Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE XVIII : LE DUEL DES MORTS
— On est à bord, annonça Rozenn. On va attirer l’ennemi sur nous. Vous pouvez débuter votre approche.
— Bien reçu, répondit Tony. On se retrouve bientôt. Préparez-vous ! On y va ! lança-t-il derrière lui.
À bord de la navette d’abordage, désillusionnée par un sortilège conjoint d’Ariana et Alex, les agents de la division ésotérique s’approchaient de l’Arche par l’autre côté. Tony parvint à poser la navette sur la coque rocheuse et l’y fixa.
— On y est, dit Tony en quittant le poste de pilotage. Le camouflage est en place.
Ariana et Alex relâchèrent leur effort. Ils échangèrent un regard amoureux. Durant de longues minutes, leurs esprits avaient été en harmonie. Ils se reprirent rapidement, se concentrant sur l’opération en cours.
Kat ouvrit la trappe centrale donnant sur la coque de l’Arche. À l’aide d’un chalumeau au plasma, elle découpa une ouverture dedans. Elle se glissa dans l’accès, fusil d’assaut en avant.
— Clair, annonça-t-elle.
Les autres la rejoignirent. Ils se trouvaient dans une réserve selon toutes vraisemblances. Des sphères visiblement organiques étaient rangées sur plusieurs mètres de haut et plusieurs rangs.
Tony referma la trappe derrière lui. Julia vérifia la direction à prendre sur son TOI.
— C’est par là, désigna-t-elle.
— Je prends la tête, fit Kat. Nayu avec moi. Prépare tes shikis. Zoé, tu as l’imagerie ?
— Affirmatif, répondit la voix de l’analyste. Les capteurs de la navette fonctionnent correctement. Aucun ennemi dans votre zone pour le moment. Ils se dirigent vers les autres. Je vous alerte au moindre problème.
Suivant Kat et Nayu, les agents de la DE s’infiltrèrent dans l’Arche.
Ariana, tout en scrutant les recoins, observa la structure du vaisseau. La matière dont il était composé était à mi-chemin entre l’organique et le métal, d’une couleur grise tirant par endroit sur le marron. La lumière était terne et provenait d’une sorte de phosphorescence des murs et du plafond.
Un silence oppressant régnait dans les couloirs. Leur présence n’avait pas encore été décelée quand ils entrèrent dans une grande pièce. Ce devait être une sorte d’immense salle de réunion ou un amphithéâtre. À ceci près que mis à part la forme semi-circulaire, elle ne s’élevait pas.
Kat leva son poing pour intimer aux autres l’ordre de s’arrêter. Son arme calée dans le creux de son épaule, elle scrutait le moindre recoin. Tous avaient les sens aux aguets.
— Nayu, chuchota Kat.
La jeune femme sortit un shiki de sa poche. Elle marmonna une étrange incantation, faisant se dresser le bout de papier. Elle le lança vers le plafond où il se figea. Il rayonna, révélant des silhouettes collées aux parois. Aussitôt qu’elles se surent découvertes, ces créatures se jetèrent, toutes griffes dehors, sur les intrus.
L’arme de Kat se mit à cracher du feu et du métal. Nayu lança plusieurs shikis explosifs. Derrière elles, les autres commencèrent aussi à répliquer. D’un geste, Julia fit se dresser un muret derrière lequel ils se mirent à couvert. Les créatures se mirent à lancer des éclairs.
— Zoé ! appela Kat sans cesser de tirer. La sortie qu’on devait prendre est bloquée. J’en vois une autre à nos neuf heures. Trouve-nous un nouvel itinéraire.
— Donne-moi quelques secondes ! fit l’analyste.
— Tony ! Dès que Zoé a trouvé, partez ! Nayu et moi allons les retenir.
Ariana allait s’offusquer. Elle ne voulait pas laisser Kat et Nayu en arrière au risque de ne plus les revoir. Mais elle se reprit, ils étaient en guerre, en pleine bataille. La prudence n’était pas de mise. La mission importait plus que le reste. Le sort de tant en dépendait.
L’analyste reprit contact en disant qu’elle avait trouvé. Tony lança un dernier regard à Kat alors qu’elle rechargeait son arme.
— On se retrouve plus tard, dit-il.
— On verra si nos nouveaux amis veulent bien nous laisser tranquilles, répliqua Kat. Finissez cette guerre. Nayu ! On les couvre et on scelle la porte derrière eux.
