Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE VI : LOUP-GRIS
Christianus Féndès se trouvait hors du Vatican, marchant dans les rues de Rome. Il faisait attention à vérifier régulièrement s’il n’était pas suivi. Il avait réussi à semer l’agent que son chef, Samus Denler, avait chargé de l’espionner. Bien qu’il ait été mis au placard depuis l’affaire du Mexique, Christianus n’en demeurait pas moins l’un des meilleurs agents des services secrets pontificaux.
Christianus vérifia une dernière fois qu’il ne trainait pas de ficelle derrière lui et il entra dans le hall de l’immeuble résidentiel devant lequel il s’était arrêté. Il monta directement au troisième étage et sonna à une porte arborant le numéro 305. Quelques secondes plus tard, la porte coulissa sur le côté avec un léger sifflement mécanique. Christianus entra et s’arrêta devant l’homme qui lui avait ouvert. Ce dernier sortit une baguette et en fit passer l’extrémité autour de Christianus. Après avoir fini de le scanner, il hocha la tête pour lui signifier qu’il pouvait passer.
La salle de séjour de l’appartement était remplie d’équipement informatique qui la transformait en véritable centre opérationnel. Ce n’était pas la première fois que Christianus y venait. La première fois, il s’était dit que s’il avait été encore un fidèle membre des services secrets pontificaux, il aurait jubilé à l’idée de découvrir ce que certains agents du Vatican recherchaient depuis longtemps : l’antenne italienne de la DE, même si Christianus se doutait bien qu’il s’agissait d’un poste avancé secondaire et que la véritable antenne se trouvait ailleurs. D’ailleurs, cet appartement avait un double emploi, servant aussi à surveiller le Vatican au plus près.
Christianus se dirigea immédiatement vers Mika Heinsler, un autre agent pontifical. Du moins, c’est ce que croyait Christianus jusqu’à ce qu’il apprenne, après être devenu un agent double, que Mika était en fait un agent de la DE infiltré au sein des services pontificaux. Mika Heinsler était un cracmol, un enfant de deux parents sorciers n’ayant aucun pouvoir magique. Il fut entrainé par son oncle, ancien agent de la DE, qui fit jouer ses relations pour que son neveu intègre la division.
Un autre homme se trouvait dans la pièce, discutant avec Heinsler quand Christianus s’approcha. Il avait le teint cuivré, de longs cheveux noirs et devait être âgé de la cinquantaine passée. Christianus reconnut immédiatement Louis Loup-Gris, un chef d’équipe IS réputé. Le huron conserva un regard neutre en dévisageant Christianus.
« Christianus Féndès, dit-il. Je crois qu’il est inutile que je me présente.
-Louis Loup-Gris, fit Christianus pour confirmer cette inutilité. C’est un honneur.
-Auriez-vous dit ça il y a quelques semaines ?
-La situation a changé en quelques semaines.
-Exact. Heinsler pense que je ne devrais pas faire appel à vous. Il a encore des doutes sur votre retournement.
-Il m’en a fait part déjà. Et j’aurais les mêmes doutes à sa place. Mais si vous m’avez fait venir ici, c’est que vous attendez quelque chose de moi.
-Déjà, y-a-t-il quelque chose de nouveau au sein des services pontificaux ?
-Je crois que Denler prépare quelque chose. Mais je ne suis pas parvenu à savoir quoi. Il sait cacher ses traces. Le fait que j’ai quand même remarqué implique que c’est énorme.
-Je vois. Je vais vous demander de vérifier quelque chose pour nous. »
Loup-Gris lança une pincée de poudre en l’air, aussitôt, la lumière prit une teinte grisée et les mouvements des autres agents présents dans la pièce se retrouvèrent comme ralenti. Christianus aurait bien posé des questions à ce sujet, mais il devina que ce n’était pas le moment.
« Vous connaissez Adam Ferson ? questionna Loup-Gris.
-Ambassadeur d’Angleterre au sein de l’ONS, et chargé de la DE par le Conseil de Sécurité, répondit Christianus bien que sachant que la question était purement rhétorique.
