Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE V : DOUTES
Le vaisseau militaire de Marineris annonça à la tour de contrôle leur départ pour Mars et demanda l’ouverture du dôme de confinement. Leur destination était en réalité le territoire spatial des Colonies Flottantes de Jupiter, mais autant faire croire encore un peu aux autorités terriennes qu’elles avaient réussi à clouer sur Terre les agents de la DE. Le vaisseau entama son accélération et se stabilisa quelques heures plus tard à sa vitesse de voyage (soit environ 1600 km/s). Il faudrait environ cinq jours pour atteindre la périphérie de Jupiter, située en cette période à environ sept cents millions de kilomètres de la Terre. Beaucoup de choses pouvaient se passer en cinq jours. Les agents de la DE espéraient surtout que l’avancée des Dæmons ne serait pas aussi rapide. Ils avaient la même distance qu’eux à parcourir entre Saturne et Jupiter.
Une fois tous les détails réglés avec le commandant, Anthony et Ekaterina rejoignirent leurs coéquipiers. Ils étaient logés dans des cabines pour deux personnes. Anthony allait partager avec Fred, tandis que Nayu et Zoé s’étaient déjà installées dans la seconde. Quand Ekaterina entra pour informer son équipe de la situation, Nayu, éreintée par son effort dans la navette, dormait déjà. Zoé sortit pour ne pas la réveiller et écouter sa chef.
Fred s’était approché d’Anthony.
« Tu devrais aller voir Ariana, dit-il. Elle me semble bizarre depuis qu’on a aluni. Je vais aller écouter Kat et lui demander d’attendre que tu sortes pour aller se coucher. »
Anthony acquiesça et se rendit à la cabine qu’allaient occuper Ariana et Ekaterina. Il frappa à la porte. La voix d’Ariana l’invita à entrer. Elle était assise sur son lit et semblait perdue dans ses pensés. Elle ne remarqua Anthony que quand ce dernier s’assit sur l’autre couchette. Le jeune homme lui sourit amicalement.
« Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.
-J’aurais des questions à te poser, sur ce qu’on a fait dans la navette pour la désillusionner, finit-elle par dire.
-Tu veux que je t’explique ce qu’on a fait.
-Je n’avais jamais rien vu ou fait de tel. Je ne savais même pas que c’était possible.
-C’est quelque chose qui n’est pas enseigné dans les écoles de sorcellerie telles que Hogwart ou Beauxbâtons. Très peu de sorciers connaissent cette technique. On appelle ça la magie conjointe. En temps normal, il faut que les deux sorciers se connaissent à fond et aient confiance l’un en l’autre. J’ai pris le risque de le faire avec toi comme ça, sans avoir essayé à l’entrainement, car nous étions en situation d’urgence et que j’ai confiance en toi. Je savais que tu réussirais. Le principe, je pense que tu l’as compris, est de joindre nos flux magiques en un seul pour augmenter la puissance de l’acte magique. Dit comme ça, ça peut paraître simple, mais tu dois savoir que les deux partenaires ne doivent faire qu’un, être en harmonie, jusqu’aux pensés.
-Je croyais à une technique « à la Chaldo ».
-Nous nous transmettons cette technique. Mais comme je l’ai dit, nous ne sommes pas les seuls à la connaître. Et nous-mêmes l’avons apprise par d’autres il y a longtemps. Par contre, ajouter une sorcière ayant une magie d’une nature différente dans le but d’augmenter encore l’apport en énergie, je dois avouer que c’est inédit, sourit Anthony non sans fierté. »
Ariana resta silencieuse quelques secondes. Elle ne savait pas comment aborder le sujet des pensées qu’elle avait perçues durant cet acte de magie.
« Est-ce que… commença-t-elle. Est-il déjà arrivé que…
-Qu’as-tu vu ? l’aida Anthony.
-Tu sais que j’ai vu quelque chose ?
-Pour une novice dans ce genre de techniques, ce n’est pas étonnant. Je n’ai pas eu le temps de te dire de te fermer aux pensées extérieures.
-Je n’ai pas vraiment vu. Plutôt entendu. Je t’ai entendu d’abord parler avec Alex. Vous parliez de moi. Tu étais au courant de ses sentiments pour moi, avoua-t-elle.