— Prête ! fit cette dernière.
— Tir de couverture !
Kat et Nayu surgirent. La moldue déversa des dizaines de balles pendant que la shugenja produisit un mur de flammes empêchant les ennemis d’approcher. Les autres se précipitèrent vers la porte et la franchirent. Aussitôt qu’ils furent sortis, Nayu lança un shiki dessus pour l’interdire.
Kat se mit à l’abri pour recharger de nouveau son fusil.
— Et voilà, maintenant, il faut tenir, dit-elle.
— On va survivre, fit Nayu. Si je meurs, ma femme va me tuer.
— Alors, ne mourons pas.
Une fois qu’ils estimèrent avoir mis assez de distance entre eux et l’amphithéâtre, le reste de l’équipe s’arrêta pour reprendre son souffle. Tony en profita pour contacter Rozenn, lui demandant comment ça se passait de leur côté.
— On a foutu un sacré coup de pied dans la fourmilière, répondit-elle. Ils nous tombent dessus, pour le moment rien d’insurmontable. Nous avons quelques blessés et quelques morts, mais on tient bon. Oh ! On a croisé des gars du Serpent Blanc.
— Je vois…
— Et de votre côté ?
— On a été repéré. Kat et Nayu sont restées en arrière pour fixer l’ennemi. Je te transmets leur position, au cas où tu pourrais leur porter main forte.
— OK, j’ai reçu.
— Nous continuons la mission. Terminé.
— Je n’aime pas laisser quelqu’un derrière nous, soupira Ariana.
— Aucun de nous n’aime ça, dit Julia. Mais nous n’avions pas le choix.
— En avant, ordonna Tony. Plus vite on finit ce qu’on a à faire, plus vite nous pourrons les rejoindre et quitter ce vaisseau. Je prends la tête.
Julia lui emboita le pas, suivit par Ariana et Alex.
L’ambiance était tendue. Maintenant qu’ils avaient rencontré leurs adversaires, se retrouver de nouveau seuls dans les couloirs leur paraissait dérangeant. L’atmosphère était lourde.
Paradoxalement, Ariana se sentait calme malgré la tension qui imprégnait son esprit. Elle se souvenait des leçons d’Alex à son arrivée à la DE : être tendu détendu.
Ils passèrent plusieurs salles sans chercher à connaître leur utilité, ils n’étaient pas en voyage d’études. Mais en entrant dans une énième pièce, ils s’arrêtèrent, frappés par l’étrangeté du lieu.
Ce devait être une sorte de parc aquatique. De grands tubes de verre, ou toute autre matière transparente se dressaient du sol au plafond, répartis de manière régulière. Les parois de chaque côté étaient remplacées par d’immenses aquariums. Le liquide qui emplissait les bassins était d’un vert maladif et un système d’éclairage projetait une pâle lumière verdâtre en filtrant au travers.
En s’approchant d’un des bocaux, Julia vit des squelettes joncher le fond. Elle les identifia comme des sortes de poissons et autres créatures aquatiques.
— Tout est mort ici, dit-elle. Ils ont voulu amener avec eux des animaux de leur monde. Quelque chose n’a pas fonctionné correctement.
— Ou alors, quelque chose les a tués volontairement, ajouta Alex.
— Es-tu sûre que tout est mort ? demanda Tony.
— Je ne vais pas vérifier chaque aquarium, mais on dirait bien. Pourquoi ?
— Je sens comme une présence. C’est peut-être juste l’ambiance qui me trompe. Continuons.
La réserve aquatique était immense. Atteindre la porte située de l’autre côté leur prendrait de longues minutes. Julia s’attardait auprès de certains bocaux pour en examiner l’intérieur.
— Julia, on n’a pas le temps, réprimanda Tony.
— Je sais, dit-elle. Je regarde juste en passant. À part nous, tout est mort.
— C’est vrai, et bientôt vous aussi, lança une voix familière.
Une vague de terre surgit de nulle part et s’abattit sur eux. Les agents eurent à peine le temps de se regrouper autour de Tony qui dressa un bouclier pour les protéger. Plusieurs aquariums furent brisés, répandant leur contenu nauséabond, imprégnant la terre.