-Ce que je vais vous dire doit rester entre nous. J’ai l’autorisation du Patron pour vous en parler à vous deux et uniquement vous deux en dehors de ma propre équipe. Le Patron veut savoir s’il y a des liens entre Ferson et Denler.
-Ça me semble peu probable, l’Angleterre est toujours à grande majorité anglicane, surtout en ce qui concerne la classe politique, fit remarquer Christianus. Pourquoi Guillou veut-il enquêter sur Ferson ?
-Cela ne vous regarde pas. Nous voulons juste vérifier ça. »
Christianus était pleinement conscient de la confiance limitée de la DE à son encontre. C’était normal.
« Je vais voir ce que je peux faire, assura Christianus.
-Moi aussi, dit Heinsler.
-Bien, vous ne rendez compte qu’à moi et à personne d’autre sur ce sujet. Heinsler, c’est vous qui me contacterez.
-Bien monsieur. »
La poudre grise disparut d’un coup. Le temps reprit sa course habituelle. Loup-Gris allait prendre congé des deux hommes. Il chercha quelque chose dans sa poche et tendit une carte mémoire à Christianus.
« Le Patron m’a chargé de vous donner ça, dit-il. Ça vient d’une certaine Irael.
-Merci, fit Christianus en sentant une douce chaleur l’envahir en même temps qu’un magnifique visage emplissait ses pensés. »
Loup-Gris ouvrit une boite posée sur le bureau de Heinsler. Elle ne contenait qu’un bout de papier. Il le toucha du doigt et disparut dans un claquement de fouet.
Christianus demanda l’autorisation d’utiliser un terminal. Il s’y installa et y inséra la carte mémoire. La carte contenait un message holographique. Christianus s’isola pour que personne autre que lui n’entende. Irael apparut devant lui. Il sourit à cette vision artificielle.
« Bonjour Christianus. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas parlé. Et avec tes relations avec le Vatican, les gens de la DE m’ont conseillé d’éviter de te contacter. Heureusement, Ariana a suggéré ce système de carte mémoire pour te passer des messages. Tu pourras m’en envoyer aussi comme ça. Mais ce que je voudrais, c’est te revoir bientôt, en vrai. Tu me m… Enfin, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, se reprit-elle, rougissante. Voilà, je n’avais pas grand-chose de plus à te dire. J’assure toujours la sécurité des Premiers venus sur Terre. C’est assez ennuyeux. Fais attention à toi. Au revoir. »
Christianus se repassa le message et enregistra une réponse. Lorsqu’il eut fini, il donna la carte mémoire à Heinsler. Ce dernier ne posa pas de questions dessus. Il préféra se concentrer sur la tâche que venait de leur confier Loup-Gris.
« Denler ne vous fait plus confiance, et j’ai un niveau de confidentialité trop bas dans le service pour découvrir quelque chose, rappela Heinsler. Comment comptez-vous faire ?
-Je ne sais pas encore, répondit Christianus. Il va falloir la jouer finement. J’aurais sans doute besoin d’une assistance informatique.
-L’analyste de l’équipe de Loup-Gris pourra sûrement nous aider sur ce point. Je vais le contacter pour voir s’il peut venir ou agir depuis le quartier général. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la division ne doit pas être inquiétée. Si vous êtes pris, nous ne pourrons rien pour vous.
-Je sais. Je ne suis qu’un agent double trahissant les services pontificaux. Je me sais sacrifiable par la DE.
-C’est bien que vous en soyez conscient, fit remarquer Heinsler. Etrangement, ce n’est pas le cas de certains agents IS. L’agent Potter a demandé que votre sécurité soit assurée. Le Patron a été obligé de lui rappeler que ce n’était pas possible sans risquer de vous compromettre.
-Ariana est jeune, mais elle apprend vite. L’équipe d’Anthony Chaldo est où en ce moment ?
