Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE IX : DISSENSIONS
Le Haut Conseil Eldar écouta attentivement ce que lui dit Farlandis. Ariana observa attentivement les réactions de Nalyon. Sa formation à la DE lui avait apprise à déchiffrer le langage corporel et les mimiques, aussi intimes soient-elles, de la plupart des gens. Mais les Eldars arboraient un véritable masque quasi-indéchiffrable, demeurant imperturbables. Ariana remarqua tout de même une légère tension chez le jeune conseiller, trahit par de légers tressaillements au coin de son œil. Ariana traduit ces signes par un désaccord avec l’avis du commandant de la Garde d’Argent. Un désaccord qu’il ne manquerait pas de faire part aux autres sitôt qu’il le pourrait.
« En conclusion, j’estime que nos forces ne sont plus en mesure d’assurer efficacement notre défense et encore moins, d’être menées au combat, dit Farlandis à la fin de son exposé. L’agent Chaldo a proposé de faire venir des instructeurs de la DE. Je soutiens cette proposition. Eldarya sanota. »
Farlandis s’assit à la place qui lui était alloué dans le cercle de la Chambre du Haut Conseil. Anthony se pencha vers Lucifel pour lui demander la signification des derniers mots du guerrier eldar.
« Pour notre peuple, traduisit Lucifel. C’est une formule consacrée utilisée chez les Eldars pour les demandes importantes. Maintenant, c’est à ton tour.
-Comment ça ? questionna Tony.
-C’est toi qui as proposé de faire venir des instructeurs. Ils veulent t’entendre.
-T’aurais pu me prévenir.
-Je sais que tu vas t’en sortir. Tu es bien plus capable que moi de dire ce que peuvent apporter les Humains aux Eldars. »
Effectivement, l’Eldryan donna la parole à Tony. Ce dernier se leva et s’inclina respectueusement devant l’assemblée.
« Avant toute chose, je tiens à dire que j’ai été impressionné par les techniques de guerre Eldares, dit Tony. Malgré tout, comme l’a dit le commandant Farlandis, il vous faut moderniser votre manière de combattre. Ce n’est pas par le matériel que je parle, mais sur votre manière de concevoir le combat guerrier, votre manière de vous déplacer. Et comme vous serez peut-être amené à combattre aux côtés d’unités humaines, il faudra apprendre à communiquer d’une même façon pour coordonner des actions de guerre. Pour cela, je propose, au nom de mes supérieurs, de faire venir des instructeurs qualifiés. Ainsi, si une guerre contre les Dæmons devait effectivement éclater, nous serons prêts à faire face ensemble. »
Un soupir amusé perturba l’exposé de Tony. Ariana fusilla du regard l’auteur qui n’était autre que Nalyon. L’Eldryan fit comme s’il n’avait rien remarqué.
« Dans combien de temps pourriez-vous faire venir ces instructeurs ? questionna-t-il.
-Si je contacte mon supérieur aujourd’hui, demain je pense.
-C’est une décision importante, nous ne devons pas la prendre à la légère. Vous faire venir fut déjà exceptionnel, faire venir d’autres humains le serait d’autant plus.
-Je comprends Eldryan. Mais dois-je vous rappeler l’urgence de la situation ? Une guerre est tout à fait à même d’éclater. Je ne vais rien vous apprendre sur les Dæmons, je pense que vous en savez bien plus que moi. Vous savez qu’ils n’en resteront pas à l’observation et à quelques actions isolées. Ils veulent notre monde, notre système planétaire. Vous vous êtes battus contre eux il y a douze milles ans. Et maintenant, l’ennemi revient. C’est la réalité. Et pour l’empêcher de nuire, il nous faut nous préparer dés maintenant. Nous autres humains avons une maxime pour ça. Si vis pacem parabellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre. Nous voulons la paix, et nous aurons aussi la guerre malheureusement. Nous ne trouverons cette paix qu’après ce conflit. »
L’Eldryan inclina légèrement la tête en signe de remerciement. Il autorisa Tony à se rasseoir. Ariana sourit à son ami. Elle avait apprécié sa verve et espérait que son exposé avait fait mouche dans les esprits des membres de la Chambre du Haut Conseil Eldar.