-J’avais deviné. Comme j’avais deviné tes sentiments pour lui. Même si toi-même ne semblais pas en avoir conscience.
-Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
-Tu sais pourquoi. Ce n’était pas à moi de le faire. C’était entre vous deux.
-Oui, je comprends, acquiesça-t-elle. Ensuite, je crois que j’ai changé de souvenir. Ce devait être après notre retour de Valinorya. Tu parlais avec Julia. Tu parlais d’Alex et d’une impression que tu avais. Mais je n’ai pas entendu laquelle. »
Ce fut au tour d’Anthony de rester silencieux. Il se souvenait de cette discussion avec sa sœur. C’était le soir de la cérémonie qui avait officiellement fait de lui le Corbeau, après avoir reçu l’épée. Certains doutes l’avaient alors assailli. Il ne savait pas s’il devait en faire part à Ariana. Malgré toute la force morale dont pouvait faire preuve la jeune femme, Tony n’oubliait pas qu’elle avait failli craquer au début de la mission au Mexique[1]. Et le fait que l’esprit d’Ariana ait cherché inconsciemment des souvenirs concernant Alex dans sa mémoire durant l’acte de magie conjointe démontrait qu’elle était toujours marquée par sa disparition. Tony ne l’en blâmait pas. La mort d’Alex était encore récente et la situation sentimentale entre eux n’avait été éclaircie que par l’imminence de la mort du Corbeau. Tony imaginait aisément qu’Ariana devait souvent penser à ce qui se serait passé si Alex avait survécu. D’un autre côté, s’il ne lui disait rien, elle extrapolerait des théories sur ce qu’il avait dit à Julia ce soir là. Sa concentration s’en trouverait affaiblie. Il pouvait toujours lui mentir. Mais il savait que baser une relation entre coéquipiers sur un mensonge ne donnait jamais rien de bon.
Anthony soupira. Il devait faire un choix rapidement. Ariana était visiblement épuisée par l’effort fourni dans la navette. Elle devait dormir.
« J’ai dit à Julia que j’avais des doutes, sans avoir aucune preuve sur laquelle m’appuyer, sur la mort d’Alex, avoua-t-il. »
Ariana resta silencieuse. Sa bouche s’ouvrit mais aucun son n’en sortit. Ses yeux s’arrondirent de stupeur.
« Tu penses qu’Alex est vivant ? parvint-elle finalement à demander.
-Ce n’est qu’une intuition. Peut-être est-elle suggérée par le fait que malgré tout je n’accepte pas entièrement sa mort. Je suis bien conscient, en réfléchissant de manière cartésienne, qu’il ne peut avoir survécu. Alex était fort, mais pas au point de survivre à une telle explosion. C’est impossible.
-D’où te vient ce doute alors ? Dans ce que j’ai entendu, tu parles de Bran. C’est ce corbeau qui est dans votre famille depuis quatre siècles ?
-Entre lui et nous, il y a toujours eu une connexion. C’est difficile à expliquer. Mais cette connexion est normalement plus forte avec le porteur du titre de Corbeau. Enfin, c’est ce que nous avait dit notre père quand nous étions gamins. Je n’ai rien ressenti de plus dans ma relation avec Bran quand il s’est posé sur mon épaule ce soir là. Après, je n’étais peut-être tout simplement pas assez ouvert pour ça. »
Ariana ne dit rien. Son esprit restait bloqué sur le doute concernant la mort d’Alex. Anthony devina ses pensés et préféra y mettre fin.
« Ne te focalise pas sur une éventuelle survie d’Alex. Ce n’était qu’une hypothèse basée sur rien. Il est mort. Tu le sais aussi bien que moi. Pour le moment, nous avons une mission à remplir et une guerre à gagner. Une fois que la paix sera rétablie et les mondes en sécurité, tu pourras prendre le temps que tu veux pour penser à lui, pleurer, douter. Mais pas pour le moment. Maintenant, repose-toi. La journée a été fatigante. »
Anthony sortit de la cabine. Ekaterina y entra en lui adressant un sourire amical pour lui souhaiter bonne nuit.
