Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre

ARIANA POTTER

Et

Le Vaisseau Noir

CHAPITRE I : MANIFESTATION

La manifestation n’avait pas eu un grand succès. Et pourtant, les temps étaient graves. Pourquoi si peu de gens comprenaient qu’il fallait se battre contre cet ennemi sorti de l’ombre ? Pourquoi les gens avait si facilement cru en la bonne foi des Sorciers quand ils disaient vouloir se battre à leurs côtés ? Il était pourtant probable que ces « Dæmons », cet ennemi qui avait lancé un assaut terrible contre les colonies de Saturne, de la Ceinture, de Jupiter et de Mars ait été invoqué par les Sorciers eux-mêmes. Mais peu y croyait.

Caroline était également déçue du comportement du Vatican. Le pape avait mis plusieurs jours pour réagir et donner la position de l’église catholique sur ce sujet. Pourquoi autant de temps alors que l’église était un rempart contre la sorcellerie depuis des millénaires ? Il s’était finalement exprimé, condamnant les états laïcs et l’ONS qui s’étaient alliés si facilement avec eux. Là encore, elle avait été déçue : pourquoi n’avait-il pas appelé directement à attaquer cette engeance du malin ? Mais malgré cette réaction un peu tiède, Caroline avait espéré que plus de gens dans le monde se décident à agir contre les Sorciers.

— Peste soit de l’athéisme ! pensa-t-elle. C’est à cause des incroyants que même les croyants veulent accueillir ces Sorciers parmi eux.

Elle se savait en minorité. Depuis le dernier quart du vingt-et-unième siècle quand l’athéisme était devenu la première « religion » du monde. Le christianisme était déjà à la peine depuis le début de ce siècle et l’islam, après une vague extrémiste djihadiste avait aussi connu un net recul. La révolution saoudienne de 2059 avait même transformé l’Arabie Saoudite en République Laïc Arabe. Le Vatican, autrefois puissance supranationale, en était réduit à donner des leçons que personne n’écoutait.

Même Caroline doutait parfois de la capacité du Vatican à guider le monde vers la lumière de dieu. Au lieu de condamner fermement l’athéisme et la laïcité, cela faisait des siècles qu’il appelait à la bienveillance entre les peuples et les religions. Elle ne s’imaginait pas partager le pain avec un musulman, un juif, un bouddhiste, ou encore pire, un athée. Sans être sédévacantiste[1], elle sentait de la défiance à l’encontre des mouvements progressistes qui agissaient au sein de l’église.

Elle n’avait pas encore croisé de sorciers, ni aucune des créatures magiques dont les médias avaient fait la présentation des jours durant, des sorciers étaient venus expliquer les spécificités de leur société. Et que pourrait-elle faire si elle en croisait de toute façon ? Elle pourrait prier pour les éloigner. Mais serait-ce suffisant ? Elle avait entendu que contrairement à la croyance populaire, même les Vampires ne craignaient pas les croix.

Et il y avait cette soi-disant guerre. Malgré les images qui étaient parvenues sur Terre depuis Mars ou ailleurs, elle n’y croyait pas. Le malin s’y connait en illusion et en manipulation. Les premières troupes en direction de Mars étaient parties la veille. D’autres devaient partir ce jour et les jours suivants. Cela ne permettait qu’une seule conclusion : les Sorciers cherchaient à affaiblir les gouvernements terriens pour mieux les renverser.

Caroline se trouvait devant le Nouveau Palais des Nations[2], le bâtiment ou se trouvait le siège européen de l’ONS. Avec d’autres, elle hurlait des slogans comme :

— NON AUX ABOMINATIONS, DIEU AU-DESSUS DES NATIONS !

— LA SORCELLERIE EST FILLE DU DIABLE !

— COMBATTONS LE VRAI ENNEMI : LA SORCELLERIE !

Plusieurs ecclésiastiques se trouvaient avec eux. Un prêtre récitait un sermon, sa voix amplifiée par un micro. Des médias couvraient la manifestation. Caroline ne leur faisait pas confiance. Elle avait vu que la plupart des intervenants invités sur les plateaux les faisaient passer pour des complotistes affabulant sans aucune preuve alors même que les preuves de l’attaque des Dæmons et de la bonne foi des Sorciers étaient réelles. Mais elle savait, les Sorciers manipulaient les médias.

Le prêtre fini son sermon et s’adressa aux personnes autour de lui :

— Mes chers amis, agenouillons-nous et prions pour le salut du monde et pour le retour à la raison de nos dirigeants.

Caroline et les autres manifestants obéirent, joignant leurs mains. Le prêtre commença à réciter sa prière. Et soudain, une explosion retentit. La prière se tut immédiatement, faisant place à des hurlements de panique. Des silhouettes surgirent dans le ciel, passant au-dessus du Nouveau Palais des Nations. Ils étaient trop petits pour des aéronefs et trop gros pour des oiseaux. Certains se lançaient des éclairs. Visiblement, une poursuite aérienne se jouait. Un éclair vert toucha une silhouette qui tomba immédiatement en chute libre juste devant Caroline. C’était un homme habillé tout de noir, tenant dans une de ses mains un bout de bois et chevauchant… un balai !

Le groupe poursuivi se posa dans le parc entourant le Nouveau Palais des Nations. Il n’était composé que de trois individus. Le groupe des poursuivants, du même nombre, fit de même, laissant leurs balais au sol. De là où elle était, Caroline ne les voyait pas distinctement, elle était trop loin. Elle les voyait se faire face en braquant leurs armes les uns vers les autres.

Durant plusieurs secondes, ils ne bougèrent pas. Ils devaient certainement parler. Et d’un coup, la violence reprit son cours. Des éclairs fusèrent entre les combattants. Des coups de feu se firent entendre. De peur de se prendre un tir perdu, Caroline se jeta au sol. Puis aussi vite que le fracas avait commencé, le silence revint. Elle releva la tête. Deux silhouettes se tenaient encore debout. L’une d’elle vint aider une troisième à se relever. Ils restèrent quelques secondes et disparurent d’un coup sans laisser de trace.

Caroline ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Quelqu’un à côté d’elle dit :

— C’étaient des sorciers ! J’ai vu aux infos qu’ils peuvent voler sur des balais et faire des éclairs.

Ainsi, c’était des Sorciers. Il fallait vraiment qu’ils disparaissent, ces êtres étaient dangereux pour tout le monde.

Quelques minutes plus tard, les forces de sécurité de l’ONS évacuaient et bouclaient le parc.

[1] Mouvance catholique traditionnaliste (et même intégriste) considérant que le pape est illégitime depuis le concile Vatican II (1962-1965)  qui décida d’une modernisation du dogme chrétien. Ils attendent le prochain « vrai » pape.

[2] Le Palais des Nations de Genève a accueilli la Société des Nations, ancêtre de l’ONU, puis l’ONU depuis 1966. Le Nouveau Palais des Nations a été construit pour accueillir l’ONS après l’indépendance de Marineris et New-America.