« Espérons que cela suffise à les convaincre, dit Tony.
-Si ça peut te rassurer, moi je suis convaincu, fit Lucifel.
-Je suis l’Eldryan, je dirige la Chambre du Haut Conseil Eldar, psalmodia l’Eldryan. Mais je ne suis qu’une voix parmi vous. Je m’exprime en soutenant la proposition de l’agent Chaldo. Et maintenant, je vous écoute. »
Un silence s’installa. Lucifel se pencha vers Ariana et Tony.
« Quand l’Eldryan dit qu’il n’est qu’une voix parmi les autres, ça veut dire qu’il demande l’approbation de la majorité.
-Comme dans toute démocratie, dit Ariana. Ce n’est pas si exceptionnel.
-Il faut bien comprendre que dans ce genre de cas, l’Eldryan est le premier à s’exprimer, comme il vient de le faire. En théorie, les autres membres peuvent le contredire. Mais dans la pratique, l’Eldryan est tellement respecté que généralement, personne ne va à son encontre. Ça n’a rien à voir avec l’Atlantide où tout était régi par Jéhovah, mais disons que la déférence des membres de la Chambre envers l’Eldryan fait que c’est plus ou moins la même chose.
-Je vois. Une démocratie, mais où on respecte tellement le dirigeant que personne n’ose dire le contraire. Et donc, ils vont parler ?
-Peut-être. Mais juste pour appuyer l’Eldryan. Je ne pense pas qu’on entendra de voix discordante. »
Quelqu’un se leva pour prendre la parole. Il s’agissait du jeune Nalyon. Ariana se demandait si, comme venait de l’expliquer Lucifel, il allait se ranger à l’avis de l’Eldryan. Lui qui avait déjà exprimé son désaccord avec la présence des Humains sur leurs terres.
« L’Eldryan a parlé avec la voix de la sagesse, dit-il. Mais cette sagesse est embrumée par une peur irrationnelle. J’ai étudié les récits des temps de la guerre contre les Dæmons. J’ai réfléchi sur les tactiques mis en place avant et après le départ des Atlantes. Ma conclusion est que jamais les Humains ne furent utiles dans cette guerre. Tout au plus, ils permirent de conforter des batailles déjà gagnées. Mais ils ne furent jamais déterminants. Et aujourd’hui, alors que l’Histoire se répète, cet état de fait se répète également. Les Humains nous sont inutiles. Je pense que le commandant Farlandis, s’il daignait étudier le passé comme je l’ai fait, en arriverait aux mêmes conclusions. Donc, je vous le dis, comme une voix parmi vous, je suis contre toute alliance avec les Humains. De même, je trouve ridicule l’idée de devoir apprendre comment faire la guerre par un peuple que nous avons connu lançant des pierres sur les animaux pour s’en nourrir. Nous vaincrons sans eux. »
Nalyon se rassit. Ariana avait envie de lui rabattre son caquet, mais cela serait inutile. A ses côtés, Tony ne démontrait aucune émotion. Il demeurait imperturbable. L’Eldryan fit le tour de la pièce du regard. Personne d’autre ne parut vouloir s’exprimer. Certains regardaient Nalyon avec désapprobation, outrés qu’il ait osé s’exprimer à l’encontre de l’Eldryan. Ce dernier annonça une levée de séance d’une demi-heure pour permettre à chacun de réfléchir posément. Le vote aurait lieu ensuite.
Les visiteurs suivirent Tirya en direction d’un jardin proche. Mais ils s’arrêtèrent dans un couloir, attirés par les échos d’une discussion mouvementée. Dans un coin, Farlandis s’entretenait avec Nalyon.
« Pour qui tu te prends ? lança Farlandis. Tu ne connais rien dans l’art de la guerre. Et tu oses dire que je n’ai jamais étudié l’ancienne guerre démoniaque ? J’ai passé plus de temps que toi sur ce sujet.