Les contacts étaient la clé qui ouvrait de nombreuses portes lorsqu’on atteignait un certain niveau dans l’espionnage. Surtout lorsqu’on décidait de ne pas infiltrer un lieu en se glissant discrètement mais en recueillant des informations par des manipulations ou des indicateurs. C’est ainsi que Hector Guillou devait agir au sujet d’Adam Ferson. Après plus de quarante ans de pratique de l’espionnage, d’abord au sein du SRE[2], puis des services secrets de l’ONS, il s’était tissé un véritable réseau de relations dans le système solaire entier. Ceux qu’il côtoyait avant sur le terrain étaient devenus comme lui responsables de département voir directeurs de service d’espionnage. Même ceux qui avaient cessé de travailler pour les gouvernements et étaient maintenant freelance dans divers domaines de sécurité haut de gamme pouvaient l’aider, ayant eux-mêmes souvent conservé leurs « vieilles habitudes ».
Le premier contact que le Patron décida d’appeler fut le directeur de la CIA, Mickael Stone, pour confirmer que l’ordre interdisant toute sortie de l’atmosphère terrestre venait bien de l’ONS. La demande avait été faite directement au Pentagone mais, dans ce genre de cas exceptionnel, la CIA en était informée. Stone put même tracer l’appel et donna le numéro de poste d’où il provenait. Un simple coup d’œil sur l’annuaire de service de l’ONS permit de voir que le responsable était bien d’Adam Ferson. Le Patron remercia Stone et appela quelqu’un d’autre.
Serey Ho était la responsable de la sécurité au sein des locaux de l’ONS. C’était une femme d’une cinquantaine d’années, d’origine cambodgienne, assez petite et menue. Son physique faisait que les gens la prenaient souvent de haut lorsqu’ils avaient affaire à elle pour la première fois. Ils tombaient de haut quand ils se rendaient compte du roc en face duquel ils se trouvaient. Serey Ho ne s’était pas hissée à la tête de la sécurité de l’ONS en souriant. C’était une femme sachant se montrer intraitable et inflexible. Sa mission était d’assurer la sécurité des ambassadeurs des différents pays membres de l’ONS, et elle remplissait cette mission avec une efficacité rare, n’hésitant pas à remettre à leur place lesdits ambassadeurs quand ceux-ci se montraient mécontents. En matière de sécurité, c’était elle qui commandait et personne ne pouvait lui apprendre son travail.
Hector Guillou connaissait assez bien Serey Ho. Elle était déjà chef d’une unité de sécurité quand il intégra les services secrets de l’ONS. Ils se respectaient mutuellement. Serey était une des rares employées de l’ONS à connaître l’existence de la DE. Elle se devait de l’être pour assurer la sécurité de réunions conjointes entre le Conseil de Sécurité de l’ONS et la Commission Sécuritaire de la CIMS. Avec l’arrivée des ambassadeurs des Anges, son travail en relation avec la DE avait augmenté.
« Salut Hector, tu m’appelles pour quoi ? demanda-t-elle sans détour. Les Anges vont revenir à l’ONS pour une rencontre ? Une réunion ?
-Non, ce n’est pas pour ça que je t’appelle aujourd’hui, répondit le Patron. Ce que je vais te demander n’a rien à voir. Tu ne comprendras probablement pas pourquoi je te demande ça mais je peux te jurer que c’est important.
-Est-ce légal ?
-Tu ne connais pas la situation actuelle, et je ne peux pas t’en parler.
-Vous autres les espions avez un sens de la formule fascinant pour dire que c’est secret. Mais je sais que tu ne m’appellerais pas si tu ne pouvais pas faire autrement. Que veux-tu ?
-C’est au sujet d’un ambassadeur, Adam Ferson. Je voudrais savoir à qui il a parlé, qui il a appelé, qui l’a appelé.
-En clair, tu veux ses relevés de communication et ses déplacements. Je ne vais pas te dire que c’est totalement illégal de surveiller ainsi un ambassadeur, de surcroit un de ceux siégeant au Conseil de Sécurité, tu le sais aussi bien que moi. Pour les relevés, ça ne devrait pas être long. Mais pour le reste, il va falloir passer les vidéos de surveillance. Ça risque de prendre du temps.