Après le fracas, le silence s’installa. Ramus Owali sortit de l’ombre dans laquelle il avait attendu l’approche de ses ennemis. Un petit tumulus se dressait à l’endroit où ils étaient ensevelis.
— Sortez, ordonna-t-il. Ce genre d’attaque est loin d’être suffisante contre vous.
Le tumulus glissa sur le côté, laissant réapparaître Tony, Julia et Ariana. Ramus chercha Alex du regard un instant, avant d’être propulsé en avant par un coup de pied dans son dos. Le draugr brisa sa chute en roulant et alla se placer de sorte de pouvoir surveiller tous ses adversaires.
— Toujours aussi roublard, dit Ramus. Laisse-moi deviner : tu t’es transformé en corbeau et as échappé à mon attaque juste avant qu’elle ne vous atteigne.
— Un point pour toi ! confirma Alex en dégainant son sabre. Et maintenant ? Que comptes-tu faire à un contre quatre ?
— Parce que tu crois que je suis seul !
Ramus fit apparaître son bâton. Il en frappa le sol. Aussitôt, de toute part, des inferi surgirent de la terre répandue. Certains arboraient l’uniforme du Serpent Blanc, d’autres ceux d’armées martiennes.
Baguettes dans les mains, Ariana se tenait prête à la bataille qui allait s’engager. Elle savait que le moyen le plus efficace de détruire des inferi était le feu. Elle allait sortir le plus puissant Incendio qu’elle n’avait jamais produit.
Tony s’avança de quelques pas vers Ramus, l’épée des Chaldo dans une main, sa baguette dans l’autre. Son visage exprimait le calme et la concentration.
— Allez-vous-en, dit-il. Je m’occupe de lui. Continuez d’avancer et remplissez la mission.
— Très bien, acquiesça Alex. À plus tard alors.
— Tu es bien confiant, Tony, railla Ramus.
— Tu veux combattre et vaincre un Corbeau, je te donne une chance de le faire, répliqua Tony. Je suis un des Corbeaux de la famille Chaldo, le porteur de l’épée de notre ancêtre. Refuses-tu ce combat ?
— Non, je l’accepte. Les autres peuvent partir, s’ils passent mes inferi.
— Je reste, lança Julia.
Tony soupira intérieurement. Il échangea un dernier hochement de tête avec son jumeau. Ce dernier posa une main sur l’épaule d’Ariana pour lui faire signe de le suivre. Le couple accourut en direction de la sortie en éliminant les zombies qui tentaient de leur barrer le passage. Avant de refermer la porte, ils lancèrent de concert un Incendio pour interdire aux morts-vivants de les poursuivre.
— Tu aurais dû aller avec eux, dit Tony à sa sœur.
— Tu sais très bien pourquoi je suis resté. Occupe-toi de Ramus, je me charge des inferi. Mais souviens-toi que je te surveille.
— Eh bien ! s’exclama Ramus. Tu as besoin d’être surveillé !
— Tu parles beaucoup trop, dit Tony.
— Je sais. N’est-ce pas un peu présomptueux de ta part Julia ? Tu te crois vraiment de taille contre mon armée ?
— Ne me prends pas pour une faible, répliqua-t-elle. Le sang de Gladius coule dans mes veines.
Et comme pour illustrer ses dires, elle lança l’assaut contre les morts en générant une vague de feu d’une rare puissance.
— Après vous avoir tué tous les deux, puis Alex, je m’occuperai de tout votre clan, dit Ramus. Et je le ferai avec plai…
Il s’interrompit pour esquiver un Stupéfix de Tony. Le message était clair : cesse de palabrer. Ramus s’élança donc sur son adversaire. Tout en courant, il faisait virevolter son bâton autour de chaque côté de lui, faisant surgir des pierres du sol, les projetant avec force sur Tony. Celui-ci esquiva plusieurs projectiles, en dévia certains avec sa baguette et en coupa d’autres avec son épée. Lorsqu’il fut assez près, le métal et le bois s’entrechoquèrent.
D’un même mouvement, les deux ennemis s’éloignèrent l’un de l’autre d’un bond. Ramus en profita pour lancer quelques rochers de plus. Tony fit une large coupe dans le vide de bas en haut, projetant une lame d’air acérée. Un rocher fut tranché net à sa rencontre et Ramus dut se jeter au sol pour l’esquiver. Il resta à genoux, lâchant son bâton qui demeura dressé à ses côtés. Il planta ses mains dans le sol, générant un tremblement. De l’humus, des graviers surgirent, fonçant à grande vitesse sur Tony.
