Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE IV : EDWARD KARSEN
La navette Falcon approchait de la Lune. Par chance, ils n’avaient pas croisé de patrouille jusque là. Karsen était visiblement confiant pour agir en suivant son plan A. Malgré tout, il demeurait prudent. Anthony avait pris place sur le siège de copilote.
« On a de la chance je crois, dit Karsen.
-Je n’en suis pas si sûr, fit Anthony en montrant du doigt deux chasseurs américains qui s’approchaient.
-Ils sont encore loin, ils n’ont pas dû nous repérer. Bravo, tu as l’œil.
-Qu’est-ce qu’on peut faire ? questionna Ariana depuis la cabine.
-On va les laisser passer en espérant qu’ils ne nous voient pas, informa Karsten. On va se planquer à la surface. »
Aussitôt, Karsten fit piquer du nez à son engin en direction de la surface lunaire. Ariana vit approcher le sol gris bien trop vite à son gout. Quelque chose de sombre vint emplir son champ de vision, la navette fondait vers une crevasse à peine assez grande pour la contenir, voir moins. Ariana se crispa quand la navette entra dans la crevasse. Un horrible bruit de métal grinçant se fit entendre alors qu’elle s’immobilisait. D’un geste sur le tableau de bord, Karsen éteignit les propulseurs et les lumières de la cabine et du cockpit.
« On ne devrait pas avoir à attendre longtemps, dit Karsen. Sauf s’ils nous ont aperçu. Là, ça risque de devenir hard.
-Le radar de ce genre de navette ne permet pas de détecter ce type de chasseur militaire, dit Tony.
-En temps normal, non. Mais j’ai remplacé le radar conventionnel par un modèle qu’une vieille connaissance m’a vendu.
-Et bien, cette navette est pleine de surprises illégales ! s’exclama Ekaterina. Qu’y-a-t-il d’autre ? De l’armement ?
-J’ai des faisceaux XP10 et des missiles FireThunder 5, renseigna Karsen. Ainsi que des contre-mesures de classe 2.
-Mais comment avez-vous obtenu tout ça ?
-Quand vous serez aussi vieux que moi dans le métier, je crois qu’on pourra en parler.
-Mais…
-Kat, coupa Anthony. On n’est pas là pour ça. Et franchement, je ne suis pas mécontent. Et pour la furtivité ?
-Pas pu faire grand-chose pour ça. Juste un film de dissimulation. Impossible de se procurer mieux. Mais ainsi caché dans une faille, on devrait s’en sortir sans que leurs radars ne nous repèrent. Quoique… ajouta Karsen en regardant son moniteur radar. Ils tournent juste au dessus de nous. Je crois qu’ils nous ont aperçu faire la manœuvre et nous cherchent. Ils ne peuvent pas nous voir, à moins de sonder la faille avec leurs phares. Et je ne pense pas qu’ils soient assez bêtes pour passer à côté. Je crois qu’on va être pris.
-Il faut nous rendre invisible, dit Tony.
-Je n’ai pas un système de furtivité aussi performant.
-Alors, il faut le faire nous-mêmes. »
Anthony vint dans la cabine. Il fit signe à Ariana et Nayu d’approcher.
« Bon, écoutez attentivement, dit-il. On va désillusionner la navette entière. Mais pour quelque chose d’aussi grand, il va me falloir votre concours à toutes les deux. Nayu, ta magie est différente de la notre, tu vas nous fournir de l’énergie. Ariana, ne formule pas. Laisse la formule du désillusionnement emplir tout ton esprit et couler en toi. Tu ne dois penser qu’à ça. Je m’occupe du reste.
-Je ne comprends pas ce que tu veux faire ? fit Ariana.
-Pas le temps de t’expliquer. Fais juste ce que je te dis. Nayu, t’es prête.
-Oui, répondit la japonaise, tenant déjà un shiki[1] entre ses doigts.
-A mon signal. Ariana, prends ta baguette. Joins-la à la mienne. »
Tenant chacun leurs baguettes dans leurs mains droites, les deux coéquipiers joignirent leurs artefacts.
« Je m’occupe de tout, assura Tony une dernière fois. Nayu. »
La japonaise se mit à psalmodier en une langue qu’Ariana ne comprenait pas. Les idéogrammes inscrits sur son shiki se mirent à briller d’une lueur verte qui engloba ses deux collègues. Ariana ferma les yeux pour se concentrer sur la formule du sortilège de désillusionnement. En face d’elle, Tony faisait de même. De leurs baguettes jointes, un flux vaporeux argenté s’échappa et vint s’infiltrer dans le métal de la cabine. La vapeur s’étendit à toute la navette, rendant ses contours flous et la faisant disparaître.
Ariana s’efforça de garder toutes ses pensés vers le sortilège. Elle n’avait jamais fait ça avant et ignorait même que ce soit possible. Mais comme l’avait dit Tony, ses questions attendraient.
