Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE XI : ERREUR TACTIQUE
Faire entrer un agent de la DE dans le Vatican n’était déjà pas chose aisée, à cause du système de surveillance, ce dernier possédait un programme secret avec les données psychophysiques d’individus indésirables, et bien sûr, cette liste comportait quasiment toute la DE. Seuls les agents nouvellement recrutés y échappaient. Avant, ces données étaient transmises par l’intermédiaire de la secrétaire d’Hector Guillou. La découverte de son implication expliquait que le système n’avait pas reçu de nouvelles mises à jour récemment. Techniquement, les agents de la DE n’étaient pas interdit de pénétrer l’enceinte du Vatican. Mais ils y étaient particulièrement surveillés. Et cette surveillance les empêcherait de s’infiltrer dans les locaux techniques des services secrets pontificaux.
Il fallait donc entrer sur le territoire du Vatican sans être reconnu par le système de sécurité. Christianus se demandait s’il n’avait pas été lui-même fiché. Ce point là pouvait les aider, en attirant l’attention.
Christianus entra au Vatican naturellement, comme il avait l’habitude de le faire depuis des années. Même si maintenant il voyait ce lieu qu’il pensait bâti de lumière et de vérité divine comme il l’était réellement : une cité du mensonge où un groupe d’hommes avait permis aux ténèbres de se répandre. Et cela faisait des siècles que le monde ignorait ce fait. Cela devrait changer. Seulement, il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils ont été trompés[1].
Christianus se rendit au poste central de la Garde Suisse. Cette couverture cachait l’entrée du quartier général des services secrets pontificaux. Il se rendit à son bureau et ouvrit sa session sur son ordinateur de travail. Il n’y avait en théorie aucune caméra dans la salle où se trouvaient les bureaux des agents, pour limiter tout enregistrement d’affaire sensible et limiter ainsi le nombre de possibilité de récupérer des informations secrètes par l’ennemi. La seule exception était la caméra quasi invisible située dans un angle du bureau de Denler et qui veillait à ce que personne n’y entre sans être enregistré. Cette caméra se coupait sur une commande de Denler. Donc, rien ne pouvait surveiller ses faits et gestes et en cet instant. Par contre, son ordinateur l’était sûrement.
Christianus se leva et se dirigea vers les toilettes. En passant, il fit tomber une pilule dans le gobelet de café de son voisin de bureau. Ce dernier ne remarqua rien. La pilule était à dissolution rapide et rien ne pouvait en trahir la présence au gout ou à l’odeur. En revenant, Christianus remarqua que sa victime avait déjà ingurgité la moitié de son breuvage. Il devait encore attendre quelques minutes. Il alla donc se prendre un thé, prenant son temps tout en surveillant l’agent du coin de l’œil. Soudain, ce dernier commença à avoir une mine affreuse. Il se tint le ventre, visiblement en proie à des nausées violentes. Il se leva précipitamment pour courir aux toilettes.
Christianus s’approcha sans se précipiter de son poste de travail. Arrivé à la hauteur du bureau de son malheureux collègue, il fit mine de faire tomber un objet et de s’agenouiller pour le ramasser. Au passage, il posa une micro-puce sous l’ordinateur. Puis il alla s’asseoir sans rien trahir à son propre bureau. Il se pencha pour poser une puce analogue sur son ordinateur. Les puces jumelles s’activèrent aussitôt. Une nouvelle session s’ouvrit sur l’ordinateur de Christianus, une session qui se servait de l’ordinateur voisin comme passerelle. Une session non-surveillée.
Christianus put ainsi, grâce aux indications que lui avaient fourni Diego Suarez, pénétrer le système de sécurité du Vatican en utilisant un générateur d’identifiant et de mot de passe. Christianus effaça des fichiers le dossier concernant l’identité psychophysique de Diego Suarez. Il envoya un SMS à l’aide de son holophone à carte pour prévenir Suarez qu’il pouvait entrer.
Ça, c’était fait. Mais le plus dur restait à venir. Rentrer dans le Vatican était une chose, accéder au locaux des services secrets seraient une autre paire de manches. De son poste, Christianus ne pouvait pas accéder à la sécurité du serveur. Il mit son ordinateur en veille, transférant son contrôle sur un terminal portable, et quitta la pièce naturellement. Devant le poste de la Garde Suisse, il vit Heinsler et Suarez. Il n’alla pas vers eux et ne donna aucun indice visuel qu’il les avait remarqués.