— Julia ! À couvert ! lança-t-il en dressant un bouclier pour se protéger.
Les cailloux percutèrent le bouclier de Tony, produisant un bruit de balles sur du blindage. Après l’averse, le Corbeau jeta un coup d’œil rapide vers sa sœur. Cette dernière s’était protégée en se jetant à couvert derrière le socle d’un aquarium tubulaire. Des éclats de verre lui étaient tombés dessus, l’entaillant légèrement. Et un gravillon l’avait touché à la cuisse, la traversant de part en part.
L’attaque de Ramus avait éliminé nombre d’inferi, mais certains se relevèrent et se dirigèrent vers Julia. Elle les surveillait du coin de l’œil tout en jetant un sort pour arrêter l’hémorragie. Elle n’avait pas encore fini de se prodiguer les premiers soins quand un mort-vivant se jeta sur elle.
— Incendio !
Les flammes le frappèrent, l’obligeant à reculer. Il tombait à peine en continuant à se consumer que d’autres l’assaillirent. Julia leva sa baguette et, la faisant tournoyer, produisit un tourbillon enflammé, empêchant les cadavres de l’approcher.
Tony voulait intervenir, sachant pertinemment que sa sœur ne pourrait pas utiliser cette technique très longtemps. Bientôt, elle manquerait d’air. Seulement, il savait que Ramus profiterait de la moindre occasion pour lui porter un coup fatal.
Le regard du draugr démontrait qu’il était bien conscient de la situation gordienne dans laquelle se trouvait le Corbeau. Celui-ci ne devait pas perdre de temps en réflexion stérile. Il lança plusieurs boules de feu en direction des inferi pour dégager un périmètre autour de Julia.
Ramus en profita pour se lancer à l’assaut. Son bâton ne frappa que la lame d’acier de l’épée des Chaldo. Tony contre-attaqua d’un coup de pied latéral pour le repousser. Il pointa sa baguette vers le sol, soulevant la terre qui y était répandue. Elle enveloppa Ramus, l’emprisonnant dans une gangue de roche.
Débarrassé quelques instants de son adversaire, Tony se précipita vers Julia, lacérant les inferi à coups d’épée. Il était arrivé à temps, le tourbillon de flammes disparut, Julia, étouffée, ne pouvant plus tenir son effort plus longtemps. Elle ouvrait grand la bouche, cherchant à happer le maximum d’air.
D’un coup de baguette, Tony s’occupa de sa blessure à la jambe, lui arrachant un gémissement douloureux. Il regarda autour de lui. Julia avait fait un carnage parmi les inferi. Seuls quelques-uns bougeaient encore, le Corbeau les élimina presque nonchalamment. Elle avait fait honneur aux Chaldo.
— Ton combat ici est terminé sœurette, dit-il alors qu’elle était demi-consciente.
Il la souleva et la porta jusqu’à la sortie par laquelle Alex et Ariana étaient partis quelques minutes plus tôt. Il la posa dans le couloir en s’assurant qu’aucun danger immédiat ne la menaçait. Il ne pouvait guère faire plus et n’en avait pas le temps. Il entendait la « cage » de Ramus se craqueler derrière lui.
Il posa l’épée des Chaldo près de sa sœur et se releva.
— Confie-la à William. Je sais qu’il la portera fièrement et en fera bon usage. Ou garde-la, car tu mérites cent fois de porter le titre de Corbeau toi aussi.
Au moment où Tony se retourna pour retourner au combat, Julia tourna lentement la tête vers lui.
— Tony… Non, ne fais pas ça…
C’est ce qu’elle aurait aimé lui dire, mais sa gorge encore brûlée par les gaz ne lui permit que d’émettre un soupir rauque. Tony fit mine de ne pas l’avoir entendue. Il referma la porte et la scella magiquement pour l’empêcher d’intervenir. Il sortit une seconde baguette et se prépara à faire face.
Ariana et Alex continuaient d’avancer sans se retourner. La jeune femme se forçait à ne pas penser aux amis qu’ils avaient laissés derrière eux. Il fallait avancer pour atteindre l’objectif final : arrêter l’Arche et ainsi avoir l’espoir de mettre fin à cette guerre au plus vite.
