assez calme depuis quelques années.
Cicéron Chaldo profitait de ce calme pour écouter le vent souffler dans les arbres et les oiseaux chanter. Le doyen de la famille Chaldo était assis sur un banc, tenant sa canne entre ses mains. Il entendit la porte du manoir s’ouvrir et des pas crisser sur les graviers de l’allée en s’approchant de lui. Cicéron n’eut même pas à se tourner pour reconnaître la façon de marcher simplement au bruit.
« Bonjour William, fit-il.
-Bonjour papé, fit le jeune homme, désignant l’ancien sous le surnom affectif dont l’affublait ses arrières-petits enfants.
-Tu n’es pas du genre à te déplacer juste pour une visite de courtoisie. Qu’est-ce qui t’amène ?
-J’ai appris que le titre de Corbeau allait revenir à Anthony.
-Ton cousin a été choisi en raison de ses capacités et de ses activités. Le conseil de famille a décidé, il n’y a pas à revenir sur cette décision.
-Je suis plus fort que lui. Bien plus fort. Organise un combat et tu le verras.
-Voilà pourquoi tu ne peux devenir le Corbeau. Tu n’as jamais compris que ce n’était pas une simple question de force ou de capacité en combat. De plus, tu voudrais devenir le Corbeau. Toi qui n’as jamais risqué ta vie pour quelqu’un d’autre, pour un inconnu.
-Je n’ai jamais compris qu’on veuille se battre pour les autres.
-C’est pourtant ce que fait notre famille depuis quatre siècles, soupira Cicéron. Et c’est la raison pour laquelle tu ne pourras jamais devenir le Corbeau. Tant que tu penseras ainsi.
-Anthony n’est même pas un animagus.
-Cela n’a jamais été un critère depuis que le titre existe. Ecoute William. Anthony, Alexandre et toi, vous avez été élevés pour ainsi dire ensemble. Vous vous êtes entrainés et avez ris de concert. Je ne comprends pas comment tu as pu développer un tel sentiment de rivalité. J’entends par là, un sentiment de rivalité négatif, au lieu d’une simple émulation positive.
-Peut-être est-ce en partie ta faute papé.
-Ma faute ? demanda le vieil homme surpris.
-Je suis plus fort que Tony, et je rivalisais même avec Alex, je suis un animagus se transformant en corbeau. Et pourtant, Tony et Alex ont toujours été préférés à moi. Alex a été nommé Corbeau. Et maintenant qu’il est décédé, c’est Tony qui hérite du titre. Je suis toujours passé après lui.
-Alex et Tony ont… avaient quelque chose que tu n’as jamais possédé.
-Quoi donc ?
-Ce n’est pas à moi de te le dire, tu dois le comprendre seul. Maintenant, tu vas cesser de te comporter comme un enfant gâté, dit Cicéron en changeant radicalement de ton, tournant ses yeux encore vifs vers le jeune homme. Tu es un adulte, comporte-toi comme tel un minimum. »
William savait qu’il n’avait rien à craindre du vieil homme qui se tenait assis devant lui. Et pourtant, à cet instant, il se sentait redevenu un petit garçon. Le regard dur du centenaire le foudroyait sur place. Il se sentait paralysé, son esprit même refusait de se mouvoir. Il était le doyen de la famille et se doublait d’avoir porté le titre de Corbeau dans son jeune temps.
William baragouina quelque chose d’inintelligible et tourna les talons. Un oiseau noir vint se poser sur le banc à côté de Cicéron. Il se changea en humain, prenant la forme de Sébastien.
« Tu écoutais, dit Cicéron, ce qui n’était pas une question.
-C’est vraiment dommage, fit Sébastien. William a un tel potentiel.
-Il y a toujours eu des enfants comme lui dans notre famille. Et il y en aura toujours. Il ne faut pas s’en alarmer, d’autres prendront toujours notre relève.
-Je sais. Mais c’est tout de même dommage.
-Tu es allé te balader ?
-J’aime parcourir la région au petit matin. Et j’ai été accompagné, conclut Sébastien en désignant un arbre devant eux. »
Posé sur une branche, un corbeau au pelage de jais semblait les regarder avec intérêt. Il croassa, comme pour saluer le vieil homme qui y répondit d’un léger mouvement de tête.
« Bonjour Bran, fit Cicéron. Cela faisait longtemps. Heureux de te revoir. »
Le corbeau croassa de nouveau et plana pour venir se poser aux côtés des deux Chaldo.
« La nomination officielle d’Anthony n’est pas pour tout de suite, il est en mission, informa Cicéron. Il faudra patienter quelques jours. »
Un jour éclatant se levait sur Valinorya. Les invités des Eldars prirent un délicieux petit déjeuner. Les Eldars étaient essentiellement végétarien, mais l’absence des habituels œufs ou tranches de bacon qu’Ariana et Joshua appréciait tant le matin fut compensée par des mets aux saveurs chatoyantes.