-Visiblement, tu as tout compris de travers, fit Nalyon. Nous n’avons pas besoin des Humains.
-Tu es comme ton père, aveuglé par une haine et un ressentiment qui n’a pas lieu d’être. Pourras-tu un jour penser par toi-même au lieu de vivre dans son ombre ?
-Mon père a toujours eu raison.
-Ton père voulait qu’on déclare la guerre aux Humains. Il voulait qu’on se parjure. Le serment de notre peuple prévaut sur tout. Notre devoir est de protéger cette planète.
-Ce serment a été fait à une autre époque. Seul notre peuple doit compter. Les Humains, les Atlantes, les Vampires, qui étaient nos ennemis, et les autres peuples magiques, ils sont sans importance.
-Comment peut-elle… ? Tu me dégoutes. Heureusement, ta voix n’est qu’une parmi les autres. Les autres ne te suivront pas.
-Certains me suivront. Peut-être pas dans la Chambre, mais d’autres refuseront de s’allier à ceux qui ont failli nous détruire.
-Je ne laisserai pas la sédition s’installer. Je te le jure. »
Farlandis tourna les talons, laissant Nalyon seul. Ce dernier se tourna vers le groupe d’humains.
« Votre peuple disparaîtra, dit-il.
-Peut-être, acquiesça Anthony. Mais pas sans combattre. Et nous avons l’aide de nos alliés. Bientôt un allié de plus d’ailleurs.
-Ariana Potter. Araya…
-Nalyon ! interrompit Tirya. Eldryan wo sanao.
-Tu as raison Tirya. Même si je n’y crois pas, respectons sa volonté. »
Nalyon s’éloigna. Ariana remarqua que Tirya tremblait légèrement. L’eldar se tourna vers la délégation en leur demandant de la suivre. Elle parut imperturbable mais Ariana y décelait juste une volonté de reprendre pied.
Dans le jardin, Anthony et Lucifel s’écartèrent des autres discrètement. Anthony demanda à l’ange de lui dire ce que Nalyon et Farlandis s’étaient dit.
« Ce Nalyon risque de nous poser problème, fit Tony après le récit. Une sédition au sein du peuple Eldar alors que la guerre menace n’arrangera pas nos affaires.
-L’Eldryan ne laissera pas faire, assura Lucifel. Et puis, même si une partie de la population se soulève contre la Chambre, ce ne sera qu’un faible pourcentage qui ne modifiera en rien la puissance guerrière apportée par les Eldars.
-Et concernant ce que Tirya lui a dit après.
-Elle lui a dit : « L’Eldryan ne veut pas ». Je pense que Nalyon a failli dire une chose importante. Un secret que gardent encore les Eldars. Le mot qu’a dit Nalyon au moment où Tirya l’a interrompu, araya, ça signifie lumière. Je me demande ce qu’il voulait dire par là.
-Si c’est l’Eldryan qui a demandé que ça reste secret, inutile de demander la signification à un membre de la Chambre, ou même à Tirya. Soyons patient, peut-être attend-il que nous soyons pleinement des alliés ?
-Tu commences à les comprendre à ce que je vois. »
Plus loin dans le jardin, Ariana et Irael s’entretenaient avec Tirya. Ariana décida de vérifier quelque chose :
« Nalyon et vous, il y a quelque chose ?
-Que voulez-vous dire ? se défendit Tirya. Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-Je suis formée en espionnage et contre-espionnage. Je peux même dire que j’ai été formé par le meilleur et qu’il m’a appris à observer les détails, même les plus minimes. Je peux vous dire que ça fait bizarre parfois. Surtout quand je descends à la boulangerie acheté du pain et que je remarque que la vendeuse de vingt ans fait de l’œil à sa patronne ayant pourtant le double de son âge, sourit Ariana. Donc, j’ai remarqué comment vous regarder Nalyon.