-Cette information est confidentielle. Vous n’avez pas à le savoir. »
Christianus n’insista pas. Il se doutait de la réponse avant de poser la question. Mais sait-on jamais ? Il prit congé de Heinsler et retourna au Vatican.
Rapidement, l’ennui s’installa à bord du MacDean. Il n’y avait pas grand-chose à faire pendant le voyage pour les passagers à bord à part attendre chaque vacation qui colportait les informations sur la situation autour de Saturne. Deux autres stations furent attaquées : la station Saturne IV fut détruite mais, ayant été totalement évacuée de sa population civile, seules les unités militaires perdues étaient à déplorer au nombre des victimes ; Saturne II était actuellement attaquée, les saturniens avaient mis le paquet pour la défense de leurs deux dernières stations et, si les combats faisaient rage dans l’espace, pour le moment, ils tenaient bon. Le gouvernement des Colonies-Unies de Saturne s’était installé dans son ambassade de Marineris. Ils redoutaient visiblement le pire, si les deux dernières stations coloniales étaient détruites, toute une nation se retrouverait apatride.
Les autres informations concernaient la mobilisation générale des forces armées du système solaire. La Communauté Flottante de Jupiter était totalement mobilisée et une partie de sa flotte portait assistance à Saturne. La Ceinture mettait en place sont second rideau défensif. Les armées de l’UNIM étaient en état d’alerte maximale. Ce dernier point avait réveillé les forces coloniales terriennes qui y voyaient la préparation d’une attaque générale contre les colonies toujours sous domination terrienne. Des manifestations indépendantistes de plus en plus violentes avaient eu lieu, en particulier à Ascraeus, la capitale de Nouvelle-Europe. Mars était une vraie poudrière et Anthony avait émis l’idée qu’une guerre allait peut-être y éclater avant que les Dæmons ne l’atteignent.
Les armées des Colonies Orbitales de Vénus étaient également sur le pied de guerre mais avaient décidé de se cantonner à leur territoire. Au cas où l’attaque des Dæmons à Saturne n’était qu’une diversion. En cela, elles étaient gênées par les mouvements des flottes terriennes qui ne voyaient pas ces manœuvres d’un très bon œil.
Sur Terre, la CIMS attendait toujours que l’ONS révise sa position. Mais celle-ci ne semblait toujours pas croire en la menace des Dæmons. Les états terriens, maintenant seuls dans cette organisation, ne voulaient pas s’en inquiéter tant que la Terre ou leurs colonies ne seraient pas menacées.
En dehors de ces bulletins d’informations réguliers, il n’y avait vraiment rien à faire. Anthony poussa Ariana jusqu’à la salle de sport où ils purent courir sur des tapis roulants, soulever de la fonte et s’entrainer au combat. Ils ne pouvaient pas utiliser la magie, l’équipage, officiers commandants mis à part, n’était pas au courant de leur nature. L’accent fut donc mis sur le combat à mains nues et à l’arme blanche. Ariana avait fait d’indéniables progrès, mais elle avait encore beaucoup à apprendre. Anthony alla jusqu’à lui enseigner les bases du Ngam Lung Quan[1], l’art martial chinois dont la famille Chaldo transmettait l’enseignement depuis Pierrick Chaldo.
Alex en avait déjà parlé à Ariana lors de ses instructions au combat sans entrer dans les détails. Anthony commença réellement son initiation à cet art, sans omettre de lui parler de son Histoire. Anthony lui parla des YeXingKe – les marcheurs de la nuit – qui furent les ancêtres chinois des ninjas japonais. Le Ngam Lung Quan était un art de ces guerriers de l’ombre, mais pas de n’importe lesquels : celui des YeXingKe dragoniars. Pierrick Chaldo fut initié jeune lorsqu’il vivait en Chine par Sima Zimong, une guerrière dragoniare travaillant pour le Ministère chinois de la Magie. Cet enseignement fut complété des années plus tard après les retrouvailles de Pierrick avec son ami d’enfance et fils de Sima Zimong, Thomas Zimong.