Le serveur principal n’était pas très loin, l’accès se trouvait dans un local technique électrique, cela permettait d’en dissimuler l’activité. Bien entendu, des caméras et des capteurs de tout type en gardaient l’entrée. Et à l’intérieur, une équipe de sécurité montait la garde. Suarez avait assuré n’avoir pas besoin de beaucoup de temps car il allait cibler précisément la recherche. Mais quelque soit le peu de temps nécessaire, chaque seconde serait dangereuse. Christianus avait passé des heures à réfléchir à la façon de faire entrer puis sortir Suarez. Il n’y avait qu’une solution viable.
Christianus se rendit à l’entrée du local technique où il fut rejoins par Suarez. Heinsler avait disparu pour s’occuper d’une autre partie du plan. A peine se trouvait-il devant la porte qu’un garde vint l’interroger sur les raisons de sa présence.
« Monsieur Denler m’envoie pour guider cet expert informatique habilité, répondit-il. Il doit vérifier un point de maintenance et repartir. Je suis là pour m’assurer qu’il fait bien son travail et rien de plus.
-Nous n’avons pas été prévenu, répliqua le garde.
-Monsieur Denler voulait que cette intervention ne s’ébruite pas. Moi-même n’aie été prévenu qu’il y a une heure.
-Il va falloir que je vérifie.
-Je vous en prie, conclut Christianus. »
Le garde sortit un terminal miniature et fit glisser ses doigts dessus. Christianus et Suarez attendirent en demeurant neutres et naturels. Heinsler devait intercepter le signal du terminal et y introduire le document justifiant la présence de Christianus et Suarez. L’analyste de la DE avait passé des heures à expliquer et à faire faire à Heinsler la façon de réaliser cette action. Les minutes s’égrainèrent. Christianus commençait à se dire que cela mettait trop de temps. Finalement, le garde rangea son terminal et releva la tête.
« C’est bon, vous pouvez entrer, annonça-t-il. »
Christianus hocha la tête et entra suivi de Suarez.
A l’intérieur, d’autres gardes les regardèrent passer. Ils s’évertuèrent à rester naturel et continuèrent leur chemin jusqu’au terminaux de maintenance. Suarez se mit immédiatement au travail. Il connecta un ordinateur portable au serveur. Ses doigts se mirent à parcourir frénétiquement son clavier.
« Ce fut assez facile, dit Suarez. Je ne l’aurai pas cru.
-Le plus dur sera de sortir, prévint Christianus. Préparez-vous à faire ce que je vous dis.
-Vous êtes vraiment bon. Dommage que vous ne soyez pas des nôtres. Quoique maintenant…
-Chut. »
Christianus tendit l’oreille.
« Vous en avez encore pour longtemps ? questionna l’agent pontifical.
-Quelques secondes, répondit Suarez. Je me contente de récupérer toutes les données à partir d’une liste de mots-clés. On les épluchera plus tard. Voilà, c’est bon. »
Suarez déconnecta et rangea rapidement sa machine.
Les deux hommes se dirigèrent tranquillement vers la sortie. Christianus salua le garde de la main en sortant. Ils n’avaient pas fait dix mètres en dehors du local technique que le garde les interpela. Plusieurs gardes les encerclèrent sans se montrer hostiles.
« Il y a un problème ? demanda Christianus.
-J’ai appelé le bureau de monsieur Denler, dit le garde. Aucune opération de maintenance n’est prévue aujourd’hui. J’ai ordre de vous arrêter tous les deux. Suivez-nous sans faire d’histoire agent Féndès. »
Le cercle des gardes se refermaient sur eux. Suarez prenait un air de plus en plus paniqué.
« Vous vous souvenez de ce que j’ai dis tout à l’heure ? fit Christianus à Suarez.
-Oui.
-Plaquez-vous au sol. »
Suarez se jeta par terre. Christianus dégaina deux pistolets et se mit à canarder tout azimut. Les armes tiraient des flashs bleutés. Chaque tirs firent mouche et sans que les gardes n’eurent le temps de réagir, ils se retrouvèrent tous au sol.
Une fois l’orage terminé, Suarez se releva. Il regarda autour de lui l’air ébahi.
« Wouah ! Je vois que votre réputation n’est pas usurpée. On est tranquille maintenant.
-Non. »
Suarez suivit le regard de Christianus et découvrit une caméra de surveillance qui les fixait.
« On a que quelques secondes, dit Christianus. Suivez-moi. »
L’agent du Vatican se mit à courir dans une ruelle sombre, Suarez sur ses talons. Ils coururent un moment. Suarez haletait. L’analyste se retourna sans s’arrêter, il ne vit personne.
« C’est bon, nous ne sommes pas suivi, lança-t-il.