« Tu sais ce qu’elle ressent pour toi ? »
C’était la voix de Tony. Ariana la reconnut immédiatement. Elle semblait lointaine dans sa tête. Mais ce fut la voix qui lui répondit qui fit frémir Ariana et faillit lui faire perdre sa concentration.
« Ce qu’elle ressent peut la mettre en danger. Il vaut mieux qu’elle rencontre quelqu’un d’autre. »
Alex, ça ne pouvait être que lui. Même si le timbre de leurs voix était similaire, le ton était bien différent. Ça ne pouvait être que lui.
« Et tu sais ce que toi tu ressens pour elle, reprit Tony.
-Ce que je ressens n’a pas d’importance, répondit Alex. Ça ne peut que lui faire du mal.
-Elle n’est pas Jane.
-Justement. Je ne compte pas répéter mes erreurs passées. »
Les voix s’éloignèrent pour laisser place à d’autres. Alex ne semblait pas présent cette fois. Mais une autre voix familière se fit entendre au loin.
« Qu’est-ce qui te fait croire ça ? demandait Julia.
-Je ne saurais l’expliquer, répondait Tony. Une impression.
-Ne serais-ce pas plutôt le fait que tu ne voulais pas devenir le Corbeau qui te fasse suggérer une chose pareille ?
-Peut-être. D’ailleurs, avant ce soir, je n’avais pas ce doute. Mais quand Bran s’est posé sur mon épaule, comme il le fait avec tous les Corbeaux depuis quatre siècles, j’ai senti que lui-même n’y croyait pas. Et puis, l’Eldyr a dit certaines choses. Ce n’est pas une certitude mais je pense qu’Alex… »
La voix de Tony se perdit dans un brouillard de nuisances.
« Ariana, tu peux rouvrir les yeux, lui dit Tony en rompant le contact. Assieds-toi et ne bouge pas. »
Ariana ne comprit pas pourquoi Tony lui disait de ne pas bouger. Mais lorsqu’elle voulut se redresser, elle fut prit d’un vertige et vacilla. Elle fut rattrapée par Ekaterina qui l’aida à s’installer sur un siège. Non-loin, Zoé faisait de même avec Nayu en souriant tendrement.
Tony parvint à se relever et rejoignit Karsen dans le cockpit. Ariana se demanda un instant pourquoi il n’était pas affecté comme elle avant de se souvenir que son corps était en parti artificiel. Elle ne vit pas qu’il souffla de fatigue en se posant à côté de Karsen.
« Joli coup, fit le pilote. Les chasseurs n’ont rien vu. On peut bouger sans risque. Cramponnez-vous. »
La navette se mit à trembler et la roche grinça contre le fuselage. Karsen extirpa son engin de la crevasse et reprit un peu d’altitude pour reprendre le vol. Le spatioport était modeste mais cela correspondait parfaitement à la discrétion que recherchaient les agents de la DE. Aussitôt le dôme de confinement fermé et une pression atmosphérique établie à l’extérieur de la navette, Karsen ouvrit la passerelle d’accès et descendit de son aéronef suivi par ses passagers. Karsen se dirigea immédiatement vers un des hommes qui entraient dans le dôme. Ils devisèrent amicalement mais sérieusement.
Quand Karsen revint vers les agents de la DE, un sourire satisfait derrière ses lunettes rondes.
« La garde a été augmentée autour du terminal où est docké le vaisseau martien qui vous attend, dit-il. Ce ne sera pas un problème. L’ami qui tient ce spatioport me doit tellement de services qu’il va vous filer un coup de main. Vous allez passer par un accès de service que même la sécurité oublie de garder. S’il y a des gardes devant, ils ne devraient pas être nombreux. Je pense qu’un Corbeau n’aura aucun mal à les neutraliser. Moi, je vous laisse ici. Et je vous souhaite bonne chance.
-Merci pour tout Karsen, fit Tony au nom de l’équipe. A une prochaine fois. Je pourrais vous montrer que je ne suis pas mauvais pilote moi non plus.
-Et moi, j’aimerai bien savoir ce que vous cachez d’autres, fit Ekaterina. Mais bon, j’ai trop de travail pour m’occuper d’un cas mineur comme le votre. »
Karsen adressa un sourire amusé en réponse à celui taquin d’Ekaterina.
Les agents suivirent l’ami de Karsen qui les mena en véhicule jusqu’au terminal où se trouvait le vaisseau de Marineris. Ariana et Nayu étaient encore chancelantes mais parvenaient à marcher. L’accès se trouvait être un ancien tunnel de maintenance que les techniciens utilisaient encore pour rejoindre certaines zones de travail alors que les câbles et tuyauteries qui parcouraient cette voie étaient tous désaffectés.
Comme l’avait suggéré Karsen, la porte donnant sur le dôme de confinement où se trouvait le vaisseau était gardée. Seul deux gardes en interdisaient l’accès. L’ami de Karsen, ne pouvant rien faire de plus pour eux, prit congé.
« Tu veux que je m’en occupe ? demanda Ekaterina.