-J’en suis conscient. Je ne souhaite pas impliquer tes services plus qu’il ne le faut. Envois-moi une copie des vidéos de surveillance des six derniers mois et je me débrouillerai avec.
-Je fais ça, assura Serey. Je viens de me rappeler quelque chose.
-Quoi ? questionna le Patron.
-Un des gardes du corps affecté à Ferson m’a dit que ce dernier était assez nerveux en ce moment. Il s’isole assez souvent.
-Dans des lieux sans caméra ?
-On est à l’ONS, les lieux sans caméra sont presque introuvables.
-Peux-tu m’envoyer en priorité les vidéos des sept derniers jours ?
-Oui, mais je devrais peut-être te les apporter moi-même. Ce n’est pas très prudent de faire transiter ce genre d’information sur le réseau.
-Tu peux y aller, un de mes analystes a déjà sécurisé ton terminal. Tout comme ton holophone, personne ne saura que nous nous sommes parlés.
-Je vois, tu ne laisses rien au hasard.
-Si c’était le cas, je serais déjà mort depuis longtemps. »
Serey Ho mit deux heures à réunir et envoyer les relevés de communications (intégrant les relevés holophoniques et les échanges de mails) et les enregistrements vidéos et audio des sept derniers jours. Elle n’avait pas pris le temps d’isoler ceux où se trouvait Adam Ferson. Hector savait qu’un tel travail demandait beaucoup de temps, de surcroit s’il fallait se montrer discret. Si elle avait fait effectué cette opération par son service, Serey aurait sûrement été repérée et aurait eu à répondre de ses agissements. Elle n’était pas une espionne, ce n’était pas son travail de faire ça. Les analystes de la DE se chargeraient de cette tâche. D’autant qu’ils possédaient des moyens réellement adaptés à ce genre de mission.
Etant donné que ses actions étaient des plus limitées en ce moment, de part le blocus de l’atmosphère terrestre, le Patron disposait de toute la ressource nécessaire pour agir. Il avait décidé de diriger personnellement cette enquête officieuse sur Adam Ferson. Mais comme il ne pouvait pas s’y consacrer à plein temps, il lui fallait quelqu’un à qui confier le commandement en second de cette affaire. Quelqu’un qui s’assurerait qu’aucune information ne filtrerait. Son choix se porta sur une équipe IS dont il connaissait le chef depuis plus de trente ans.
Louis Loup-Gris était un sorcier canadien originaire de la tribu des Hurons. Il arborait un teint cuivré où on pouvait lire le passage du temps dans ses rides fines et de longs cheveux noirs. Loup-Gris avait commencé sa carrière au sein des Chasseurs québecquois. Rapidement repéré pour son intelligence, sa rigueur et sa motivation, il intégra l’Unité de Traque. Après quelques années, à la surprise générale, il donna sa démission. Mais ce n’était que pour intégrer la DE. Loup-Gris et le Patron étaient entrés à la DE à la même époque. Ils furent binômes pour le stage commando. Ils y créèrent de solides liens d’amitié, ce qui avaient facilité certaines missions où leurs équipes IS devaient travailler de conserve. Cette amitié avait perduré quand Hector Guillou s’éleva dans la hiérarchie de la division.
« Que puis-je pour toi Hector ? questionna Louis.
-J’ai besoin de toi pour me seconder dans une mission importante, dit sans détour le Patron. J’ai commencé une enquête officieuse sur Ferson. J’ai besoin de quelqu’un en qui j’ai confiance à deux cents pourcent pour diriger l’enquête quand je serais occupé par autre chose. Et vu le caractère sensible de l’affaire, je ne peux pas confier ça à n’importe qui.
-Tu ne fais jamais rien sans une bonne raison Hector. Donne-moi tes éléments, et je m’occupe de ça. »
Le Patron donna les enregistrements et les relevés à son ami. Il lui expliqua ses doutes et comment ils étaient nés. Ainsi, Loup-Gris savait dans quelle direction lancer l’enquête. Il sortit immédiatement pour se mettre au travail.
[1] Voir « Ariana Potter et le Secret de l’Atlantide ».
[2] Service de Renseignements Européen.