Depuis qu’ils avaient quitté la réserve aquatique, leur parcours n’avait été qu’une succession de couloirs. Ils arrivèrent enfin à une porte identique à la dernière qu’ils avaient refermée derrière eux. Lorsqu’ils l’ouvrirent, un spectacle incroyable s’offrit à leur regard.
Si la réserve aquatique était un très grand espace, celui-ci pouvait être qualifié de gigantesque. Il était situé sous un dôme au travers duquel l’on pouvait voir l’espace et les millions d’étoiles qui le parsemaient. C’était une lande, non pas verdoyante, mais d’un bleu doux, légèrement violacé par endroit. Elle était légèrement vallonnée et comportait des arbres aux troncs biscornus et larges çà et là. C’était comme si les Dæmons avaient prélevé un bout de leur planète d’origine pour l’emporter avec eux.
— C’est… commença Ariana, subjuguée par ce panorama.
— Oui, ils vivaient sur une magnifique planète, dit Alex. On aurait eu tendance à penser que des êtres aussi vils viendraient d’une planète chaotique ressemblant à la vision de l’enfer des religieux. Mais non, ils venaient d’un coin de paradis situé dans un autre bout de l’univers. Il y a juste une chose qui me dérange dans ce tableau.
— On n’entend aucun bruit d’animaux, comprit Ariana. Aucun chant d’oiseau.
— Si c’est comme les aquariums, nous allons sûrement trouver leurs restes. Quoi qu’il en soit, continuons d’avancer. Je vais prendre de la hauteur pour repérer la sortie.
Alex se transforma en corbeau et s’envola. De là-haut, il put se rendre compte de l’immensité de la zone, il y avait même un petit étang qui marquait le centre de la réserve. Il repéra plusieurs portes dont celle qu’ils devaient prendre pour conserver la direction du générateur. Il leur faudrait au moins une vingtaine de minutes pour l’atteindre en petites foulées.
Il redescendit et fit part de ses observations à sa coéquipière.
— Ça tombe bien, je n’avais pas fait de footing en pleine nature depuis un moment ! fit-elle remarquer.
— Je te laisse donner le tempo, sourit Alex.
Comme ils s’y attendaient, ils trouvèrent des ossements éparpillés sur la lande, des squelettes complets pour la plupart, restés là où les animaux étaient tombés morts. Ils ne s’arrêtèrent pas pour les étudier de plus près, ils n’en avaient pas le temps.
La sortie s’approchait quand Alex ralentit et s’arrêta. Ariana stoppa à son tour, lui lançant un regard interrogateur. Son compagnon observait les alentours d’un œil concentré. Il sortit une baguette, imité par Ariana. Elle ne sentait aucune présence, mais faisait entièrement confiance en l’instinct de son ami.
Et soudain, un éclair surgit des fourrés et vint labourer le sol au pied d’Alex. Ce dernier plongea pour esquiver l’attaque et contre-attaqua d’un sortilège vers la source de l’agression.
Le silence s’imposa de nouveau. Alex scrutait dans la direction d’où venait l’attaque tandis qu’Ariana observait les alentours.
— Tu crois que tu l’as eu ? demanda-t-elle.
— Non, il est toujours là, quelque part.
— Où ?
— Pas très loin…
Alex se retourna d’un coup en lançant un long jet de flammes vers un buisson. Une silhouette en bondit pour se mettre à l’abri et vint se planter devant eux. C’était un dæmon dont le visage, déformé par un rictus sauvage, était marqué d’une horrible brûlure.
— Enfin, nous nous retrouvons face à face, grogna le dæmon.
— Nous nous sommes déjà rencontrés ? questionna Alex.
— Tu ne t’en souviens pas ?
— À quelques exceptions près, tous les dæmons que j’ai croisés sont morts maintenant. Et ceux qui se sont enfuis ne m’ont pas marqué.
La fureur gagna un instant les traits du dæmon. Ariana était sûre qu’il allait lancer un nouvel assaut, aveuglé par sa rage. Mais il retrouva un certain calme au bout de quelques secondes.