-Nous avons été ensemble il y a longtemps, avoua Tirya. Avec Farlandis, tous les trois, nous sommes amis depuis l’enfance. Nous étions inséparables. Quand Nalyon est devenu membre de la Chambre du Haut Conseil, j’étais si fière de lui. Je l’aimais. Nous avions même prévu de nous unir. Mais il a changé. Il s’est mis à suivre la même voie que son père, appelant à la haine et à la guerre contre les Humains. Son père a perdu sa compagne à cause des Humains.
-Comment ?
-Maladie due à la pollution. Nous sommes plus sensibles que vous à ce qui touche à la nature. La mère de Nalyon était de constitution fragile et elle est morte. Nous voyons bien que les choses ont changé depuis, que les Humains font des efforts pour la nature. Mais le père de Nalyon ne l’a jamais entendu de cette oreille. Il est au ban de notre société pour avoir appelé aux armes. J’ai espéré un moment que Nalyon ne suivrait pas ses pas. Je me suis trompée. Et c’est à cause de ça qu’on s’est séparé. Je ne pouvais pas le soutenir sur ce chemin. Il devrait comprendre qu’en agissant de la sorte, il risque d’être exclu de la Chambre du Haut Conseil et de rejoindre son père au ban de la société, sans personne pour l’écouter. Car malgré tout, il a de bonnes idées, il pense à notre peuple.
-Vous aimeriez qu’il redevienne celui dont vous étiez amoureuse, sourit Ariana. Je ne sais pas si ça arrivera un jour. Mais je vous le souhaite.
-Merci. »
Un garde arriva et invita tout le monde à revenir dans la Chambre du Haut Conseil. L’Eldryan se leva. Il demanda aux conseillers si quelqu’un avait quelque chose à ajouter concernant le sujet abordé. Comme tout le monde se tut, y compris Nalyon, ils passèrent au vote. La motion fut acceptée. Anthony se rendit à l’ATEF pour envoyer un message pour la Suisse.
Nalyon ne fut visiblement pas surpris du résultat. Ariana décela dans son regard qu’il n’avait pas dit son dernier mot.
Le Patron se rendait rarement à la CIMS. Généralement, c’était le parlementaire chargé de faire le lien entre la DE et la Comission Sécuritaire de la CIMS qui venait quand il le fallait en Suisse. L’éminent sorcier vietnamien Tran Van-Loc s’occupait de cette charge. C’était un sorcier âgé, arborant une barbichette grise et s’appuyant sur une canne. Il était réputé pour sa discrétion, ne parlant que très peu mais toujours quand il le fallait.
Van-Loc et Hector Guillou se rendirent dans les appartements alloués aux représentants des Anges. Ce fut Jariel qui ouvrit la porte et les invita à entrer. Abbadona les invita à s’asseoir.
« Les Eldars demandent qu’on leur envoie des instructeurs pour parfaire leurs techniques de guerre, annonça le Patron.
-C’est sage de leur part, dit Abbadona. Nos guerriers font de même sur Mars en s’entrainant avec les forces armées de l’UNIM. Au moins, ils ne se sont pas refermés sur leur passé. Je ne pense pas que cela justifiait votre venue. Y’a-t-il autre chose ?
-Araya.
-Cela signifie « lumière » en eldar.
-Cela ne vous évoque rien ?
-Non. Pourquoi ? questionna Abbadona.
-Ce mot est sorti de la bouche d’un eldar, membre de la Chambre du Haut Conseil, alors qu’il s’adressait à l’agent Potter. Il n’a pas pu aller au bout de sa phrase.
-Les Eldars ont toujours été très secret. J’ignore ce qu’ils entendent par « araya », mais faîtes confiance à vos agents et à Lucifel pour le découvrir.
-Nous allons vous laisser, dit finalement Van-Loc. »
Les deux Humains sortirent. Hermoni s’approcha.
« Les Eldars, toujours la même chose avec eux, fit-il.
-Oui, mais c’est vrai que cette histoire d’araya est troublante, dit Abbadona. Qu’ont-ils donc vu ?
-Tu crois que c’est ça ?
-Quoi d’autre ? Il nous faut plus d’info là-dessus. Je vais contacter Lucifel. Il va falloir qu’il demande des explications. »