Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE VIII : PLAN DE BATAILLE
Le Patron venait d’apprendre que le MacDean avait fait demi-tour. Le contrôle spatial de l’UNIM avait décelé à temps la flotte ennemie s’approchant de Mars. Les armées jupitériennes, saturniennes et ceinturiennes devraient se charger des ennemis se trouvant dans leur secteur. Les martiens ne pouvaient plus se permettre de quitter leur planète et sa périphérie avec cette menace. En temps normal, les terriens seraient venus en aide à leurs alliés. Mais depuis le départ des nations martiennes de l’ONS, il ne fallait pas y compter. Surtout avec Ferson qui refusait d’entendre raison.
Les quelques contingents terriens partis pour Mars n’y allaient pas pour combattre aux côtés des martiens, mais pour renforcer les défenses des colonies contre les états martiens. Si les Dæmons parvenaient à débarquer sur la planète rouge, les armées coloniales seraient bien obligées de se ranger du côté des indépendantes. Mais c’est dès le début, pour consolider la défense qu’il faudrait que ça soit fait. D’après les estimations, les légions dæmoniaques rejoindraient Mars en moins de trois jours. Les martiens espéraient les empêcher de prendre pied sur la planète et avaient déployé leurs flottes en ce sens.
Le Patron ne pouvait rien faire de plus sur ce plan. Il devait se fier à ses agents sur place, à l’équipe Chaldo et aux armées martiennes. Pour sa part, il devait se concentrer sur Adam Ferson et découvrir les raisons de son aveuglement. Son ami Loup-Gris se chargeait des opérations sous couverture qui représentaient le gros des investigations. Lui-même s’occupait d’une partie plus subtile à base de relations et d’influence. Pour le moment, il n’avait que des présomptions assez vagues basées sur les actions de Ferson pour contrer les opérations de la DE. Ses contacts n’avaient que peu d’informations, n’ayant jamais lancé de surveillance sur lui. Pour tous, il était un parlementaire tout ce qu’il y a de plus normal. Peut-être même un peu trop.
Ferson n’avait visiblement pas de vice. Il ne buvait pas ou peu, ne se droguait pas, ne jouait jamais d’argent, et était fidèle à son épouse. Un vrai enfant de chœur. Le Patron avait assez d’expérience de l’Humanité pour savoir que chaque personne a une part sombre qu’il essaye de cacher et se faisant, la met souvent au jour. Donc, cette absence apparente de vice était douteuse. Malheureusement, cela démontrait aussi que Ferson était suffisamment malin pour cacher ses traces. Peut-être faudrait-il attendre qu’il fasse une erreur. Ou peut-être que la réponse viendra de Féndès, même si le Patron espérait que ce ne soit pas le cas. Cela compliquerait beaucoup une situation déjà complexe.
Cette affaire avançait à tâtons…
Le MacDean s’arrima au quai de la base orbitale de Phobos en périphérie de Mars. Les deux équipes IS débarquèrent rapidement. Elles furent accueillies par la responsable de l’antenne martienne de la DE : Rowena Carter.
« Salut Rowena, fit Tony. Situation ?
-Les légions ne sont plus qu’à quelques heures de voyage, annonça Rowena sans préambule. Les armées de l’UNIM sont au plus haut niveau de mobilisation. Et depuis hier, l’alerte noire a été décrétée par le Conseil Martien de la Magie.
-Le Conseil Martien de la Magie ? fit Ariana. Ça existe ?
-Depuis hier aussi. Les communautés magiques établies sur Mars ont décidé de se donner une légitimité en créant cette institution. Le CMM s’est uni immédiatement et sans condition à l’UNIM. Ce que cette dernière a accepté.
-C’est vrai que les communautés magiques de Mars n’étaient réunies sous aucune bannière, dit Fred. La CIMS ne les reconnait même pas officiellement. Il aura fallu une guerre pour que les sorciers martiens se décident.
-Je crois qu’ils appréciaient de ne pas rendre de compte, reprit Rowena. Mais la situation a changé et exige ce genre d’organisation. Et puis, ce ne sont pas que les sorciers. Le CMM regroupe aussi d’autres communautés minoritaires, comme les Vampires, les Dragoniars,…
-Comment les martiens ont pris la vérité sur l’existence du monde magique ? demanda Kat.
-Plutôt bien vu la situation. Ils sont conscients qu’ils auront besoin de toute l’aide possible contre l’ennemi. Et puis, il faut dire que sur Mars, le secret n’était pas si bien gardé que sur Terre. C’est ici qu’on trouvait le pourcentage de population affranchie du secret le plus important du système solaire. Justement à cause du manque de contrôle de la CIMS. Bon, on a eu quelques groupes religieux qui ont demandé leur tête, mais ils sont si marginaux qu’il n’y a pas à s’inquiéter. J’en ai mis sous surveillance quand même. Les colonies martiennes ont cloisonnées totalement leur communication avec la Terre pour ne pas que la nouvelle se répandent car la CMM regroupe aussi les communautés magiques de leurs territoires. Il y a même eu un renversement politique d’importance.