Ariana eut quelques difficultés à saisir certaines des subtilités initiatiques du Ngam Lung Quan. Certains exercices n’avaient a priori pas de sens précis et surtout, pas d’application directe en combat. Ramasser une mornille par terre, c’était marrant une minute, mais répété durant une heure, ça devenait lassant. Tout comme d’autres exercices aux applications plus visibles mais ennuyeux une fois réitérés plus de cent fois comme essayer de percer une feuille de papier suspendue à un fil avec le bout des doigts. Ariana découvrit que ce qu’elle pensait simple, surtout après avoir vu Tony le faire avec une déconcertante facilité, se révélait très difficile.
Ariana préférait les combats d’entrainement où elle pouvait se défouler totalement. Nayu et Kat vinrent se joindre à eux. La grecque pratiquait un style sans fioriture mais indéniablement efficace, technique issu des arts de défense enseignés au sein des services secrets et des forces spéciales. Nayu possédait un éventail technique impressionnant. On sentait qu’elle pratiquait depuis aussi longtemps que Tony. Son style de jiu-jitsu[2] traditionnel donnait l’impression qu’elle se déplaçait sur un coussin d’air. Ses mouvements étaient harmonieux et Ariana se retrouva souvent projeté au sol sans comprendre pourquoi, n’ayant parfois pas ressentit le moindre contact physique. Elle crut même que Nayu se servait de la magie mais celle-ci lui assura que ce n’était pas le cas. Seul Tony parvenait à faire jeu égal avec la japonaise. Et d’après ce qu’Ariana comprit, Nayu le considérait comme meilleur qu’elle.
Fred et Zoé vinrent également faire un peu de sport. Fred se contentait de courir et de faire un peu de renforcement musculaire et d’assouplissement. Il se décrivait lui-même comme un « sportif du dimanche », même si le fait de vivre avec Julia l’obligeait à faire régulièrement de l’exercice, sa fiancée étant une fervente sportive. Ce qui fait que l’analyste était en bonne forme physique. Mais ce n’était rien comparé à Zoé. La jeune femme avait une sacrée endurance. Elle avoua passer pas mal de temps en salle de fitness et avoir pratiqué le taekwondo[3] jusqu’à l’université. Elle en avait conservé une excellente souplesse et sa technique de jambe était toujours impressionnante. Tant qu’elle restait à distance, elle parvenait à garder un certain avantage sur Ariana. Mais quand cette dernière parvenait à entrer dans la garde, Zoé se trouvait démunie. Nayu lui proposa de lui apprendre quelques trucs de jiu-jitsu pour combler ses lacunes. Ce qui ne fut pas pour lui déplaire.
Au bout de deux jours de voyage, le MacDean dû ralentir pour pouvoir traverser la Ceinture d’astéroïde sans dommage. Les canons de proximité du vaisseau tiraient sur les petits astéroïdes qui s’approchaient trop. Ariana fut émerveillé en découvrant les milliards de milliards de rochers flottants dans le vide, se percutant parfois avec lenteur mais également une rare violence. Ils croisèrent plusieurs vaisseaux de guerre arborant les insignes des colonies indépendantes de la Ceinture. Ceux-ci se contentaient de s’approcher et de repartir après les avoir parfois accompagnés durant quelques minutes. La traversée de cet immense océan de roches large de trois cents soixante-trois millions kilomètres mit deux jours. Une fois le MacDean sorti, la masse orangée tournoyante de Jupiter s’offrit aux yeux de la jeune femme.
[1] Boxe du Dragon Obscur en chinois.
[2] Art martial japonais pratiqué à l’origine par les samouraïs, ancêtre du judo, toujours très pratiqué de nos jours. Cet art englobe les coups frappés, les clés, les projections et le combat au sol. Les brésiliens en ont développé une forme où le combat au sol tient une place prépondérante.
[3] « Voie du poing et du pied », art martial coréen devenu sport olympique en 2000 aux jeux de Sydney. L’utilisation des pieds y est majoritaire.