-Non, je ne veux pas qu’il y ait de blessés, ce sera plus sûr si je les stupéfixe, dit Tony. J’en ai pour trente secondes. »
Anthony prépara sa baguette. Même après l’effort pour rendre la navette invisible, il savait qu’il lui restait assez d’énergie pour stupéfixer les deux gardes durant quelques minutes. Bien plus qu’il ne leur en fallait. Tout d’un coup, il surgit de l’angle derrière lequel il se dissimulait et tira deux éclairs rouges dans un laps de temps très court. Les deux gardes n’eurent pas le temps de réagir et s’effondrèrent sans connaissance. Tony fit signe aux autres de venir. D’un coup de baguette, il déverrouilla la porte et surgit dans le dôme de confinement.
Au centre du dôme se trouvait un vaisseau de classe militaire arborant les armes de Marineris. Plusieurs techniciens du spatioport furent surpris de les voir arriver par une porte connue d’eux seuls et faillirent appeler la sécurité. Ils se ravisèrent quand des membres d’équipage du vaisseau martien vinrent à leur rencontre.
« Agent Chaldo ? demanda un des militaires appartenant à l’unité de sécurité de bord.
-C’est moi, confirma Tony. Et voici l’agent Pardopoulos qui me seconde.
-Nous craignions que vous n’arriviez pas avec les mesures de sécurité.
-Nous sommes là lieutenant. Nous allons pouvoir partir.
-Suivez-moi. Il ne faut plus tarder.
-De nouvelles infos ? questionna Ekaterina.
-Le commandant souhaite vous voir, je pense qu’il vous donnera de meilleures informations que moi, se défaussa l’officier. »
Le petit groupe monta à bord. Anthony et Ekaterina se rendirent sur la passerelle pour y voir le commandant. Ce dernier était un homme noir assez râblé. Il se tourna vers les deux agents en se levant pour les accueillir.
« Bienvenu à bord du James MacDean[2], dit-il. Je ne vous espérais plus.
-Nous avons eu quelques soucis mais nous sommes là commandant, fit Tony. Avez-vous des nouvelles ?
-L’évacuation de Saturne II est finie et celle de Saturne I et IV se finalise. Pour le moment, aucun nouveau combat n’a éclaté avec l’ennemi.
-Nous aurons peut-être d’autres infos en contactant notre quartier général. Je vais tout de suite les appeler, aussi pour rendre-compte que nous décollons de la Lune.
-Mon officier des communications est à votre disposition.
-Merci, mais je préfère faire appel à l’un de mes analystes. Nous aurions juste besoin d’un terminal.
-Bien sûr, accepta le commandant. Lieutenant Ericsson, fournissez-leur ce qu’ils demandent. »
Le commandant regarda les deux espions s’éloigner avec méfiance. Comme beaucoup de militaires, il n’aimait pas les manières des espions. Des gens qui cachaient tellement de secrets qu’ils se croyaient au-dessus des autres.
Anthony fit venir Fred et demanda au lieutenant de les laisser. A contrecœur, ce dernier partit. Fred se mit immédiatement au travail. Il commença par isoler le terminal du reste du système informatique du vaisseau et sécurisa une ligne de communication en direction de la Terre. Le décalage ne serait que d’une seconde, l’appel pouvait donc se faire en direct. Anthony jeta discrètement un champ d’isolement autour d’eux et l’hologramme du Patron apparut.
« Vous y êtes arrivés, dit-il sans que ça soit une question.
-L’aide de votre ami a été salutaire, assura Tony. Nous allons décoller d’ici quelques minutes. Quelles sont les nouvelles ?
-Les Dæmons avancent lentement en direction de Mars. Ils ne semblent pas vouloir dévier vers d’autres stations mais il y en a encore plusieurs sur leur chemin. Une autre station a été détruite ainsi que la flottille qui l’entourait.
-Le commandant ne nous l’a pas dit.
-Il l’ignore peut-être. Il s’agit d’une station minière appartenant à une société européenne. Pas une grosse structure mais cela ajoute près de cinq milles victimes de plus au compteur. L’ONS n’a pas encore réagit mais après la prise de bec que j’ai eu avec Ferson, je pense qu’ils vont mettre ça sur le dos des CFI.
-Ils ne vont tout de même pas déclarer la guerre aux CFI ? s’écria Ekaterina. Il y a déjà un ennemi à combattre.
-Je vais essayer de savoir ce que mijote Ferson et le contrer. Mais ses dernières paroles… Je crois que… Peu importe, occupez-vous de votre mission. Je me charge personnellement de Ferson.
-Bien Patron. Nous vous tiendrons au courant. »
La communication fut coupée. Fred s’assura qu’aucune trace ne subsistait dans le terminal. Anthony et Ekaterina échangèrent un regard entendu. Tout deux avaient la même pensé : si le Patron s’occupait personnellement de Ferson, alors l’affaire était grave au sein de l’ONS.
[1] Talisman de papier utilisé dans la magie japonaise.
[2] Du nom d’un des héros de l’indépendance de la colonie de Nouvelle-Australie devenue l’état de Marineris par la suite.