-On ne s’arrête pas, interdit Christianus. Ils sont justes derrière nous. On y est presque.
-Où ça ? »
Quelques ruelles plus loin, Christianus s’arrêta d’un coup près du mur d’enceinte du Vatican. Au pied de la muraille se trouvait une bouche d’égout qu’il déverrouilla et ouvrit. Il fit signe à Suarez de descendre.
« Vous n’êtes pas sérieux ?
-Dépêchez-vous, insista Christianus. Une fois dedans, allez vers le nord, vous ressortirez dans une station de traitement.
-Vous ne venez pas avec moi.
-Je ne peux pas, je vais les attirer ailleurs. Allez. »
Suarez ne discuta pas plus et s’engouffra dans l’égout. Christianus verrouilla la plaque derrière lui et quitta la zone au galop. Il ne fit que quelques mètres avant d’être touché par un tir bleu qui l’envoya au sol. L’équipe qui le poursuivait vérifia qu’il était hors d’état de nuire.
« Nous avons l’agent Féndès monsieur Denler, fit le chef d’équipe par radio. Mais aucune trace de son complice.
-Fouillez la zone, il ne doit pas être loin, ordonna Denler. Et ramenez-moi Féndès.
-A vos ordres monsieur. »
Ariana et Tony suivaient Qin Lei dans un méandre de tunnel courant sous la ville. L’odeur était dégoutante mais les deux sorciers avaient usé de leur magie pour isoler leurs nez de cette pestilence. Qin Lei avait prévu un masque filtrant. Il les guida sans jeter un seul coup d’œil à son TOI, signe qu’il avait effectué ce chemin un grand nombre de fois.
« L’état-major possède une sortie secrète donnant directement dans les égouts pour les cas extrêmes, expliqua Lei. Nous n’aurons même pas à ressurgir dans la rue. Nous y sommes. »
Ils s’étaient arrêtés devant un mur identique en tout point aux autres. Cela ne surprit ni Tony ni Ariana, habitués aux passages secrets. La jeune femme avait passé toute sa scolarité à explorer les recoins de Hogwart.
Qin Lei appuya sur une brique, celle-ci s’ouvrit pour laisser apparaître un digicode holographique. Une fois qu’il eut fini de taper le code, le mur s’ouvrit en disparaissant dans le sol, découvrant un escalier.
« Bien, nous entrons en zone militaire protégée, prévint Lei. Je suis infiltré ici, ça devrait bien se passer.
-Fred a généré de fausses identités pour nous, dit Tony. C’est du travail vite fait. S’ils font une recherche approfondie, ils découvriront la supercherie. Mais pour un simple contrôle ça passera. »
Lei acquiesça d’un hochement de tête et commença à monter les marches. Le mur se referma derrière eux.
Ils traversèrent un autre mur cachant l’entrée du passage du côté de l’emprise militaire. Le passage se trouvait caché dans une remise de fournitures de bureautique. Avant d’en sortir discrètement, Lei leur tendit à chacun une fiole contenant une potion ressemblant à une boue infecte. Seul Ariana la but, sans rechigner mais pas sans grimace. Aussitôt, le visage d’Ariana fut parcouru d’ondulation et se modifia jusqu’à prendre l’apparence d’une asiatique. Sa vue se troubla. Lei avait prévu le coup et lui tendit une paire de lunettes ainsi que deux autres doses en réserve. Le chinois ne comprit pas pourquoi Tony refusa le polynectar.
« Ça n’a pas d’effet sur moi, dit Tony.
-Ah bon ! Surprenant ! s’exclama Lei. Pourquoi ça ? »
Tony ne répondit pas, il ne pouvait pas parler ouvertement de son corps cybermagique. Il se contenta de sortir sa baguette et de modifier son visage à coup de sortilèges. Lei resta dubitatif mais ne posa pas plus de question.
Dans les couloirs de l’état-major, ils croisèrent des militaires et du personnel civil. Aucun ne fit attention à eux, l’esprit totalement occupé à autre chose. Il régnait une atmosphère de tension. Les personnels, tel autant de fourmis, effectuaient leurs missions sans se préoccuper des autres, chacun ayant sa mission. L’absence de sentinelle était justifiée par la présence d’une solide garde et de points de contrôle surveillant les accès extérieurs de l’état-major. La seule exception à l’intérieur du bâtiment était la porte blindée interdisant le passage menant au bunker de commandement situé en dessous. Deux sentinelles armées l’encadraient dans une immobilité impressionnante. Un troisième homme, visiblement plus gradé, était chargé de contrôler les personnels souhaitant y pénétrer. Ce genre de contrôle était extrêmement poussé et les identités faites par Fred ne permettraient pas de le passer. En fait, il n’y avait qu’une solution.