-Lequel ? demanda Tony.
-Le gouverneur colonial de Nouvelle-Europe en a eu légèrement assez que sa colonie soit traitée comme un territoire paria. Il a appelé une réunion extraordinaire de l’Assemblée Coloniale, avec la présence des chefs de l’armée et de la police. Nouvelle-Europe vient de déclarer son indépendance à plus de 70% des voix. Les troupes néo-européennes sont en cours de remobilisation pour changer de cible. »
Ariana garda le silence pour analyser ces derniers évènements. Les choses changeaient de manière importante. Les temps étaient exceptionnels.
« L’ONS va forcément réagir, dit Tony. Mais je crains que ce ne soit pas de la bonne façon dans un premier temps.
-Peu importe, intervint Kat. La guerre est aux portes de Mars. Même si les Etats-Unis d’Europe voulaient envoyer des troupes pour reprendre leur colonie, il leur faudrait des semaines pour mettre sur pied une force suffisante et l’envoyer. D’ici là, les combats contre les légions auront commencé et les colonies martiennes restantes devront se rendre à l’évidence que la survie passe par le combat aux côtés de l’UNIM. Et forcément, l’ONS sera mise au courant.
-Si j’étais mon frère, je dirai que cette guerre est vraiment positive, sourit cyniquement Tony. »
Cette dernière remarque fit sourire Ariana. Oui, Alex aurait dit ça.
« Une navette nous attend pour nous mener au quartier général des forces de l’UNIM, dit Rowena en les guidant. Shemhazai[1] s’y trouve aussi avec son général, un certain Asmodeus.
-C’est un ancien séraphin[2], précisa Fred.
-Oui, et c’était un des grands généraux d’Atlantis avant le départ des Atlantes, ajouta Tony. Lucifel m’en a parlé. »
La navette posa une heure plus tard sur le sol martien non-loin de la ville de Huygens, capitale de New-America, dans une base militaire où s’était installé le commandement des forces de l’UNIM. Rowena fit mener les membres des deux équipes vers un baraquement où se trouvaient les équipes de liaison de la DE. Elle ne garda avec elle que Tony et Kat.
Le centre des opérations de l’UNIM rappela le bocal aux agents de la DE, avec plus d’effervescence. Des analystes et des opérateurs s’affairaient autour d’écrans holographiques. Des ordres fusaient sans discontinuer. Aucune médaille ne tintait ici, les militaires étaient tous en uniforme de combat. Parmi eux, Tony reconnut immédiatement Shemhazai qui devisait avec quelqu’un qui devait être Asmodeus. Les anges portaient une tenue ressemblant aux uniformes grecs des temps antiques, mais dans un bleu très sombre et avec un pantalon se terminant sur deux chaussures noirs. L’armure qu’ils portaient semblait aussi légère que solide.
« Anthony Chaldo, fit le seigneur des Anges. Heureux de vous revoir. Même si c’est dans des moments si graves.
-Un jour peut-être, nous nous contenterons de parler autour d’un verre, dit Tony. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Rowena m’a fait un topo général de la situation depuis hier. Y’a-t-il des précisions sur le plan militaire ?
-Il vaut mieux poser la question au chef d’état-major de l’UNIM. Voici le général Ben-Ali.
-Vous êtes de la DE aussi ? fit l’officier.
-Exact général.
-Nous avons assez d’agents de la DE pour nous soutenir sur le plan du renseignement et des actions spéciales.
-Nous ne sommes pas là pour ça. Notre but est autre.
-Et quel est-il ?
-Navré général, cela reste secret.
-De quel droit ? Vous vous prenez pour qui ? Carter, je vous conseille de remettre vos hommes dans le rang.
-Général, je suis dans l’incapacité de donner des ordres aux équipes Chaldo et Pardopoulos, renseigna Rowena. Ils ne sont pas sous mes ordres.
-Nous sommes des agents IS, cela signifie que nous avons nos propres missions et que nous ne rendons compte qu’à une seule personne, précisa Tony. Par contre, nous pouvons demander de l’assistance et du renseignement. Et ne vous inquiétez pas, si nous pouvons agir pour vous aider, sans que cela n’interfère avec notre mission, nous le ferons. Et sachez aussi, que nous avons le même but : combattre l’ennemi. C’est juste que nous agissons sur un spectre différent.
-Bien, je ne devrais pas être étonné. C’est toujours ainsi avec les espions, lança le général. La flotte ennemie se rapproche. D’après nos estimations, le premier choc se fera dans la périphérie de Phobos dans environ cinq heures. Nous surveillons tous azimuts au cas où il en viendrait d’ailleurs. Mais il semble qu’ils comptent utiliser la méthode du marteau : attaquer de toute leur force sur un seul point pour briser la cuirasse. Le général Asmodeus est de cet avis.
-Bien, à combien s’élève leurs forces ?
-Nous avons compté vingt-cinq vaisseaux.
-Cela signifie que nous aurons affaire à une force au sol d’environ cinq cent mille unités de combat, informa Asmodeus.