— Il est vrai que nous ne nous sommes pas présentés, reprit le dæmon. Et je sais que chez vous les Humains, c’est important. Je me nomme Yergo, nous nous sommes vus la première fois dans la ville que vous nommez Londres. Ce fut bref, le combat n’en fut quasiment pas un. Ensuite, nous nous sommes battus dans ce temple niché dans les plus hautes montagnes de votre planète d’origine. C’est là que j’ai reçu cette blessure dont la brûlure continue de me ronger la chair et l’esprit. Te souviens-tu ?
— Tu as eu de la chance, peu de gens – ou de créatures – survivent à un Feudémon habituellement. Et maintenant ? Tu veux te venger ?
— J’en ai appris beaucoup sur vous autres Sorciers, plus que ne l’on fait mes congénères qui pensent que s’intéresser à notre future nourriture ainsi est une perte de temps. Oui beaucoup, surtout sur le clan Chaldo. Je sais que vous avez un certain sens de… quel est le mot déjà ? De l’honneur. Tu ne me refuseras pas un duel, n’est-ce pas ?
Alex jeta une œillade à Ariana, pensant qu’elle s’impliquerait dans ce combat. Il voulait trouver un moyen qu’elle continue la mission. Yergo parut presque deviner ses pensées :
— Qu’elle fasse ce qu’elle veut, je n’en ai cure ! Elle peut rester regarder ou partir. Rien d’autre n’a d’importance à mes yeux que toi.
— Que c’est romantique comme déclaration ! ironisa Alex. Accorde-moi deux minutes et j’accepte ce duel.
D’un geste, Yergo acquiesça. Alex s’approcha d’Ariana. Celle-ci savait déjà ce qu’il allait lui dire.
— Tu vas te battre à la loyale avec lui ?
— Il aurait pu nous attaquer plus d’une fois en embuscade et ne l’a pas fait. Je dois lui rendre la politesse. Tu n’as pas de temps à perdre. Continue la mission, et je te rejoins dès que j’en ai fini.
— Si tu survis…
— C’est la guerre Ariana, tu le sais autant que moi.
— Oui, c’est pour ça que je vais continuer. Mais tu as intérêt à le vaincre et à me rejoindre sinon, tu auras affaire à moi !
Alex sourit et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Elle tenta de sourire en réponse, mais ne parvint qu’à faire une grimace avant de lui tourner le dos et de se remettre à courir. Il ne la regarda pas s’éloigner. Non pas qu’il n’en avait pas envie, mais il était déjà concentré sur la confrontation contre Yergo. Il sortit son sabre de sa poche et lui rendit sa taille normale d’un coup de baguette. L’artefact magique prit sa place dans la poignée de l’arme. Alex finit en sortant une seconde baguette.
Il avait tout fait lentement, avec des gestes mesurés et précis, sans trembler. Aucune peur ni aucun stress ne transparaissait dans ses mouvements. Même si ce combat pouvait être son dernier, il avait trop d’expérience pour se laisser envahir par la moindre pensée négative, pas plus que positive. Son esprit restait neutre, vide, coulant comme l’eau, insaisissable comme le vent, solide comme la roche et ardent comme le feu prêt à bondir.
La bouche du dæmon forma ce qui pouvait être pris pour un sourire avide. Il tenait enfin sa vengeance à portée et ne la laisserait pas passer.
Et soudain, le fracas de la bataille gronda comme le tonnerre. Les deux adversaires s’étaient jetés l’un sur l’autre. Le sabre, parcouru d’éclairs crépitants, rencontra les griffes noires en un choc formidable. Les arbres eux-mêmes vacillèrent sous la puissance dégagée par les deux combattants.
Dans un dernier craquement, Ramus se libéra de son cocon. Il pivota en tous sens jusqu’à repérer Tony qui marchait tranquillement vers lui, éliminant avec nonchalance les derniers inferi qui se dressaient sur son chemin. Le draugr couvrit du regard le reste de la pièce et remarqua l’absence de Julia.
— Tu as mis ta sœur à l’abri ? demanda-t-il.
— En effet, répondit simplement Tony. Il le fallait pour que je puisse te vaincre et t’envoyer là d’où tu n’aurais jamais dû revenir.
— Parce que tu crois que tu vas pouvoir démontrer plus de puissance que moi ? J’en doute. Mon maître m’a octroyé de nouveaux pouvoirs dont tu ne peux imaginer l’étendue.
— Qui est-il ? Tu peux bien me le dire, tu comptes me tuer.