Lei s’approcha le premier pour occuper le sous-officier. Pendant ce temps, Tony sortit sa baguette et mit le sous-officier sous imperium. Alors seulement, Ariana et lui s’approchèrent pour présenter leurs fausses identités. Le sous-officier regarda à peine les holocartes, les yeux dans le vague, et les autorisa à passer, leur ouvrant les portes de l’ascenseur. Lei appuya sur le bouton pour descendre au niveau -4.
L’ambiance n’était pas vraiment la même dans ce niveau, il y avait bien moins de monde et les gens se regardaient. Ariana sentit des regards passer sur elle. Tony sembla le deviner et sourit.
« Ne t’en fais pas, je ne pense pas qu’ils se doutent de quelque chose, dit-il.
-Alors pourquoi ils me regardent tous comme ça ? demanda Ariana.
-Peut-être parce que tu as l’apparence d’une très jolie chinoise en ce moment.
-Ah, d’accord. Je vois que les hommes restent des hommes.
-Bah, ne t’en fais pas, je pense qu’ils te regarderaient tout aussi intensément si tu étais sous ton vrai visage.
-Merci.
-Je n’essaye pas de te draguer, je dis juste ce que je vois. Et puis, même si je te trouve belle, tu n’es pas mon genre. Je préfère les blondes.
-Je reconnais bien la franchise des Chaldo, sourit Ariana.
-La réunion se passe dans la pièce au fond de ce couloir, coupa Lei en montrant une porte gardée par deux hommes. Seuls les officiers commandants invités par le général Lao sont admis.
-La réunion a commencé tu penses ? questionna Tony.
-Je vais me renseigner. Restez ici. »
Lei s’éloigna. Tony et Ariana restèrent sur place, regardant discrètement autour d’eux. La jeune femme regarda son TOI qui se trouvait en fonction montre. Elle l’avait programmé pour qu’il décompte le temps jusqu’à l’arrivée prévue des Dæmons. Le temps était passé plus vite qu’elle ne l’aurait cru. Moins d’une heure restante. Les forces de l’UNIM devaient être en ébullition. Auraient-ils le temps de contrer une action du Serpent Blanc ?
Fred venait de relayer l’information selon laquelle, Nayu et Kat avaient contré une attaque à Ascraeus. Cela ne voulait pas dire qu’il n’y aurait rien ici. Lei revint en disant que la réunion était en cours. Rien d’anormal ne semblait se passer.
Tony resta étrangement silencieux. Il réfléchissait. Pourquoi le Serpent Blanc ne profitait pas de cette occasion ? Alors qu’il se posait cette question, il en vint à penser à son défunt frère. Analyser une situation aussi tendue soit-elle, c’était un de ses points forts. Un des points qui les différenciaient malgré leur ressemblance physique. Si Alex était là, qu’est-ce que son intuition lui dirait ? Pourquoi le Serpent Blanc ne profitait pas de cette réunion pour éliminer les principaux chefs de l’armée impériale sur Mars alors que ceux-ci… ? Alors que ceux-ci s’apprêtaient à renverser le pouvoir en place pour contrer la menace des Dæmons par un coup d’état qui déstabiliserait l’espace de quelques jours l’armée impériale.
« Ce ne sera pas ici, dit Tony d’un coup.
-Quoi ? questionna Lei.
-L’attaque du Serpent Blanc, si elle a lieu, ne sera pas ici. Nous nous sommes plantés. Le coup d’état du général Lao ne peut que leur être bénéfique, avec la désorganisation qu’il va générer. Le mieux pour eux serait même de faire en sorte qu’il ait vraiment lieu.
-Il leur suffirait d’attendre l’attaque des Dæmons pour ça.
-Non, le gouvernement se réveillerait et se rangerait aux côtés de l’UNIM en cas d’attaque avérée. Non, il faut qu’il ait lieu avant.
-Ils n’auront jamais le temps, fit remarquer Ariana en regardant son TOI. »
Une explosion lointaine fit trembler la terre, les murs branlèrent, des objets se renversèrent. Ce fut si soudain qu’Ariana dut poser sa main sur le mur pour ne pas perdre l’équilibre. Une fois la secousse passée, de la salle de réunion, un officier surgit demandant ce qu’il se passait. Un opérateur hors d’haleine s’arrêta juste devant lui.
La base des missiles exosphériques venait d’être détruite.
[1] Mark Twain.