-C’est pour quoi il faut à tout prix les empêcher de débarquer, continua Ben-Ali. Ou dans le pire des cas, limiter ce débarquement. Ils comptent visiblement s’attaquer à la base de Phobos.
-A raison, c’est le point stratégique central de la défense orbitale, dit Kat.
-Oui, mais Phobos ne nous servira plus à rien s’ils débarquent. C’est pourquoi nous avons un dernier recours pour les annihiler ou plutôt les affaiblir avant qu’ils ne pénètrent notre atmosphère.
-Le protocole Vulcain, n’est-ce pas ? dit Tony.
-Comment connaissez-vous son existence ? C’est une tactique secrète de l’UNIM…
-… Mise au point en cas de nouvelle guerre coloniale et à n’utiliser qu’en dernier recours en cas de débordement. Ne sous-estimez pas nos services. Nous avons surveillé la mise en chantier de Vulcain et lui avons même adjoint un coupe-circuit. Pour vous empêcher de l’utiliser.
-Quoi ? rugit le général.
-Mais, nous n’en ferons pas usage. Ce coupe-circuit était prévu pour vous empêcher de l’utiliser contre une force coloniale. Là, la situation est différente. C’est la survie de l’Humanité qui est en jeu. S’il le faut, le moment venu, faîtes-le.
-Avec un maximum de vaisseaux ennemis à sa portée.
-Vous êtes conscient des risques qu’implique Vulcain ?
-La vaporisation d’une partie de l’atmosphère. Nos ancêtres ont créé cette atmosphère lors de la terraformation de la planète. Nous le referons. C’est toujours ainsi après une guerre : on reconstruit. D’habitude ce sont des villes, des champs, là, ce sera une planète. J’ignore quel est votre objectif monsieur Chaldo, mais s’il doit nous permettre de remporter cette guerre, je souhaite que vous réussissiez. Maintenant, excusez-moi, nous avons beaucoup de travail. »
De retour auprès des autres membres de leurs équipes, les deux chefs présentèrent la situation. L’évocation du protocole Vulcain fit pâlir Fred.
« Ils sont fous !
-Il faut être fou dans ces temps de folie, philosopha Tony. Fred et Zoé, vous allez à Ascraeus, au bunker de commandement de la DE martienne. Rowena a déjà préparé une pièce avec des terminaux rien que pour vous.
-Et vous ? questionna Zoé.
-Nous allons traquer les agents des Dæmons et du Serpent Blanc qui doivent être en train de préparer l’arrivée des troupes ennemies. Peut-être parviendrons-nous à gratter quelques renseignements sur la position des Crânes.
-Et si certains se trouvent à bord des vaisseaux ennemis ? demanda Ariana.
-Alors espérons qu’ils soient détruits avec les vaisseaux.
-Les Anges ne vont pas être contents.
-Nous préférons ça mademoiselle Potter, dit Shemhazai en entrant. Mieux vaut perdre les Crânes que le système solaire. Pardonnez mon intrusion, je souhaitais vous faire un cadeau. Nous les avons retrouvées dans des réserves du Temple dans lesquelles nous n’avions pas mis les pieds depuis des millénaires. Nous n’en avons que quelques milliers mais Azazel pense pouvoir relancer une production. »
Shemhazai sortit de sous sa toge trois baguettes cristallines. Elles étaient lisses et d’une pureté parfaite.
« Lorsque nous avons donné naissance aux Sorciers, il a bien fallu les équiper, expliqua Shemhazai. Azazel a créé ces artefacts. Leur matière est la même que celle des Crânes. Ne vous y fiez pas, elles ne sont pas fragiles. Elles s’utilisent de la même façon que vos baguettes en bois. Mais d’après ce qu’a pu constater Azazel, le rendu énergétique est bien meilleure car il y a moins de déperdition avec celle-ci qu’avec les vôtres. »
Tony se saisit d’une des baguettes de cristal. Il en jaugea le poids puis y fit circuler son flux magique. La sensation n’était pas étrange mais seulement différente. C’était comme si son énergie suivait ses pensés sans barrière. Ce n’était pas flagrant, la grande majorité des Sorciers ne verraient pas la différence, mais lui la voyait.
Tony remercia Shemhazai d’un hochement de tête. Ariana prit également une baguette et l’essaya en faisant apparaître des moineaux. Ce ne fut pas la façon dont s’écoulait l’énergie qui la surprit, mais le fait que la baguette soit immédiatement adaptée à elle. Ce n’était pas comme avec sa première baguette où elle avait dû en essayer vingt-quatre avant de trouver la bonne, et encore moins comme sa deuxième avec laquelle elle continuait de s’entrainer pour en parfaire la maîtrise. Avec cette baguette de cristal, c’était tout simplement naturel. Son énergie coulait comme l’eau.
Quelques minutes plus tard, les agents IS partaient pour Ascraeus.
[1] Dirigeant des Premiers, ancien séraphin (voir « Ariana Potter et le Temple des Anges »).
[2] Ordre le plus haut dans la hiérarchie angélique.