— Il se nomme Gunnar Dødlikson, un maître en nécromancie qui met ses talents au service de notre but. Il dirige le Serpent Blanc depuis longtemps. Grâce à lui, les Sorciers deviendront les humains dominants.
— En étant les esclaves des Dæmons ?
— Leurs serviteurs.
— Serviteur voudrait dire que les Sorciers se mettent volontairement à leur service et peuvent le quitter tout aussi librement. Je n’imagine pas les Dæmons être si… sympathiques. Vous ne serez que des bêtes de somme pour eux, corvéables à merci. Pour toi, cela ne changera rien, tu es déjà un esclave de ce Dødlikson. Ne t’en fais pas, nous nous chargerons de lui. Tu sais ce que ma famille et la DE font de ce genre d’individu.
— Tu vas mourir ici et maintenant. Comment comptes-tu partager cette information ? sourit Ramus, sûr de lui.
— Mon corps est cybermagique. Un des avantages qu’il me procure est de pouvoir me passer de terminal. Merci d’être si bavard !
Ramus fulminait de rage. Il venait de se faire avoir comme un débutant. Il savait qu’il ne devait pas se laisser aveugler par la rage, sinon, jamais il ne pourrait vaincre un adversaire du niveau d’Anthony Chaldo. Il se força à se calmer.
— Quoiqu’il en soit, tu vas mourir, dit-il.
— Je suis comme toi Ramus : je suis déjà mort. Nous ne devrions plus être là, et je vais faire en sorte que tout rentre dans l’ordre.
— Tu vas faire quoi ? Te suicider pour me détruire avec toi ?
— Non, si je peux survivre à ce duel, je le ferai. Ainsi, je pourrai continuer cette bataille. Mais je ne quitterai pas ce vaisseau. Si j’ai sorti Julia, c’est pour deux raisons. La première, comme tu l’as deviné : pour la protéger et pouvoir me battre librement contre toi. La seconde : pour ne pas qu’elle intervienne et m’empêche de faire ce qu’il faut.
Tony se concentra pour accéder à son système primaire. Techniquement, son cerveau humain contrôlait tout dans son corps, comme n’importe qui. Mais pour faire le lien entre la partie biologique et technologique, il possédait une sorte de « cerveau de relais ». Un code d’activation permettait d’en faire une unité d’assistance permettant de doper les capacités motrices et les réflexes en accélérant les échanges nerveux.
Tony avait dû se montrer très convaincant avec sa sœur pour qu’elle lui donne le code. Il lui avait promis qu’il n’en userait qu’en dernier recours, si tout le monde était mort et qu’il n’avait plus d’autre option. C’était une des raisons pour lesquelles elle avait souhaité rester avec lui, pour l’empêcher d’utiliser cette fonction. Elle en connaissait les risques. Accélérer ainsi les capacités nerveuses lui grillerait le cerveau, pour ainsi dire, comme un moteur qu’on pousse au-delà de ses limites.
Mais qu’importe, il n’avait plus que cette solution. Le problème de son corps cybermagique, c’était qu’il ne pouvait plus s’améliorer par l’entrainement. Il l’avait remarqué en se battant contre son jumeau. Alors qu’Alex ne cessait de devenir plus fort, repoussant ses limites, Tony stagnait au même point. En cela, il était comme Ramus. Ce dernier ne pouvait augmenter sa puissance de lui-même, il lui fallait l’intervention du nécromancien qui l’avait ramené d’entre les morts.
Tony n’osait imaginer le nombre de sacrifices humains qu’il avait fallu pour lui octroyer un regain de force.
En quelques centièmes de seconde, il entra le code et déverrouilla les sécurités de son système relais. Un affichage intégré à sa vision lui demandait de confirmer sa commande, lui rappelant que cette opération pouvait engendrer des risques importants. Il valida sans hésiter. Un nouveau message apparut : Système déverrouillé.
Au début, il ne ressentit aucune différence. Ce fut quand Ramus se jeta sur lui, lassé de l’attente, qu’il remarqua la différence. Il le vit se mouvoir légèrement ralenti, assez pour lui permettre de réagir correctement à l’attaque. D’un simple quart de tour sur lui-même, il esquiva le bâton de son ennemi et le repoussa en arrière d’un sortilège de répulsion.
Le draugr avait assez d’expérience du combat pour comprendre que quelque chose avait changé chez son adversaire. Son dernier mouvement avait été proche de la perfection, comme s’il avait pu prendre son temps pour l’effectuer.