Deux Eldars arrivèrent après leur repas matinal. L’un des deux était un homme de haute stature, il portait une armure sobre de couleur argentée et un sabre se trouvait accroché à sa ceinture. L’autre était une femme dont la beauté se confondait avec la lueur de l’aube. Elle portait une longue robe blanche qui descendait jusqu’à ses pieds, les recouvrant. Les Eldars s’inclinèrent respectueusement en guise de salut.
« Je me nomme Farlandis, se présenta l’homme. Et voici Tirya. Nous sommes chargés de vous servir de guide dans la cité. L’Eldryan s’excuse de ne pouvoir être là.
-Nous vous suivons, acquiesça Lucifel. »
Les Eldars les firent monter dans le même moyen de transport que la veille. Ariana engagea la conversation avec Tirya.
« Quel est votre métier ? demanda-t-elle.
-Mon métier ? questionna Tirya sans comprendre.
-Oui, ce que vous faîtes dans la vie. Je pense bien que vous n’êtes pas guide tout le temps vu que personne ne vient jamais ici.
-La notion de métier n’existe pas vraiment chez les Eldars, renseigna Lucifel qui avait écouté. Il faudrait plutôt parler de rôle.
-Je suis la suivante de l’Eldryan, répondit finalement Tirya.
-La suivante ? fit Ariana.
-Chez les Humains, ce serait l’équivalent d’assistante, aida de nouveau Lucifel.
-Ah, je vois, sourit Ariana en remerciement. Donc votre… rôle consiste à aider l’Eldryan dans ses tâches quotidienne.
-Exactement, confirma Tirya. J’envois les messages et m’occupe de l’intendance.
-Bien. Et votre ami, Farlandis ?
-Il est le chef de la Garde d’Argent. Ce sont des guerriers en charge de la protection de la Chambre du Haut Conseil Eldar. C’est l’un des plus forts guerriers de notre peuple.
-Il a déjà combattu les Seigneurs de l’Oubli ? questionna Ariana.
-Qui ? demanda Tirya sans comprendre.
-Pardon, je veux dire les Dæmons.
-Non, nous vivons isolés depuis la fin de la précédente guerre contre eux. Et contrairement aux Atlantes, nos ancêtres n’ont pas prolongé leur vie. Notre doyen est âgé de seulement cinq cents trente-sept ans.
-Oh ! Quand même. »
Ariana porta son attention sur les paysages qui passaient par la fenêtre. La cité était vraiment magnifique. Elle en fit la remarque à Tirya.
« Nous vivons en harmonie avec la nature depuis toujours, expliqua l’eldar. Mais notre monde fut menacé il y a quelques siècles. La pollution que votre peuple rejetait dans l’air, l’eau et la terre nous faisait du mal. Quelques siècles de plus ainsi, et nous étions condamnés.
-Je vois. J’en suis désolé.
-Vous n’y êtes pour rien. Ce sont vos ancêtres qui sont responsables. Heureusement, ils ont pris conscience assez tôt de leurs erreurs. Mais certains des nôtres conservent une rancœur contre les Humains. Vous avez pu le remarquer hier quand le conseiller Nalyon a parlé.
-Celui qui n’est pas pour notre alliance contre les Dæmons. Je comprends son ressentiment, mais le temps a passé.
-Le temps passe moins vite pour nous. Nalyon et moi avons presque le même âge. Nous sommes nés quand l’Humanité continuait de polluer le monde. Nous avons toujours entendu nos parents maudire les Humains. J’étais comme Nalyon avant. J’ai changé au contact de l’Eldryan.
-Vous le respectez beaucoup, constata Ariana.
-C’est quelqu’un de sage. J’apprends tous les jours à son contact.
-Et Nalyon aussi, ça se voit que vous le respectez aussi.
-C’est un ami de longue date.
-Je comprends ça aussi. Joshua et moi sommes amis depuis le jardin d’enfants. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais cela n’empêche pas que je ne pourrais pas me passer de lui dans ma vie. Il est comme un frère pour moi.
-Un frère, rien d’autre ?
-Que voulez-vous dire par autre ?
-Et bien, si vous vous entendez aussi bien avec lui, peut-être que vos sentiments pour lui vont au-delà de l’amitié fraternel. Peut-être que vous ne vous en rendez pas compte mais qu’il y a autre chose.
-Vous voulez dire, que j’aurais des sentiments amoureux pour Joshua ! rit Ariana. Absolument pas ! C’est juste un ami. Mon meilleur ami, rien de plus.
-Oh, donc lui et vous êtes célibataires.
-Lui non, il a une petite amie.