Il fit tournoyer son bâton au-dessus de lui, élevant des gravas en cercle. Quand il le tendit vers Tony, les roches s’élancèrent vers lui. Le Corbeau effectua une roulade pour passer sous les projectiles, se rapprochant de son adversaire et contre-attaquant d’un Incendio.
Ramus parvint à se dégager des flammes d’un bond. Il fallait qu’il trouve une nouvelle tactique pour surprendre Tony qui semblait lire le moindre de ses mouvements. Malheureusement, et malgré toute sa puissance, il était conscient que ses options étaient limitées dans cet environnement dépourvu de terre naturelle. Il ne pouvait compter que sur celle qu’il avait amenée avec lui et les quelques cadavres glanés çà et là dont beaucoup étaient maintenant inutilisables.
Le draugr se redressa, tenant toujours son bâton dans sa main droite. Il ferma les yeux et se mit à psalmodier dans une langue étrange et inconnue de Tony. Les morceaux de cadavres éparpillés autour d’eux se mirent à remuer, se rapprochant imperceptiblement de Ramus. Tony pensa que ces lambeaux allaient se jeter sur lui et prit les devants en carbonisant les plus proches de lui.
Si les fragments putrides se jetèrent, ce ne fut pas sur l’agent de la DE. Ils accélérèrent et volèrent pour rejoindre Ramus, se collant à lui comme autant de sangsues étranges et nauséabondes. La chair en décomposition des membres se mêla à celle du draugr, fusionnant en un horrible spectacle. Ramus se retrouva affublé de plusieurs bras qui lui sortaient de divers endroits, ainsi que de deux têtes supplémentaires, une sur son épaule gauche et l’autre pendouillant lamentablement au niveau de sa poitrine.
La grimace qui marquait le visage de Ramus ne laissait aucun doute sur la désagréable sensation que cela lui faisait ressentir. Tony faisait maintenant face à une créature de cauchemar que n’aurait pas reniée Lovecraft.
— Aussi agréable que soit ce combat, je dois y mettre un terme pour aller m’occuper d’un second Corbeau, dit-il.
Les deux têtes supplémentaires de Ramus se redressèrent et poussèrent des soupirs gutturaux. Les diverses mains lui permirent de mettre d’autant plus de roches en lévitation. Ce fut comme si Ramus était entouré d’une sorte de nuage de cailloux. Lorsque le nuage se transforma en nuée, fonçant sur le Corbeau, ce dernier plongea, bondit, roula, se projeta en tous sens pour esquiver les projectiles du mieux qu’il le pouvait. Il sentit la douleur le lacérer à divers endroits sous les impacts et désactiva cette sensation comme on couperait le son d’une télévision. Il était conscient des dégâts générés par l’attaque du draugr, mais ne pouvait plus reculer.
Au contraire, il devait avancer, s’approcher de lui, lui porter un coup fatal. Une baguette dans chaque main, il se préparait à incanter mentalement. Un gravas lui arracha la main droite au niveau du poignet. Il n’en eut cure et continua vers la tornade minérale qui entourait maintenant son ennemi.
Arrivé à quelques mètres de lui, les dernières spires du tourbillon lui parurent infranchissables. Il lança un Cofringo pour se dégager durant un quart de seconde un passage et s’y engouffra. Ramus, en pleine extase, ouvrit les yeux paresseusement pour découvrir le regard sans faille de Tony devant lui. Il n’eut pas le temps de réagir.
— Luminis Gladius !
Le rayon de lumière blanche, plus tranchant que le sabre le plus redoutable, fit une arabesque pour venir couper dans un même geste les trois têtes du draugr. Aussitôt, les roches retombèrent en un bruit de pluie fracassante. Le corps déformé de Ramus s’effondra. Et Tony tomba à genoux, reprenant son souffle.
Il se releva au bout de quelques minutes. Figé dans sa dernière expression, le visage de Ramus prenait petit à petit une teinte verdâtre.
Tony fit l’état des dégâts de son corps. Certains projectiles l’avaient transpercé de part en part, détruisant des systèmes vitaux. Il sentait qu’il lui restait peu de temps. Il se rendit là où il avait laissé sa sœur et la trouva inconsciente. Il la souleva et l’emporta.