-Et vous ? »
Le visage d’Alex vint immédiatement s’imposer aux pensés d’Ariana. Elle avait beau se dire qu’il était mort, ses sentiments pour lui étaient toujours aussi vivaces. C’était comme si son cœur ne croyait pas en sa mort, la refusait. Au lieu d’en être déstabilisée, Ariana aimait cette sensation. Sa vie lui semblait moins dure quand elle pensait à Alex comme s’il était encore vivant. Les Seigneurs de l’Oubli et la Secte du Serpent Blanc n’étaient pas des ennemis invincibles. Elle sourit.
« J’ai eu quelqu’un il y a peu, dit-elle. Mais il n’est plus là. Je pense quand même encore à lui.
-Vous n’êtes plus ensemble ? demanda Tirya.
-En fait, nous n’avons jamais vraiment été ensemble. J’avais des sentiments pour lui, et je sais que lui aussi en avait pour moi. Mais il est mort, en combattant nos ennemis.
-Ce devait être un homme bien, un homme d’honneur.
-Un homme d’honneur, oui. Un homme bien, moins sûr, plaisanta Ariana.
-Et vous jeune ange, continua Tirya. Y-a-t-il quelqu’un dans votre vie ? »
Irael rougit presque immédiatement. Cela se sentait qu’elle n’avait pas l’habitude de faire l’étalage de ses sentiments. Elle n’en avait même pas parlé à Ariana en privé.
« Non, répondit Irael en tout honnêteté. Je n’ai personne pour le moment. Mais, quelqu’un occupe mes pensés quelques fois. »
Ariana sourit de plus belle. Elle devinait l’identité du chanceux.
A côté, Anthony et Lucifel discutaient avec Farlandis. La discussion était tout de suite venue à s’intéresser sur les capacités militaires des Eldars. Farlandis décrivit les guerriers Eldars comme de farouches combattants, capables d’agir de manière coordonnée dans le cadre de tactiques complexes et n’abandonnant jamais le combat.
« Vous me les décrivez tel que je me souviens d’eux, dit Lucifel. Mais je demande à voir. Douze millénaires ont passé. Douze millénaires de paix. J’ai remarqué moi-même lors d’une bataille contre les Dæmons que je n’avais plus la même force que par le passé. Et même si la nouvelle génération d’anges comme Irael sont très doués, ils n’ont pas le même niveau que nous avions acquis lors du dernier conflit.
-Je comprends vos doutes seigneur Lucifel, fit Farlandis. Mais nous avons eu à cœur de conserver la même manière de nous entrainer durant tout ce temps.
-C’est peut-être là le problème, intervint Anthony.
-Pourriez-vous exprimer clairement le fond de votre pensé ? interrogea de manière légèrement abrupte Farlandis.
-Vous n’avez plus l’expérience du combat. Vous avez vécu isolé du reste du monde durant douze milles ans. Cela a préservé votre peuple en vous maintenant en dehors des conflits qui ont ébranlé le monde, je le conçois. Mais cela vous a aussi privé de la remise en question de vos méthodes d’entrainement et sur la manière de faire la guerre. Je ne pense pas que les Dæmons seront aussi sûr d’eux. Ils ont passé des mois dans l’ombre à nous observer et à étudier nos connaissances en Magie. Tout cela pour savoir comment nous combattre maintenant. Et avec l’aide de la Secte du Serpent Blanc, qui a déjà démontré la modernité de ses méthodes de combat, ils savent comment nous combattre. Et ils savent comment vous combattre. En particulier si vos méthodes n’ont pas changé. »
Farlandis n’eut pas l’air d’apprécier les allégations de l’agent de la DE. Sa main se crispa comme s’il résistait à l’envie de dégainer son sabre pour prouver à cet humain que les Eldars étaient de vrais combattants. Il se détendit de manière forcée.
« Vous allez pouvoir constater par vous-même que vous avez tort, finit par dire Farlandis. Nous vaincrons les Dæmons.
-Je n’ai pas dit le contraire, reprit Anthony. J’ai dit qu’il y avait sûrement nécessité de moderniser vos méthodes d’entrainement et votre manière de concevoir le combat.
-Nous sommes les Eldars, notre peuple combattait déjà alors que vous chassiez à coups de pierre.
-Il est inutile de se montrer si désobligeant, intervint Lucifel. Anthony est un grand combattant ayant une connaissance et une expérience des méthodes de combat modernes qui peut être utile à votre peuple. Je pense qu’il voulait dire qu’il pourrait vous aider à compléter votre art de la guerre. Il serait sage de l’écouter. »
Cette dernière phrase parut piquer particulièrement Farlandis. Il détourna les yeux pour jeter un regard à l’extérieur.
« Nous arrivons au camp d’entrainement, annonça-t-il. »